[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]24 mai 1791.] 381 M. de Virien. J’ai un projet à proposer (Murmures et interruptions)... J’abandonne la parole sur le fond; mais je demande à lire mon projet de décret. A gauche : Mettez-ie sur le bureau ! M. de Cazalès. Je demande la question préalable sur tous les projets de décret et je la motive sur ce qu’ils sont tous contraires au décret rendu sur appel nominal par l’Assemblée nationale. Ce décret ayant formellement déclaré qui ni Avignon ni le comtat Venaissin n’étaient partie intégrante de l’Empire Français, l’Assemblée nationale ne peut plus s’en occuper et s’emparer d’une portion de pays qui ne nous appartient pas. Si l’Assemblée déclare qu’il n’y a pas lieu à délibérer, je me réserve de proposer les mesures de voisinage et les bons offices qu’il convient d’employer. M. de Airieu. Si la question préalable passe, je n’ai plus rien à dire et je vais mettre mon décret dans ma poche. M. de Menou, rapporteur , fait une nouvelle lecture du projet de décret du comité. M. Salle. 0 n ne peut pas délibérer sur Ja question préalable proposée par M. de Cazalès, parce qu’il est possible que parmi ceux qui veulent que l’on prenne des mesures pour rétablir la paix dans Avignon et le Comtat, il y en ait un grand nombre qui ne veulent pas la réunion. M. de Montlosier. On peut très bien délibérer sur la question préalable demandée parM. de Cazalès, en réservant d’indiquer ensuite les moyens propres à rétablir la paix dans Avignon. M. le Président. Je mets aux voix la question préalable proposée sur le décret du comité. (L’épreuve a lieu.) M. le Président. L’Assemblée déclare qu’il y a lieu à délibérer. ( Vifs applaudissements à gauche et dans les tribunes.) M. de Cazalès. Monsieur le président, rappelez les tribunes à l’ordre! Je ne conçois pas comment le peuple ose avoir l’insolence d’insulter des membres de cette Assemblée. (Murmures.) A gauche : Aux voix le projet de décret! M. de Urieu. Voici mon projet de décret : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de Constitution, diplomatique et d’Avignon, décrète qu’il n’y a pas lieu a délibérer, quant à présent, sur toutes les uestions relatives aux pétitions des habitants ’Avignon et du comtat Venaissin; et considérant qu’il importe d’y ramener le calme et la paix pour la sûreté des départements qui les avoisinent; considérant en outre que le pape et le peuple de ces contrées en ont manifesté le vœu, décrète que le roi sera prié de prendre les mesures convenables pour assurer le retour de la paix et de l’ordre dans ce pays et pour empêcher que la fermentation qui règne à Avignon et dans le Comtat ne s’étende dans les départements voisins. » Je demande la priorité pour mon projet de décret. M. Dupont. Nous avons reconnu que les habitants d’Avignon et du comtat Venaissin ne faisaient pas partie de la France. Ce ne sont donc pas des commissaires civils, mais des plénipotentiaires médiateurs... (Rires à gauche.) qu'il faut leur envoyer. Je propose, en conséquence, le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que son président se retirera par devers le roi pour le prier d’envoyer dans l’Etat d’Avignon et dans le comtat Venaissin, quatre ministres plénipotentiaires médiateurs, à l’effet d’y rétablir la paix et d’y proposer le mode de convocation d’une assemblée où puisse être manifesté paisiblement le vœu de la majorité ( Murmures ) ; se réservant l’Assemblée nationale de prononcer sur ce vœu libre et paisible quand il sera connu. » M. Prieur. Je demande la priorité pour le projet du comité. (L’Assemblée, consultée, accorde la priorité au projet du comité.) M. le Président. Je vais mettre aux voix l’article du comité. MM. Dufraisse-Duehey et Madier de Monjau. Il faut consulter l’Assemblée par appel nominal. M. le Président. On demande qu’on aille aux voix sur le projet du comité par appel nominal. (Oui! oui!) M. d’Aubergeonde Murinais. Il faudra lever la séance quand l’appel nominal aura été fait. M. de Cazalès. Si l’article du comité est rejeté, je demande que l’Assemblée nationale convienne loyalement et franchement de ne plus souffrir,sous aucun prétexte, qu’on reparle ici de la réunion d’Avignon à l’Empire français. (Murmures.) M. de Crillon le jeune. Je m’oppose à la proposition de M. de Cazalès et je demande que l’Assemblée ne regarde pas la question comme décidée positivement. Voici mes raisons .... (A gauche : Il n’est pas question de cela.) Je crois que si le comité avait prouvé en effet que le vœu des Avignonais a été librement émis, nous ne pourrions pas être d’un avis différent; mais il ne l’a pas prouvé. Je demande par amendement... (Murmures et interruptions.) M. Rabaud-Saint-Étienne. On doit mettre aux voix en même temps tous les articles du projet ; toutes ses parties sont liées entre elles ; la totalité du décret est l’expression entière de votre volonté. Vous ne voulez pas un des articles sans l’autre. Je vous invite, au nom des départements méridionaux, qui sont enflammés, à ne pas donner dans le piège qu’on vous tend. Vous devez sentir les dangers auxquels vous exposeriez la France, si vous abandonniez ce pays à deux armées qui sont en présence. Je ne répondrai point aux insinuations odieuses et perfides de M. l’abbé Maury. Votre mépris et celui des bons citoyens en feront justice. (Applaudissements. ) M. Malowet. Croyez-vous que nous ne voulons pas que la paix se rétablisse à Avignon? 382 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [24 mai 1791.] nous nous opposons seulement à la réunion. [Murmures.) M. de Clermont-Tonnerre . J’invoque le règlement qui porte que, quand un décret renferme des dispositions distinctes, elles doivent être délibérées séparément. G'est aussi le salut public, c’est l’amour de la paix qui nous animent. Gomment vient-on rejeter sur ceux qui s’opposent à la réunion une insenbilité coupable? (Murmures.) Je somme M. le président, et cette motion sera appuyée, de mettre aux voix cette division. Une partie du côté droit se lève pour appuyer cette proposition. (L’assemblée, consultée, décrète la division du projet du comité.) (Des cris se font entendre dans les Tuileries.) M. de Cazalès. Entendez-vous ces cris? (Bruit prolongé dans l’Assemblée.) Le côté droit se lève en tumulte et se répand au milieu de la salle. A gauche : G’est vous qui les provoquez, ces cris! M. d’Aubergeon de Murinais. Il faut lever la séance; nous ne pouvons pas délibérer ici. Je demande que le chef de la municipalité de Paris et le commandant de la garde nationale soient sommés d’assurer la liberté de la délibération! M. Foucault-Lardimalie, ironiquement. Ce sont d’honnêtes gens qui vous disent : Prenez Avignon ou bien vous serez pendus. (Le calme se rétablit et les membres du côté droit reprennent leur place.) M. le Président. L’Assemblée ayant décidé qu’il serait procédé au vote séparément sur chaque article du comité, je mets aux voix l’article premier ainsi conçu : <• L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de Constitution, diplomatique et d’Avignon, relativement aux droits de la France sur l’Etat d’Avignon et son territoire, ainsi qu’un vœu libre, légal et solennel des Avi-gnonais pour se réunir à l’Empire Français, décrète : « 1° Qu’elle admet et incorpore les Avigno-nais dans la nation française, dont ils feront désormais partie intégrante, leuraccordant tous les droits et avantages de sa Constitution. » Il va être procédé à l’appel nominal sur cet article ; ceux qui l’adopteront diront : oui; ceux qui ne l’adopteront pas diront non. M. Ferchère de Reffye, secrétaire , fait l’appel nominal qui est interrompu par l’incident suivant (1) : M. le Secrétaire appelle : M. de Faucigny ! M. de Fancigny-Lucinge. Avez-vous oublié mes protestations? Je m’appelle M. le comte de Faueigny-Lucinge. A gauche : A l’ordre! à l’Abbaye! (1) Voy. ci-dessus, séance du 12 mai 1791, p. 16, le même incident. M. Treilhard. Je demande que M. de Faucigny soit rappelé â l’ordre et que mention en soit faite au procès-verbal. Il est inoui qu’on vienne faire des protestations jusque dans le sein de l’Assemblée. M. de Faucigny-Lucinge. Oui, nous en faisons !... (A gauche : A l’ordre ! à l’Abbaye !)... Ce sont nos vrais noms, et nous sommes un grand nombre qui les soutiendrons. Une voix à gauche : Il est fou, messieurs ! M. de Faucigny-Lucinge. Des procureurs et des avocats voudraient-ils nous faire la loi ? A gauche : A l’ordre ! A l’ordre ! M. Madier de Aloiitjau. Je demande à parler contre la motion de rappeler M. de Faucigny à l’ordre. M. Lambert de Frondeville. Taisez-vous, Monsieur ! Taisez-vous ! (L’Assemblée, consultée, décide que l’appel nominal sera continué sans interruption.) M. Ferehère de Reffye, secrétaire , continue et achève l’appel nominal. Le résultat de cet appel donne, sur 768 votants, 374 voix pour oui et 394 voix pour non. M. le Président prononce, en conséquence, que l’Assemblée rejette l’article 1er du projet des comités. La séance est levée à quatre heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 24 MAI 1791, AU MATIN. Opinion de M. Barrère de Fienzac sur la réunion d'Avignon à la France (1). Messieurs, Par votre décret du 5 mai vous avez déchiré le voile diplomatique qui couvrait les droits féodaux ou domaniaux de la France sur Avignon et le Gomtat Venaissin. Vous aurez détruit ces chartes et ces testaments qui, d’après vos principes, ne lient pas les nations à leurs chefs comme de vils troupeaux à leurs propriétaires ; vous avez détruit ce qu’on appelle le droit positif. Vous avez déclaré aux yeux de l’Europe un fait authentique, le Gomtat et Avignon ne font pas partie intégrante de l'Empire Français. Gette déclaration a excité la joie des ennemis du bien public; mais ils ne pensent pas qu’elle publie votre justice, qu’elle consacre votre sévère sagesse, et qu’elle ramène au grand principe de la souveraineté des peuples. Je ne parlerai donc plus des droits de la France, et je ne crois pas qu’après le décret du 5 mai vous puissiez énoncer aucun droit positif de la France sur Avignon. Je dirai seulement à ceux qui voudraient tirer plus grand avantage du décret du 5 mai, qu’ils jettent les yeux sur le dé-(1) Cette opinion n’a pas été prononcée.