SÉANCE DU 29 BRUMAIRE AN III (19 NOVEMBRE 1794) - N08 19-20 395 19 Les membres composant le conseil général de la commune d’Avignon [Vaucluse] offrent à la Convention l’hommage de leur reconnoissance sur son Adresse au peuple français, sur l’énergie qu’elle a déployée et sur le retour de la justice et de l’humanité ; ils l’invitent à rester à son poste et ils se félicitent d’avoir possédé les représentons du peuple Goupilleau [de Montaigu] et Perrin, dont ils demandent la conservation pour tarir entièrement la source de leurs maux, parce qu’ils n’ont eu que le temps d’y mettre le premier appareil. Renvoyé au comité de Sûreté générale (72). 20 Deux commissaires de la section de la Cité [Paris] sont admis à la barre : ils demandent des secours pour la citoyenne Dufour, de cette même section, dont le mari est employé en qualité de conducteur dans les charrois de l’armée de la Moselle et mère de trois petits enfans qui sont dans la misère. Renvoyé au comité des Secours publics (73). Une députation de la section de la Cité est admise à la barre. Le citoyen Girard, portant la parole : Citoyens représentants, le malheur a toujours sur vos âmes les droits les plus sacrés ; il suffit de faire entendre ici les gémissements de sa voix pour que cette enceinte en répète et proclame, avec autant de douleur que de force, les accents douloureux. Une jeune citoyenne, appelée Dufour, a présenté décadi dernier, à l’assemblée de la section de la Cité, sa triste et douloureuse situation. Elle a été entendue avec le plus tendre intérêt et le plus touchant attendrissement ; mais cette assemblée n’ayant ni moyens, ni ressources conformes et suffisants, elle a nommé deux commissaires, un de ses secrétaires et moi, pour porter dans votre sein son impuissance et ses voeux. Cette citoyenne, mère de trois petits enfants, vivait du métier de blanchisseuse en fin ; mais, soit l’exil des uns, soit la mort des autres, soit la misère et le dépouillement de ceux-là, soit encore la cherté et la disette des aliments et des substances nécessaires à son état, elle se trouve sans état, sans d’autres ouvrages que ceux que peut lui procurer sa section, et vous savez que cette espèce d’occupation ne donne que par intervalle, n’est nullement journalière, et, fut-elle habituelle, qu’elle ne peut procurer à une ouvrière, encore faut-il qu’elle soit seule et sans enfants, qu’à grand’peine les premières nécessités de la vie. (72) P.-V., XLEX, 279. (73) P.-V., XLIX, 279. Son mari est employé dans les charrois des armées de la Moselle, en qualité de conducteur en chef; mais, n’en ayant eu aucune nouvelle depuis deux ans, loin de trouver dans un époux chéri et un tendre père, pour elle et ses enfants, des ressources et des consolations, elle n’en éprouve, par l’incertitude de son existence, qu’une inquiétude et qu’un tourment qui aggravent ses besoins et empoisonnent encore sa peine et sa douleur. La loi semble ne lui rien accorder. Vos décrets sur les secours ne font qu’atteindre et considérer les femmes, les mères des défenseurs de la patrie ; du moins votre comité des Secours n’a pas cru devoir les étendre plus loin. Mais, s’il m’est permis de prendre l’esprit plutôt que la lettre de vos décrets, pourquoi votre juste et généreuse bienveillance eût-elle excepté de ces dispositions les conducteurs, ne les eût-elle pas élevés aux mêmes avantages que les défenseurs? Un conducteur, me tromperais-je ? un conducteur n’est-il pas également l’homme de la nation? ne court-il point de dangers? n’a-t-il jamais à combattre? Celui qui consacre les veilles, les jours, son repos et sa vie, pour alimenter et nourrir les besoins des défenseurs de la patrie, n’en serait-il pas lui-même le défenseur? l’ennemi ne le dévore-t-il pas comme sa proie? n’est-il pas plus avide de rapines que de guerre et de combats? de plonger son fer dans le sein de ceux qui veulent garantir et sauver, lui disputer nos munitions et nos convois, que dans le sein même des citoyens qui n’ont qu’à militer et à combattre? D’ailleurs n’est-il pas dans tous vos cœurs, n’est-il pas de la dignité des représentants du peuple, de saisir tous les détails, d’embrasser toutes les infortunes, de secourir tous les malheurs, de porter dans les coeurs flétris et déchirés la consolation, la douceur et la vie? Aussi je vous demande aujourd’hui, au nom de la section de la Cité, augustes et sacrés représentants du peuple français, de descendre sur tous les besoins de cette triste victime de l’infortune, de la malheureuse femme, je devrais dire peut-être de la malheureuse veuve de ce conducteur de nos armées; d’écouter aussi les larmes et les cris des trois tristes fruits de son amour conjugal comme de son amour pour la patrie; d’embrasser dans vos regards la classe entière de tant d’autres mères de cette ville, qui sont dans la même position et les mêmes besoins ; de décréter, en un mot, que vous appelez aux mêmes secours les femmes des conducteurs que celles des défenseurs. Si leur sang, le sang de ces mères éplorées, était utile au salut de la République ou au salut de ses mandataires, elles vous l’offrent volontiers. Hélas, c’est tout ce qu’elles possèdent la plupart, et c’est peut-être aussi tout ce qu’il leur reste à donner à leurs enfants, n’ayant plus de lait pour les alimenter et les nourrir. Vive la République, vive la Convention. Cette pétition est renvoyée au comité des Secours (74). (74) Moniteur, XXII, 546-547. F. de la Rép., n° 60, mention.