$22 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (17 février 1790.] M. le comte de Mirabeau. Quelque naturel qu’il soit, en général, d’accorder à tout membre l’ajournement d’une motion qu’il désire soumettre à l'Assemblée, je crois que ce n’est plus le cas, lorsque, par la nature de la chose même, la question est résolue ..... M. de Bouville. Gomment pouvez-vous parle!* ainsi d’une motion que vous ne connaissez pas? M. le comte de Mirabeau. Cette motion est connue, puisque M. de Gazalès en a énoncé le fond. Je demande à faire une observation simple. Nous sommes liés par le serment mémorable ......... (La partie droite interrompt et murmure.) — Nous sommes liés par le serment mémorable et solennel de ne pas nous séparer que la constitution ne soit terminée. Il est impossible d’indiquer le moment où elle sera faite; il est donc impossible de décider cette question : quand finira-t-elle? Nous avons à le demander à ceux qui ne sont pas du même avis que notis ; nous avons à leur demander, puisqu’ils désirent la fin de nos travaux, de ne pas en interrompre le cours, et de nous faire perdre le moins de temps possible. Si la question de M. de Gazalès est aussi simple que facile à résoudre, je demande, non un ajournement, mais la décision soudaine qu’il n’y a lieu à délibérer : si, au contraire, je n’ai pas prévu comment M. de Gazalès prétend proposer la question pour la rendre soutenable, je demande qu’il soit soudainement entendu, M. de Cazalès. Nous touchons à l’époque vraiment décisive de la Révolution; les départements vont s’assembler, et la nation va juger la conduite de ses représentants. Nous ne pouvons nous dissimuler qu’emportés par l’amour de la liberté nous avons dépassé les pouvoirs qui nous ont été confiés : le succès de nos opérations, le bonheur qui naîtra sans doute d’une constitution égale et libre sera notre excuse. 11 n’en est pas moins vrai que la constitution, pour être vraiment nationale, doit avoir la sanction de la nation elle-même ; que la nation seule peut lui donner le grand caractère qui sera sa force, et placer au rang des délits nationaux les atteintes qui lui seraient portées. Des serments et des adhésions individuels ne peuvent équivaloir à cette sanction générale : il faut que la nation approuve par l’organe des députés nouveaux., i.. M. Goupil de Préfeln. On ne peut entendre plus longtemps des assertions aussi contraires aux principes, aussi dangereuses, aussi évidemment destinées à troubler les provinces 1 M. de Cazalès. L’union intime de l’Assemblée avec les départements peut seule assurer le bonheur de l’Etat. Ce serait à tort qu’on voudrait chercher quelque accord dans une Assemblée composée de membres mutuellement aigris..... (On crie à l'ordre.) Je demande comment il se fait qu’on repousse ainsi une motion qui, à Versailles, présentée par M. de Volney, a été reçue avec un enthousiasme général. Personne ne désire plus que moi l’accord des membres de cette Assemblée; mais il n’est que trop vrai que cet accord est impossible entre des hommes choisis dans trois classes différentes et chargés de soutenir des intérêts opposés. Ces germes de division se sont développés depuis notre réunion dans cette enceinte : la division s’est accrue par la chaleur des discussions ; elle s’est fortifiée par l’amour-propre qu’on met toujours à soutenir des opinions combattues. C’est l’union intime de l’Assemblée nationale avec les départements qui peut sauver la patrie, qui peut arrêter les calomnies qui sont répandues contre vous. ( Par vous, par vous ! entend-on dans différentes parties de la salle.) Quand on veut m’insulter, qu’on parle seul et qu’on se montre. M. Malès Vous insultez tout le monde ! M. de Cazalès. Il est important de consacrer le principe dé la souveraineté de la nation, de demander l’adhésion générale à la constitution, et d’éloigner les soupçons des provinces sur le séjour de l’Assemblée et du Roi dans une capitale qui n’a pas les mêmes intérêts qu’elles ..... M. Guillaume. M. dé Gazalès est parjure à son serment. M. de Menou. Je crois que les intentions du préopinant sont pures ; mais il en est pas moins vrai que ses opinions tendent à allumer l’incendie dans tout le royaume. Je demande qu’il soit rappelé à l’ordre. Cette demande est fortement appuyée. M. de Cazalès reprend. Ma motion est dictée parle patriotisme le plus pur; je savais cependant qu’elle serait désapprouvée. Je conclus, et je propose un décret en ces termes : « 1° Dès que les départements seront assemblés, ils éliront de nouveaux députés à l’Assemblée nationale ; < 2° Aucun des membres de la législature actuelle ne pourra être élu pour celle qui la remplacera; « 3° Le Roi sera supplié de convoquer la nouvelle Assemblée nationale dans une ville distante de Paris, au moins de trente lieues. » (Celte motion excite à la fois de grands applaudissements et de violents murmures.) M. Lucas, député de Moulins. Messieurs, je laisse aux orateurs qui parleront après moi le soin de relever les erreurs de M. de Gazalès ; je monte à cette tribune pour remplir un devoir personnel. Je n’étais point à l’Assemblée le 20 juin, lorsqu’on a prêté le serment de ne pas se séparer que la constitution ne soit terminée. Je le prête. La majeure partie de la salle, les tribunes et les galeries applaudissent avec transport. M. de Menou. Je demande que tous ceux qui n’ont pas prêté le même serment le prêtent sur-le-champ. Dom Gerle, chartreux. La motion de M. de Gazalès me paraît si propre à détruire l’harmonie qui commence à régner dans les provinces que, désespéré de ne m’être pas trouvé à l’Assemblée le 20 juin, jour auquel vous avez prêté le serment de ne vous séparer qu’après avoir terminé la constitution, je viens jurer de ne me séparer de vous qu’après la confection de cet important ouvrage : je le jure. Le serment de Dom Gerle est vivement applaudi, et les escaliers de la tribune sont assiégés d’un nombre infini de membres qui, à l’exemple de ce religieux, renouvellent le même serment. M. de Bouville parait à la tribune et insiste 623 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 février 1790. vivement pour être entendu. ( Voy . son discours annexé à la séance de ce jour). M. le Président. Je ne puis vous donner la Barole; elle a été demandée avant vous par [. Chassebœuf de Volney. M. Chassebœuf de Volney. M. de Cazalès s’étant servi de mon nom pour appuyer sa motion, je crois devoir éclairer l’Assemblée sur la différence qui existe entre sa motion et la mienne. J’observerai d’abord que les circonstances et les temps étaient bien différents ; et c’est en dire assez pour établir un caractère de disparité entre les deux motions. Vous vous rappellerez, Messieurs, que le jour même où je présentai ma motion, il en avait été présenté une autre dont j’approuvais les principes et qui fut obstinément rejetée. Le lendemain, M. le due de La Rochefoucauld la présenta : elle fut adoptée. Lors donc que je proposai de convoquer une seconde législature, mon dessein était de terminer des débats qui prenaient une tournure fâcheuse. Je n’ai pas perdu la propriété de ma motion, et je l’ai réservée comme un remède nécessaire dans le cas où de funestes influences auraient repris un nouvel ascendant. Cette circonstance ne s’est pas présentée ; nos opérations ont eu le succès que nous devions en attendre, et je me suis condamné moi-même sur cet objet à un silence dont je m’applaudis encore aujourd’hui. Ces réflexions me déterminent à demander la question préalable sur la motion de M. de Ca-zalês. M. de ’AIontlosier. Mes idées ne sont pas les mêmes que celles de M. de Cazalès ; mais vous allez voir que par amendement elles y rentreront beaucoup. (La plus grande partie de l'Assemblée demande à grands cris de passer à l'ordre du jour.) Lorsque nous avons été nommés, nous avons tous, dans ma province, été chargés de pouvoirs limitatifs ( Nouveaux cris) quant à la durée... ( Encore des réclamations.) Oh! c’est incroyable ..... Je dis, Messieurs qu’il faut absolument que l’Assemblée décide quel est le corps qui nous remplacera. (On demande encore avec plus d' empressement l'ordre du jour.) On doit entendre un orateur. (Quelques personnes disent : Cela est vrai! et cependant s’obstinent à ne pas vouloir entendre davantage M. de Montlosier.) M. le Président. Y a-t-il lieu à délibérer sur la motion de-M. de Cazalès? L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. le Président. L’Assemblée passe à son ordre du jour, qui appelle un rapport du comité ecclésiastique relatif à V ordre du travail a adopter par l'Assemblée et au traitement à accorder aux religieux et aux religieuses. M. Treilhard a la parole. M. Treilhard. Messieurs, en vous parlant du traitement à faire aux religieux qui voudront sortir de leurs maisons, votre comité a différé de vous indiquer celui qu’il paraissait convenable d’assurer aux religieuses, parce qu’il a cru que votre travail était plus instant sur le premier objet que sur le dernier. Votre opération sur les religieux sera d’ailleurs plus facile, parce que les cloîtres destinés aux femmes renferment un plus grand nombre d’individus que ceux destinés aux hommes, parce que surtout les maisons religieuses des hommes sont beaucoup plus riches que celles des femmes. J’ai dit qu’il serait plus facile qu’on ne semble s’imaginer de statuer sur le traitement à faire aux religieux ; et voici ma preuve : Il y a en France environ dix-sept mille religieux, ou tout au plqs dix-huit mille; si vous donnez à chacun 800 livres, vous établissez une dépense annuelle de 16,000,000, et certainement vous trouverez aisément cette somme dans la vente que vous ferez des maisons de Saint-Bruno, de Saint-Bernard, de Saint-Vannes, de l’ancien ordre de Gluny, etc. Je suppose même que le produit de ces ventes ne fût pas suffisant, vous appelleriez à votre secours des maisons de l’ordre de Saint-Benoît, qui sont en grand nombre dans les Pays-Bas ; vous auriez alors beaucoup plus qu’il ne vous faut; et, eussiez-vous besoin du tout, il résulterait encore de ce calcul que la nation profiterait des propriétés de toutes les autres maisons monastiques répandues dans le sein de la France. Mais quel sort ferez-vous aux religieux? Avant de délibérer sur cette question, je crois important de décider deux autres questions préalables : 1° Dans votre décret sur le traitement à faire aux religieux, ferez-vous une distinction entre ceux qui ont été reçus dans des maisons rentées, et ceux dont les maisons ne le sont pas? 2<> Ferez-vous encore une distinction entre les religieux qui, dans leur ordre, auront été élevés à des grades supérieurs, et les simples moines ? Après avoir prononcé sur ces deux accessoires, la question première se présentera toute seule à votre décision. Je propose donc de décréter d’abord, que vous vous occuperez du sort des religieux avant celui des religieuses. Je présente ensuite les deux questions que je viens d’énoncer. Je dirai sur les deux questions, qu’il est certain que tous les religieux appartiennent à la nation, qu’ils ont tous les mêmes droits à la justice de la nation. J’ajouterai que les religieux font presque tous partie d’une classe de citoyens qu’il est important d’attacher à la constitution par des bienfaits. Dans mon opinion particulière, j’avais cru d’abord , contre l’avis d’une partie des membres du comité, gne les distinctions dans le'sort des moines étaient indispensables. De sévères réflexions ont pu affaiblir cet avis; quel qu’il soit aujourd’hui, je le subordonne au décret que vous prononcerez. Je ne dois pas oublier d’appuver une distinction que vous approuverez tous sans doute ; elle doit exister dans la différence d’âge; en effet, les religieux infirmes et affaiblis par l’âge, sollicitent votre bienfaisance plus encore que ceux qui se portent bien. Je propose à présent un ordre de travail conforme aux principes que je viens de développer. M. Treilhard fait la lecture d’un projet de décret rédigé dans ces vues. M, Lavie. Je demande que les jésuites soient compris dans la fixation du traitement à faire aux religieux qui voudront sortir de leurs maisons régulières. Les jésuites n’ont, obtenu du gouvernement que 400 livres de pension. M. le Président consulte l’Assemblée sur le projet de décret proposé par le comité ecclésiastique. Il est adopté en ces termes :