[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mai 1790.] gf K M. lit erlin. Je propose de décréter que le président est chargé de faire connaître à ces bas-officiers et soldats, la satisfaction de l’Assemblée nationale à l’égard de leurs sentiments et de leur conduite patriotique. (Cette proposition est adoptée.) M. de La Révelllière de Lépeanx passe à la seconde adresse. 2° Celle du club patriotique de Perpignan qui dénonce à l’Assemblée nationale plusieurs citoyens qui ont cherché à allumer dans cette ville le flambeau du fanatisme, et à plonger leur pays dans les horreurs d’une guerre civile et religieuse. (Cette pièce, ainsi que toutes celles qui y ont rapport, sont renvoyées au comité des recherches.) M. le baron Cardon de Sandrans, député de Bourg-en-Bresse, demande à s’absenter pendant quelque temps pour raison de santé. Ce congé est accordé. M. Chabrond, secrétaire, lit le procès-verbal de la séance d’hier au matin. Il est adopté. M. Le Chapelier, membre du comité de Constitution, fait un rapport sur la déclaration du quart des revenus dans le département du Nord. Messieurs, vous avez ordonné qu’aucun citoyen ne pourrait être électeur, ni éligible, s’il n’apportait pas sa quittance du payement de la contribution patriotique. Cependant, malgré vos décret-, plusieurs électeurs, lors de l’assemblée qui s’est tenue à Douai, n’ont pas représenté leur quittance; ils n'ont pas même fait de déclaration. Ils ont dit qu’ils avaient fait des dons patriotiques. Votre comité pense que la régularité de leur élection dépend au moins de la vérification de ce fait et vous propose de la faire constater par les commissaires du roi qui sont sur les lieux. Voici le projet de décret que nous vous soumettons : « L’Assemblée nationale, informée des réclamations élevées contre les opérations faites dans les assemblées primaires de la ville de Douai, et fondées sur ce que plusieurs des volants n’ont pas satisfait aux décrets des 6 octobre 1789 et 27 mars dernier, concernant la contribution patriotique; « A décrété et décrète qu’il sera, par M. de Wa - renghien de Flory, commissaire du roi au département du Nord, étant actuellement en la ville de Douai, dressé incessamment procès-verbal, conjointement avec les officiers municipaux de ladite ville, des particuliers qui, ayant plus de 400 livres de revenu, ont voté dans lesdites assemblées sans avoir fait leur déclaration pour la contribution patriotique, quand elles auraient d’ailleurs offert des dons patriotiques non accompagnés ni suivis de déclaration dans la forme prescrite par le décret du 6 octobre 1789 ; ordonne que ledit procès-verbal sera envoyé à l’Assemblée nationale, avec une copie authentique des tableaux de la contribution patriotique qui ont été affichés dans chacun des lieux où se sont tenues lesdites assemblées primaires. Et cependant il sera sursis à la continuation des élections, conformément à l’ordonnance du commissaire du roi, en date du 12 de ce mois. y> (Ce projet de décret est mis aux voix et adopté.) M. Merlin, membre du comité féodal. Messieurs, le décret sur le droit de triage a été mal interprété dans plusieurs provinces; il est indispensable de le présenter sous son véritable jour, et, pour en faire connaître le sens exact, nous vous proposons le projet de décret qui suit : « L’Assemblée nationale, informée des désordres et voies de fait auxquelles plusieurs communautés d’habitants et particuliers se sont portés dans différentes provinces du royaume, par une fausse interprétation des articles 30 et 31 du titre second du décret du 15 mars dernier, sanctionné parles lettres-patentes du roi, du 28 du même mois; « Déclare qu’en abolissant par lesdits articles le droit de triage, c’est-à-dire l’action qu’avait ci-devant le seigneur pour se faire délivrer, en certains cas, le tiers des biens par lui concédés précédemment aux communautés d’habitants, elle n’a entendu rien préjuger sur la propriété des bois, pâturages, marais vacants, terres vaines et vagues, ni attribuer sur ces biens aucun nouveau droit aux communautés d’habitants, ni aux particuliers qui les composent; ordonne que toutes les communautés et tous les particuliers qui prétendraient avoir sur ces bois, pâturages, marais vacants, terres vaines et vagues, des droits de propriété, d’usage, de pâturage ou autres dont ils n’auraient pas eu la possession réelle et de fait au 4 août 1789, seront tenus de se pourvoir par les voies de droit contre les usurpations dont ils croiraient avoir droit de se plaindre ; met tous les possesseurs et afféagistes actuels desdits biens sous la sauvegarde spéciale de la loi; fait défenses à toutes personnes de les troubler par voies de fait, à peine d’être poursuivies extraordinairement, sauf à faire juger contradictoirement avec eux, par les juges qui en doivent connaître, la légitimité ou illégitimité de leur possession; ordonne aux curés et vicaires, desservant les paroisses, de faire lecture au prône, tant du présent décret que de l’article 2 de celui du 11 décembre 1789, ensemble de l’article 3 de celui du 23 février, et de l’article 5 du titre III de celui du 15 mars dernier, lesquels, à cet effet, seront annexés par extrait à l’expédition des présentes. » (Ce projet de décret est mis aux voix et adopté.) L’Assemblée passe ensuite à son ordre du jour qui a pour objet la discussion du message de M. de Montmorin, ministre des affaires étrangères, sur les armements de l'Angletere et le différend survenu entre la Grande-Bretagne et l'Espagne. M. le duc de Biron. Un grand différend s’élève entre l’Espagne et l’Angleterre : les deux puissances font des armements considérables, et le roi a donné communication des mesures qu’il a cru devoir prendre pour assurer la tranquillité générale et pour la sûreté du commerce. Jamais la paix n’a été plus nécessaire ; il appartient à une grande nation de se porter médiatrice entre deux grandes nations; mais pour être utilement juste, il faut être redouté et respecté; mais en se rendant redoutable, il ne faut pas oublier que la loyauté et toutes les vertus sont les compagnes de la liberté. Un peuple libre doit être le plus loyal des alliés. Qui ne sait que la guerre à laquelle nous prendrions la moindre part serait très onéreuse pour nous. S’y exposer, ce serait compromettre notre commerce, et avec lui la subsistance sacrée de deux millions d’hommes. . . Notre prospérité est tellement attachée au bonheur de l’Espagne, que nous devons craindre de l’abandonner. Nous ne pouvons oublier que cette puissance a été pour nous une alliée généreuse : si les représentants de la nation ont cru de leur loyauté de prendre sous leur sauvegarde les dettes contractées par le despotisme, ne croiront-ils pas de- 516 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [lg mai 1790.] voir respecter les obligations de reconnaissance contractées avec une grande nation? Nous devons acheter la paix par de grands sacrifices, mais non par celui de l’honneur et du caractère national. Un de nos rois disait : Tout est perdu , fors l'honneur -, et tout fut sauvé. Rien n’est perdu, et l’honneur sera toujours notre force, comme il a toujours fait notre loi ...... Toute paix est détruite, si l’on déclare qu’on n’a pas la force de faire la guerre. On dit qu’il n’y a pas d’armée, qu’il n’v a pas de force publique : ne laissons pas insulter la liberté et la Révolution ;, ne laissons pas dire que les efforts d’un peuple libre seraient moins grands que ceux du despotisme. Quand nous ne devrions pas à un roi vraiment citoyen toute la confiance, tout le respect, tout l’amour que les Français lui ont voués; quand nous ne connaîtrions pas les sentiments patriotiques de l’armée, ces millions de citoyens qui ont pris les armes pour la défense de la liberté devraient dissiper toutes nos inquiétudes. .. Je propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que son président se retirera devers le roi, pour le remercier des mesures qu’il a prises pour la sûreté de l’empire et du commerce, et des négociations qu’il a entamées. L’Assemblée supplie Sa Majesté de lui faire remettre l'état des besoins du département de la marine. » M. le comte de 'Virieu. Mes conclusions étant conformes à celles de M. de Biron, je réclame l’usage constant des listes contre , pour et sur . M. d’André. 11 est naturel que la discussion amène des propositions dans des sens tout dif-rents, et qui ne seront ni contre , ni pour, ni sur. M. l’abbé Maury. La question doit être traitée contradictoirement. M. Brfois de Beaumetz. Une question politique et diplomatique ne peut, avant d’être discutée, présenter un résultat assez simple pour amener une décision par oui ou par non : il faut qu’elle soit arrivée à ce point de simplicité pour que la discussion s’établisse d’une manière contradictoire. M. l’abbé Maury, Quand bien même on ne discuterait que l’un des points historiques, il faudrait toujours avoir le sens commun. On ne peut discuter d’une manière utile sans faire choquer les opinions. Je ne vois, dans tout ceci, qu’une question d’argent qui peut se réduire à un oui ou à un non. Doit-on faire un armement, doit-on n’en point faire ? M. Duquesnoy. Messieurs, à la lecture qui tous a été faite hier de la lettre du ministre et surtout à cette mention insidieuse de la reconnaissance que la France doit à l’Espagne, j’ai bien soupçonné que les ministres voulaient tendre un piège à l’Assemblée nationale. Au moment actuel, ces soupçons acquièrent un nouveau degré de vraisemblance : rappelez-vous combien vous avez été choqués d’une expression de la dernière lettre de M. de Sain t-Priest. Le roi sera douloureusement affecté, si vous n’approuvez pas les mesures qu’il a prises. Aujourd’hui, en cherchant à vous réduire à opiner par oui ou par non sur la lettre de M. de Montmorin, en vous deman-mandant si vous voulez ou non fournir les fonds nécessaires pour subvenir à un armement commandé par notre reconnaissance envers l’Es-pagne, on sert merveilleusement bien les projets des ministres qui ont voulu jeter dans cette Assemblée un grand sujet de discorde parce qu’ils ne sont forts que quand nous sommes désunis. On ne cessera donc pas de donner aux ministres l'initiative; l’inutilité des efforts, si souvent réitérés, dégoûtera sans doute ceux qui les renouvellent sans cesse; aussi je pense que ce n’est pas seulement sur la lettre du ministre qu’il faut délibérer, mais sur toutes les questions, sur les importantes questions auxquelles elle peut donner lieu ; et mon avis est que l’on suive, pour la parole, l’ordre delà liste qui est entre les mains de M. le président, et qu’on laisse à chaque orateur la faculté de proposer les opinions qui lui paraîtront les plus convenables; mais dire, comme M. l’abbé Maury, que ce n’est qu’une question d’argent, c’est une proposition qui doit révolter quiconque a l’honneur de porter le nom de Français. M. Alexandre de Lameth. J’ai demandé la parole pour chercher à établir la question. Personne ne blâmera certainement les mesures prises par le roi; nous pouvons délibérer maintenant, puisque les ordres sont donnés ; mais cette question incidente amène une question de principes. Il faut savoir si l’Assemblée est compétente, et si la nation souveraine doit déléguer au roi le droit de faire la paix ou la guerre : voilà la question... ( L'orateur est interrompu par une longue agitation.) Il est infiniment simple de traiter celte question avant la question de circonstances, ou bien vous la préjugeriez : le ministre vous l’annonce assez dans sa lettre. Je crois que si vous vous borniez à accorder les subsides demandés, on pourrait entraîner la nation au delà des bornes ue notre prudence doit prescrire. Il faut, avant e prendre un parti, connaître toutes les circonstances, il faut savoir ce qui a précédé. La nation ne doit-elle pas être inquiète, quand le ministère a laissé près la cour dont les affaires nous occupent actuellement, cet homme, ce ministre appelé au conseil du roi, lorsqu’on a entouré l’Assemblée nationale de baïonnettes !.. Il est impossible qu’il y ait des raisons pour déclarer une guerre ; il est possible qu’il existe des arrangements entre différentes cours, car c’est ici la cause des rois contre les peuples. L’Assemblée nationale doit savoir pourquoi cet armement; elle doit examiner si elle peut déléguer le droit de faire la paix et la guerre. Cette question ne peut faire aucun doute dans cette Assemblée : le droit de faire verser le sang, d’entraîner des milliers de citoyens loin de leurs foyers, d’exposer les propriétés nationales ; ce terrible droit, pouvons-nous le déléguer? Je demande donc que nous discutions d’abord cette question constitutionnelle. On ne nous dira pas que nous délibérons quand il faut agir, puisque le roi a ordonné l’armement. (Cette proposition est très applaudie.) M. Dupont {de Nemours) demande que la motion de M. Alexandre de Lameth soit ajournée à trois semaines. La question, ainsi qu’on veut la poser, est sans doute la plus importante; mais ce n’est pas là la marche des idées ; la question provisoire doit d’abord être examinée. M. Barnavc. Lorsqu’on aura démontré que les [15 mai 1790.J [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. effets doivent passer avant les causes, que les résultats doivent précéder les motifs qui les occasionnent, alors on aura prouvé que la question posée par M. de Lameth doit être discutée la dernière : mais si l’on veut discuter l’ordre naturel des choses, on sentira aisément qu’il faut d’abord décider si nous avons le droit de cou sentir ou de défendre un armement. Au moment où les ministres s’emparent de ce droit, il faut examiner à qui il appartient; laisser la question à l’écart, ce serait passer condamnation, puisque M. de Montmorin suppose la question jugée en sa faveur. En effet, il nous dit qu’on a armé 14 vaisseaux, parce que Sa Majesté est alliée à l’Espagne, parce que nous devons de la reconnaissance à cette puissance pour les secours que nous en avons reçus, parce qu’on ne peut se dispenser d’observer le Pacte ae famille ; il nous dit que le roi de France ouvre des négociations, etc.Ainsi, les ministres prétendent exercer seuls le plein pouvoir de faire la paix ou la guerre ; mais les négociations supposent nécessairement des alliances, et ces alliances sont souvent des déclarations de paix ou de guerre, puisque c’est du résultat des négociations que l’un et l’autre résultent. Il faut prendre un parti ; notre silence préjugerait la question. Un ajournement à trois semaines la déciderait contre nous. Quand le roi arme, quand des négociations sont entamées, n’est-il pas probable que dans trois semaines la paix ou la guerre seront décidées? ainsi lorsqu’on propose d’ajourner, on propose en d’autres termes de donner, dans la circonstance présente, le droit de négociation, de paix et de guerre. Pour les plus grands amis du pouvoir arbitraire, ce serait encore une grande question: mais c’en est peut-être une pour le corps constituant. On le met dans l’alternative de consentirou de s’opposer à l’abandon d’un droit, sans lequel il n’est point de liberté politique. Vous vous ôteriez les moyens de résister aux ruses perfides des ministres ; vous vous exposeriez à ce que la Constitution fût en péril par une guerre mal à propos entreprise. On vous propose de vous abandonner à des hommes à qui l’on fait trop d’honneur en disant que leurs desseins sont douteux. Trois jours sont né' cessaires pour discuter les principes ; je demande que la motion de M. Alexandre de Lameth soit adoptée. M. Goupil dePréfeln. Sans doute, on vous propose une grande question politique. Je suis persuadé que le droit terrible de faire la guerre ne peut appartenir au monarque seul ; mais je ne puis me dissimuler qu’une question, dont l’influence doit être si grande sur la Constitution, ne doit pas être décidée légèrement. En ce moment, il ne s’agit pas de cette question. On vous a dénoncé les pièges ministériels : personne plus que moi ne craint les ministres, mais il ne faut Sas toujours les soupçonner. La lettre de M. de ontmorin est écrite dans un langage patriotique. Le roi dit qu’il entre en négociation avec la cour de Londres, pour engager le roi d’Angleterre à la paix ; avec la cour d’Espagne, pour engager l’Espagne à la paix ; l’issue de ces négociations ne peut être la guerre. Si le roi a armé 14 vaisseaux, -c’est pour exercer la surveillance qui lui appartient. Ainsi, la question n’est pas préjugée par la lettre du ministre, par un acte de sauvegarde et de protection qu’il était au devoir du roi de faire. J’adopte donc l’ajournement avec cet amendement, de le fixer au moment où les tribunaux seront établis. 517 M. le prince Victor de Broglle. Je commence par observer que les propositions de MM. Dupont et Goupil sont précisément la même chose que si nous disions : Nous ajournons la discussion sur le droit de paix ou de guerre au moment où la paix sera faite, ou la guerre déclarée. J’observe encore que le roi, dans sa lettre, ne parle que de subsides; il parle absolument le même langage que si la question était jugée. La question accidentelle n’est que le corollaire de la question de savoir si le droit de faire la paix ou la guerre doit être exercé ou délégué parla nation. M. de Robespierre. S’il est un moment où il soit indispensable de juger la question de savoir à qui appartiendra le droit de faire la paix ou la guerre, c’est à l’époque où vous avez à délibérer sur l’exercice de ce droit. Gomment prendrez-vous des mesures si vous ne connaissez pas votre droit? Vous déciderez provisoirement, au moins, que le droit de disposer du bonheur de l’empire appartient au ministre. Pouvez-vous ne pas croire que la guerre est un moyen de défendre un pouvoir arbitraire contre les nations? Il peut se présenter différents partis à prendre. Je suppose qu’au lieu de vous engager dans une guerre dont vous ne connaissez pas les motifs, vous vouliez maintenir la paix ; qu’au lieu d’accorder des subsides, d’autoriser des armements, vous croyiez devoir faire une granie démarche, et montrer une grande loyauté. Par exemple, si vous manifestiez aux nations que, suivant des principes bien différents que ceux qui ont fait le malheur des peuples, la nation française, contente d’être libre, ne veut s’engager dans aucune guerre, et veut vivre avec toutes les nations avec cette fraternité qu’avait commandée la nature. Il est de l’intérêt des nations de protéger la nation française, parce que c’est de la France que doit partir la liberté et le bonheur du monde. Si l’on reconnaissait qu’il est utile de prendre ces mesures ou toutes autres semblables, il faudrait décider si c’est la nation qui a le droit de les prendre. Il faut donc, avant d’examiner les mesures nécessaires, juger si le roi a le droit de faire la paix ou la guerre. M. le comte de Mirabeau. Je demande la permission d’examiner d’abord la situation du déDat. Je ne parlerai pas encore sur le message dont il est question, quoique mon opinion soit fixée à cet égard. J’examinerai si l’on doit préalablement traiter la question constitutionnelle ; je demande que vous ne préjugiez pas mon opinion ; cette manière d’éluder la question élevée par la lettre du ministre est déraisonnable et inconséquente, imprudente et sans objet. Je dis qu’elle est déraisonnable et inconséquente, parce que le message du roi u’a nul rapport avec une déclaration de guerre; parce que le message du roi pourrait exister même quand nous aurions décidé qu’à la nation appartient le droit de faire la paix ou la guerre. Le droit d’armer, de se mettre subitement en mesure, sera toujours le droit de l’exécuteur suprême des volontés nationales. Permet-tez-moi une expression triviale. La maréchaussée extérieure et intérieure de terre et de mer doit toujours, pour l’urgence d’un danger subit, être dans les mains du roi. Je dis enfin que cette manière d’éluder la décision n’est pas conséquente, parce que ce serait supposer que l’ordre donné par le roi de faire des armements est illégal. Il est certain que dans toute société le provisoire subsiste tant que le définitif n’est pas déterminé ; K4g [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mai 1790.] or, le roi avait le provisoire ; donc il a pu légalement ordonner des armements. Je dis ensuite que cette manière d’éluder la question n’est pas prudente ; je suppose, en effet, que le préalable proposé soit nécessaire, notre délibération va occasionner des retards qui donneront le prétexte de dire que nous avons arrêté les mesures prises pour assurer la tranquillité publique et la sûreté du commerce. Je conviens qu’il faut traiter très incessamment du droit de faire la paix ou la guerre, et j’en demande l’ajournement dans le plus court délai : mais, sans doute, cette grande question a besoin d’étre préparée à l’avance par le comité de Constitution ; elle entraîne beaucoup d’autres questions... Pouvez-vous vouloir suspendre la délibération sur le message du roi ? Ne savez-vous pas que les fonds manquent? Ne savez-vous pas que 14 vaisseaux armés seulement, parce que l’Angleterre armait, ne peuvent être pour vous un objet d’épouvante? Le secours extraordinaire qu’on vous demande n’est que trop nécessaire ; il n’est pas dangereux. Un refus n’attirerait-il pas contre vous des mécontentements du commerce? On ne cherche que trop à exciter ces mécontentements. Remercier le roi des mesures qu’il a prises pour le maintien de la paix , c’est présenter à la nation l’armemen t ordonné comme une grande précaution; c’est un moyen de rassurer tous les esprits. Mais si vous allez dire au peuple qu’il faut suspendre tous vos travaux pour savoir à qui appartiendra le droit de faire la paix ou la guerre, il dira : 11 ne s’agit donc pas seulement de précautions, la guerre est donc prête à fondre sur nous ? C’est ainsi qu’on gâte les affaires publiques en répandant de vaines terreurs. Si des manoeuvres ministérielles recélaient des projets nationhomicides, ce serait tout au plus une conspiration de pygmées ; personne ne peut croire que quatorze vaisseaux mis en commande soient effrayants pour la Constitution. Quand la question constitutionnelle serait jugée, le roi pourrait faire ce qu’il a fait: il pourrait prendre les mesures qu’il a dû prendre, sauf l’éternelle responsabilité des ministres. Vous ne pouvez donc vous empêcher d’examiner le message du roi. La question se réduit donc à savoir, non si le roi a pu armer, car cela n’est pas douteux, mais si les fonds qu’il demande sont nécessaires, ce qui ne l’est pas davantage. Je conclus à ce qu’on s’occupe immédiatement du message du roi. M. Delley d’Agier. Il ne s’agit pas de régler les détails qui doivent résulter du grand principe, mais d’établir ce principe. J’appuie donc la motion de M. Alexandre de Lameth. M. Rewbell. Le préopinant a établi pour principe que le roi a le provisoire; c’est à cause que le roi a le provisoire qu’il peut, dans huit jours, déclarer la guerre sans nous, et que nous devons décréter le principe. Si nous hésitons un instant, nous aurons la guerre. 11 y a six mois qu’on nous disait de la part de quelques-uns des honorables membres : L’Angleterre vous fera la guerre; elle ne nous l’a pas faite et l’on veut que nous la lui fassions Que demande en dernière analyse le ministre? de l’argent :les représentants de la nation ne peuvent accorder des subsides qu’en connaissance deeause.il me semble que nous devons connaître les délai Is des causes de 1 a guerre don t i I s’agit, autrement que par les gazettes. Il me semble que les personnes qui, par principes, doivent redouter l’effusion du sang; qui, par la sainteté de eur caractère, doivent regarder tous les hommes comme des frères, s’élèvent en ce moment contre mon opinion. Ne reconnaissons plus d’alliés que les peuples justes; nous ne connaissons plus ces pactes de famille, ces guerres ministérielles, -faites sans le consentement de la nation quiseule verse son sang et prodigue son or. La lettre du ministre annonce assez que si le roi ne peut concilier l’Angleterre et l’Espagne, il fera la guerre à l’Angleterre. Il fautdonc vérifier les causes de cette guerre ; il faut savoir si nous avons le droit de les vérifier. M. le baron de Menou. Je ne me permettrai qu’une simple observation sur ce qu’a dit M. de Mirabeau. Si nous accordons provisoirement au roi le subside qu’il demande, ne devons-nous pas craindre d’être engagés dans une guerre contraire à la justice et à la morale, qui sont les bases de toute constitution? Bientôt des armées seront mises en mer; dès la seconde année, elles peuvent être engagées de manière qu’il soit impossible de refuser des subsides pour continuer la guerre. Quand il fut question en Angleterre de déclarer la guerre en Amérique, une partie de la nation s’y opposa; lordNorth lit valoir avec chaleur cette opposition; le roi commença la guerre les Anglais furent obligés pendant sept ans de donner des subsides, car sans cela les armées étaient perdues. Je dis donc qu’il est absolument essentiel de statuer sur le droit de faire la paix et la guerre; ensuite on examinera laquelle des deux nations a tort. Si c’est l’Espagne, nous devons employer notre médiation pour l’engager à plier; si c’est l’Angleterre, et qu’elle se refuse à la justice, nous devons armer, nonquatorze vaisseaux, mais toutes nos forces de terre et de mer. C’est alors que nous montrerons à l’Europe ce que c’est qu’une guerre non ministérielle, mais nationale. ( Des applaudissements interrompent l'orateur.) C’est alors qu’a-près avoir préalablement manifesté nos principes de justice, nous développerons le courage et la puissance d’une nation vraiment libre; nousirons attaquer l’Angleterre en Angleterre même. ( Les applaudissements redoublent.) Si c’est au dernier écu que l’Angleterre veut combattre contre nous, nous aurons l’avantage; si c’est au dernier homme, nous aurons encore l’avantage. L’Angleterre est une nation libre, magnanime et généreuse. La France devenue libre est une nation magnanime et généreuse. Les Anglais traiteront d’égal à égal avec les Français, et non plus avec les ministres et le despotisme. M. le comte de Mirabeau. J’ai l’honneur de répondre au préopinant que, sans cesse, il a cru parler contre mon opinion et qu’il n’a pas même parlé de mon opinion. Il demande qu’on traite incessamment la question, je le demande aussi; mais qu’elle le soit bien et d’après les rites de cette Assemblée. Où est donc le dissentiment entre de préopinant et moi? prétond-il que le provisoire est anéanti? Il ne l’a pas dit : le provisoire existera encore pendant trois jours, si la question constitutionnelle est discutée pendant trois jours... M. le duc d’ Aiguillon. J’avais demandé la parole pour opposer à M. de Mirabeau les mêmes raisons que M. de Menou. Je rappellerai seulement une objection très forte à laquelle M. de Mirabeau n'a point fait de réponse. Si, en accordant les subsides aujourd’hui, nous ne décidons pas la question, qui sait si la guerre ne sera pas déclarée demain;qui sait si ce n’est pas là le bu t des mauvaises intentions du ministère, inteolions dont il nem est [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mai 1790.] g] 9 pas permis à moi de douter? C’est à la Constitution qu'on en veut; les districts, les départements, les ardes nationales, sont des obstacles insurmonta-les. Que reste-t-il donc aux ennemis de la Révolution pour renverser notre ouvrage, si ce n’est de nous entraîner dans une guerre, peut-être injuste, de nous engager dans une partie que nous ne pourrons abandonner, quand nous l’aurons une fois commencée? Les intrigues des ministres agi-ronlalorsdansle royaume; les citoyens serontplus faciles à tromper, détournés de l’objet qui remplit aujourd’hui toutes leurs pensées, parce qu’il renferme toutes leurs espérances de bonheur. Les ministres abuseront de tout, soit de nos désastres, soit de nos succès; un roi victorieux est un grand danger pour la liberté, quand c’est un roi des Français. Ainsi donc songeons à l’honneur de la France, à la liberté. Quelle que soit l’urgence des circonstances, ne pouvons-nous pas retarder de deux jours un armement dont la cause nous est presque inconnue? Demain la grande question vous sera soumise ; quand vous l’aurez jugée, vous vous occuperez du message du roi. M. le comte de Mirabeau. Je demande à faire une simple proposition, qui ne vient pas de moi, mais à laquelle je donne mon assentiment, et qui peut réunir les opinions; elle consiste à approuver les mesures du roi et à ordonner, par le même décret, que dès demain, sur le rapport de qui il appartiendra, vous commencerez la discussion de la question constitutionnelle. M. E