164 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [il janvier 1790.] Le résultat des faits dont je vous ai rendu compte est facile à saisir. Nobles, gens d’église et parlementaires voulaient, comme les communes, une assemblée générale de la nation, tant qu’ils ont cru qu’elle pouvait servir à augmenter leur pouvoir aux dépens du gouvernement, et à river les fers de l’oppression sous laquelle gémissait le peuple. Le Roi a-t-il manifesté le désir de commander à des hommes libres? les ci-devant privilégiés ont réuni leurs efforts pour enlever ce bienfait au peuple de Bretagne. Les représentants de ce peuple ont porté ses réclamations au pied du trône; le Roi vous en a renvoyé le jugement. Les députés des communes de Bretagne sont venus avec confiance parmi vous ; ils se sont occupés avec vous de la réforme des abus qu’ils avaient à vous dénoncer ; et à peine avez-vous ordonné une disposition provisoire contre le parlement de Rennes, que la chambre des vacations s’élève contre cette disposition, invoque la conscience et l’honneur, les franchises et les privilèges de la province, et voudrait nous renvoyer faire prononcer sur nos réclamations devant des Etats qui ont refusé, non-seulement de nous rendre justice, mais même d’entendre les réclamations d’une évidence la plus frappante. Quoi, Messieurs, il ne pourrait être fait de changement dans l’ordre ancien de Bretagne sans le consentement des Etats de cette province? c’est ce que vous ont dit les magistrats de Rennes. Mais les ci-devant privilégiés étaient moins exigeants ; et lorsqu’ils avaient fait serment de ne souffrir aucun changement, ils avouaient qu’ils n’étaient pas juges des communes de Bretagne, et que les trois Ordres égaux en pouvoir , ne reconnaissaient d’autorité au-dessus d’eux que les règlements et la protection que leur doit l’autorité royale. Si, de l’aveu des ci-devant privilégiés, les premiers Ordres ne pouvaient être juges du troisième; si l’autorité royale était le recours commun ; si les communes de Bretagne l’ont implorée, et sont Tenues par ordre du Roi vous porter leurs réclamations ; si leurs députés ont suivi en cela le vœu de leurs commettants, n’est-il pas étrange que la chambre des vacations de Rennes ait tenu le langage que vous avez entendu? Vous ne croirez donc pas. Messieurs, que nous ayons dans nos cahiers des clauses qui eussent dû vous empêcher de prononcer sur le sort du parlement de Rennes; vous ne croirez pas qu’il al lût des Etats de Bretagne, légalement assemblés, c’est-à-dire dans la forme abusive contre aquelle nous avions jusqu’ici inutilement réclamé, pour autoriser la chambre des vacations à se soumettre à vos décrets sanctionnés par le Roi? Ce n’est pas la faute des communes de Bretagne, si les ci-devant privilégiés n’ont pas leurs députés dans cette Assemblée, s’ils se sont liés par un serment indiscret, et si leur indiscrétion nous a privés des lumières dont ils auraient pu nous aider. grand nombre d’autres adresses venues de cette province, qui expriment l’adhésion de ses habitants. Il n’y a peut-être pas une seule ville, un seul bourg considérable en Bretagne, qui n’ait signalé, par divers actes, son entière adhésion. On sait aussi qu’ils ont partout formé des milices nationales au moment où on eut des inquiétudes sur le sort de l’Assemblée, et cette adhésion de fait prouve leur désir de voir établir la nouvelle constitution. \ Leur absence n’ayant aucun motif raisonnable, et ayant été convoqués comme nous, la province entière doit être censée complètement représentée, et rien ne peut nous priver de l’espoir que le Roi nous donnait par ses lettres de convocation, de concener ici les moyens les plus propres h assurer pour toujours le bonheur et la tranquillité de la province. Tout nous fait espérer, Messieurs, que nous atteindrons à ce but, et que la Bretagne, en abandonnant quelques anciens usages pour partager avec la France les fruits heureux de la liberté, n’aura qu’à s’applaudir des travaux de cette Assemblée. On ne parlera plus de nos privilèges et de nos franchises, que pour faire voir qu'ils étaient bien peu de chose en comparaison des droits dont la nation entière a recouvré l’exercice. La Bretagne ne craindra pas de partager des impôts qui auront été jugés nécessaires dans l’Assemblée générale de la nation, et ordonnés pour les besoins communs (1); elle se soumettra sans peine à des lois faites pour le bonheur de toute la France, et à la formation desquelles elle aura concouru; enfin, elle adoptera avec empressement une administration choisie par ses représentants, et par ceux de la France entière, comme la plus propre à maintenir les droits et la liberté des citoyens. Par là, les communes de Bretagne verront leurs réclamations décidées, et jamais elles n’auraient consenti à en faire juges des privilégiés qui n’avaient pas seulement voulu les entendre. Jamais opinion ne fut donc plus fausse que celle des magistrats de Rennes, qui ont cru ne pouvoir enregistrer sans le consentement des Etats. Les conséquences d’une pareille opinion sont si sensibles, qu’elles n’ont pas besoin de vous être présentées. Vous voyez, Messieurs, que toujours dépendantes des deux Ordres p ri vm ô dans l’oppression, les communes n’auraient jamais l’espérance d’en sortir. Les magistrats de Rennes pouvaient-ils donc croire de leur devoir de retenir les com munes de Bretagne dans de pareils fers ? . . C’est là, Messieurs, ce que peuvent produire les préjugés et l’intérêt. Les magistrats de Rennes, tous nobles bretons, partagent évidemment les sentiments des autres nobles de cette province. Je laisse à votre sagesse le choix des moyens de les convaincre les uns et les autres de la nécessité de reconnaître pour loi la volonté générale, et de se soumettre aux décrets que vous avez prononcés et que le Roi a sanctionnés. Plusieurs voix demandent la clôture de la discussion. M. Lanjuinais. Je m’oppose à la clôture de la discussion et je demande à établir des vérités décisives qui n’ont pab encore été indiquées. J’offre de prouver : 1° Que la province et les Etats de Bretagne ont toujours reconnu, depuis l’union de 1532, les décisions des Etats généraux du royaume approuvées par le Roi ; (1) ün cherche à faire craindre aux Bretons le doublement de leurs impôts, et les ci-devant privilégiés. accréditent ces fausses insinuations, afin d’exciter le peuple contre une révolution désormais assurée, et dont le premier bienfait est de les obliger à payer comme les autres citoyens. Nous devons croire, d’après les hommes les plus habiles en finances et d’après les réformes faites ou projetées, que la masse des contributions des provinces ne sera pas augmentée. [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 janvier 17b0.] 2° Que le parlement de Bretagne a toujours reconnu et invoqué l’autorité des Etats généraux de la France; 3» Que cette cour a toujours méconnu et contesté le droit dés Etats généraux de Bretagne, par rapport à la législation, jusqu’au 8 janvier dernier, et qu’il a fallu qu’elle fût amenée â la barre de l’Assemblée nationale pour l’en faire convenir. M. le comte de Sérent. Messieurs, les magistrats de Bretagne, on vous l’a dit, étaient dans l’impuissance d’enregistrer, et le zèle avec lequel ils ont obéi au décret qui les mande â la barre est une preuve de leur respect pour l’Assemblée nationale. M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre (I). Messieurs, les opinions que vous avez entendues me paraissent avoir jeté beaucoup de jour sur une affaire qni, par elle-même, semblait ne laisser aucun doute, ni sur la nature du délit, ni sur la nécessité de le réprimer. Je rougirais de chercher à rendre odieux des hommes qui ont vu leur conscience dans leurs préjugés, et qui, en méconnaissant vos décrets, ont certainement cru ne suivre que la loi impérieuse du devoir. Je ne demanderai cependant pas une place dans l’histoire, pour des magistrats courageux, il est vrai, mais qui sont égarés par une erreur que je crois funeste. Je me bornerai à examiner, en peu de mots, la nature des torts de la chambre des vacations, et les motifs dont elle s’est servie pour se justifier. Passant ensuite au parti qu’il convient de prendre, je rappellerai les décrets cités par quelques-uns des préopinants, je dirai ce qu’ils m’ont paru de défectueux, et je proposerai le projet auquel je me suis arrêté après de longues réflexions. Les torts de ces magistrats sont manifestes ; ils ne cherchent point à dissimuler. Leur délit est grave, il consiste dans une désobéissance formelle à la loi prononcée par vous et dont l’exécution a été ordonnée par le Roi. C’est donc à la plénitude du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif que s’est opposée la chambre des vacations. La loi lui ordonnait de continuer ou de reprendre ses fonctions; elle l’a refusé : le Roi lui ordonnait de transcrire la loi sur ses registres ; elle l’a refusé. Sans doute, il a fallu de puissants motifs pour porter à cet excès des magistrats respectables et vertueux, car, jé me plais à le répéter après un député de Bretagne, les mains de ces magistrats sont pures, leur réputation est intacte, et c’est une consolation pour moi, d’avoir à leur rendre justice au moment où ma qualité de représentant de la nation me force à condamner leur coupable résistance. On les a défendus de deux manières; par des moyens de formes, et par des motifs tirés de la position politique de la Bretagne. La plupart des préopinants me. paraissent avoir victorieusement rempli les moyens de forme : je me hâte de venir à des motifs plus sérieux. La province de Bretagne n’est devenue le patrimoine de nos rois que par une convention écrite ; dans cette convention, le souverain des Bretons, a stipulé pour eux certains droits, certaines prérogatives, certaines franchises, qui formaient ce (1) Le discours de M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre n'a pas été inséré au Moniteur. 00 qu’on appelait leur constitution, c’est-à-dire, leur manière d’être. Le contrat est obligatoire dans les deux parties; son maintien est confié à deux corps, les Etats et le parlement. Le premier est détruit ou suspendu de fait; mais du moment où le second existe, il doit remplir ses devoirs ; et ses devoirs sont de réclamer le rétablissement de son coopérateur, et, dans tous les cas, de s’opposer de toute sa force aux atteintes que l’on voudrait porter à la constitution dont la défense lui est confiée. Tel est, Messieurs, le système de la chambre des vacations du parlement de Rennes; raisonnant dans ce système, elle a prouvé, ses défenseurs ont prouvé, et l’existence du contrat, et l’obligation qu’il lui impose. On a prouvé que cette doctrine était, il y a six mois, celle de la Bretagne, celle des avocats de Rennes, celle de trois membres de l’Assemblée dont on a rappelé les signatures. Je ne contesterai rien, je conviendrai de tous ces faits ; j’avouerai, si l’on veut, que le système est inattaquable daus ses détails, mais je soutiens, mais je soutiendrai toujours, qu’il repose sur une base fausse. Ce n’est pas dans le cercle étroit qu’a tracé la chambre des vacations qu’il faut se placer pour raisonner avec justesse sur les véritables droits de la Bretagne. — Le contrat qui liait Anne de Bretagne et Louis XII, et ceux que l’on a cités dans le cours des opinions, sont, sans doute, des titres moins respectables que la déclaration des droits qui consacre cette éternelle vérité que tous les pouvoirs viennent du peuple, qu’il ne peut perdre ni aliéner cette plénitude de souveraineté dont il confie l’exercice en en séparant les fonctions. C’est une frêle palissade qui a dû nécessairement être abandonnée, lorsque s’esbélevé le rempart inexpugnable qui défend aujourd’hui les droits du peuple breton. La loi qui l’attachait à ses anciens ducs était elle-même subordonnée à ces principes, alors méconnus, mais éternels comme la vérité. Ce qu’Anne de Bretagne possédait de plus que les attributions légitimes de la monarchie, était une usurpation qu'elle n'a pu ni conserver ni céder par un contrat. Anne de Bretagne ne pouvait pas dire : Je vous confie le droit de substituer en Bretagne à la volonté générale la volonté de deux classes privilégiées de quarante-cinq citoyens sans mission, la volonté d’un tribunal qui ne peut ni ne doit être législateur. Voilà ce qu’Anne de Bretagne ne pouvait pas dire : voilà ce que Louis XII ne pouvait pas accepter, et les Bretons sont éternellement recevables à réclamer contre cette absurde transaction. Mais les Bretons l’ont défendue, ils en ont spécialement ordonné l’exécution : cela est vrai, et cela ne prouve rien. Je supplie qu’on me permette une comparaison: qu’un prisonnier ait obtenu ce qu’on appelait anciennement la liberté de la cour ; qu’une circonstance quelconque s’oppose à ce qu’il en jouisse ; il réclamera sans doute cette liberté qu’on lui avait accordée, il la réclamera avec force, avec persévérance, mais qu’une autre circonstance amène le terme de sa captivité, pourra-t-on argumenter contre lui de cette réclamation de situation? pourra-t-on lui dire avec justice: Vous êtes non recevable à demander votre liberté totale, parce que vous vous êtes borné à demander la liberté de la cou. ? Cette comparaison répondrait à tout ce que l’on aurait pu dire pour prouver que la Bretagne, qui préférait son régime à