SÉANCE DU 8 VENDÉMIAIRE AN III (29 SEPTEMBRE 1794) - Nos 56-59 147 que chaque commission est chargée d’ordonner. Art. II. - Le présent décret ne sera pas imprimé (80). 56 La Convention nationale, sur le rapport de [ JOHANNOT au nom de] son comité des Finances, décrète ce qui suit : Il sera payé par la Trésorerie nationale, à titre de pension alimentaire et viagère, au citoyen Charpentier, ancien premier commis du cabinet du ci-devant ordre du Saint-Esprit, actuellement aveugle et septuagénaire, la somme de 1 200 L, à compter du jour où il a cessé de jouir de la pension qui lui avoit été accordée en 1779. Le présent décret ne sera pas imprimé (81). 57 Un membre demande la parole, et développe une opinion relative aux succès de nos armées; il propose, et la Convention décrète (82). CREUZÉ-PASCAL : Sans doute tout citoyen doit à sa patrie le tribut de ses méditations; sans doute celui-là se rendrait bien coupable qui garderait un silence profond, lorsqu’il croit avoir fait une découverte de la plus haute importance. Depuis plusieurs jours, j’ai soumis mes idées à un membre du comité de Salut public, capable, par ses talents militaires, de les apprécier. Ce membre m’a déclaré qu’il croyait mes vues bonnes, qu’elles peuvent être très utiles dans certains cas, mais que l’occasion s’en présentait rarement. Pour moi, citoyens, j’estime qu’il n’y a pas de campagne de guerre où mon procédé ne puisse multiplier les triomphes de nos armées. Je suis convaincu que deux fois cette année, dans des circonstances très intéressantes, ce procédé nous aurait assuré les plus brillants succès. Je ne puis me dissimuler que, par une fuite précipitée, l’ennemi ne puisse éviter l’effet de mon procédé. Mais forcer l’ennemi à fuir, n’est-ce donc pas déjà remporter une victoire? L’ennemi est-il donc assuré de faire sa retraite en bon ordre? et le Français n’a-t-il pas des ailes pour voler au combat? (80) P.-V., XLVI, 164. C 320, pl. 1328, p. 24, minute de la main de Johannot, rapporteur. J. Fr., n" 734; M. U., XLIV, 138. (81) P.-V., XLVI, 165. C 320, pl. 1328, p. 25, minute de la main de Johannot, rapporteur. J. Paris, n° 9. (82) P.-V., XLVI, 165. Ann. R. F., n’ 9 -, F. de la Républ., n" 9; J. Fr., n” 734; J. Perlet, n 736; M. U., XLIV, 122; Rép., n 9. Je pense bien que tôt ou tard l’ennemi profitera lui-même de cette découverte ; mais nous aurons sur lui la priorité, et nous pouvons avoir des actions décisives avant qu’il ait songé à nous imiter. Au reste, les moyens que je propose sont tellement assortis au génie national, qu’aucune nation de l’Europe ne saurait en tirer le même parti que nous. L’occasion d’en fournir une preuve incontestable peut se présenter sous un terme très rapproché ; c’est pourquoi je vais vous soumettre le projet de décret suivant (83). La Convention nationale décrète : Article premier. - Le comité de Salut public fera, dans le plus bref délai, l'examen rigoureux des propositions suivantes : 1°. Le procédé proposé par le représentant du peuple Creuzé-Pascal, peut-il favoriser le succès de nos armes? 2°. Les moyens d’obtenir ces succès sont-ils dignes du peuple français? Art. II. - Il sera libre au représentant Creuzé d'appeler deux savans pour l’assister dans ses démonstrations, afin de constater d’une manière précise l’utilité ou l’inutilité de son procédé. Art. III. - Sur le rapport qui sera fait incessamment par le comité de Salut public, la Convention se réserve de fournir à l’auteur de la découverte tous les moyens de la faire servir au triomphe de la liberté (84). 58 La commune de Nevers [Nièvre] demande que la Convention accorde une pension au citoyen Boissette, cordonnier, qui a perdu trois doigts en travaillant à l’atelier établi par la République pour la fonderie de canons. On demande le renvoi au comité des Secours publics. Cette proposition est adoptée, et la Convention décrète qu’il lui en sera fait un rapport sans délai (85). 59 Un rapporteur du comité d’instruction fait un rapport sur les arts et métiers et les sciences, et propose un projet de décret. La Convention nationale décrète l’impression du rapport et du projet de décret, (83) Débats, n 738, 102-103. Bull., 8 vend. (84) P.-V., XLVI, 165-166. C 320, pl. 1328, p. 26, minute de la main de Creuzé-Pascal, rapporteur. Débats, n° 738, 103. Bull., 8 vend. (85) P.-V., XLVI, 166. 148 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE et l’ajournement à trois jours après la distribution (86). GRÉGOIRE, au nom du comité d’instruction publique : « Faire avec un homme, par le secours des machines, ce qu’on ne ferait sans elles qu’avec deux ou trois hommes, c’est, disait Molon, doubler ou tripler le nombre des citoyens. » Nous avons deux leviers, ce sont nos bras. L’industrie, en leur associant les forces de la nature, parvient quelquefois à centupler les nôtres ; par là s’agrandit le cercle de nos connaissances et le nombre de nos jouissances. Calculez l’énorme différence qui existe entre un peuple chez qui les arts sont au berceau, et celui qui en a développé toutes les ressources; entre ces habitants du Paraguay, qui coupaient leurs blés avec des côtes de vaches au lieu de faucilles, et l’habileté de l’Européen, qui est parvenu à filer, à tisser les métaux. C’est avec surprise qu’on voit encore des gens prétendre que le perfectionnement de l’industrie et la simplification de la main-d’œuvre entraînent des dangers, parce que, dit-on, elles ôtent les moyens d’existence à beaucoup d’ouvriers. Ainsi raisonnaient les copistes, lorsque l’imprimerie fut inventée ; ainsi raisonnaient les bateliers de Londres, qui voulaient s’insurger lorsqu’on bâtit le pont de Westminster. Il n’y a que quatre ans encore qu’au Hâvre et à Rouen on était obligé de cacher les machines à filer le coton. Quand une invention nouvelle peut à l’instant paralyser beaucoup d’ouvriers, la sollicitude paternelle des législateurs doit prendre des moyens pour les soustraire à l’indigence et empêcher qu’il n’en résulte une secousse ; mais au fond l’objection est puérile, sans quoi il faudrait briser les métiers à bas, les machines à mouliner la soie, et tous les chefs-d’œuvre qu’enfanta l’industrie pour le bonheur de la société. Faut-il donc un grand effort de génie pour sentir que nous avons plus d’ouvrages que de bras; qu’en simplifiant la main-d’œuvre on en diminue le prix, et que c’est un infaillible moyen d’établir un commerce lucratif qui écrasera l’industrie étrangère, en repoussant la concurrence de ses produits? Plusieurs écrivains ont cherché le point d’équilibre entre l’agriculture, qui fournit ses matières premières, et les arts qui les emploient. Cette question est ardue, car, en politique comme en morale, le plus difficile est toujours de tracer les limites; mais malheureusement nous pouvons ajourner ce problème jusque vers l’époque où l’économie rurale et l’industrie auront déployé tous leurs efforts. Dans l’état actuel des choses l’une et l’autre réclament des encouragements. Au nom des comités d’Agriculture et des arts, et d’instruction publique, je viens vous présenter des moyens de perfectionner l’indutrie na-(86) P.-V., XLVI, 166. Décret attribué à Barailon, rapporteur, selon C* II 21, p. 3. Débats, n” 738. tionale. Mais avant d’aborder mon sujet permettez une courte digression pour censurer la division antique des arts en mécaniques et libéraux. Du temps de Phidias à Delphes et à Corinthe, il y avait des concours pour la peinture et la sculpture; les ouvrages étaient appréciés dans des assemblées générales, et tel était l’enthousiasme des Grecs pour les arts d’imitation, que les Amphictyons assignèrent à Polygnote des logements aux dépens du public dans toutes les villes de la Grèce. Que faisaient-ils pour encourager les arts dont les produits s’appliquent immédiatement à nos besoins? Rien, ou presque rien : et lorsqu’à Naxos ils érigèrent une statue à l’artisan qui, le premier, avait donné la forme de tuile au marbre pentélicien pour en couvrir les édifices, ils voulurent récompenser plutôt une invention de luxe qu’une découverte utile, et sans Platon l’on ignorerait qu’Architelles et Shearion furent fameux, le premier comme tailleur de pierres, le second comme boulanger. Chez les Grecs et les Romains les travaux manuels étaient abandonnés aux esclaves; de là le mépris qui frappa l’industrie, de là cette distinction usitée jusqu’à nos jours entre les arts mécaniques, exercés par des hommes asservis, et les arts libéraux qui étaient le partage exclusif des hommes libres. Dans tout pays où il y a une cour, les arts mécaniques sont avilis. Il y existe une classe dont l’immoralité privilégiée croirait se déshonorer en les cultivant. Lors même que le despote les favorise, sa protection flétrissante établit une démarcation politique entre l’utile artisan qui enrichit son pays, et le satrape insolent qui le dévore. Chez nous quelques individus croyaient abréger un peu cette distance par ces qualifications serviles : Un tel, chapelier du roi, bonnetier, carrossier du roi, de monseigneur le dauphin, de monseigneur le comte d’Artois, etc. Faut-il s’étonner que si longtemps les arts utiles aient été outragés; que jusqu’à ces derniers temps celui du bandagiste, par exemple, qui est si nécessaire, ait été dédaigné par ceux qui pratiquaient la médecine, tandis qu’on perfectionnait la poupée du Nord? C’est seulement depuis une quarantaine d’années que l’art du tailleur est décrit, tandis que depuis deux siècles on imprime le parfait confiseur, le parfait cuisinier, et cette perfection qui raffinait les jouissances des sybarites n’était pas en faveur du malheureux qui pressurait le vin et buvait de l’eau; qui préparait le pain blanc, et vivait de son. Notre langage doit concorder avec nos principes; dans un pays libre tous les arts sont libéraux. Si le besoin de classer les idées exige des dénominations diverses, la distinction des arts en intellectuels et mécaniques est fondée sur la nature des choses, en ce que ceux-ci exigent plus particulièrement le concours de la main, et que ceux-là tiennent plus immédiatement aux opérations de l’esprit. Les encouragements dus à tous les arts doi-