238 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 décembre 1790.] de délibérer. La force armée est essentiellement obéissante ; « 6° Les citoyens ne pourront exercer le droit de suffrage dans aucune des assemblées politiques, s’ils sont armés, ou seulement vêtus d’un uniforme; « 7° Les citoyens ne pourront refuser le service dont ils seront requis légalement. « En conséquence, l’Assemblée nationale décrète ce qui suit : Art. 1er. « Les citoyens actifs et leurs enfants mâles, âgés de dix-huit ans, déclareront sonnellement la résolution de remplir au besoin ces devoirs, en s’inscrivant sur les registres à ce destinés. Art. 2. « L’organisation de la garde nationale n’est que la détermination du mode, suivant lequel les citoyens doivent se rassembler, se former et agir, lorsqu’ils seront requis de remplir leur service. Art. 3. « Les citoyens requis de défendre la chose publique, et armés en vertu de cette réquisition, ou s’occupant des exercices qui seront institués, porteront le nom de gardes nationales. Art. 4. « Gomme la nation est une, il n’y a qu’une seule garde nationale, soumise aux mêmes règlements, à la même discipline, et au même uniforme. » M. lia Révelllère. J’ai à vous proposer deux articles additionnels : je n’abuserai point de vos moments en les développant, je me contenterai de les lire. « Art. 1er. Les enseignes des gardes nationales porteront ces mots : « le peuple français » et ceux-ci : « la liberté ou la mort. » « Art. 2. Quelque changement que le temps apporte dans la forme des habits ou des gardes nationales, l’habit portera toujours les trois couleurs, bleu, rouge et blanc , et il sera écrit sur une des parties les plus apparentes des habits ou des armes les mots suivants : Constitution, Liberté, Egalité , et au-dessous : veillez. » (L’Assemblée ordonne le renvoi de ces deux articles à son comité de Constitution.) M. le Président. Je viens de recevoir une lettre de M. le garde des sceaux, par laquelle il m’en envoie deux autres, l’une de l’électeur de Trêves, et l’autre du prince de Hesse-Darmstadt. (L’Assemblée renvoie ces lettres aux comités diplomatique et de féodalité.) M. de Paroy, député de Provins, demande par lettre une prolongation de congé pour quinze jours ou trois semaines. (Accordé.) M. Grasset, membre de la ci-devant Assemblée générale de Saint-Domingue écrit à M. le président pour demander l’autorisation de retourner à Saint-Domingue. Cette demande est renvoyée au comité colonial. (La séance est levée à trois heures.) ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 5 DÉCEMBRE 1790. Nota. M. Robespierre ayant fait imprimer et distribuer le discours qu’il ne put prononcer sur V organisation de la force publique, nous l’insérons ici comme faisant partie des documents parlementaires de l’Assemblée nationale. Discours sur V organisation des gardes nationales , par Maximilien Robespierre, député à l'Assemblée nationale. Messieurs, vous êtes tous convaincus que, de toutes les institutions qui vous restent à former, l’organisation des gardes nationales est celle qui doit avoir la plus puissante influence sur le sort de la liberté et sur la stabilité de votre ouvrage. Je me hâte donc d’en rechercher les principes, sans en prouver l’importance. Vous le savez : toutes les institutions politiques ne sont que des moyens de parvenir à un but utile à la société; et, pour bien choisir et employer les moyens, il est toujours nécessaire, il suffit souvent de connaître parfaitement le but et de ne le jamais perdre de vue. Examinons donc, avant tout, quel est l’objet précis de l’institution des gardes nationales, quelle est la place qu’elles doivent tenir, quelle est la fonction qu’elles doivent remplir dans l’économie politique, et toutes les règles de leur organisation s’offriront d’elles-mêmes à nous comme des conséquences palpables de ce principe. Ce serait en vain que nous chercherions ici des autorités ou des exemples étrangers parfaitement analogues. L’idée de 1 institution des gardes nationales, du moins telle que nous la concevons, est neuve; elle appartient à notre Révolution ; elle fut presque également inconnue et aux peuples libres, et aux peuples subjugués par le despostisme. Chez les premiers, les citoyens, nés soldats pour défendre la patrie, s’arment dans les dangers qui la menacent, repoussent les invasions des ennemis du dehors, et rentrent dans leurs foyers où ils ne sont plus que des citoyens. Quant aux autres (je parle des peuples modernes), ils entretiennent, ou plutôt leurs monarques entretiennent, à leurs dépens, des corps de troupes permanents qu’ils emploient alternativement pour combattre leurs ennemis étrangers et pour enchaîner leurs sujets. Tel est l’ordre de choses que vous avez trouvé, parmi nous, en commençant votre carrière. Je ne vous rappellerai pas ce qu’il devait vous coûter si, par un enchaînement extraordinaire d’événements dont l’histoire du monde n’offre pas un exemple, les soldats du despotisme n’étaient devenus tout à coup les soldats de la liberté... Les circonstances extérieures qui vous environnaient vous ont déterminés à conserver une armée nombreuse sur pied ; vous l’avez laissée entre les mains du prince ; mais en même temps vous avez senti que cette force, dangereuse à la liberté, jugée par vous un mal nécessaire, exigeait un puissant remède et vous avez appelé les gardes natio nales; ou plutôt, au premier cri de la liberté naissante, tous les Français ont pris les armes, et se sont rangés en bataille autour de son ber- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 décembre 1790.] ceau; et vous, convaincus qu’il ne suffisait pas de créer la liberté, mais qu’il fallait la conserver, vous avez mis dès lors au rang de vos premiers devoirs le soin de consolider, par des lois sages, celte salutaire institution que les premiers efforts du patriotisme avaient fondées. Déjà ce simple historique nous montre le véritable objet de l’établissement des gardes nationales; et la nature de la chose nous le dit encore plus clairement. Les lois constitutionnelles tracent les règles qu’il faut observer pour être libres; mais c’est la force publique qui nous rend libres de fait, en assurant l’exécution des lois. La plus inévitable de toutes les lois, la seule qui soit toujours sûre d’être obéie c’est la loi de la force. L’homme armé est maître de celui qui ne l’est pas; un grand corps armé, toujours subsistant au milieu d’un peuple sans armes, est nécessairement l’arbitre de sa destinée; celui qui commande à ce corps, qui le fait mouvoir à son gré, pourra bientôt tout asservir. Pius la discipline sera sévère, plus le principe de l’obéissance passive et delà subordi-dination absolue sera rigoureusement maintenu; plus le pouvoir de ce chef sera terrible, car la mesure de sa force sera la force de tout le grand corps dont il est l’âme, et fût-il vrai qu’il ne voulût pas en abuser actuellement, ou que des circonstances extraordinaires empêchassent qu’il pût le vouloir impunément, il n’en est pas moins certain que, partout où une semblable puissance existe sans contrepoids, le peuple n’est pas libre, en dépit de toutes les lois constitutionnelles du monde; car l’homme libre n’est pas celui qui n’est point actuellement opprimé; c’est celui qui est garanti de l’oppression par une force constante. Ainsi, toute nation qui voit dans son sein une armée nombreuse et disciplinée aux ordres d’un monarque, et qui se croit libre, est insensée, si elle ne s’est environnée d’une sauvegarde puissante. Elle ne serait pas justifiée par la prétendue nécessité d’opposer une force militaire égale à celle des nations esclaves qui l’entourent. Qu’importe à des hommes généreux à quels tyrans ils sont soumis? et vaut-il la peine de se donner tant de soins et de prodiguer tant de sang, pour conserver à un despote un immense domaine où il puisse paisiblement fouler aux pieds plusieurs millions d’esclaves? Je n’ai pas besoin d’observer que le patriotisme généreux des soldats français; que les droits qu’ils ont acquis, dans cette Révolution, à la reconnaissance de la nation et de l’humanité entière, ne changent rien à la vérité de, ces principes; on ne fait point des lois; on ne fait point une Constitution pour une circonstance et pour un moment. La pensée du législateur doit embrasser l’avenir comme le présent. Or, cette sauvegarde, ce contre-poids nécessaire, quel est-il? les gardes nationales. Posons donc pour premier principe qu’elles doivent être organisées de manière qu’elles mettent le pouvoir exécutif dans l’impuissance de tourner, contre la liberté publique, les forces immenses dont il est sans cesse armé. Mais ce ne sera point assez : il faudra encore qu’elles ne puissent jamais elles-mêmes opprimer la liberté, ni le pouvoir exécutif, puisque tant qu’il se renferme dans les bornes que la Constitution lui prescrit, il est lui-même une portion des droits de la nation. Tel est le double objet que doit remplir la constitution des gardes nationales ; tel est le double 239 point de vue -sous lequel nous allons la considérer. Le premier ne nous présente que des idées infiniment simples. S’il est vrai que cette institution soit un remède contre le pouvoir exorbitant qu’une armée toujours sur pied donne à celui qui en dispose, il s’ensuit qu’elles ne doivent point être constituées comme les troupes de ligne ; qu’elles ne doivent point être aux ordres du prince ; qu’il faut bannir de leur organisation tout ce qui pourrait les soumettre à son influence : puis-qu’alors loin de diminuer les dangers de sa puissance, cette institution les augmenterait, et qu’au lieu de créer des soldats à la liberté et au peuple, elle ne ferait que donner de nouveaux auxiliaires à l’ambition du prince. De ce principe simple je tire les conséquences suivantes, qui ne le sont pas moins : 1° Que le prince, ni aucune personne sur laquelle le prince a une influence spéciale, ne doit nommer les chefs ni les officiers des gardes nationales ; 2° Que les chefs et les officiers des troupes de ligne ne peuvent être chefs ni officiers des gardes nationales ; 3° Que le prince ne doit ni avancer, ni récompenser, ni punir les gardes nationales. Je rapel-lerai à ce sujet que ce fut, de la part du dernier ministre, un trait de politique aussi adroit dans le système ministériel, que repréhensible dans les principes de notre Constitution, d’avoir envoyé des croix de Saint-Louis aux gardes nationales de Metz qui assistèrent à la1 fatale expédition de Nancy. Ce procédé doit, au moins, avertir la vigilau'ceeilasagesse de l’Assemblée nationale, comme il a étonné les citoyens éclairés. Enfin, Messieurs, évitez soigneusement tout ce qui pourrait allumer dans l’âme des citoyens-soldats ce fanatisme servile et militaire, cet amour superstitieux de la faveur des cours, qui avilit les hommes au point de les porter à mettre leur gloire dans les titres mêmes de leur servitude ; déplorables effets de nos mœurs frivoles et de nos institutions tyranniques. L’évidente simplicité de ces idées me dispense de tout développement; et je passe au second et au plus important des deux objets que j’ai annoncés : je veux dire à l’examen des moyens à appliquer pour que les gardes nationales elles-mêmes ne puissent pas opprimer la liberté des citoyens. Tous ces moyens me semblent se rapporter à un principe général : c’est d’empêcher qu’elles forment un corps et qu’elles adoptent aucun esprit particulier qui ressemble à l’esprit de corps. 11 est dans la nature des choses que l’esprit de corps, comme tout individu, ait une volonté propre, différente de la volonté générale, et qu’il cherche à la faire dominer. Plus il est puissant, plus il a le sentiment de ses forces; plus cette volonté est active et impérieuse. Songez combien l’esprit de despotisme et de domination est naturel aux militaires de tous les pays; avec quelle facilité ils séparent la qualité de citoyen de celle de soldat, et mettentcelle-ci au-dessous de l’autre. Redoutez surtout ce funeste penchant, chez une nation dont les préjugés ont attaché une considération presque exclusive à la profession des armes; puisque les peuples les plus graves n’ont pu s’en défendre. Voyez les citoyens romains commandés par César : si, dans un mécontentement réciproque, il cherche à les humilier, au [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (5 décembre 1790.] 240 lieu du nom de soldats, il leur donne celui de citoyens, quintes ; et à ce mot ils rougissent et s’indignent. Un autre écueil pour le civisme des militaires, c’est l’ascendant que prennent leurs chefs. La discipline amène l’habitude d’une prompte et entière soumission à leur volonté; les caresses, des vertus plus ou moins réelles la changent en dévouement et en fanatisme; c’est ainsique les soldats de la république deviennent les soldats deSvlla, de Pompée, de César, et ne sont plus que les aveugles instruments delà grandeur de leurs généraux et de la servitude de leurs concitoyens. Il sera facile, parmi nous, de prévenir toutes ces espèces d’inconvénients. Rappelons-nous la distance énorme qui doit exister entre l’organisation d’un corps d’armée destiné à faire la guerre aux ennemis du dehors, et celle des citoyens armés pour être prêts à défendre leurs lois et leur liberté contre les usurpations du despotisme ; rappelons-nous que la continuité d’un service rigoifreux, que la loi de l’obéissance aveugle et passive, qui change des soldats en des automates terribles, est incompatible avec la nature même de leurs devoirs, avec le patriotisme généreux et éclairé qui doit être le premier mobile. Ne cherchez point à les conduire par le même esprit, ni à les mouvoir par les mêmes ressorts que vos troupes de ligne. Soit que, dans les commencements de la Révolution, il ait été nécessaire, comme on l’a dit, de leur donner beaucoup de ressemblance avec l’armée, soit que des motifs différents, ou seulement l’esprit d’imitation, aient multiplié ces éiats-majors, ces grades, ces décorations militaires, il me paraît certain que ce ne doit point être là l’état permanent des gardes nationales. Il faut surtout s’appliquer à confondre, chez elles, la qualité de soldai dans celle du citoyen: les distinctions militaires les séparent et les font ressortir. Réduisez le nombre des officiers à la stricte mesure de la nécessité. Gardez-vous surton de créer, dans le sein de cette famille de frères confédérés pour la même cause, des corps d’élite, des troupes privilégiées, dont l’institution est aussi inutile que contraire à l’objet des gardes nationales. Prenez d’autres précautions contre l’influence des chefs. Que tous les officiers soient nommés pour un temps très court : je ne voudrais pas qu’il excédât la durée de six mois. Que les commandements soient divisés de manière au moins qu’un seul chef ne puisse réunir plusieurs districts sous son autorité. Ajoutez une disposition dont l’importance est peut-être plus grande qu’elle ne paraît au premier coup d’œil. On n’imagine pas aisément à quel point cet esprit de despotisme militaire, que nous cherchons à éteindre, peut être fomenté par l’usage de porter continuellement les marques distinctives du garde dont on est revêtu. lin général, tout magistrat, tout fonctionnaire public, hors de l’exercice de ses fonctions, n’est qu’un simple citoyen. Les insignes qui rappellent son caractère ne lui sont donnés que pour le moment où il les remplit et pour la dignité du service public, et non pour sa décoration personnelle; l’habitude de les étaler pour le commerce ordinaire de la vie peut donc être regardé, en quelque sorte, comme une espèce d’usurpation, comme une véritable atteinte aux principes de l’égalité. Elle ne sert qu’à l’identiüer, à ses propres yeux, avec son autorité; et je ne crois pas beaucoup m’éloigner de la vérité en disant que ces distinctions extérieures, qui poursuivent partout les hommes en place, n’ont pas peu contribué à faire naître dans leurs âmes cet esprit d’orgueil et de vanité, et dans celle des simples citoyens, cette timidité rampante, cet empressement adulateur également incompatibles avec le caractère des hommes libres. A qui cette vanité puérile convient-elle moins qu’aux chefs des citoyens-soldats? Défenseurs delà liberté, vous ne* regretterez pas ces hochets dont les monarques payent le dévouement aveugle de leurs courtisans. Le courage, les vertus des hommes libres, la cause sacrée pour laquelle vous êtes armés, voilà votre gloire, voilà vos ornements. Je n’ai pas dit que ces officiers devaient être nommés par les citoyens, parce que cette vérité paraissait trop palpable. Aussi n’ai-je pu concevoir encore la raison qui avait pu déterminer vos comités de Constitution et militaire à vous proposer de les faire choisir moitié par les citoyens, moitié par les administrateurs du département. Ils sont sans doute partis d’un principe ; or, si ce principe exigeait le choix du peuple, pourquoi le respecter en partie et le violer en partie ? ou pourquoi décider une question unique et simple par deux principes contradictoires ? N’est-il pas évident que l’exercice du droit d’élection appartient essentiellement au souverain, c’est-à-dire, au peuple; qu’il ne peut être dévolu à des ofliciers du peuple, dont l’autorité est circonscrite oans les bornes des affames administratives ; qu’il est contradictoire de faire concourir, avec ie souverain lui-même, son propre dé égué, pour le choix de la même espèce de fonctionnaires publics ? Quel avantage peut-on trouver à confier cette partie de sa puissance à un petit nombre d’admi-uisirateurs? Ceux qui savent, au contraire, à quel point il est exposé au malheur d’être trahi ou abandonné par ceux qui exercent son autorité, par tous ceux qui ue sont pas lui, craindront que l’intervention de ces directoires ne serve à donner aux gardes nationales des chefs ennemis de ia cause populaire, propres à appesantir le joug militaire sur tes citoyens faibles, et à servir les intérêts de l’aristocratie, monstre qui existe sous plus d’une forme, que les îg orauts croi nt mort, et qui est immortel. S’ils poussent encore plus loin leurs réflexions, ils craindront peut-être que ce système n’aille jusqu’à remettre bientôt une grande partie des forces nationales entre les mains du pouvoir executif, dont la destinée fut toujours de tout asservir et de tout corrompre. Les inconvénients ont échappé sans doute aux deux comités (1). Il me paraît qu’ils se sont encore trompés en voulant étendre à deux années la durée des fonctions des officiers ; et que cette erreur, dangereuse surtout dans le système dont je viens de parler, -est suffisamment réfutée par Jes principes que nous avons établis. Au reste, quelqu’importantes que soient en elles-mêmes les dispositions que nous venons d’indiquer, elles n’atteignent pas encore le point capital (1) Je dois prévenir ici que, depuis que ce discours a été composé, cette di position, qui avait été lue à l’Assemblée par le rapporteur des comités, a été changée dans le rapport imprimé; ils se contentent d’exiger que les élections soient faites en présence des administrateurs; ce qui ne me parait encore qu'une formalité inutile, contraire aux principes et à la liberté des assemblées électives. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 décembre 1790.J (Assoniülc.- ;;atio:uile.J de la grande question que nous devons résoudre et si j’avais dû négliger quelqu’une des idées qu’elle semble offrir les premières à l’esprit, je les aurais laissées de côté pour aller droit au principe simple et fécond dont elles ne sont que des conséquences. Quoi que vous puissiez faire, les gardes nationales ne seront jamais ce qu’elles doivent être si elles sont une classe de citoyens, une portion quelconque de la nation, quelque considérable que vous la supposiez. Les gardes nationales ne peuvent être que la nation entière armée pour défendre, au besoin, ses droits; il faut que tous les citoyens en âge de porter les armes y soient admis sans aucune distinction. Sans cela, loin d’être les appuis de la liberté, elles en seront les fléaux nécessaires. Il faudra leur appliquer le principe que nous avons rappelé au commencement de celle discussion, en parlant des troupes de ligne; dans tout Etat où une partie de la nation est armée et l’autre ne l’est pas, la première est maîtresse des destinées de la seconde; tout pouvoir s’anéantit devant le sien; d’autant plus redoutable qu’elle sera plus nombreuse, cetle portion privilégiée sera seule libre et souveraine : le reste sera esclave. Etre armé pour sa défense personnelle est le droit de tout homme; être armé pour défendre la liberté et l’existence de la commune patrie est le droit de tout citoyen. Ce droit est aussi sacré que celui de la défense naturelle et individuelle dont il est la conséquence, puisque l’intérêt et l’existence de la société sont composés des intérêts et des existences individuelles de ses membres. Dépouiller une portion quelconque des citoyens du droit de s’armer pour la patrie et en investir exclusivement l’autre, c’est donc violer à la fois et cette sainte égalité qui fait la base du pacte social, et les lois les plus irréfragables et les plus sacrées de la nature. Mais remarquez, je vous prie, que ce principe ne souffre aucune distinction entre ce que vous appelez citoyens actifs et les autres. Que les représentants du peuple français aient cru pendant quelque temps fl), qu’il fallait interdire à tant de millions de Français qui ne sont point assez riches pour payer une quantité d’impositions déterminée, le droit de paraître aux assemblées où le peuple délibère sur ses intérêts ou sur le choix de ses représentants et de ses magistrats ; je ne puis en ce moment que me prescrire sur ces faits un silence religieux : tout ce que je dois dire, c’est qu'il est impossible d’ajouter à la privation de ces droits la prohibition d’être armés pour sa défense personnelle, ou pour celle de sa patrie ; c’est que ce droit est indépendant de tous les systèmes politiques qui classent les citoyens, parce qu’il tient essentiellement au droit inaltérable, au devoir immortel de veiller à sa propre conservation. Si quelqu’un n’objectait qu’il faut avoir ou une telle espèce, ou une telle étendue de propriété pour exercer ce droit, je ne daignerais pas lui répondre. Eh! que répondrais-je à un esclave assez vil, ou à un tyran assez corrompu, pour croire que la vie, que la liberté, que tous les biens sacrés que la nature a départis aux plus pauvres de (1) «Te dis pondant quelque temps, parce que le décret du marc d’argent et ceux, qui tienne al au même principe sont jugés depuis longtemps j>ar l’Assemblée nationale, qui ne s© séparera pas sans avoir exaucé à cet égard le vœu dé la nation. lro Série. T. XXI. 241 tous les hommes ne sont pas des objets qui vaillent la peine d’être défendus? Que répondrais-je à un sophiste assez absurde pour ne pas comprendre que ces superbes domaines, que ces fastueuses jouissances des riches, qui seules lui paraissent d’un grand prix, sont moins sacrées aux yeux des lois et de l’humanité que la plus chétive propriété mobiliaire, que le plus modique salaire auquel est attachée la subsistance de l’homme modeste et laborieux? Quelqu’un osera-t-il me dire que ces gens-là ne doivent pas être admis au nombre des défenseurs des lois et de la Constitution, parce qu’ils n’ont point d’intérêt au maintien des lois et de la Constitution? Je le prierai , à mon tour, de répondre à ce dilemme si ces hommes ont intérêt au uiaintien des lois et de la Constitution, ils ont droit, suivant vos principes mêmes, d’être inscrits parmi les gardes nationales : s’ils n’y ont aucun intérêt, dites-moi donc ce que cela signifie, si ce n’est que les lois, que la Constitution n’auraient pas été établies pour l’intérêt général, mais pour l’avantage particnlier d’une certaine classe d’hommes, qu’elles ne seraient point la propriété commune de tous les membres de la société, mais le patrimoine des riches ; ce qui serait, vous en conviendrez sans doute, une supposition trop révoltante et trop absurde. Allons plus loin : ces mêmes hommes dont nous parions sont-ils, suivant vous, des esclaves, des étrangers? ou sont-ils citoyens? Si ce sont des esclaves, des étrangers, il faut le déclarer avec franchise, et ne point chercher à déguiser cette idée sous des impressions nouvelles et assez obscures. Mais non ; ils sont en effet citoyens ; les représentants du peuple français n’ont pas dépouillé de ce titre la très grande majorité de leurs commettants; caron sait que tous les Français, sans aucune distinction de fortune ni de cotisation, ont concouru à l’élection des députés à l’Assemblée nationale : ceux-ci n’ont pas pu tourner contre eux le même pouvoir qu’ils en avaient reçu, leur ravir les droits qu’ils étaient chargés de maintenir et d’affermir, et par cela même anéantir leur propre autorité, qui n’est autre que celle de leurs commettants ; ils ne l’ont pas pu, ils ne l’ont pas voulu, ils ne l’ont pas fait. Mais si ceux dont nous parlons sont en effet citoyens, il leur reste donc des droits de cité, à moins que cette qualité ne soit un vain titre et une dérision. Or, parmi tous les droits dont elle rappelle l’idée, trouvez-m’en, si vous le pouvez, un seul, qui y soit plus essentiellement attaché, qui soit plus nécessairement fondé sur les principes les plus inviolables de toute société humaine que celui-ci : si vous le leur ôtez, trou-vez-moi une seule raison ae leur en conserver aucun autre. Il n’en est aucune. Reconnaissez donc comme le principe fondamental de l’organisation des gardes nationales, que tous les citoyens domiciliés ont le droit d'être admis au nombre des gardes nationales , et décrétez qu'ils pourront se faire inscrire comme tels dans les registres de la commune où ils demeurent. C’est en vain qu’à ces droits inviolables on voudrait opposer de prétendus inconvénients et de chimériques terreurs. Non, non; l’ordre social ne peut être fondé sur la violation des droits imprescriptibles de l’homme, qui en sont les bases essentielles. Après avoir annoncé d’une manière si franche et si imposante, dans ceite déclaration immortelle où nous les avons retra-, cés, qu’elle était mise à la tête de notre code constitutionnel, afin que les peuples fassent à 16 242 portée de la comparer à chaque instant avec les principes inaltérables qu’elle renferme, nous n'affecterons pas sans cesse d’en détourner nos regards sous de nouveaux prétextes, lorsqu’il s’agit de les appliquer aux droits de nos commettants et au bonheur de notre patrie. L’humanité, la justice, la morale, voilà la politique, voilà la sagesse des législateurs : tout le reste n’est que préjugés, ignorance, intrigue, mauvaise foi. Partisans de ces funestes systèmes, cessez de calomnier le peuple et de blasphémer contre votre souverain, en le représentant sans cesse indigne de jouir de ses droits, méchant, barbare, corrompu ; c’est vous qui êtes injustes et corrompus, ce sont les castes fortunées auxquelles vous voulez transférer sa puissance. C’est le peuple qui est bon , patient, généreux ; notre Révolution, les crimes de ses ennemis l’attestent : mille traits récents et héroïques, qui ne sont chez lui que naturels, en déposent. Le peuple ne demande que tranquillité, justice, que le droit de vivre : les hommes puissants, les riches sont affamés de distinctions, de trésors, de voluptés. L’intérêt, le vœu du peuple est celui de la nature, de l’humanité; c’est l’intérêt général. L’intérêt, le vœu des riches et des hommes puissants est celui de l’ambition, de l’orgueil, de Ja cupidité, des fantaisies les plus extravagantes, des passions les plus funestes au bonheur de la société. Les abus qui l’ont désolée furent toujours leur ouvrage : ils furent toujours les fléaux du peuple. Aussi, qui a fait notre glorieuse Révolution? Sont-ce les riches, sont-celes hommes puissants? Le peuple seul pouvait la désirer et la faire; le peuple seul peut la soutenir, par la même raison... Et l’on ose nous proposer de lui ravir les droits qu’il a reconquis! On veut diviser la nation en deux classes, dont l’une ne semblerait armée que pour contenir l’autre, comme un ramas d’esclaves toujours prêts à se mutiner! et la première renfermerait tous les tyrans, tous les oppresseurs, toutes les sangsues publiques, et l’autre le peuple! Vous direz, après cela, que le peuple est dangereux à la liber! é. Ali! il en sera le plus ferme appui, si vous la lui laissez. Cruels et ambitieux sophistes, c’est vous qui, à force d’injustices, voudriez le contraindre, en quelque sorte, à trahir sa propre cause par sou désespoir. Cessez donc de vouloir accuser ceux qui ne cesseront jamais de réclamer les droits sacrés de l’humanité! Qui êtes-vous, pour dire à la raison et à la liberté : « Vous irez jusque-là, vous arrêterez vos progrès au point où ils ne s’accorderaient plus avec les calculs de notre ambition ou de notre intérêt personnel? * Pensez-vous que l’univers sera assez aveugle pour préférer à ces lois éternelles de la justice qui l’appellent au bonheur ces déplorables subtilités d’un esprit étroit et dépravé, qui n’ont produit jusqu’ici que la puissance, les crimes de quelques tyrans et les malheurs des nations? C’est en vain que vous prétendez diriger, par les petits manèges du charlatanisme et des intrigues de cour, une Révolution dont vous n’êtes pas dignes; vous serez entraînés, comme de faibles insectes, dans son cours irrésistible; vos succès seront passagers comme le mensonge, et votre honte immortelle comme la vérité. Mais, au contraire, supposons qu a la place de cet injuste système, on adopta les principes que nous avons établis, et nous voyons d’abord l’organisation des gardes nationales en sortir pour ainsi dire naturellement, avec tous ses avantages, sans aucune espèce d’inconvénients, [o décembre 1790.] D’un côté, il est impossible que le pouvoir exécutif et la force militaire dont il est armé puissent renverser la Constitution, puisqu’il n’est point de puissance capable de balancer celle de l’armée. D’un autre côté, il est impossible que les gardes nationales deviennent elles-mêmes dangereuses à la liberté, puisqu’il est contradictoire que la nation veuille s’opprimer elle-même. Voyez comme partout, à la place de l’esprit de domination ou de servitude, naissent les sentiments de l’égalité, de la fraternité, de la confiance, et toutes les vertus douces et généreuses qu’ils doivent nécessairement enfanter. Voyez encore combien, dans ce système, les moyens d’exécution sont simples et faciles. On sent assez que, pour être en état d’en imposer, aux ennemis du dedans, tant de millions de citoyens armés, répandus sur toute la surface de l’Empire, n’ont pas besoin d’être soumis au service assidu, à la discipline savante d’un corps d’armée destiné à porter au loin la guerre. Qu'ils aient toujours à leur disposition des provisions et des armes ; qu’ils se rassemblent et s’exercent à certains intervalles, et qu’ils volentà la défense de la liberté lorsqu’elle sera menacée : voilà tout ce qu’exige l’objet de leur institution. Les cantons libres de la Suisse nous offrent des exemples de ce genre, quoique leurs milices aient une destination plus étendue que nos gardes nationales, et qu’ils n’aient point d’autre force pour combattre les ennemis du dehors. « Là tout habitant est soldat, mais seulement quand il faut l’être, pour me servir de l’expression de Jean-Jacques Rousseau. Les jours de dimanche et de fête, on exerce ces milices selon l’ordre de leurs rôles. Tant qu’ils ne sortent point de leurs demeures, peu ou point détournés de leurs travaux, ils n’ont aucune paye, mais sitôt qu’ils marchent en campagne, ils sont à la solde de l’Etat. » Quels qu’aient été nos mœurs et nos idées, avant la Révolution, il est peu de Français, même parmi les moins fortunés, qui pussent ou qui ne voulussent se prêter à un service de cette espèce, que l’on pourrait rendre, parmi nous, encore moins onéreux qu’en Suisse. Le maniement des armes a pour les hommes un attrait naturel, qui redouble lorsque l’idée de cet exercice se lie à celle de la liberté et à l’intérêt de défendre ce qu’on a de plus cher et de plus sacré. Il me semble que ce que j’ai dit jusqu’ici a dû prévenir une difficulté rebattue que l’on sera peut-être tenté d’opposer à mon système; elle consiste à objecter qu’un très grand nombre de citoyens n’a pas les moyens d’acheter des armes, ni de suffire aux dépenses que le service peut exiger. Que concluez-vous de là? que tous ceux que vous appelez citoyens non actifs, qui ne payent point une certaine quotité d’impositions, sont déchus de ce droit essentiel du citoyen ? Non, en général l’obstacle particulier qui empêcherait ou qui dispenserait tels individus de l’exercer ne peut empêcher qu’il n’appartienne à tous, sans aucunedistinotion de fortune; et quelle que soit sa cotisation, tout citoyen qui a pu se procurer les moyens, ou qui veùt faire tous les sacrifices nécessaires pouren user, ne peut jamais être repoussé. « Cet homme n’est pas assez riche pour donner quelques jours de son temps aux assemblées publiques; je lui défendrai d’y paraître? Cet homme n’est pas assez riche pour faire le service des citoyens soldats, je le lui interdis; » ce n’est pas là le langage de la raison et de la liberté. Au lieude condamner ainsi la plus grande [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 décembre 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 243 partie des citoyens à mie espèce d’esclavage, il faudrait au contraire écarter les obstacles qui puurt aient les éloigner des fonctions publique-. Payez ceux qui les rempliss nt; indemnisez ceux que l’intérêt public appelleaux assemblé *s ; équipez, armez les citoyens-soldats. Pour établir la liberté, ce n’est pas'même assez que les citoyens aient la faculté oisive de s’occuper de la chose publique, il faut encore qu’ils puissent l’exercer en effet. Pour moi, je l’avoue, mes idées sur ce point sont bien éloignées de celles de beaucoup d’autres. Loin de regarder la disproportion énorme des fortunes, qui place la plus grande partie des richesses dans quelques mains, comme un motif de dépouiller le reste de la nation de sa souveraineté aliénable, je ne vois là, pour le législateur et pour la société, qu’un devoir sacré de lui fournir les moyens de recouvrer lVgalité essentielle des droits, au milieu de l’inégalité inévitable des biens. Eh quoi! ce petit nombre d’hommes excessivement opulents, cette multitude infinie d’indigents, u’est-eile pas mi grande partie Je crime des lois tyranniques et des gouvernements corrompus ! Quelle manière de l’expier que d’ajouter a la privation des avantages de la fortune l’opprobre de l’exhérédation politique, afin d’accumuler sur quelques tètes privilégiées toutes les richesses et tout le pouvoir, et sur le reste des hommes toutes les humiliations et toute la misère 1 Certes, il faut ou soutenir que fliu-manité, la justice, tes droits du peuple sont des vains noms, ou convenir que ce système n’est point si absurde. Au n ste, pour me renfermer dans l’objet de cette discussion, je conclus de ce que j’ai dit, que l’Etat doit faire les dépenses nécessaires pour mettre les citoyens en état de remplir les fonctions de gardes nationales; qu’il doit les armer; qu’il doit, comme en Suisse, Ses salarier lorsqu’ils abandonnent leurs foyers pour le défendre. Eh! quelle dépense publique fut jamais plus nécessaire et plus sacrée I Quelle serait cette étrange économie qui, prodiguant tout au luxe funeste et corrupteur des cours, ou au faste des suppôts du despotisme, refuserait loutau besoin des fonctionnaires publics et des défeuseurs de la liberté! que pourrait-elle annoncer, si ce n’est qu’on préfère le despotisme à l’argent, et l’argent à la vertu et à la liberté ! Après avoir établi les principes constitutifs des gardes nationales, il faut, pour compléter cette discussion, déterminer leurs fonctions d’une manière plus précise. Cette théorie peut se réduire à deux ou trois questions importantes : 1° Les gardes nationales doivent-elles être employées à combattre les ennemis étrangers? Dans quels cas et comment peuvent-elles l’être? 2° Les gardes nationales sont-elles destinées à prêter rnaiufurte à la justice et à la police? Ou naos quelles circonstances et de quelle, manière doivent-elles remplir ces fonctions? 3° Dans tous les cas où elles doivent agir peuvent-elles le faire de leur propre mouvement*? Ou quelle est l’autorité qui. doit les mettre en activité? Pour résoudre la première de ces questions, il suffit de l’éclairer. Toutes les fois qu’il s’agit d’un système militaire, nous ne devons jamais perdre de vue, ce me semble, la situation où nous sommes placés, et où nous devons rester, à l’égard des autres nations. Après la déclaration solennelle que nous leur avons faite des principes de justice que nous voulons suivre dans nos relations avec elles; après avoir re mneé à l’ambition des conquêtes, ei réduit nos traités d’alliance à des termes purement défensifs, rions devons compter que les occasions de guerre seront pour nous infiniment plu’ rares, à moins que nous n’ayons la faiblesse de nous laisser entraîner hors des règles de cette vertueuse politique par les perfides suggestions dea éternels ennemis de notre liberté. Mais soit qu’il faille fournir à nus alliés le contingent de troupes stipulé par les traités, ou faire la guerre au dehors pour quelque cause que l’on puisse imaginer, ii est évident que nos convenances, notre intérêt, et la nature meme des choses destinent nos troupes de ligne seules à cette fonction. Le soin de combattre nos ennemis étrangers ne peut donc regarder les gardes nationales que dans le cas où nous serions obligés de défendre notre propre territoire. Or, ici je ne sais pas si la question ne pourrait point paraître en quelque sorte oiseuse. Qu moins si vous exceptez le cas où des troubles civils, des trahisons domestiques, de la part du gouvernement, même seraient combinées avec des invasions étrangères, si vous ■ xcuptez, dis-je, le cas où l’oubli des principes que j’ai posés entraînerait plus sûrement encore la ruine de l’Etat, comme j’aurai occasion de le remarquer bientôt, il est permis de croire que la [dus extravagante et la plus chimérique des entreprises serait celle d’attaquer un Empire immense, peuplé de citoyens armés pour défendre leurs foyers, leurs femmes, I urs enfants et leur liberté ; et, si cet événement extraordinaire arrivait, si une armée de ligne immense ne suffisait pas pour repousser une attaque, qui pourrait douter de l’ardeur, de la facilité avec laquelle cette multitude de citoyens-soldats qui couvrirait sa surface se rallierait nécessairement pour en protéger tous les points, et oppuser à chaque pas une barrière formidable au téméraire qui aurait formé le projet, je ne dis pas de leur apporter la guerre, mais de venir s’ensevelir lui-même au milieu de leurs innombrables légions ? Or, une espèce de danger si rare, d’une part, de l’autre des moyens de défense si faciles et si solidement établis par la nature même des choses, par la seule existence des gardes nationales, doit éloigner de nous toute ideede les plier à un système militaire que dénaturerait leur esprit et leur institution, en les incorporant, eu quelque manière que ce soit, avec les troupes de ligne. C’est à ce point que je voulais venir. C’est une observation dont on sentira toute l’importance, quand je l’appliquerai au système du comité de Constitution, dont je ferai bientôt connaître tout le danger, dans un examen rapide. Je passe maintenant à la seconde des questions que j’ai posées, qui concerne l’action des gardes nationales dans les troubles intérieurs, et qui tient à des observations également simples. Je ne parle point ici de ces grandes conspirations tramées contre la liberté du peuple par ceux ii qui il a confié son autorité. Les gardes nationales sont, a la vérité, le moyen le plus puissant et le plus doux (le les étouffer et de les prévenir : ce sera même là, sans contredit, le plus grand de leurs services et le plus saint de leurs devoirs; mais c’est à l’explosion de la volonté générale, c’est à l’empire de la nécessité, et non à uue marche méthodique, à des règles exactes, qu’est soumis l’exercice du droit sacré de l’insurrection. Ne parlons que de mouvements séditieus, ou 244 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [S décembre 1790.] des actes contraires aux lois qui peuvent troubler l’ordre public. Il faut une force publique qui les réprime ; cette force rie peut pas être celle des troupes de ligne : 1° parce qu'elles sont entretenues pour combattre les ennemis étrangers; 2° parce qu’entre les mains du prince qui la dirige, elle serait un instrument trop dangereux à la liberté. D’ailleurs, dans les troubles civils, il n’y a qu’une force mue par la volonté générale qui puisse être légitime et efficace ; et les ordres du prince ne représentent pas et ne supposent point cette volonté, puisque sa volonté particulière est trop naturellement en opposition avec elle. Delà vientque c’est aujourd’hui une maxime généralement reconnue, que, dans un Etat libre, les troupes ne doivent jamais être employées contre les citoyens. I) ne reste donc que les gardes nationales qui doivent, dans ces occasions, rétablir la tranquillité publique. Cette conséquence est du moins évidente et avouée de tout le monde, pour les cas de e édition , c’est-à-dire des insurrections d’une multitude de citoyens contre les lois. Mais les gardes nationales doivent-elles être employées pour le maintien de la police ordinaire? Faut-il leur confier le soin, par exemple, de remettre entre les mains de la justice les citoyens suspects dont elle veut s’assurer, ou de forcer les résistances que les particuliers peuvent apporter à l’exécution de ses jugements ; ou faut-il créer un corps particulier pour remplir ces fonctions ? C'est ici que les opinions semblent se partager ; c’est par ce point que la question de la conservation de la maréchaussée est liée à celle de l’organisation des gardes nationales; question vraiment importante et compliquée qui mérite toute votre attention. Quelque sérieuses que soient les difficultés qui l’environnent, il me semble que toutes les raisons pour et contre aboutissent à un point de décision assez facile. Il faut, dit-on, pour remplir les fonctions attribuées jusqu’ici à la maréchaussée, des hommes actifs spécialement voués et exercés à ce ministère. La maréchaussée seule remplit ces conditions. Le nom seul de la maréchaussée est en possession d’en imposer aux malfaiteurs. Des citoyens-soldats sauront-ils, comme elle, les épier, les découvrir, les poursuivre? Consentiraient-ils à exercer un métier auquel est attachée une espèce de défaveur? Quand j’ai exposé ces raisons, j’ai épuisé, ce me semble, tout ce qu’on a dit et peut-être tout ce qu’on peut dire en faveur de l’institution de la maréchaussée. Voici les raisons du système contraire, qui paraissent à plusieurs et plus solides et plus importantes. Ils désireraient d'abord qu’en parlant des services qu’elle rendait, par l’exercice d’un ministère indispensable, on ne dissimulât pus les vexations et les abus qui étaient inséparables d’une telle institution; ils voudraient que l’on se souvînt que si, comme on l’a dit, elle était excessivement redoutée des malfaiteurs, c’était, en partie, parce qu’elle était formidable à l’innocence même. Que pouvait-on attendre de mieux, en confiant les fonctions de la police à un corps constitué militairement, soumis, comme tel, aux ordres du prince ; qui, par cela seul qu’il était exclusivement voué à l’exercice de ces actes rigoureux, devait être peu capable d’en concilier les devoirs avec le respect pour les droits de l’hu-mariite et pour les règles protectrices de la liberté des citoyens? Or, les citoyens-soldats peuvent seuls remplir ce double objet. Il ne faut pas craindre que chez eux l’esprir de justice nuise à la sûreté publique. D’abord, qui serait plus propre qu’eux à prêter mainforte à l’exécution des ordonnances de l’autorité publique ? Quant à l’arrestation des coupables, pourquoi ne pourraient-ils pas rendre aussi ce service à la société? Gomme il y aurait des gardes nationales dans toutes les communes, il est évident que, sans espionnage et sans inquisition, ils seraient partout atteints avec une extrême facilité. Croyez-vous que les gardes nationales manqueraient de bonne volonté pour s’en assurer? Vous avez deux garants du contraire : l’horreur qu’inspirent les forfaits et l’intérêt des citoyens; vous avez encore l’expérience. N’avez-vous "pas vu toutes les gardes nationales du royaume, surtout celle de Paris, suppléer, avec autant de succès que de zèle, aux anciens agents de la police, et maintenir l’ordre et la tranquillité au milieu de tant de causes de troubles et de désordres? Se sont-elles déshonorées, en mettant entre les mains des lois, on gardant, en leur nom les infracteurs des lois? Le commandant de ta garde parisienne a-t-il ern se déshonorer lui-même en arrêtant de sa main un citoyen, je ne sais dans quel mouvement populaire ? Tous ces exemples ne prouvent-ils pas que le préjugé que vous nous objectez n’est plus qu’une chimère? Que, sous le despotisme où la loi, ouvrage du despote, est tyrannique et partiale comme lui, l'opinion avilisse le métier de ses satellites; cette manière de voir se conçoit : mais comment attacherait-elle cette défaveur aux devoirs des citoyens prêtant l’appui de la force nationale à la loi qui est à ia fois leur ouvrage et leur patrimoine ? Ce système, qui les attache à la loi par de nouveaux liens et par l’habitude de la faire respecter, qui laisse à la force publique toute son énergie, et lui ôte tout ce qu’elle peut avoir de dangereux et d’arbitraire, n’est-il pas plus analogue aux principes d’un peuple libre que l’esprit violent et despotique d’un corps tel que la maréchaussée? Pourquoi donc conserver ce corps qui ne sert qu’à augmenter la puissance redoutable du monarque aux dépens de la liberté civile ? C'est un grand malheur, lorsque le législateur d’un peuple qui passe de la servitude à la liberté empreint dans ses institutions les traces des préjugés et des habitudes vicieuses que le despotisme avait fait naître ; et nous tomberions dans cette erreur si nous conservions ia maréchaussée. Cependant on nous parle uou seulement de la conserver, mais de l’augmenter; c’est-à-dire d’en multiplier les inconvénients! Projet d’autant plus incompréhensible, qu’il semble supposer que, sous le règne des lois, les crimes doivent être naturellement plus fréquents que sou-, celui du despotisme; ce qui est à la fois une insulte à la vérité et à la raison, et un blasphémé contre la liberté. Tels sont les raisonnements de ceux qui veulent laisser aux gardes nationales les fonctions attribuées ci-devant à la maréchaussée. Pour moi, quoique ces raisons me paraissent convaincantes, je ne puis me dissimuler cependant que ce système, daus toute sa rigueur, offre des inconvénients réels, et entraînerait de grandes difficultés dans l’exécution ; et je ne puis l’adopter qu’en partie. D’un côté, je vois que si tous les citoyens-soldats indistinctement étaient destinés au service dont je parle, il y a beaucoup d’occasions où il serait pour la plupart d’entre eux [a décembre 1 790. J 245 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. infiniment incommode et onéreux; de l’autre, j’adopte le principe qu’il faut nécessairement trouver un système qui allie la force publique au respect dû aux droits et à la liberté des citoyens. Je ne vois rien à répondre aux objections faites contre l’institution de la maréchaussée; je ne voudrais pas que des fonctions si importantes fussent abandonnées à un corps militaire absolument indépendant et séparé des gardes nationales, faisant partie de l’armée de ligne, placé dans la dépendance immédiate du roi, commandé par des chefs nommés par le roi, assimilés aux autres officiers de l’armée. Je voudrais, enfin, une institution qui renfermât les avantages attachés au service des gardes nationales, et qui fût exempt des inconvénients que j'y ai remarqués. Or, il me semble que cette double condition serait remplie par le moyen que je vais indiquer, et qui n’a peut-être contre lui que son extrême simplicité. Il consiste à former dans chaque chef-lieu de district une compagnie soldée, consacrée aux fonctions qu’a exercées la maréchaussée, mais soumise aux mêmes chefs et à la même autorité que les gardes nationales. On pourrait ajouter à l’utilité évidente de cette institution, un avantage particulier relatif aux circonstances actuelles. Rien n’empêcherait de composer ces compagnies des mêmes individus qui forment actuellement la maréchaussée, et d’épargner à la nation le regret de les dépouiller de leur état. Il reste la troisième et dernière question. Les gardes nationales peuvent-elles agir d’elles-mêmes; ou faut-il qu’elles soient mises en mouvement par quelque autorité? Elle se réduit à un seul mot. Les gardes nationales ne sont que des citoyens qui, par eux-mêmes, ne sont revêtus d’aucun pouvoir public, et qui ne peuvent agir qu’au nom des lois ; il faut donc que leur action soit provoquée par les magistrats, par les organes naturels de la loi et du vœu public. Ainsi les gardes nationales doivent être subordonnées au pouvoir civil ; elles ne peuvent marcher ni déployer la force dont elles sont armées que par les ordres du Corps législatif ou des magistrats. Ce que j’ai dit jusqu’ici me paraît renfermer toutes les règles essentielles de l’organisation des gardes nationales. Je crois devoir observer qu’une partie du plan que je viens de soumettre à l’Assemblée nationale est déterminée par l’existence du système des troupes de ligne qu’elle a conservé. Utile, nécessaire aussi longtemps que ce système subsistera, il doit subir de grands changements dès que ce système aura disparu. Or, j’ose croire qu’il disparaîtra ; j’ose même prédire que les gardes nationales ne seront pas plus lot organisées, la Constitution solidement affermie, que tout le monde sentira combien il est absurde qu’une nation qui veut être juste, qui s’interdit toute agression et toute conquête, et qui peut à chaque instant armer cinq millions de bras pour repousser de criminelles attaques, croie à la nécessité d’entretenir perpétuellement une autre armée, dont le moindre inconvénient serai! d’être inutile et dispendieuse. Le spectacle d’un vaste Empire couvert de citoyens libres et armés inspire de grandes idées et de hautes espérances. 11 me semble qu’il donne à toutes les nations le signal de la liberté; il les invite à rougir de cette honteuse stupidité avec laquelle, livrant toutes les forces de l’Etat entre les mains de quelques despotes, elles leur ont remis le droit de les enchaîner et de les outrager impunément; il leur apprendra à faire disparaître ces corps menaçantsque l'on entretient avec leurs dépouilles, pour les dépouiller encore, et à se lever elles-mêmes, toutes armées, pour porter dans le cœur des tyrans la terreur que ceux-ci leur ont inspirée jusqu’ici. Puisse le génie de l’humanité répandre bientôt dans i’univers celte sainte contagion de la justice et de la raison et affranchir le genre humain par le glorieux exemple de ma patrie! Mais ne nous reprochera-t-on pas d’embrasser avec trop d’ardeur une trompeuse espérance et une brillante chimère...? Je l’avoue, ce doute autrefois m’eût nam une espèce de blasphème; mais, je suis forcé d’en convenir, trop de circonstances aujourd’hui semblent m’en absoudre, ou plutôt il est plus que justifié par le projet d’organisation des gardes nationales que vous proposent vos comités de Constitution et militaire. Je dis plus : j’affirme que, si ce projet est adopté, c’en est fait de la liberté.,.; et, puisque le salut de la patrie l’exige, je me hâte de le prouver. Dans le plan des comités, la garde nationale est en quelque sorte divisée en deux classes, l’une destinée à s’armer pour le maintien de l’ordre et la tranquillité publique, lorsqu’elle en sera requise, et jusqu’à cette réquisition devant rester dans une inaction absolue ; l’autre, consacrée spécialement au métier des armes, recevant une solde, toujours prête à renforcer l’armée de ligne toutes les fois que le pouvoir exécutif l’appellera. Cette armée, composêede deuxhommespris dansehaque compagnie, s’élèverait à cent mille hommes. Je n’ai pas besoin de vous dire qu’il ne sera pas difficile de fai re tomber le choix de ces deux ho mmes par compagnie sur des partisans du despotisme et de l’aristocratie; il suffît d’observer que, malgré le nom qu’on leurdonne, ces cent mille hommes sont évidemment des troupes de ligne, et non des gardes nationales qui, par leur destination particulière, seront les créatures et les soldats du prince, llstouruerontnécessairernentleurs regards vers les faveurs de la cour ; la gloire des armes, les grades militaires deviendront l’objet unique de leur ambition : bientôt cet exemple contagieux pervertira le véritable caractère de toutes les gardes nationales; il excitera chez elles et le dédain des fonctions civiques, et le désir d’obtenir les avantages et les distinctions dont ils verront décorer leurs camarades. A la place de ces grandes idées de la liberté, de ce profond sentiment de la dignité de L’homme et des droits du citoyen, qu’il faut graver dans lésâmes des Français, vous verrez naître partout ce puéril enthousiaste, cet esprit à la fois tyrannique et servile, à la fois vil et superbe, que l’extravagance féodale décora du nom d’honneur; vous verrez les gardes nationales dégénérer en une aristocratie militaire, aussi docile à opprimer les citoyens que prompte à se prosterner devant la volonté du monarque. Les deux comités ont tellement pris le change sur le véritable objet des gardes nationales, qu’ils semblent regarder comme le principal avantage de cette institution celai d’opposer, en tout temps, des forces militaires immenses aux ennemis du dehors. Il faut lire, dans leur rapport, avec quelle complaisance ils étalent sous les yeux du lecteur ces armées qu’ils mettent en campagne à la première invasion; comme à la suite de leur armée auxiliaire, iis détachent, au besoin, du reste des gardes nationales des armées nouvelles qui se pressent les unes les autres ; comme ils félicitent la patrie 246 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [a décembre 1790.] de sa grandeur et de sa puissance!... Eh! il est Rien question de tout cela... il est bien question de nous constituer ici, comme si nous voulions conquérir l’Europe ! C’est de nos ennemis domestiques, sans lesquels les autres ne peuvent .rien contre nous; c’est des conspirateurs qui méditent notre ruine et notre servitude, qu’il faut nous occuper. Or, quelles précautions prenez-vous contre eux? Etes-vous donc convaincus que la liberté n’a plus que des amis et des adorateurs? Avez-vous la parole de tous les princes, de tous les ministres, de tous les courtisans passés, présents et futurs, que tout artifice, que toute ambition est à jamais bannie de leurs cœurs? Ignorez-vous que le premier devoir, l’œuvre la plus difficile des législateurs, est de fortifier pour toujours la liberté contre leurs attaques? Que faites-vous ici pour elle? Quand le pouvoir exécutif peut à chaque instant requérir les cent mille auxiliaires que vous lui donnez, le teste des gardes nationales reste nul; ce ne sont que des citoyens qui, sous le rapport des gardes nationales, sont, comme s’ils n’étaient pas; à moins qu’ils ne reçoivent l’existence et le mouvement par la réquisition. Que dis-je? Les deux comités poussent la précaution jusqu’à leur ôter leurs armes, jusqu’à leur défendre de les avoir citez eux; ils veulent qu’elles restent dans un dépôt public, jusqu’au moment où les gardes nationales seront requises, or, à qui appartiendra cette réquisition? Vous la laisseriez aux corps administratifs que je ne serais point rassuré; puisque, tandis que le pouvoir exécutif, d’un seul acte de sa volonté, peut rassembler toutes ses forces, les gardes nationale', divisées par cantons, par districts, par municipalités, ne pourraient être remuées que partiellement, suivent les volontés particulières et diverses des différentes administrations : et d’ailleurs, il est tellement dans l’ordre des choses pos.-ibles que les ennemis hypocrites de la liberté s’emparent d’un grand nombre de ces corps; les hommes en place, assez éclairés, assez vertueux pour être inaccessibles aux artifices ou aux séductions des rois, sont encore des phénomènes si rares; la cour et ses partisans sont si habiles à diviser, à tromper, à endormir l’opinion publique sur les faits plus notoires et sur les plus pressants intérêts; cette nation est si bonne, si confiante, si crédule, que, par degrés, et toujours sous le prétexte de la paix et de l’ordre public, tout en parlant de lois et de liberté, ils nous auraient environnés des plus grands périls, avant que nous eussions pu nous mettre en garde contre la monstrueuse puissance dont on les investit. Mais que dis-je? Croit-on que les comités veuillent au moins nous laisser cette faible ressource de la réquisition des corps administratifs! Que diriez-vous, s’ils voulaient la livrer au roi? Oui, c’est au roi qu’ils la livrent en effet; c’est-à-dire, à la cour, aux ministres. Pour leur donner impunément cette fatale influence, il n’eu coûtera à vos deux comités que de la déguiser sous une forme illusoire; en proposant que le roi requière, et que l’agrément des directoires ou de la municipalité intervienne : car, sans doute, quiconque connaîtra l’ascendant de l’initiative royale, quiconque soupçonnera le degré de complaisance, de faiblesse, de crédulité que les ordres, que la volonté du prince peut obtenir de quelques officiers municipaux ou administratifs, saura bien calculer les véritables effets d’une telle disposition. Ainsi les gardes nationales n’existeront que quand il plaira à la cour; elles ne pourront défendre la liberté contre les entreprises du pouvoir exécutif, si le pouvoir exécutif ne l’ordonne lui-même; elles seconderont par leur action les entreprises du pouvoir exécutif, si le pouvoir exécutif l’ordonne : et ni-pensez pas que la Constitution proposée leur laisse quelques moyens de s’eu dispenser; apprenez qu’elle ne leur laisse pas même le droit d’examen ; qu'elle ne tend à rien moins qu’à en faire des automates obéissants et des instruments aveugles, dans toute la force de ce terme; et afin que vous ne me soupçonniez pas de la moindre exagération, lisez vous-mêmes ces passage s énergiques où la main des comités a tracé les devoirs et les droits des citoyens armés pour la défense de leur liberté, des sentinelles vigilantes établies pour veiller autour d’elle : '' « Les gardes nationales ne doivent pas même délibérer sur les ordres qu’elles reçoivent ; délibérer , hésiter , refuser sont des crimes. Obéir, voilà, dans un seul mot, tous leurs devoirs. Instrument aveugle et purement passif, \s force publique n’a ni âme, ni pensée, ni volonté. » Est-ce un despote, est-ce un conspirateur qui trace ici les fonctions de ses satellites, où le rôle de ses complices ? ou sont-ce les représentants du peuple, les fondateurs de la liberté qui préparent les moyens de la défendre? Je croyais du moins qu’il était impossible de rien ajouter à ces funestes mesures : mais les comités vont jusqu’à assurer au prince, dans le plus grand détail, la facilité d’en tirer parti : ils veulent, par exemple, qu’il ne soit point astreint à employer les gardes nationales en masse; mais que celles-ci puissent être prises ou en masses, nu par compagnies, ou tirées seulement trois à trois , deux à deux , un il un. Si vous n’apercevez pas d’abord toute ia profondeur de cetie idée, rappelez-vous, que dans un Etat divisé par tant de partis, qui renferme dans son sein une muliitude innombrable de mécontents de toutes les classes, qui voit même ceux-ci dominer insolemment dans plusieurs contrées, une partie des gardes nationales sera composée d’ennemis de là Révolution ; qu’ils s’y précipiteront surtout en fouie, aujourd’hui qu’un décret proposé par le comité déclare déchus de la qualité de citoyens actifs ceux qui ne prendront pas cet engagement; tandis qu’un autre décret, en excluant les citoyens dits inactifs , écartera une foule d’amis naturels de la cause populaire. Cependant si le pouvoir exécutif n’avait pu appeler les gardes nationales que suivant l’ordre de leurs divisions, par exemple, par bataillons, par compagnies, telles qu’elles étaient formées ; malgré tous les vices essentiels de l’organisation proposée, il serait resté sinon une ressource à la liberté, du moins une espèce d’i quiétude au despotisme : mais que non seulement il puisse choisir dans toute l’étendue de ia France les masses les plus infectées de l’esprit servile et anticivique ; qu’il lui soit permis d’extraire encore, pour ainsi dire, des différentes divisions les individus qui conviennent le mieux à ses desseins, l’élite des mauvais citoyens ; alors voilà tout à coup les conspirateurs environnés d’une armée immense qu’ils pourront contempler avec satisfaction, en disant, comme Catilina parmi ses complices : Nous sommes à noire aise ; il n'y a pas ici un homme de bien. Quel obstacle pourra les arrêter, lursque la seule force qui existera de fait dans i’E-tatsrra ré"me dans leurs mains, et qu’ils pourront la diriger à leur gré au nom même des lois et de la Constitution? Soit qu’il arrive une occasion favorable de tenter une grande entreprise; soit [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 décembre 1790.] qu’il s’agisse seulement de miner insensiblement les fondements de la liberté et d’opprimer en détail le parti patriotique, ce système sera également utile. Faut-il provoquer par de longs outrages et par des complots sinistres, quoique adroitement colorés, une fermentation naturelle, une résistance devenue nécessaire à l’oppression, traiter ensuite en rebelles ceux qu’on y aura réduits, et effrayer par un exemple terrible tous les amis de l'humanité et de la patrie? Vous sentez combien l’espèce de milice qu’on veut nous donner serait propre à de tellesexpéditions. Faut-il, par des actes moins éclatants, mais non moins utiles, accabler des patriotes isolés, redoutables par leur énergie et par leurs lumières, attenter à la liberté des écrivains qui auront le courage de dévoiler 1' s dangers publics, et de lever le masque du civisme qui coclieut nos plus redoutables ennemis ? Détachez seulement trois à trois, deux à deux, un à un quelques-uus de vos défenseurs-automates de la Constitution ; et si l’on pouvait redouter encore l’opinion publique, n’a-t-ou pas à sa solde une autre armée d’intrigants et de libell istes ? avec des récits infidèles répandus partout et pavés du Trésor de l’Etat, avec les mots d'incendiaires, de factieux, de subordination, d'anarchie, de licence, on pourra se mettre en état de ne plus craindre que le mépris des citoyens éclairés ; on pourra ériger en héros de la liberté ceux qui n’aspirent qu’à élever leur fortune particulière sur la ruine de la liberté publique. Cette seule analyse du plan proposé suffit sans doute pour effrayer les amis de la patrie : cependant je n’ai point parlé de cette multitude de dispositions de détail qui en renforcent les vices essentiels, et dont chacune est une atteinte à la liberté. Je n’ai parlé ni de la foule des grades, des officiers, dont iis surchargent cette institution, et que l’ou veut faire nommer pendant deux ans, avec la faculté d’être réélus; ni des dispositions combinées pour les faire marcher sous les ordres des généraux des troupes de ligne, ni de tant d’autres vices dont je puis supprimer le détail; ni de ces insultes faites aux citoyens, en présentant la qualité de citoyens actifs, qui appartient essentiellement à tous, comme le prix d’un long temps de service dans la garde nationale. Je n’ai point parlé surtout de leur projet sur l’organisation de la maréchaussée, dont l’augmentation, telle qu’elle est proposée, serait le complément du funeste système que nous venons de développer. Si j’avais voulu, sous le nom de police et d’ordre public, livrer la liberté des citoyens à toutes les vexations du despotisme (en supposant que je fusse le génie le plus inventif eu ce genre), voici comment je m’y serais pris : j’aurais confié ces fonctions civiles à un corps militaire; et en donnant le choix de l’appeler maréchaussée ou gendarmerie nationale, j’aurais formellement statué qu'il continuerait de faire partie de V armée, qu’il serait soumis au même régime; j’aurais statué que, pour être admis parmi les cavaliers, il faudrait avoir fait au moins un congé dans un régiment. Pour être assuré des dispositions de ces cavaliers, je les aurais fait choisir par un officier à la nomination du roi, entre plusieurs sujets présentés par le directoire du département •. je me serais en effet fort peu mis en peine, dans ce cas, de violer le principe populaire qui ne veut pas que des officiers administratifs soient immiscés en aucune manière dans les fonctions électives; et, d’un autre côté, en leur attribuant cette fonction, j’aurai avili le peuple lui-même dans la personne des administrateurs qu’il s’est donnés, en 241 surbordonnant leur choix à celui d’un officier militaire. On devine aisément que j’aurais donné surtout une attention particulière aux officiers; j’en aurais multiplié le nombre à l’infini; j’aurais créé dans chaque division : colonel, lieutenant-colonel , lieutenants, capitaines, maréchaux de logis, brigadiers ; il n’y aurait pas eu une brigade de cinq hommes qui ne contint aux moins deux officiers; chaque compagnie aurait compté trois lieutenants. Avec ces éléments, combien il m’est désormais facile d’inspirer à tout ce corps un seul esprit, qui sera le dévouement le plus absolu à la cour et à l’aristocratie; il me suffira de combiner tellement les modes d’avancement, que chaque cavalier ou officier dépende, à cet égard, de son supérieur immédiat, et que tous dépendent de la cour: eu conséquence, je fais nommer par le roi des colonels; je les fais nommer entre les deux plus anciens lieutenants-colonels; au grade de lieutenants-colonels arrivent à tour d’ancienneté les capitaines; au grade de capitaines les lieutenants; ceux-ci sont choisis, pour les trois-quarts, par Je colonel et pourvus par le roi; l’autre quart est pris à tour d’ancienneté parmi les maréchaux de logis; mais les maréchaux de logis ne parviennent que par le choix du colonel, sur la présentation du capitaine et cette cascade se prolonge jusqu’au dernier officier; de manière que ie premier prix de l’ambition est entre les mains du roi, et que l’on ne peut parcourir les degrés qui y conduisent que "par la faveur des chefs; de manière que si je parais donner aux directoires, dans quelques cas seulement, ua droit de présentation illusoire, ce n’est qu’un moyen de plus a établir entre eux et des hommes voués à la cour, une espèce de liaison à laquelle on sent que la cause populaire ne gagnera pas beaucoup. Mais si vous croyez qu’il est impossible d’ajouter quelque chose à la justesse de ces mesures, vous ne connaissez point encore toute la grandeur de nos ressources : apprenez que, par une seule disposition qui parait très simple, on assure toutes les places importantes à des hommes qui ne seront certainement pas les plus zélés partisans de la Révolution; qu’on les livre exclusivement à ces castes ci-devant privilégiées qui, comme vous le prévoyez, ne seront encore de longtemps, par tous les points, au niveau des citoyens : on veut que les trois quarts des places de lieutenants ne soient donnés qu’à des officiers de troupes de ligne. Après avoir ainsi constitué ce corps, que reste-t-il à faire pour réaliser la grande conception que je vous ai annoncée? De lui donner en matière de police, une autorité étendue et arbitraire : Eh bien! chaque cavalier pourra, de son propre mouvement, arrêter, poursuivre qui il voudra, pourvu qu’il lui paraisse suspect ou prévenu. Ils sont chargés des fonctions si délicates de l'inquisition de police par ces termes si énergiques, de recueillir et prendre tous les renseignements possibles, de dresser des procès-verbaux qui feront foi en justice. Mais ce que vous n’auriez pas deviné sans doute, c’est qu’ils sont autorises à dissiper de leur autorité les attroupements séditieux; et un articleexprès statue, prudemment qu’ils n'auront besoin , pour cela, d’aucune réquisition. Ainsi, voilà ces hommes maîtres de juger si un attroupement est séditieux ou non, si des citoyens rassemblés sont ou non des rebelles ; les voilà maîtres de déployer la force des armes contre le peuple; voilà la loi martiale supprimée, non comme violente et barbare, mais parce qu’elle entrain# 248 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [5 décembre 1790. J au moins des formes; mais parce que des soldats et des coups de fusil d’abord sont tous les égards que l’on doit aux citoyens français. Voilà le système que l’on nous propose. Et comme si ce n’était point assez de tant d’infractions de tous les principes, ne voilà-t-il pas encore les comités de judicature et de Constitution qui viennent vous présenter un plan de police combiné avec celui-là? Ne voilà-t-il pas qu’ils associent aux fonctions des juges de paix toute cette armée d’officiers ; qu’ils érigent en magistrats de police ces colonels, ces lieutenants-colonels, ces lieutenants; qu’ils leur donnent le pouvoir de rendre arbitrairement des ordonnances pour faire arrêter les citoyens, pour les faire arracher même du sein de leur propre maison, de les mander, de les interroger, d’entendre des témoins, de les condamner à la prison....! Voilà donc par quelles routes vos comités nous conduisent à la liberté ! mais arrêtons-nous un moment, il en est temps sans doute, pour réfléchir sur une circonstance importante de leur conduite et de notre situation politique. Leur système, si on les croit, est excellent, soit qu’il faille ou non ajouter foi à ces bruits de guerre dont on nous menace. Personne en elfetne s’est donné la peine encore d’approfondir ces événements ; et tout le zèle de ceux qui étaient faits pour nous en occuper s’est borné à un silence discret, ou, à des communications mystérieuses et vagues, dont le but était de nous entretenir dans une profonde sécurité. Mais c’est bien ici, je pense, le moment de demander aux comités pourquoi, au lieu de nous proposer des projets d’organisation de cette espèce, ils ne sont pas plutôt hâtés de faire donner des armes aux gardes nationales actuellement existantes. C’est bien le moment de demander pourquoi les innombrables adresses quMles envoient depuis un an, de toutes les parties de la France, y sont restées ensevelies ; pourquoi, pendant si longtemps, toutes les fois que cette proposition a été faite à l’Assemblée, on a trouvé le moyen de la faire ajourner; pourquoi un membre du comité diplomatique ayant représenté, il y a quelque temps, la nécessité de les armer, au moins sur nos frontières, un autre membre du même comité fit échouer cette proposition si urgente dès lors, en la faisant renvoyer après le rapport sur l’organisation des gardes nationales ; pourquoi, au moment où nous sommes, il n’a pas encore été question sérieusement de la réaliser? Ah! si vous pensiez que cette question de paix ou de la guerre valût la peine d’ètre examinée, il serait facile peut-être de la résoudre par des raisons plus vraisemblables, que celles des habiles politiques qui nous rassurent. Peut-être le caractère pacifique et les principes révolutionnaires d’un prince, qui, après avoir établi dans le petit Etat où il régnait le despotisme le plus absolu, a prouvé ensuite, par ses manifestes, qu’un autre peuple lui appartenait de droit, et qui l’a décidé par ses armes; peut-être cette étrange garantie ne vous paraîtrait-elle pas tout à fait suffisante; et puisque l’on juge des intentions d’un ennemi qui est à nos portes par son caractère, par la manière dont on prétend qu’il calcule ses jouissances et ses intérêts, vous pourriez croire vous-mêmes que le caractère des despotes peut bien aussi les porter à chérir, à soutenir le despotisme, surtout lorsqu’ils espèrent que leurs efforts pourront être secondés par des trahisons domestiques et par des troubles intestins; vous pourriez croire que les hommes qui les entourent et qui les fout mouvoir, sont, par leurs habitudes et par leur intérêt personnel, les amis, les alliés naturels des ennemis de la cause populaire. D’après ces seules notions du bons sens, vous pourriez donner quelque attention à ces rassemblements de troupes ordinaires qui ne peuvent être suffisamment expliqués par le prétexte qu’on leur donne; vous pourriez remarquer que tout annonce une intelligence parfaite de ce despote dont je vous parle avec un autre despote, naguère son ennemi, qui, lui-même, pour la querelle de sa sœur, se fit, il y a peu d’années, un jeu de soumettre un peuple libre au joug de son beau-frère ; vous pourriez observer que l’un et l’autre viennent de manifester leurs véritables inclinations, l’un en abandonnant, en trahissant, l’autre en remettant dans les fers d’un prêtre détesté le peuple du monde le plus intéressant par son courage et par sa magnanimité. Enfin s’i! faut tout dire, cet amour profond de la justice et de l’humanité, qui nous porte à désirer que tous les peuples soient libres et heureux, m’avertit que la première passion des rois en général, de leurs conseils, de leurs courtisans, est de conserver leur puissance absolue et celle de leurs pareils ; et je sais de plus que les hommes, que ces hommes-là surtout, obéissent à leurs passions, à leur orgueil, à l’intrigue qui les obsède, bien plus facilement qu’à leur véritable intérêt qu’ils ne connurent jamais. Je sais enfin, et j’atteste toute l’histoire, que leur grand art est de dissimuler, de préparer, de faciliter les succès de la force par l’adresse avec laquelle ils endorment la crédulité des peuples ; je sais qu’ils ne sont jamais plus redoutables que lorsqu’ils étalent avec le plus de pompe ces sentiments de justice et d’humanité qu’ils ont coutume de prodiguer dans leurs déclarations et dans leurs manifestes ..... Si vous me dites après cela, que ces dangers ne vous effraient pas, je vous dirai que ce n’est pas là non plus ce qui m’effraie davantage ; que ce ne sont pas même nos divisions intérieures ; que ce ne sont pas les trésors immenses accumulés entre les mains des ennemis de notre liberté ; que ce ne sont pas même ceux à qui on a confié la garde de nos frontières, de nos places fortes, ceux qui sont destinés à diriger notre défense et à disposer des forces de l’Etat ..... C'est cette fatale sécurité où nous demeurons plongés, par de perfides insinuations, ou par l’ordre exprès du ciel irrité ; c’est cette légèreté avec laquelle nous semblons juger et les hommes et les événements, et nous jouer, pour ainsi dire, des destinées de l’humanité ; c’est ce retour insensible et funeste vers nos antiques préjugés et vers nos frivoles habitudes, qui commencent à remplacer l’enthousiasme passager que nous avons fait éclater pour la liberté ; ce sont ces petites factions, dont les chefs, voulant tout diriger par de petits moyens et par des vues personnelles, s’appliquent sans cesse à étouffer f’esprit public et les élans du patriotisme eu les calomniant; gens dont le système paraît être d’échapper à tous les principes, par des exceptions, par des circonstances, par des sophismes politiques ; d’attaquer tous les sentiments droits et généreux par le reproche d’excès et d’exagération; de rendre ridicules, s’il était possible, les saintes maximes de l’égalité et de la morale publique ; contents si, par quelques déclamations contre les débats impuissants des aristocrates les plus outrés, ils peuvent cacher leur profonde indifférence pour la liberté publique et pour le bonheur des hommes, et leur dévouement »ecret à tous les abus qui [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 décembre 1790.] favorisent leur ambition particulière. Ce sont ces misérables prétentions de la vanité, substituées à la seule ambition permise à des hommes libres, celle de tarir la source des misères humaines en détruisant l’injustice et la tyrannie ; ce mnt enfin ces projets de loi qui nous sont offerts en même temps par des corn miss tires éternels avec une effrayante précipitation, et qui, si nous n’y prenons" garde, auront rétabli le despotisme et l’aristocratie sous des formes et sous des noms différents, avant que l’opinion publique ait pu les apprécier ni les connaître. Gardons-nous, surtout, d’adopter le plus funeste, peut-être, de tous, en donnant à la force publique une Constitution qui la rendrait passive et nulle, pour défendre la nation contre le despotisme ; active, redoutable, irrésistible pour servir le despotisme contre la nation. Ab ! restons inviolablement attachés aux seuls principes qui nous conviennent ; régénérons les mœurs publique', sans lesquelles il n’est point de liberté; respectons, dans tous les Français indistinctement, les droits et la dignité du citoyen; et rendons tous ies hommes égaux, sons des lois impartiales, dictées par la justice et par l’humanité. Brisons ces vaines idoles, que le charlatanisme et l’iütrigueélèvent tour à tour, et qui ne laisseront toutes à leurs adorateurs que la honte de les avoir encensées : n’adorons que la patrie et la vertu. Ne sommes-nous pas ces représentants du peuple français qui lui avons juré solennellement au Jeu de paume de nous dévouer pour sa cause; ces hérauts du législateur éternel, qui, en affranchissant une nation, par la seule force de la raison, devaient appeler toutes les autres à la liberté! Serions-nous descendus à cet excès de faiblesse, que l’on pût, en se jouant, nous proposer des fers ? Non, nous serons libres du moins, à quelque prix que ce soit. Je le suis encore ; je jure de 1 être toujours ; et si les persécutions des tyrans, si les sourdes menées des faux amis de la liberté doivent être le prix d’un attachement immortel à l’objet sacré de notre commune mission, je pourrai attester l’humanité et la patrie que je les ai méritées. Je propose le décret suivant : L’Assemblée nationale reconnaît : 1° Que tout homme a le droit d’être armé pour sa défense personnelle et pour celle de ses semblables; 2° Que tout citoyen a un droit égal et une égale obligation de défendre sa patrie. Elle déclare donc que les gardes nationales qu’elle va organiser ne peuvent être que la nation armée pour défendre, au besoin, ses droits, sa liberté et sa sûreté. En conséquence, elle décrète ce qui suit : Art. 1er. Tout citoyen, âgé de dix-huit ans, pourra se faire inscrire en cette qualité dans le registre de la commune où il est domicilié. Art. 2. Aussi longtemps que la nation entretiendra des troupes de ligne, aucune partie des gardes nationales ne pourra être commandée par les chefs ni par les officiers de ces troupes. Art. 3. Les troupes de ligne resteront destinées à combattre les ennemis du dehors; e;les ne pourront jamais être employées contre les citoyens. Art. 4. Les gardes nationales seules seront employées, soit pour défendre la liberté attaquée, soit pour rétablir la tranquillité publique troublée en dedans. Art. 5. Elles ne pourront agir qu’à la réquisi-249 tion du Corps législatif ou des officiers civils nommés par le peuple. Art. 6. Les officiers des gardes nationales seront élus par les citoyens à la majorité des suffrages. Art. 7. La durée de leurs fonctions n’excédera pas six mois. Art. 8. Ils ne pourront être réélus qu’après un intervalle de six mois. Art. 9. Il n’y aura point de commandant général de district; mais les commandants des sections qui formeront le district en exerceront les fonctions à tour de rôle. Art. 10. Il en sera de même pour les réunions de département dans le cas où elles auraient lieu ; ceux qui feront les fonctions de commandant de district commanderont le département à tour de rôle. Art. 11. Les officiers des gardes nationales ne porteront aucune marque distinctive hors de l’exercice de leurs fonctions. Art. 12. Les gardes nationales seront armées aux dépens de l’Etat. Art. 13. Les gardes nationales qui s’éloigneront de trois lieues de leurs foyers, ou qui emploieront plusieurs journées au service de l’Etat, seront indemnisées par le Trésor national. Art. 14. Les gardes nationales s’exerceront à certains jours de dimanches et de fêtes qui seront indiqués par chaque commune. Art. 15. Elles se rassembleront tous les ans, le 14 juillet, dans chaque district, pour célébrer, par des fêtes patriotiques, l’heureuse époque de la Révolution. Art. 16. Elles porteront sur leur poitrine ces mots gravés : Le peuple français, et au-dessous : Liberté, Egalité, Fraternité. Les mêmes mots seront inscrits sur leurs drapeaux, qui porteront ies trois couleurs de la nation. Art. 17. La maréchaussée sera supprimée; il sera établi, dans chaque chef-lieu de district, une compagnie de gardes nationales soldée qui eu remplira les fonctions, suivant les lois qui seront faites sur la police, et dans laquelle les cavaliers de la maréchaussée actuellement existants seront incorporés. Telles sont les principales dispositions d’une organisation de gardes nationales adaptée à une Constitution libre. Mais dans le moment actuel, le salut de l’Etat exige que vous preniez sur-le-champ des mesures provisoires; je vais proposer celles qui me paraissent indispensables . Elles se rapportent, en partie, aux obstacles que nous avons déjà éprouvés à cet égard, et que nous devons toujours prévoir; car il y aurait trop de stupidité à se reposer de la défense de la liberté sur le même parti qui la met en péril, et qui l’a attaquée plusieurs fois ouvertement; il n’y en aurait pas moins à croire que l’esprit des cours change si facilement. Une confiance si puérile, loin de convenir a des législateurs environnés de tant de pièges, et dépositaires des destinées de la nation, ne serait pas même pardonnable dans un particulier qui n’aurait à défendre que des intérêts privés. Ces mesures seront de d' ux espèces : La première consistera à prendre les seuls moyens qui nous restent d’obtenir en fin que les gardes nationales soient pourvues d’armes et de munitions, et l’Empire français mis en état de défense ; La seconde, que je regarde comme la plus prompte, comme celle qui est le plus en notre 250 [6 décembre 1790.) (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. pouvoir, et propre à suppléer, en grande partie, à la première, est d’avertir la nation du danger qui la menace : car si le grand art des conspirateurs est de plonger les peuples dans une trompeuse sécurité, le premier devoir de ceux qui sont chargés de veiller sur leur salut est de réveiller leur prudence et leur courage. L’homme le plus courageux est vaincu dès qu’il est surpris ; mais celui qui veut être libre, à quelque prix que ce soit, trouve des ressources inconnues, dès qu’il a pu prévoir les attaques de la tyrannie. C’est dans cet esprit que je propose le projet de décret suivant : L’Assemblée nationale décrète • Art. 1er. Qu’aussitôt après la publication du présent décret, les municipalités des lieux où se trouvent les arsenaux de la nation s’y transporteront pour constater Ja véritable quantité d’armes qu’ils renferment. Art. 2. Que toutes ces armes seront distribuées aussitôt aux gardes nationales qui en manquent, à commencer par celles des départements des frontières. Art. 3. Il leurseradistribué, demême, laquantité de poudre et de balles dont elles auront besoin. Art. 4. Pour assurer l’exécution desprécédents articles, le ministre de la guerre sera tenu de justifier incessamment à l’Assemblée nationale de la distribution et de l’emploi qu’il en aura faits. Art. 5. Il sera tenu pareillement de rendre compte dans trois jours, à compter du présent décret, des mesures qui ont été prises jusques ici pour l’exécution du décret de l’Assemblée, qui ordonne la distribution de cent cinquante mille fusils. Art. 6. Indépendamment decette distribution, on continuera de fabriquer de nouvelles armes, avec la plus grande activité, dans toutes les fabriques de France, lesquelles seront aussi distribuées. Art. 7. Le ministre de la guerre sera tenu de rendre compte, de huitaine en huitaine, à l’Assemblée nationale de l’état de ces travaux et de ces distributions. Art. 8. Les gardes nationales sont invitées à adresser à l’Assemblée toutes les réclamations gu’elles pourraient avoir à former, relativement à l’exécution de ces mesures. Art. 9. L’Assemblée nationale nommera un comité de quatre personnes spécialement chargées de surveiller cette exécution, et de lui faire le rapport de toutes les réclamations. Art. 10. L’Assemblée nationale invite tous les citoyens à lui donner connaissance de tous les transports frauduleux d’armes qui auraient pu être diverties des arsenaux publics. Art. 11. Elle défend toute exportation d’armes de France dans les pays étrangers, sous peine, par les contrevenants, d’être poursuivis comme criminels de lèse-nation (1). Art. 12. Elle décrète que les gardes nationales (1) Il est bon que l’Assemblée nationale se rappelle ici que plusieurs fois les municipalités, animées d’un patriotisme louable, avaient saisi des armes que l’on transportait en pays étrangers : mais alors on surprit sa religion en l’engageant à eu permettre l'exportation, sous le prétexte de la liberté du commerce. Les circonstances actuelles, le prétexte peut-être aussi artificieux de la disette d’armes que l’ou nous objecte aujourd’hui, doit nous rendre un peu déliants. qui ont été dissoutes en tout ou en partie (1), notamment dans les départements des provinces frontières, seront rétablies aussitôt après la publication du présent décret. _ Art. 13. Elle ordonne que son comité diplomatique lui rendra compte enfin, dans trois jours, de ce qu’il a fait pour remplir la mission dont elle l’a chargé; et qu’il lui communiquera toutes les connaissances qu’il a dû acquérir sur les dispositions et la siluation des puissances étrangères à notre égard. Art. 14. Elle ordonne que le ministre des affaires étrangères lui rendra dans le même délai le même compte, pour ce qui le concerne, et remettra sous ses yeux sa correspondance avec les cours étrangères et avec nos ministres dans ces cours. Art, 13. Que le rapport soit du comité diplomatique, soit du ministre, sera livré aussitôt à l’impression, pour être soumis à l’examen des membres de l’Assamblée et à l’opinion publique, et qu’il sera discuté, trois jours après, dans l’Assemblée. Art. 16. Que les ambassadeurs et envoyés de France dans les cours étrangères seront rappelés pour être remplacés, s’il y a lieu, par de nouveaux agents du choix de la nation. Art. 17. Les régiments allemands que l’on a rassemblés sur nos frontières seront retirés et remplacés par des régiments français, notamment par ceux qui, dans la Révolution, ont eu occasion de signaler par des faits particuliers le patriotisme qui a distingué tous les soldats français. Art. 18. Tous les soldats qui, depuis le 14 juillet, ont été congédiés avec des cartouches jaunes, ou par des ordres arbitraires, seront rassemblés, et il en sera formé de nouveaux régiments, afin qu’ils jouissent de l’honneur de défendre la patrie pour laquelle ils ont été dignes de souffrir. L’Assemblée nationale avertit toutes les municipalités, tous les corps administratifs, tous les citoyens, de veiller au salut de la patrie, et de se préparer à s’unir pour défendreau besoin la liberté qu’ils ont conquise. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M-PÉTION. Séance du lundi 6 décembre 1790, au matin (2). La séance est ouverte à 9 heures uu quart du matin. M. Posalam «4e ISouiancourt , secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. Il ne se produit aucune réclamation. M. le Président donne lecture d’une lettre de M. le garde des sceaux qui annonce que le roi a sanctionné les décrets dont i’é numération suit ; (1) Ces événements ont eu lieu en partie par le despotisme des municipalités, on partie par les conseils perfides des ennemis déguisés de la Constitution . On en a vu des exemples, en particulier, dans le département du Nord, et on assure que le commandant à Valenciennes y a eu quelque part. (2) Cette séance est incomplète au Moniteur.