[Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mars 1790.] sur leurs proportions, sur la manière de les réaliser et de les percevoir. DEUXIÈME ANNEXE à la séance de l’Assemblée nationale du 30 mars 1790. Principes sur le pouvoir judiciaire , par M. Ricard, député de Nîmes (1). L’erreur et la vérité prennent souvent la même couleur et se confondent à nos yeux. Les opinions varient suivant les temps, îes lieux et les esprits. Elles se combattent les unes les autres. On voit les mêmes paraître et disparaître successivement, roulant toujours dans un même cercle dont la fortune se joue. Mais un principe devient irréfragable lorsqu’il a l’assentiment universel et constant des peuples. Dans l’origine des sociétés, les pères ont été les premiers rois. Leur nombreuse postérité jouissait par eux des douceurs de la paix. S’il survenait quelque différent, quel autre pouvait le régler, que celui que tous étaient accoutumés à respecter et en qui tous avaient une confiance égale? Dès lors, la justice etla royauté, prenant à lafoisleur source dans l’autorité paternelle, furent séparables. Aussi voyons-nous que parmi les peuples de la plus haute antiquité, les mots de juges et de rois étaient synonymes. Les historiens sacrés et profanes, et la Fable même, s’accordent sur ces notions. Notre histoire nous apprend que les Français, libres sous Charlemagne, faisaient les lois de concert avec le prince, mais que lui seul avait l’administration de la justice. Elle était confiée aux comtes, qui présidaient aussi à l’administration populaire et commandaient les gens de guerre. Au-dessus d’eux étaient les délégués royaux, Missi Dominici, qui parcouraient les provinces, pour recevoir les plaintes des peuples et réprimer les abus d’autorité. Malgré cette subordination, la réunion des pouvoirs, dans la personne des comtes, produisit leur indépendance; la royauté perdit sa force et son éclat, et les peuples tombèrent sous le joug de la féodalité. La barbarie, la misère et l’oppression s’aggravèrent de plus en plus, jusqu’au temps où nos rois commencèrent à reprendre une partie de leur autorité. Alors les communes furent affranchies, et les grands vassaux s’accoutumèrent à voir leur puissance fléchir devant la majesté du trône. Saint Louis établit les baillifs et sénéchaux pour recevoir les appels des juges des seigneurs et les juger en dernier ressort. 11 les soumit à faire exactement leurs chevauchées dans toutes les villes de leurs arrondissements, et à juger tous les procès avec leurs assesseurs, au choix desquels les peuples avaient droit de concourir. Leurs jugements étaient exécutés dans tous les cas, mais ils en demeuraient responsables au roi et à son Parlement. Il était permis aux parties de s’y pourvoir contre eux par requête ew forme de plainte. 471 On appelait Parlement l’assemblée des personnes du conseil des grands de l’Etat, choisis et députés deux fois l’an par le roi. Ils étaient de la suite de la cour. De là vient le nom de Parlement ambulatoire. Les affaires s’y étant multipliées, Philippe le Bel, pour en faciliter l’exécution, le rendit sédentaire. Nos meilleurs auteurs . observent que par là il le réduisit en cour de justice ordinaire, ou plutôt que ce fut un tribunal nouveau, subordonné au grand conseil et composé, pendant longtemps, de commissaires révocables tous les ans. Ce nouvel établissement entraîna la perte de la juridiction souveraine des baillifs et sénéchaux. On lit dans Loiseau, « qu’en la simplicité primitive, il n’y avait que deux degrés de juridiction, et ne savait-on ce que c’était que d’appeler deux fois. Mais, dit-il, le Parlement confondit accorte-rnent les plaintes avec les appellations, afin d’ôter le dernier aux baillifs et sénéchaux. » Les peuples en furent les victimes. Jean Juvé-nal des Ursins s’en plaignait en ces termes aux Etats de Blois en 1433 : « Anciennement il n’y avait pas tant de causes, et étaient traitées par les baillifs et juges ordinaires; mais ils n’en ont que faire, et font toutes les causes au Parlement et aux requêtes. Devrait-on contraindre telles manières et aussi les prolixités? » Dans le même discours, il représentait que le Parlement avait été, par son institution, sous la discipline immédiate du roi et de son conseil, et qu’il était convenable de l’y ramener. « Anciennement, disait-il, afin qu’on contrôlât les gens du Parlement et que autres qu’eux connussent de leurs faits et manières, les rois ordonnaient qu’il y aurait un chevalier et un prélat qui seraient présents en jugement avec eux, pour voir lesquels sont résidents, l’heure que ils viennent, comment ils procèdent, s’il n’y en a point aucuns qui montrent affection ou acception de personnes; et n’y aurait pas de mal et encore à le faire. » Les mercuriales furent, dans la suite des temps, substituées à la discipline immédiate du roi; mais ce fut sous son inspection et sous son auto-sité suprême. Rien de plus précis à cet égard que les ordonnances de Moulins et de Blois, dont l une a été rédigée par le chancelier de l’Hôpital, sur l’avis des principaux officiers de tous les Parlements ; et l'autre a été rendue sur les demandes des Etats généraux. C’est ce que le chancelier d’Aguesseau rappelait au Parlement lorsqu’il lui disait: « Leroi vous ordonne, avec toute l’autorité qu’il a sur vos charges et vos personnes, de rendre la justice que vous devez à ses peuples. » Cependant, si quelquefois le gouvernement a tenté de réprimer un magistrat, tous s’en sont récriés, comme d'une chose étrange et incompréhensible, prétendant que le Parlement seul avait le droit de les juger. Gomment concilier cette indépendance avec l’autorité royale, avec la sûreté des citoyens et avec la liberté publique? Surtout si l’on considère, d’un côté, l’unité des Parlements, qui se disaient ne former qu’un seul et même corps indestructible aux yeux de la loi et de la nation; et, d’un autre côté, le terrible pouvoir que leur donnaient les formes rigoureuses d’une procédure absolument secrète. A Dieu ne plaise qu’en montrant les abus d’un pouvoir exorbitant, on offense les particuliers. Un grand nombre de magistrats ont toujours joui de la vénération publique; c’est encore parmi eux qu’on retrouve les vestiges des mœurs an-(1) Ge document n’a pas été inséré au Moniteur, 472 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mars 1790.] tiennes. Mais l’amour de la domination, aussi naturel à l’homme que celui de la liberté, a plus d’élasticité dans les corps que dans des individus isolés. 11 y séduit même la vertu; il y entraîne tous les esprits dans un même tourbillon ; il marche d’un pas constant d’âge en âge vers le même but, et nul frein ne le retient plus, dès que ce corps est parvenu à un certain degré de puissance. L’autorité que le Parlement avait acquise, en attirant à lui toutes les causes d’un vaste ressort, le conduisit à prendre part à l’administration. Les différents partis qui déchirèrent le royaume sous Charles VI réclamèrent réciproquement son appui. Il commença à se regarder comme un corps intermédiaire* entre le prince et les sujets. Du temps de Charles Y11I, il prétendit, suivant Charondas, former un ordre sénatoire, distinct et séparé de la plèbe. 11 ne s’arrogeait pas encore de se mêler des affaires de l’Etat. Nous sommes , disait le président de la Vacquerie au duc d’Orléans, les juges du peuple, et le roi est le nôtre. Nous ne passons les bornes de notre pouvoir que lorsqu’il daigne lui-même les reculer. Les impôts et les lois générales étaient alors délibérés aux Etats généraux. L’enregistrement, dont l’origine et les progrès étaient dus au hasard, s’était accrédité ; mais il n’avait lieu que pour les lois particulières ou provisoires. La division des ordres aux Etats d’Orléans éleva le Parlement au-dessus même de la national en devint le législateur. Le chancelier de l’Hôpital s’étant cru forcé, par cette division, à soumettre à l’enregistrement l’ordonnance qui avait été délibérée aux Etats, le procureur général ne craignit pas de dire que bien des gens portaient trop loin les égards dus à des constitutions formées sur le vœu des représentants de la nation ; qu’il était incontestable que les magistrats, considérés collectivement, formaient dans l’Etat « un corps séparé, établi pour voir et considérer les articles des délibérations prises en iceux Etats, et faire telles modérations que de raison ». Le roi de Navarre représenta au nom du roi que Sa Majesté, en adressant à la Cour une ordonnance qui ne contenait autre chose, que ses réponses aux demandes des Etats, ne s’était pus attendue qu’elle soulfrît la moindre difficulté dans l’enregistrement. Il lui fut répondu par le premier président que les Etats généraux, contenant les demandes de la nation et les réponses du roi, n’avaient jamais été adressées aux cours souveraines pour y subir la formalité de l’enregistrement : que le roi aurait pu, à l’exemple de ses prédécesseurs, se dispenser de recourir à la Cour, en publiant les actes mêmes de l’Assemblée, mais que l’ordre ayant été envoyé au Parlement, il devait avoir la liberté d’en délibérer. Ce fut à cette époque que le Parlement crut qu’aucune partie de l’administration ne lui était étrangère : de là, les reproches fréquents et quelquefois amers du chancelier de l’Hôpital. « Vous êtes, disait-il au Parlement de Bordeaux, commis à faire justice; ne pensez pas qu’elle soit vôtre, vous n’êtes qu’en siège emprunté... le pense que vous cuidez d’être plus sages que le roi, mais votre prudence est limitée pour juger le procès. » L’influence du Parlement fut encore plus marquée aux Etats de Blois, où la Ligue domina. Il y exerça, sans contradiction, le droit de vérifier et d’enregistrer les ordonnances. Depuis lors il ne douta plus de sa supériorité sur les Etats géné-i raux. On lit dans l’abbé Mabli, que lorsque Henri IV convoqua une assemblée de notables à Rouen en 1695, le Parlement de Paris s’en plaignit, alléguant qu’il était contre l’usage que les Etats se tinssent hors du ressort du premier Parlement du royaume, cette prétention , continue cet auteur, « aurait été absurde, si le Parlement enhardi par ses entreprises contre les précédents Etats, n’avait voulu donner à entendre que ces assemblées étaient soumises à sa juridiction. » Cette juridiction suprême, il l’exerça en effet contre les Etats de 1614, en annulant par arrêt la décision nationale qui avait abrogé l’hérédité des officiers; et dans les remontrances qu’il ht ensuite, après avoir énoncé qvdil est né avec l'Etat , et que tout ce que les rois accordent aux Etats généraux f doit y être vérifié. Il supplia le roi, 1° d’entretenir les alliances faites ou renouvelées par son prédécesseur avec les princes étrangers ; 2° de retenir en son conseil les princes du sang, les officiers de la couronne, les anciens conseillers d'Etat, et d’en retrancher les personnes introduites depuis peu, sans autre mérite que la faveur ; 3° que les officiers de la couronne et les gouvernements des provinces fussent maintenus dans leur aulorité, sans que personne pût se mêler de leurs fonctions. La suite de tous ces faits nous indique les vrais principes sur le pouvoir judiciaire. L’imagination court et s’égare dans le vague des systèmes. La vraie science doute longtemps, s’appuie sur les faits et les exemples. L’expérience est notre guide dans notre conduite privée. L’histoire est l’expérience des nations et le flambeau des législateurs. Or, il est démontré que la justice a toujours été regardée comme l’attribut essentiel de la royauté, non qu’elle soit une propriété personnelle; mais elle est, suivant l’expression usitée, la dette sacrée des rois, de laquelle ils sont redevables à tous leurs sujets sans exception. Cette vérité a reçu la sanction de l’Assemblée nationale. Car le pouvoir judiciaire, dont l’objet est de maintenir les lois, est assurément la partie la plus importante du pouvoir exécutif, qu’elle a déclaré résider exclusivement dans la main du roi. Elle a en outre décidé en termes exprès, que c’est au nom et sous l’autorité du roi que les tribunaux doivent rendre leurs jugements. Il est bon, sans doute, et il'est d’une sage constitution que, dans une grande monarchie, les rois n’administrent point personnellement la justice distributive; qu’ils ne connaissent point dans leur conseil, des différends des particuliers, à moins qu’ils n’aient un rapport direct avec l’administration; mais ce n’est pas à dire qu’ils ne conservent le droit de surveiller la conduite des magistrats, et de réprimer les abus qu’ils pourraient faire de leurs fonctions. S’il en était autrement, il ne serait plus vrai de dire que le pouvoir exécutif réside exclusivement dans la main du roi, puisqu’il n’aurait aucun moyen de l’exercer. Les magistrats pourraient impunément opprimer les citoyens au nom du roi et de la loi; et le roi exécuteur et dépositaire suprême de la loi, le roi, représentant et protecteur né de tous ses sujets, entendrait le cri de l’opposition et il ne pourrait étendre son sceptre vers un citoyen malheureux qui l’invoquerait vainement. S’il en était autrement, quelle digue opposer au pouvoir judiciaire, qui est le plus puissant de tous, à ce pouvoir qui agit dans tous les instants sur les propriétés, et sur l’existence entière de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mars 1790.1 473 tous les citoyens; à ce pouvoir qui, suivant l’expression du rapporteur du comité de constitution, laisse des impressions si profondes sur les esprits, sur les mœurs et sur les habitudes des peuples ; à ce pouvoir, qui, étant exercé par des corps, n’en est que plus inflexible et plus redoutable? S’il en était autrement, si un tribunal quelconque pouvait être indépendant, on le verrait bientôt s’élever au-dessus de la loi, usurper graduellement les pouvoirs, intimider les citoyens, attaquer la liberté publique, et détruire enfin les droits de la nation. Dans le cas même où les magistrats de ce tribunal seraient choisis par la nation, ils n’en seraient pas moins responsables, puisque nul, excepté le roi, n’est exempt de la responsabilité. Or, ce n’est point à l’Assemblée nationale, qui n’est point un tribunal; mais c’est au roi, qui est le dépositaire suprême du pouvoir exécutif, qu’ils devraient rendre compte de l’exercice de leurs fonctions. Si l’on confiait à ce tribunal le droit de connaître des abus d’autorité commis, soit par les ministres, soit par les magistrats, soit par les autres agents du pouvoir exécutif, l’on sent mieux qu’on ne peut l’exprimer, combien une telle puissance, jusqu’à présent sans exemple, deviendrait terrible, suivant les circonstances, ou au gouvernement, ou à ceux même qui la lui auraient confiée. Il importe donc que le roi soit le juge des juges, le premier et universel magistrat, veillant, dans son conseil, sur tout l’empire de la justice, sur la bonne ou mauvaise conduite de ceux qui l’exercent. Il importe que, pour le salut du peuple, et pour la stabilité de la constitution, il soit armé de la force qu’exige cette juridiction suprême; et afin que les tribunaux y demeurent assujettis; il importe enfin que tous soient circonscrits dans de moindres efforts. Car les tribunaux seraient nécessairement composés d’un plus grand nombre d’officiers dans des ressorts plus étendus. Leur autorité s’accroîtrait encore à proportion des affaires qui leur seraient portées. A mesure qu’ils seraient moins multipliés, il leur serait plus facile de se concerter et d’unir leurs efforts sur un même plan. Ils prétendraient à l’indépendance et l’on tomberait peut-être dans les mêmes abus si difficiles à extirper. C’est d’ailleurs le vœu unanime des provinces, que la justice soit rapprochée des justiciables. Elles réclament, non un droit nouveau, mais un droit indescriptible, dont elles jouissaient autrefois et dont l’usurpation est devenue, par une suited’abus, si fatale à l’Etat. Les justes espérances seraient trompées, si, par l’influence des grandes villes, plusieurs départements étaient réunis sous le même tribunal : ceux qui auraient l’avantage d’un tel établissement acquerraient sur les autres une grande prépondérance. L’équilibre se romprait; il n’y aurait ni égalité, ni unité; l’administration et le pouvoir judiciaire finiraient par se concentrer dans quelques villes privilégiées. Vainement on tenterait de suppléer à ce vice radical par une plus forte attribution aux tribunaux des départements qui n’auraient point de cour souveraine. L’expérience prouve que ces attributions sont tôt ou tard absorbées par les tribunaux supérieurs. Plusieurs personnes opposent la trop grande multiplicité des cours souveraines, la difficulté de les composer, les frais qu’il en coûterait. On peut répondre : 1° que la justice n’intéresse pas moins les peuples, que l’administration commune ; que les motifs qui ont porté à établir dans chaque département une administration provinciale subordonnée immédiatement au roi, sont les mêmes pour y établir des juges en dernier ressort, sous la même immédiateté; que les inconvénients que le grand nombre paraît présenter, sont aussi les mêmes, et qu’ils sont moins graves que ceux qui résulteraient de la privation d’une justice souveraine; qu’il serait inutile de diviser les provinces en départements, si c’était pour les mettre dans la dépendance les uns des autres et pour les assujettir à des dépenses communes au profit des uns et aux dépens des autres. Les grandes villes, devenues le centre des affaires et des liaisons, feraient tôt ou tard reparaître l’ancien système. On peut répondre : 2° que les difficultés, pour bien composer ces tribunaux, s’aplaniront en consultant l’amour de l’union, de la paix et de la fraternité, qui doit enfin rallier tous les citoyens, et les porter à sacrifier au bien public toute rivalité. Rien n’est plus essentiel pour la stabilité de ces tribunaux et pour celle même de la Constitution, que de les environner et de les remplir des lumières de l’expérience et de la considération personnelles des magistrats. L’esprit de justice qui a porté l’Assemblée nationale à manifester l’intention de respecter l’usufruit des titulaires ecclésiastiques actuels, ne sollicite pas moins en faveur des magistrats actuellement en charge : la préférence leur est due pour les nouveaux emplois; elle est due également aux officiers des tribunaux inférieurs, et à ceux de toutes les cours souveraines dans toute l’étendue de leurs anciens ressorts. Ils doivent y être admis, suivant l’ancienneté de leurs services. Ceux qui n’y seraient pas placés dans le moment présent, y passeraient successivement. Le peuple n’aurait pas à se plaindre d’être privé pour celte fois, du droit d’élection, puisqu’il ne serait suspendu que pour une cause juste, utile et même nécessaire; d’ailleurs, qui peut prévoir les mouvements qu’occasionneraient des élections si multipliées et faites toutes à la fois? Qui peut se promettre un bon choix, dans un temps de trouble et d’agitation, où l’intérêt personnel, s’enveloppant d’un faux zèle, peut si aisément en imposer parmi les rivalités, les haines et les préventions injustes. On peut répondre : 3° que les frais de ces établissements peuvent être réduits, soit en ne mettant que le nombre de juges nécessaire, soit en fixant leurs appointements au taux le plus modéré. Il faut faire attention que généralement dans les cours souveraines , les juges retiraient à peine l’intérêt du prix de leurs offices. Des appointements de 100 pistoles seraient plus que suffisants. Quel est le magistrat qui voudrait se montrer moins généreux que les citoyens qui se consacrent gratuitement aux administrations municipales? Il est assez payé sans doute par la considération, et elle ne sera pas moindre que celle dont on pouvait jouir auparavant dans les cours souveraines. En effet, s’il a été très sagement décrété que les emplois dans les municipalités et les directoires seraient incompatibles avec ceux de la judicature, les juges ne sont exclus ni des assemblées de département, ni de celles de la nation, et l’estime qu’ils acquerront dans leurs fonctions leur en facilitera le chemin, Pour nous résumer, la justice est une propriété 474 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [30 mars lTSÛ.j accessible à tous les citoyens. Tous ont droit de la réclamer; c’est par elle que les lois sont maintenues; son influence doit se répandre également partout. Mais, pour que cette influence douce et salutaire ne dégénère pas en impression de crainte et de servitude, plus le pouvoir des juges est grand, plus il faut qu’ils demeurent subordonnés dans leurs fonctions. Ce n’est pas par-devant un autre tribunal distinct et séparé qu’ils doivent être responsables, parce que ce tribunal indépendant, exerçant les mêmes fonctions, attribuées dans l’origine au Parlement rendu sédentaire, et les exerçant arbitrairement, acquerrait bientôt une force irrésistible. Le passé nous présage l’avenir. Concluons que tous les tribunaux sans exception, doivent être subordonnés directement au roi, comme au juge suprême, ainsi que l’étaient, avant Philippe le Bel, les baillifs et sénéchaux jugeant en dernier ressort. TROISIÈME ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 30 mars 1790. Nota. M.Necker présenta, sur le rapport du comité des finances, du 12 mars 1790, des observations qui furent distribuées à tous les députés. — Le comité des finances, par l’organe de M. le marquis de Montesquiou, son rapporteur, réfuta à son tour les observations du ministre. Ces deux pièces faisant partie des documents parlementaires de l’Assemblée nationale, doivent trouver place dans les Archives , et nous les insérons ci-dessous. Observations de M. Hecker, premier ministre des finances, sur le rapport fait au nom du comité des finances, à la séance de V Assemblée nationale du 12 mars 1790 (1). Le rapport dit que « c’est tout au plus à trente millions qu’on peut évaluer le déficit qui existera cette année sur la perception des droits. Le déficit sur Je recouvrement de la gabelle, à en juger par le produit des trois derniers mois dont on a le compte, devait se monter à plus de quatre millions par mois, ce qui fait pour dix mois ............................. 40,000,000 La perte sur le produit des ventes de tabac, huit cent mille livres par mois, environ ..................... 8,000,000 La perte sur les entrées de Pans, sept cent mille livres par mois ...... 7,000,000 La perte sur Je produit des aides, pour dix mois ..................... 6,000,000 Perte du droit de franc-fief, dépérissement presque total des revenus casuels et des droits de marc d’or et autres .différents droits perçus par l’administration des domaines, le tout pour dix mois ..................... 5,000,000 Perte du revenu provenant de fa iégie des poudres, pour dix mois... 600,000 A reporter ..... 66,600,000 [1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur1. Report ..... 66,600,000 Perte du revenu provenant des monnaies. ........................ 400,000 Perte sur le produit de la loterie royale, dont les mises sont diminuées d’un tiers, comparativement à l’année 1788 .............................. 4,000,000 Total .......... 71,000,000 Indépendamment d’une petite diminution sur le produit des traites, que je ne puis citer avec précision, parce que cette comptabilité dure beaucoup plus de temps que les autres. J’en appelle sur l’exactitude de tous ces résultats, aux fermiers et régisseurs des différents droits que j’ai indiqués. Cependant le rapporteur du mémoire, ne se livrant uniquement aux espérances qu’on peut concevoir de l’établissement des assemblées de départements, réduit à trente millions ce même déficit. Je l’avais évalué dans mon mémoire à soixante millions, mais avec une grande crainte, ajoutais-je, qu’il ne s’élevât plus haut. Je désire trop que des dispositions nouvelles améliorent la situation des choses; je désire trop qu’on y ait confiance, pour combattre aucune espérance ; mais tout remplacement exige du temps pour son exécution réelle, et l’on doit observer que le calcul dont il est ici question, concerne uniquement les dix derniers mois de l’année. Je ferai remarquer, par exemple, que les quarante millions de nouvel impôt sur les grandes gabelles, ne diminueront guère le déficit de l’année, puisqu’ils seront payables en grande partie au marc la livre des impositions directes de 1790, dont il n’y aura que sept douzièmes de payés dans cette année. Ainsi, à partir de ce calcul,’ et en supposant que l’imposition additionnelle en remplacement de la gabelle, n’essuie aucun retard particulier, on ne recevrait dans le cours de cette année, que deux ou trois millions au-dessus des vingt millions qu’aurait produits la gabelle, dans son état de dépérissement actuel. A la vérité, le débit que fera la ferme générale de ses sels en magasin produira pendant neuf mois, à commencer du premier avril prochain, peut-être six à sept millions, déduction faite de tous les frais actuels, qui ne pourront être diminués que par degrés ; mais, d’un autre côté, l’augmentation sur les impôts directs ne permettra pas de rapprocher facilement le terme de leur paiement, en sorte que la ressource de quinze millions que j’avais indiqué pouvoir résulter de cette disposition, et qui a été approuvée dans le rapport du comité des finances, devient très problématique. Le rapporteur du comité des finances a dit « qu’il s’en faut de dix millions que l’emprunt de quatre-vingts millions ne soit rempli, et il ne doute pas qu’il ne le soit dans le courant de l’année ». Il s’en faut de trente-trois millions que cet emprunt ne soit rempli, et depuis quelque temps on n’y porte presque plus rien. Il est donc impossible de s’en rapporter à la simple conjecture dont je viens de faire mention, conjecture qui n 'est appuyée d’aucune raison propre à nous éclairer. Le rapporteur, en parlant de cet emprunt, dit « qu’il était pour l’emprunteur de 6 1/2 0/0 ». Uet emprunt n’était qu’à 5 0/0 pour l’emprun-tvut-f ou recevait bien moitié en effets suspendus*