[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. \ 3 nivôse an II 237 î 23 décembre 1793 sein de la Convention qu’ils mourront fidèles à leur serment; qu’ils défendront jusqu’à la mort la République une et indivisible, ou qu’ils périront avec elle. ( Suit un grand nombre de signatures.) Le Président. Le premier vœu, le premier désir de la Convention sont de faire le bonheur du peuple et de rendre une justice impartiale et sévère. Si ceux pour qui vous réclamez prou¬ vent leur innocence, vous pouvez compter que la Convention nationale, toujours juste, leur rendra la liberté et vous saura gré du zèle qui vous a amenés dans son sein. La Convention renvoie la pétition au comité de sûreté générale, pour en faire un rapport dans le plus court délai. IL Compte rendu du Mercure universel (1). Le Président annonce qu’une députation de la Société des Cordeliers demande d’être admise à la barre. Bourdon (de l’Oise) fait observer que les décadi sont réservés aux pétitionnaires. Pour¬ quoi ceux de Paris, ajoute-t-il, seraient-ils reçus de préférence aux pétitionnaires des dépar¬ tements. Je demande l’ordre du jour. Romme réclame que les quintidi soient aussi consacrés à l’admission des pétitionnaires. Il s’élève des débats. Bourdon (de l’Oise). J’observe que l’on sait bien ce qui amène ici la Société des Cordeliers. Elle n’est que l’instrument de Vincent, qui l’a fait venir à la barre. Après plusieurs épreuves, l’admission des pétitionnaires a lieu et l’Assemblée décrète que les décadi et quintidi seront consacrés aux péti¬ tionnaires. L’orateur. Plus la Société des Cordeliers a d’ennemis à combattre, plus elle est forte. C’est elle qui a terrassé les anciens ministres; c’est elle qui a renversé le trône; elle a déjoué tous les ennemis de la liberté. Vincent et Ronsin, deux de ses membres, sont sous le poids d’une accusation; elle vient vous déclarer qu’elle les a toujours reconnus patriotes. Elle demande que leur accusation soit prouvée et qu’ils soient jugés promptement. S’ils sont coupables, qu’ils soient punis; mais s’ils sont innocents, elle vous demande vengeance de leurs dénonciateurs. Le Président. Vous pouvez compter sur la justice de la Convention. Si ceux qu’elle a fait arrêter prouvent leur innocence, vous pouvez compter sur son équité et sur leur prompt élargissement. Elle vous invite aux honneurs de la séance. III. Compte kendu du Journal de Perlet (2). Une députation de la Société des Cordeliers (1) Mercure universel |4 nivôse an II (mardi 24 décembre 1793), p. 63, col. 1']. (2) Journal de Perlel (n° 458 du 4 nivôse an II, p. 185). demande à être admise pour présenter une adresse. Bourdon (de l’Oise) demande l’ordre du jour, motivé sur ce qu’il ne doit point y avoir d’excep¬ tion en faveur des Sociétés populaires de Paris, et que la députation soit renvoyée à décadi. Un autre membre observe, avec raison, que déjà plusieurs députations ont été entendues ces jours derniers, sans qu’on ait réclamé. Il conclut à l’admission. Romme, en votant pour l’admission de la députation de la Société des Cordeliers, demande en outre que les pétitionnaires soient entendus toutes les décades et demi-décades. L’Assemblée, consultée, rejette l’ordre du jour, décrète l’admission de la députation et l’audition des pétitionnaires, tous les quintidis et décadis. La députation est introduite. L’orateur. La Société des Cordeliers, depuis son institution, a toujours attaqué courageuse¬ ment la tyrannie. Elle a renversé le trône et combattu toutes les factions. Cependant, deux de ses membres, Ronsin et Vincent, gémissent sous le poids d’une accusation. Que leur reproche-t-on? Est-ce d’avoir dénoncé La-fayette, Dumouriez, Brissot, Roland et leurs complices? La société les reconnaît encore pour bons patriotes et véritables Cordeliers. Elle vous demande qu’ils soient promptement jugés : qu’on les condamne, s’ils sont coupables ; qu’on les rende à la liberté, s’ils sont innocents. Le Président. Le premier vœu, le premier désir et le but unique de la Convention nationale sont de faire le bonheur du peuple, et de rendre justice à tous citoyens. Si ceux, pour qui vous réclamez, prouvent leur innocence, la Conven¬ tion nationale se montrera juste et vous saura gré de votre démarche. La pétition est renvoyée au comité de sûreté générale. ANNEXE N» 2 à la séance de la Convention nationale du 3 ni vôse an II. (Lundi, 33 décembre 1303). Compterendu, par divers journaux du rapport de Catnbon sur la banque lker-regaux et C,e (1). I. Compte rendu du Journal des Débats et des Décrets (2). Cambon. Nommé commissaire par vos comi¬ tés de Salut public et de sûreté générale, pour vérifier un objet important relatif à une scélé¬ ratesse dont peut-être l’histoire ne pourra (1) Voy. ci-dessus, même séance, p. 210, le compte rendu de ce rapport, d’après le Moniteur. (2) Journal des Débais et des Décrets (nivôse an II, n° 461, p. 32). 238 [Contention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. f décembre 1793 offrir d’exemple que de la part d’un noble, et d’un noble condamné comme émigré, je me suis acquitté de la commission que j’avais reçue avec Moyse Bayle et Jobannet, que vos comités m’avaient adjoint. Voici le fait : Duchâtelet fut condamné, il y a quelques jours, par le tribunal révolutionnaire, à subir la peine de mort. A peine eût-il entendu son jugement, que, retiré dans la salle des condam¬ nés, il voulut séduire les gendarmes qu’on avait préposés à sa garde. Il leur offrit 100,000 livres pour prix des moyens qu’ils trouveraient de le faire évader. Les gendarmes feignirent d’accé¬ der â cette proposition pour en connaître les suites. Ils firent cependant à leur chef la décla¬ ration de ce qui s’était passé, et prirent toutes les précautions possibles pour ne pas se compro¬ mettre. Ils suivirent alors le dessein de Duchâtelet, qui leur tira un bon de 100,000 livres, payable à vue, sur Perregaux et Cle. Ces banquière sont Suisses d’origine. Leur patrie est Neufchâtel. Comme les gendarmes travaillaient à briser les barreaux de la prison, pour montrer à Duchâtelet le désir qu’ils avaient de le servir, ils lui dirent ; « Comment nous tirez-vous 100,000 livres à vue sur Perregaux? Qui nous en garantira le paiement? » Duchâtelet leur répondit : « Il n’y aura point de difficulté à cet égard. Croyez-vous que j’aie été assez simple pour laisser toute ma fortune en évidence et en France? J’ai remis quatre millions, dont deux millions en or, entre les mains de Perregaux, qui pourra bien vous payer 100,000 livres. » Ces faits formaient le corps d’une dénoncia¬ tion qui méritait la plus sérieuse attention. Elle fut portée au comité de sûreté générale, qui, toujours actif pour tout ce qui peut intéresser la République, donna des mandats d’arrêt contre les associés de la maison Perregaux, et l’ordre d’apposer les scellés sur les papiers. , Duchâtelet périt. On alla chez Perregaux; les scellés furent posés; personne ne s’y attendait dans la maison; on enleva l’associé; l’ordre avait été donné de le conduire à la Conciergerie; des quiproquos le menèrent à la Force, où il fut mis au secret. Il écrivit aussitôt au comité de Salut public, pour l’informer de ce qui s’était passé. Le comité savait que Perregaux était à Neufchâtel : il se fit instruire de toute l’affaire. Cependant Perregaux apprit, à Neufchâtel, l’arrestation de son associé, la mise des scellés sur ses papiers, et le mandat d’arrêt décerné contre lui. Sur-le-champ, il partit, et vint dans le sein du comité de Salut public. J’étais dans ma patrie, dit-il : je viens pour savoir quel est le motif des mesures prises relativement à ma maison. Le comité interroge Perregaux. Il lui fait connaître la dénonciation des gendarmes. On lui demande si ses livres sont en règle; comment se font les opérations de son commerce, et quelles sont ses opérations. Tout cet interrogatoire était imprévu. Perregaux répondit à tout. Il dit qu’il était vrai qu’il avait fait pour Duchâtelet, une seule fois, un paiement de 17,000 livres; mais que jamais il n’avait eu de compte avec lui. Il déclara hautement qu’il n’avait jamais vu Duchâtelet que pour cette affaire, et que si aujourd’hui fi était dénoncé par Duchâtelet, c’est parce que celui-ci lui avait proposé de faire baisser le change et d’attaquer le crédit national par une opération à laquelle Peirégâux et son associé ne voulurent point se prêter. Les comités ayant pris une connaissance exacte de tous les faits, nous chargèrent de recueillir les renseignements qui s’y rappor¬ taient : cette Opération devait se faire avec pru¬ dence et célérité; nous nous recueillîmes pour ne rien omettre. Moyse Bayle crut prudent d’appeler l’asso¬ cié qui était à la Force. Il vint. Nous lui deman¬ dâmes où était son associé Perregaùx. Il nous répondit qu’il était en Suisse. — Savez-vous son arrivée à Paris? — Il y a huit jours que je suis au secret; j’ai vécu jusqu’à ce moment dans une ignorance parfaite de ce qui sé passait au dehors. La seule chose que j’ai faite, est d’avoir écrit au comité de Salut public. — Voilà la dénonciation qui a été faite. Connaissez-vous Duchâtelet? — Les réponses de l’interrogé nous firent concevoir des doutes sur le fait dont Duchâtelet s’était appuyé. Nous le requîmes de venir avec nous procéder à la levée des scellés; il y vint avec Perregaux. En entrant dans le comptoü', la première chose que nous fîmes fut de leur demander leurs bilans depuis 89 jusqu’à cette époque. Ils nous les représentèrent au nombre de six. Nous les trouvâmes exacts dans leur balance. Nous en vérifiâmes les résultats; et, ce qui vous sur¬ prendra, c’est qu’aucun de ces bilans ne s’élève, soit au débit, soit âu crédit, à 400 (I) mil¬ lions ; hors une seule année où leurs opérations furent forcées. Nous examinâmes qu’elle était leur fortune en 1789, qu’elle avait été son accroissement pro¬ gressif, d’où résultait cet accroissement, et quel en était l’état dans le moment actuel. Nous la trouvâmes bien éloignée d’une valeur totale de 4 millions ; elle est à la vérité considé¬ rable pour des banquiers; vos comités la con¬ naissent parfaitement. Vous nous dispenserez d’en publier la quotité; ce que nous pouvons vous affirmer, c’est qu’elle a été progressive, sans effort, pendant les quatre années qui se sont écoulées depuis 89, qu’elle n’a point éprouvé de variations marquées dans son accroissement, et qu’elle provient d’opérations journalières, ordinaires et non forcées. Nous avons examiné si, dans ce bilan, il se trouvait un seul mot qui pût indiquer l’opéra¬ tion dont nous recherchions des traces; nous n’en avons trouvé aucun indice. Nous avons examiné le livre de caisse. Il était dans le plus grand Ordre. On y constatait journellement la recette, la dépense et le résidu. Nous avons visité aussi les bordereaux de caisse. Ils se sont trouvés cadrer parfaitement avec le livre. Jamaiâ il n’y a eu de recette forcée; et toujours le résidu: s’est trouvé composé d’assi¬ gnats. Au 30 frimaire, il y avait 936,000 livres en caisse. Quand les scellés ont été apposés, elle renfermait 1,600,000 livres. Les bordereaux que je tiens dans mes mains cadrent avec ses faits, et tout est de la plus grande exactitude. Nous avons recherché sur .les grands livres s’il n’y avait point de compte ouvert avec Duchâtelet. Nous n’en avons point trouvé : Nous avons examiné les comptes de Perre¬ gaux avec la caisse d’escompte; nous n’y avons (1) Il faut lire-quatre millions .'J [Convention nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES, S 2f 2 ‘cîmbre 1793 '239 trouvé aucune trace d’un versement extraordi¬ naire. Nous avons examiné les comptes de Perre-gaux avec l’étranger; nous n’y avons vu que les opérations ordinaires de banque, et il nous a été prouvé qu’il devait plus à l’étranger, qu’il ne lui était dû. Nous avons examiné si Perregaux avait exé¬ cuté la loi qui ordonnait la déclaration des fonds que les citoyens français avaient hors de France; il nous a présenté sa déclaration faite le lendemain de l’émission de la loi; elle est conforme au résultat que nous avions relevé sur les livres et renferme l’exécution parfaite de la loi. Nous avons examiné encore toutes les copies de lettres depuis 1789, pour voir s’il y existait quelque trace d’un dépôt de 4 millions qui, ayant figuré de la main à la main, ne pouvait pas s’être dérobé aux détails de la correspon¬ dance. Nous avons trouvé qu’il n’était question de Duchâtelet que deux fois, en 1790 et 1791. En 1791, il s’agissait d’un protêt; e’était rela¬ tif au fait déclaré par Perregaux au comité. Dans la seconde lettre, Duchâtelet ayant payé pour quelqu’un une somme, disait : « Indiquez moi qui me remboursera ce que j’ai payé, et qui en fera les fonds. » A côté de cette lettre, était le compte qui avait rapport à cette affaire; ce qui prouve que Duchâtelet n’avait point de compte ouvert chez Perregaux, puis¬ qu’on le tenait par aperçu aux copies de lettres. Enfin, nous avons examiné la fortune de l’associé de Perregaux, pour voir si elle se rapportait aux progrès de celle de la maison, et à l’intérêt qu’il y a : tout s’est trouvé cadrer parfaitement. Nous avons remis ensuite toutes les pièces au comité de sûreté générale. Elles démon¬ traient la justification de Perregaux et Cle. Le comité arrêta qu’il vous en serait rendu compte; et, considérant qu’il avait déjà envoyé les premières pièces à l’accusateur public, il se résuma à vous demander de rapporter l’arrêté par lequel il avait remis l’affaire au tribunal. Cette délibération, communiquée au comité de Salut public, fut unanimement adoptée. J’ai été chargé de vous la présenter. J’ai rempli mon devoir. Un membre présente la rédaction de la pro¬ position des comités. On observe que le Comité de sûreté générale est autorisé à rapporter ses arrêtés. La Convention passe à l’ordre du jour motivé sur cette considération. Thuriot. D’après le rapport que la Conven¬ tion vient d’entendre, elle demeure convaincue que le fait énoncé par Duchâtelet est un trait de perfidie bien digne de celui qui s’en est rendu coupable. Dans cette circonstance, elle doit rendre un hommage éclatant à l’inno¬ cence. Je demande la mise en liberté de Perre¬ gaux et de son associé. (Suit le décret que nous avons inséré au cours de la séance.) et de sûreté générale, Gambon obtient la parole. Duchâtelet, dit-il, condamné comme émigré par le tribunal révolutionnaire, crut séduire les gendarmes commis à sa garde. Il leur offrit 100,090 livres pour favoriser son évasion. Les gendarmes parurent accéder à sa proposition. Autorisés par leurs chefs, ils se prêtèrent à ses vues. Duchâtelet leur fit un bon de 100,000 liv. sur Perregaux, banquier de Paris, originaire de Neufchâtel. Les gendarmes se mirent à rompre quelques barreaux de la prison. L’un d’eux lui dit alors ; « Vous nous avez donné un bon de 100,000 livres ; mais qui nous en garantira le paie¬ ment. » « Je n’ai pas été si fou, répondit Duch⬠telet, que de mettre tous mes biens sous les mains de la nation. J’ai réservé 4 millions dont 2 en argent et 2 en assignats. Ils sont entre les mains de Perregaux ; il pourra bien vous payer 100,000 livres. » Duchâtelet fut exécuté et les gendarmes por¬ tèrent leur dénonciation au comité de sûreté générale qui en conféra avec le comité de Salut public, et nous chargea Moyse Bayle, Johan-net et moi, de la poursuite de cette affaire. Perregaux était alors à Neufchâtel; les scel¬ lés furent apposés chez lui. Son associé fut arrêté et mis au secret. Quelques papiers, trou¬ vés sur lui, furent envoyés à l’accusateur pu¬ blic. Instruit de ce qui se passait à Paris, Perre¬ gaux s’y rendit en grande hâte et vint au comité de Salut public pour s’informer de l’objet de la dénonciation faite contre lui. On le lui fit con¬ naître. Il subit un interrogatoire, déclara que ses livres étaient en règle et qu’il n’avait jamais connu Duchâtelet que pour un protêt de 2,200 livres. L’associé fut aussi interrogé : ses réponses cadrent parfaitement avec celles de Perregaux. Il fut ensuite procédé à la levée des scellés sur les livres et papiers de la Société. Son bilan, depuis 1789 jusqu’à cette époque, ne portait pas 4 millions, tant en dettes qu’en créances. On a vérifié l’état de sa fortune en 1789. Elle a été progressive et sans variations mar¬ quantes. Aucun versement extraordinaire n’a été fait à la caisse d’escompte; la Société doit plus, en pays étranger, qu’ü ne lui est dû, et, à cet égard, elle a fait sa déclaration, confor¬ mément au décret. Le nom de Duchâtelet n’a jamais été sur les bilans. Comme l’accusateur public est saisi de quelques pièces, votre comité vous demande d’être autorisé à les retirer d’entre ses mains. Les prévenus compromis par la scélératesse de Duchâtelet seront remis en liberté. La Convention passe à l’ordre du jour mo¬ tivé sur ce que le comité de Sûreté générale a le droit de rapporter des arrêtés. IL Compte rendu du Journal de Perlet (1). Organe des comités réunis de Salut public (1) Journal de Perlet, n°' 458 du 4 nivôse an II (mardi 24 décembre 1793), p. 187.