[28 mai 1789.] 53 [Etats généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. M. de Brézé s’étant retiré, l’on continue la délibération. . Plusieurs membres observent qu’il sera plus convenable de s’occuper de laréponse à faire au Roi. . Cette réclamation n’a pas de succès. M. le doc d’Orléans proteste contre la délibération. , M. le comte deCrillon, député de la noblesse du bailliage de Beauvais . proteste dans les termes Suivants (1) : « Je déclare que je suis dans la plus ferme opinion que c’est bien moins pour maintenir que pour établir la constitution que nous sommes tous appelés, et comme le veto me paraît essentiellement contraire à la liberté d’action nécessaire pour créer un ordre de choses qui amène la prospérité nationale, et pour abolir les abus de tout genre, sous lesquels la nation gémit depuis tant de siècles, je demande acte que je me suis opposé, autant qu’il était en moi, à la sanction du veto pour la tenue actuelle des Etats généraux, que je regarde comme régénérateurs bien plus jjue comme conservateurs. | « Mon mandat, conforme à ma raison et au gentiment de ma conscience, me prescrit de demander que, lorsque les ordres différent d’opinion sur une question importante, les ordres se réunissent et opinent par tête. Jesuppliela Chambre de permettre que ma déclaration soit annexée au procès-verbal. » Une députation du clergé se présente. M. de I�a Rochefoncault-Bayers, évêque de Saintes, porte la parole et dit : Le clergé vient de recevoir une lettre du Roi et il suspend toute délibération jusqu’à l’issue des conférences proposées par Sa Majesté. M. le Président. La Chambre est disposée à envoyer ses commissaires. La séance est levée. COMMUNES. Quelques dispositions d’ordre occupent les premiers moments de l’Assemblée. On ordonne qu’il sera élevé des barrières pour séparer le grand nombre des visiteurs et laisser l’intérieur de la salle libre aux députés. On avertit aussi les galeries de ne donner à la fin des opinions aucun signe tumultueux d’applaudissement ou d’improbation. Les communes attendaient avec empressement la réponse du clergé, lorsqu’une députation de cet ordreest arrivée. Elleannonceque la Chambre du clergé, étant occupée à suivre le cours des discussions sur la proposition faite hier par les jcommunes, avait reçu une lettre du Roi par laquelle Sa Majesté témoignait le désir que les commissaires concilialeurs des trois ordres reprissent leurs conférences demain à six heures de l’après-dîner, devant M. le garde des sceaux et quelques autres commissaires du Roi; que le clergé s’é-! tait empressé de témoigner à Sa Majesté son désir de seconder ses vues, et avait sursis à toute délibération. Peu d’instants après, une lettre du Roi est ap-(1) La protestation de M. le comte de Crillon n’a pas été insérée au Moniteur. portée par le grand-maître des cérémonies. Elle est ouverte et sans adresse. M. de Brézé, qui en est porteur, dit que tel est l’usage quand la Chambre n’est pas constituée. Voici sa teneur: « J’ai été informé que les difficultés qui s’étaient élevées relativement à la vérification des pouvoirs des membres de l’Assemblée des Etats généraux subsistaient encore malgré les soins des commissaires choisis par les trois ordres, pour chercher des moyens de conciliation sur cet objet. « Je n’ai pu voir sans peine, et même sans inquiétude, l’Assemblée nationale que j’ai convoquée pour s’occuper avec moi de larégénération démon royaume, livrée à une inaction qui, si elle se prolongeait, ferait évanouir les espérances que j’ai conçues pour le bonheur de mon peuple et pour la prospérité de l’Etat. « Dans ces circonstances, je désire que les commissaires conciliateurs déjà choisis par les trois ordres reprennent leurs conférences demain à six heures dusoir, et, pour cette occasion, eii présence de mon garde des sceaux et des commissaires que je réunirai à lui, afin d’être informé particulièrement des ouvertures de conciliation qui seront faites, et de pouvoir contribuer directement à une harmonie si désirable et si instante. « Je charge celui qui, dans cet instant, remplit les fonctions de président du tiers-état, de faire connaître mes intentions à la Chambre. » Signé : Louis. Versailles, le 28 mai 1789. La lettre du Roi devient l'objet de la délibération. M. Malouet. Attendu la nature et l’importance de l’objetsoumis à la discussion, je demande que l’on délibère en secret, et qu’on fasse retirer les étrangers. M. deVoIney. Des étrangers! en est-il parmi nous? L’honneur que vous avez reçu d’eux lorsqu’ils vousontnommésdéputés vousfait-il oublier qu’ils sont vos frères et vos concitoyens ? N’ont-ils pas le plus grand intérêt à avoir les yeux fixés sur vous? Oubliez-vous que vous n’êtes que leurs représentants, leurs fondés de pouvoirs ? Et prétendez-vous vous soustraire à leurs regards, lorsque vous leur devez un compte de toutes vos démarches, de toutes vos pensées ? Je ne puis estimer quiconque cherche à se dérober dans les ténèbres; le grand jour est fait pour éclairer la vérité, et je me fais gloire de penser comme ce philosophe qui disait que toutes ses actions n’avaient jamais rien rien de secret et qu’il voudrait que sa maison fût de verre. Nous sommes dans les conjonctures les plus difficiles ; que nos concitoyens nous environnent de toutes parLs, qu’ils nous pressent, que leur présence nous inspire et nous anime. Elle n’ajoutera rien au courage de l’homme qui aime sa patrie et qui veut la servir; mais elle fera rougir le perfide ou le lâche que le séjour de la cour ou la pusillanimité auraient déjà pu corrompre. La demande de M. Malouet n’a pas de suite. La discussion est reprise sur la lettre du Roi. La première proposition qui est faite est qu’on s’empresse d’y accéder, en étendant même les pouvoirs des commissaires et en leur enjoignant de traiter à la fois ces deux objets: la vérification des pou- 56 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [États généraux.) [29 mai 1789.] voirs en commun et la délibération par tête ou par ordre. Cette motion n’est pas adoptée. ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du vendredi 29 mai 1789. NOBLESSE (1). Il s’élève de grandsdébats pour savoir de quelle manière on députera vers le Roi. Les députés seront-ils choisis à tour de rôle ou par gouvernement? Ces graves discussions terminées, la députation se rend au château où elle est reçue à midi ar Sa Majesté, environnée de tous ses ministres. a députation rapporte la réponse suivante faite par le Roi : « Je recevrai toujours avec bonté les témoignages de respect et de reconnaissance de la noblesse de mon royaume; j’attends de son attachement et de son zèle qu’elle saisisse avec empressement tous les moyens propres à assurer une conciliation que je désire. C’est en maintenant l’harmonie que les Etats généraux pourront acquérir l’activité nécessaire pour opérer le bonheur général. » M. le comte de Lally-Tollendal, députe de la ville de Paris, fait la motion suivante (2) : Messieurs, il y a un an que la France appelle les Etats généraux ; c’est son unique espoir, sa seule ressource ; sa perte ou son salut en dépendent. 11 y a vingt jours que les représentants nommés par la nation pour former les Etats généraux sont réunis dans le même lieu, et il n’y a point d’Etats généraux 1 Un seul ordre est constitué; il s’est constitué lui-même; il l’a fait déclarer aux deux autres ordres. Non-seulement ces deux derniers ne sont pas constitués, mais un d’eux nie que le premier le soit, soutient que les trois ordres ne peuvent être constitués qu’ensemble, et que la vérification des pouvoirs de tous les députés ne doit se faire qu’en commun, On invoque pour la vérilication séparée un usage constant. On allègue pour la vérification en commun des raisons frappantes. Parmi ces raisons, voici sans contredit la plus forte. Tous les représentants de la nation quels qu’ils soient, sont comptables l’un à l’autre de la légitimité de leurs pouvoirs; s’il s’élève une difficulté à cet égard, il faut qu’elle soit jugée. Autrefois, lorsque le droit des nations était méconnu, ou mis en oubli, on rendait compte des vérifications au Conseil qui jugeait les contestations par arrêts, et comme les trois ordres trouvaient bon de se soumettre à ces arrêts, ce garant leur suffisait pour se reconnaître l’un l’autre suffisamment constitués. Aujourd’hui qu’il n’est plus permis d’ignorer que chaque membre des Etats généraux pris individuellement est sujet; mais que les Etats généraux, collectivement, forment (1) La séance du 29 mai de la Chambre de la noblesse est incomplète au Moniteur. (2) Le discours de M. de Lally-Tollendai n’a pas été inséré au Moniteur. une partie intégrante de la souveraineté, on ne voudra certainement pas qu’un procès né dans l’Assemblée de la nation soit tranché par un arrêt 1 du Conseil : elle seule peut et doit le juger. Mais comme ce titre d’Assemblée de la nation, comme la portion de souveraineté qui lui est inhérente, appartiennent au corps entier et non à tel ou tel ordre de ceux qui le composent, il en résulte que les trois ordres, sans la réunion desquels il n’y a point d’Etats généraux, doivent juger et par conséquent vérifier en commun* Cet argument paraîtsans réplique ; mais les adversaires de la vérification commune viennent tout à coup lui en opposer un autre. D’abord ils citent une exception aux Etats qui se sont soumis aux arrêts du Conseil, et ils soutiennent que ceux de 1588 n’ont jamais voulu y consentir. Us disent ensuite: que l’on vérifie en commun; qu’il s’élève une seule contestation et voilà nécessairement la délibération par tête introduite ; or, quelle que soit notre opinion individuelle sur cet objet,' nous avons fait serment de maintenir la délibération par ordre. J’avoue que, d’abord, cet argument paraît admettre encore moins de réplique que le premier; et je conçois que ceux, à qui il n’était pas permis de consentir à la délibération par tête, aient pu croire dans le premier moment qu’il ne leur était pas permis davantage de consentir à la vérification en commnn. Voilà donc le point de la difficulté ; c’est par là seulement que la vérification commune ou séparée a pu acquérir tant d’importance, mais aussi c’est par là qu’elle en a acquis une telle, que l’existence des Etats généraux , l’établissement delà constitution et le salut de l’empire peuvent en dépendre. Qu’on ne dise pas que celte difficulté est décidée par l’arrêté de la Chambre; qu’il n’y a plus à y revenir. Elle a été hier l’objet de la lettre du Roi ; elle va être celui de la conférence que la Chambre a acceptée pour ce soir, elle est encore la cause de l’inexistence des Etats généraux. Ne pourrait-on pas, avant d’atlaquer de front cette difficulté, chercher encore à la détourner? Ne pourrait-on pas dire qu’un excès de délicatesse honorable mais périlleux a entraîné au delà des justes bornes ceux qui se sont crus obligés à rejeter la vérification en commun par le même serment qui les oblige à rejeter l’opinion par tête; que la première ne préjuge en rien la seconde ; que l’intention de nos commettants n’a pu évidemment porter que sur nos délibérations, quand nous serons constitués ; et que surtout la première de leurs intentions a été qu’il y eût des Etats généraux? Au bailliage de Dourdans j’ai vu prescrire impérativement l’opinion par ordre et les pouvoirs avaient été vérifiés en commun. Dans l’Assemblée de Paris, intra-muros , les pouvoirs ont été vérifiés en commun et personne n’est plus astreint que nous à défendre l’opinion par ordre, i puisque, quand même la pluralité déciderait le j contraire, nous devons rester dans la minorité et , en demander acte. Si ce premier point était une fois reconnu, s’il était bien décidé qu’il n’y a rien de commun entre la vérification avant d5être constitués et la délibération après l’avoir été , où serait donc le danger que chaque ordre se vérifiât d’abord dans son intérieur, comme a fait la noblesse, qu’en-suite les trois autres se rendissent compte mutuellement de leurs vérifications particulières, des difficultés élevées, des jugements portés, et qu’ils les ratifiassent par l’eutreniise de leurs