[20 octobre 1T89.] 470 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. On réclame la continuation de l’ordre du jour, et la motion de M, de Clermont-Tonnerre est ajournée. M. Oémeunier répond aux objections faites sur le rapport du comité. M. de Montlosier, dit-il, a réprouvé l’expression de citoyens actifs et passifs. Cette distinction est reconnue dans tous les gouvernements. Le comité a expliqué qu’il entendait par citoyens passifs ceux qui n’ont pas les qualités d’éligibilité nécessaires; ceux qui ne peuvent exercer leurs droits, les femmes, les enfants, etc. Il a, par une contradiction manifeste, restreint lui-même le nombre des citoyens votants en excluant tout ce qui n’est pas chef de famille. Cette disposition serait évidemment injuste à l’égard des citoyens que leur fortune, leur position dti leur caractère déterminerait au célibat. M. Legrand. La majorité variera sans doute, et dans mon opinion particulière je crois qu’elle devrait être fixée à vingt et un ans. Le comité a seulement voulu que ceùx-là seuls fussent appelés à exercer les droits des autres, qui peuvent exercer les leurs. L’observation sur le domicile est prévue par un article qui établit qu’on ne peut exercer en deux endroits les droits de citoyen actif. Cet article accorde implicitement le choix du domicile. Le comité a cru devoir laisser incertaine la sixième disposition proposée. Lorsque la force civile et la force militaire seront réunies par la Constitution, il sera temps de s’en occuper. En Angleterre, on n’a pas réclamé la faculté de citoyens actifs pour les soldats. M. Le Pelletier de Saint-Fargeau représente les avantages que l’Assemblée trouverait à discuter séparément et successivement les qualités d’éligibilité. Cette motion est adoptée. M. de Beaumetz. La première qualité consiste à être né Français ou devenu Français. Cette dernière expression légitimerait les lettres de naturalité que vous n’avez sans doute pas intention de consërver ; elles ne donnent, en Angleterre, ni le droit d’élire, ni celui d’être élu. On doit se borner à dire : Il faut être né Français. M. Target. Si l’on adoptait cet avis, on exclurait les enfants nés hors de France, des Français qui reviendraient dans leur patrie avec leur famille. Devenu Français est nécessaire à conserver. 11 est juste que la nation se réserve d’honorer du nom de Français l’homme qui, venu parmi nous jouir de la liberté que nous nous efforçons d’établir, aurait bien mérité de sa patrie adoptive par son attachement et par ses services. Le comité n’a pas entendu consacrer les lettres de naiuralité, mais laisser à l’Assemblée le moyen de fixer telle ou telle formalité pour être naturalisé. M. de Bousmard. Etre Français pourrait tout exprimer et concilier tous les avis. L’Assemblée délibère, et décrète que la première qualité d’éligibilité est d'être né Français ou devenu Français. La séance est levée à quatre heures. Séance du mardi 20 octobre 1789, au soir. L’Assemblée nationale, précédée de ses huissiers, s’est, rendue, à six heures et demie, au château des Tuileries, conformément à son arrêté du matin, et a été introduite, en la manière accoutumée, dans l’appartement du Roi. M. le Président étant à sa tête a dit : « Sire, « L’Assemblée nationale a promis de s’unir inséparablement à Votre Majesté. Appelée près de vous par son amour, elle vient vous offrir l’hommage de son respect et de son immuable affection. 9 L’affection du peuple français pour son monarque semblait ne pouvoir s’accroître depuis ce jour mémorable, où sa voix vous proclama le restaurateur de la liberté : il lui restait, Sire, un titre plus touchant à vous donner, celui du meilleur ami de la nation. « Henri IV l’obtint des habitants d’une ville fameuse dans laquelle il avait passé une partie de sa jeunesse; et les monuments de l’histoire nous apprennent qu’il signait de ces mots, votre meil-lêur ami, les lettres qu’il leur écrivait avec une affabilité incomparable. (Lettres de Henri IV aux Rochelois.) « Ce titre, Sire, c’est la France entière qui vous le doit. On a vu Votre Majesté, ferme et tranquille au milieu des orages, prendre pour elle seule la chance de tous les hasards, essayer d’y soustraire, par sa présence et ses soins, ses peuples attendris. On vous à vu, Sire, renoncer à vos plaisirs, à vos délassements, à vos goûts, pour venir, au milieu d’une multitude inquiète, annoncer le retour des jours de la paix, pour faire renaître l'espoir du calme, resserrer les nœuds de la concorde et rallier les forces éparses de ce grand empire. « Qü’il nous est doux, Sire, de recueillir les bénédictions dont vous environne un peuple immense pour vbus en offrir l’honorable tribut! Nous y joignons l’assurance d’un zèle toujours plus actif pour le maintien des lois et la défense de votre autorité tutélaire. « Ces Sentiments sont une dette de notre reconnaissance envers Votre Majesté; ils peuvent seuls nous acquitter vis-à-vis de nos commettants, répondre à l’attente de l’Europe étonnée, et nous assurer les suffrages de la postérité. » Sa Majesté a répondu : « Je suis satisfait de l’attachement que vous m’exprimez; j’y comptais, et j’en reçois les témoignages avec une grande sensibilité. » Des acclamations répétées de; Vive le Roi! vive la Reine! ont confirmé l’expression des sentiments dont l’Assemblée venait, par l’organe de son président, d’offrir l’hommage à Sa Majesté; L’Assemblée s’est ensuite rendue chez la Reine; et ayant été introduite dans l’appartement de Sa Majesté, M. le Président a dit : « Madame, « Le premier désir de l’Assemblée nationale, à son arrivée dans la capitale, a été de présenter [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 octobre 1789.] 471 au Roi le tribut de son respect et de son amour. Elle n’a pu se défendre de céder à une occasion si naturelle de vous offrir ses sentiments et ses vœux. Recevez-les, Madame; permettez-moi de vous les exprimer tels que nous les formons, vifs, empressés et sincères. Ce serait, Madame, avec une véritable satisfaction, que l’Assemblée nationale contemplerait un moment dans vos bras ce" illustre enfant, que les habitants de la capitale vont désormais regarder comme leur citoyen, le rejeton de tant de princes tendrement chéris de leurs peuples, l’héritier de Louis IX, de Henri IV, de celui dont les vertus font la gloire de la France. Il ne jouira jamais, non plus que les auteurs de ses jours, d’autant de gloire et de prospérité que nous leur en souhaitons. » La Reine a répondu : « Je suis touchée au delà de toute expression des sentiments de l’Assemblée nationale. Si j’eusse été prévenue de son intention, je l’aurais reçue d’une manière plus digne d’elle. Voici mon fils. » La Reine a pris M. le Dauphin dans ses bras, et l’a porté dans les diverses parties du salon de jeu où était l’Assemblée. La réponse de la Reine a été suivie d’acclpma-tions réitérées de Vive la Reine ! vive M. le Dauphin! À son arrivée et à sa sortie, l’Assemblée nptio-nale a été conduite et reconduite avec les honneurs accoutumés. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. FRÉTEAU. Séance du mercredi 21 octobre 1789 (1). La séance a été ouverte par la lecture des procès-verbaux de la veille. M. le Président a fait part à l’Assemblée d’une lettre qu’il a reçue du comité d’Alençon, à l’occasion de l’affaire de M. le vicomte de Cara-man, et du détachement de Picardie. Cette lettre, contenant envoi d’une délibération du comité d’Alençon, et d’un cahier d’informations faites à l’occasion de cette affaire, est conçue en ces termes : « Nosseigneurs, « Nous avons déjà eu l’honneur de vous marquer que, par un événement malheureux, la milice nationale a été forcée d’arrêter M. le vicomte de Caraman et le détachement de Picardie, en garnison en cette ville ; mais l’arrêté que nous avons l’honneur de vous adresser ci-joint vous attestera suffisamment que notre but n’a jamais été de les juger. Nous nous sommes seulement crus obligés de rassembler les preuves et les documents nécessaires pour éclaircir la vérité d’un fait qui a aigri les esprits, mais qui, nous l’espérons, ne renouvellera pas parmi nous ces scènes d’horreur dont tout bon Français doit détourner les yeux. Nous n’avons épargné aucune précau-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. tion pour prévenir les effets funestes de l’effervescence, et nous continuerons d’y apporter tous nos soins. « Nous vous adressons une expédition de la procédure. Nous aurions désiré pouvoir vous présenter un tableau et un résultat de cette affaire { mais avant cherché tous les moyens d’en accélérer là fin, nous n’avons eu que le temps de faire copiera la hâte, cahier par cahier, pièce par pièce, tous les différents actes qui composent cette procédure. « Nous n’attendons que vos ordres pour savoir la manière de transférer M. de Caraman, et ceux qui sont détenus avec lui, au lieu que vous croirez convenable. Nous vous prions de nous tracer la marche que nous devons suivre, et les précautions que nous devons prendre pour concilier dans ce transport la décence avec la sûreté. « Nous sommes avec un profond respect, Nos� seigneurs , vos très-humbles et très-obéissants serviteurs. « Les membres du comité national d'Alençon , a Signé : ÛEMUR, président; BüSSON DÉ LORME, QüILHEÎ, secrétaires. * D’Aleqçon, 19 octobre 1789. » Lecture faite de ladite lettre, les membres du comité des recherches ont été avertis de s’assembler à l’heure de midi pour s’occuper de cette affaire, et on a passé ensuite à la lecture des adresses ci-après : Délibération de la ville de Moulins, pour assurer la perception des inipôts généralement quelconques, et maintenir la tranquillité publique. Mémoire du clergé de la province de Hainaut, contenant des réclamations contre la motion qui vient d’être faite à l’Assemblée nationale, pour la vente des biens ecclésiastiques. Ce mémoire est approuvé par les députés ordinaires des Etats du Hainaut, de Valenciennes et des autres parties y réunies. Adresse des officiers municipaux de la ville d’Avranches, contenant une délibération pour assurer l’exécution du décret de l’Assemblée nationale, du 26 septembre dernier, concernant les impositions. Ils la prient d’agréer cette délibération comme une preuve de leur respect et de leur dévouement. Délibération des citoyens de tous les états de la ville et communauté de Villeneuve-d’Agénois, par laquelle ils adhèrent, de la manière la plus formelle, au décret de l’Assemblée qui soumet tous les citoyens français à venir au secours de l’Etat en péril par le sacrifice du quart de leurs revenus annuel. Ils s’engagent solennellement à payer, dans le terme prescrit, cette imposition extraordinaire. Adresse de félicitations, remerciements et adhésion de la ville dePouilly-sur-Loire, qui demande une justice royale. Adresse du même genre de la ville de l’Argen-tière en Yivarais. Adresse du même genre de la commune de Baud en Bretagne. Adresse de la communauté de Saint-Sever en Gascogne, contenant félicitation, remerciements et adhésion aux arrêtés de l’Assemblée nationale, de la nuit du 4 au 5 août dernier, notamment à l’article 10, qui contient le sacrifice de tous les privilèges particuliers des provinces, et à l’ar-