0Q3 [Assemblée nationale.] roüt reçus, et prêteront serment devant les juges, avant cl etre admis à l’exercice de leurs fonctions. Art. 6. Additionnel. « Les juges de paix seront tenus, avant de commencer leurs fonctions, de prêter le même serment que les juges de district, devant le conseil général de la commune, et en présence de la commune assistante du lieu de son domicile. » M. le Président. M. Thouret, rapporteur , a la parole pour développer les principes qui ont dirigé le comité de Constitution dans la rédaction des articles du titre VII, intitulé : DU iVUNiSTÈRE PUBLIC. (Un profond silence s'établit.) M. Thouret, rapporteur (1). Messieurs, depuis que vous avez décrété, d’une part, que c’est au peuple de nommer les juges, et qu’ils doivent être temporaires ; et, d’autre part, que c’est au roi de nommer les officiers du ministère public, et qu’ils doivent être à vie, le comité s’est vu forcé à méditer plus attentivement sur la constitution particulière qu’il convient, d’après ces nouvelles bases, de donner au ministère public. Vous n’avez pas, sans doute, entendu déroger au principe fondamental sur lequel la Constitution générale du royaume est établie. Ce principe est que le peuple élise les fonctionnaires publics, auxquels il confie tous les pouvoirs qu’il peut dé' léguer directement : il n’y a d’exception qu’à l’égard de la magistrature suprême de l’Etat, que la nation a conférée béréditairement. A côté de ce principe, vous en avez consacré un autre, qui est que toutes les fois que le peuple délègue pat-élection, sa délégation n’est que temporaire. Quant aux diverses agences dans l’ordre du pouvoir exécutif, c’est le roi qui y nomme, et qui peut le faire à vie. La conséquence indubitable qui sort de là, est que les officiers du ministère public étant nommés à vie par le roi, sont ainsi constitués agents du pouvoir exécutif dans l’ordre judiciaire; car c’est à ce titre seul qu’ils peuvent avoir été soustraits à l’élection populaire et à la mission .temporaire. En remettant leur nomination au roi, vous avez marqué l’influence dont il jouira dans l’administration de la justice. Ces agents de la couronne ne doivent point porter le nom de procureurs du roi ; car le roi , considéré comme chef du pouvoir exécutif, ne doit point paraître devant les tribunaux dans l’état d’une partie qui plaide; mais en qualité de premier magistrat il doit avoir auprès des tribunaux des commissaires pour veiller, en son nom, à l’observation des lois, et assurer l’exécution des jugements. Analysons maintenant les fonctions du ministère public, qui, d’après sa constitution actuelle, ne peuvent plus être que celles qui dépendent essentiellement du pouvoir exécutif. Le comité en a remarqué trois qu’il lui a paru nécessaire de définir, et de fixer avec exactitude. Premièrement, le roi, comme chef du pouvoir exécutif, doit maintenir, dans l’exercice de la justice, toutes les lois qui intéressent l’ordre général ; et, comme il vaut* mieux prévenir les infractions qui pourraient être faites à ces lois, que de les réprimer par la cassation des jugements, après qu’elles sont commises, il est sage que toutes les fois que les tribunaux ont à prononcer (1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire du dis� cours de M. Thouret. [4 août 1 790.) sur l’application des lois générales, les commissaires du roi soient entendus pour le maintien de ces lois, dont l’exécution lui est confiée. Secondement, le roi, comme chef du pouvoir exécutif, doit faire exécuter les jugements, parce que c’est de cette exécution que dépend celle des lois mêmes sur lesquelles les jugements sontfon-dés. Ses commissaires doivent poursuivre, per-sonnellementetd’office, l’exécution des jugements qui intéressent directement l’ordre public. Quant aux jugements qui ne touchent qu’à l’intérêt privé des parties, les commissaires du roi, lorsqu’ils seront requis, devront en assurer aussi l’exécution par toutes les voies de droit, et même en provoquant le secours de la force armée, si son intervention devient nécessaire. Cette fonction de faire exécuter les jugements convient mieux aux commissaires du roi, comme agents du pouvoir exécutif, qu’aux juges; car ceux-ci ont rempli leur office lorsqu’ils ont jugé. Le jugement, une fois rendu, est remis sous la protection de la force publique, dont il est bon que les juges ne soient pas les ministres ni les promoteurs : on conserve mieux ainsi la dém rcation des pouvoirs; on prévient aussi la pa-lialité dont les juges ne se défendent pas toujours, lorsqu’il s’agit des intérêts de leur autorité mé :unn;,e. Troisièmement, le roi, comme chef du pouvoir exécutif et de la police générale, doit veiller sur la conduite des juges, et réprimer, par voie d’avertissement et de salutaires réprimandes, des écarts qui, n’ayant pas encore le caractère de la prévarication ou de la forfaiture, pourraient y conduire par la suite, ou du moins altérer, dans l’opinion publique, la confiance et le respect pour la justice. Celte surveillance indispensable ne peut plus être exercée que par l’entremise et sur les insu actions des commissaires du roi, puisqu’il iTexuie p us ni hiérarchie, ni supériorité déterminée eu lie les tribunaux. Il est une autre fonction, celle d’accus 'our public, que les procureurs du roi exerçaient, que l’habitude pourrait faire regarder comme essentielle au ministère public, et dont la délégation mérite l’attention la plus sérieuse depuis que le ministère public, au lieu d’être un ministère populaire, est devenu une agence du pouvoir exécutif. Je m’arrête ici pour répondre au sophisme qui m’attend. On pourra dire que V Assemblée a dé?- légué au roi le ministère public , que l'accusation en a toujours fait partie , et a été exercée par des officiers appelés gens du roi , ou ses procureurs; qu 'ainsi la question n est plus entière. Je réponds: 1° que quand l’Assemblée a décidé que le peuple élirait les juges, elle n’entendit alors décider que cela, et non la latitude des fonctions. et de l’auiorité qui seraient confiées aux juges : elle s’en est occupée depuis. De même quand elle a décidé que le roi nommeiaitie ministère public, elle n’a pas entendu décider quelle serait la latitude des fonctions et de l’autorité du ministère public. Tous les détails d’une Constitution ne se font pas à la fois; il faut donc réduire strictement chaque décret partiel à son objet spécial, et ne pas supposer décidé ou préjugé ce qui n’a été ni éclairci, ni médité, ni même soumis au débat. Or, je demande si, en accordant au roi la nomination du ministère public, on a discuté ce qu’il convenait que ce ministère fût dans la Constitution actuelle, ce qu’il doit être, étant établi ministériel et à vie , auprès des juges électifs et temporaires ; si, enfin, on a entendu que cette importante partie des pouvoirs publics échapperait seule àla révision ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 août 1790-1 [Assemblée nationale.] et à la reconstitution dontl’organisation générale a subi la loi. Disons donc que le ministère public a été délégué, mais qu’il n’a pas encore été constitué, et que sa délégation au roi ne fait que rendre l’intérêt de sa constitution plus pressant. Je réponds : 2° que si la fonction d’accuser a fait, dans ces derniers temps, partie du ministère public, et a été exercée par les gens du roi , cette écorce ne doit pas nous dérober la substance de notre objet, et qu’il est facile de reconnaître l’illusion de cette fausse apparence. Les rois ont établi le ministère pubiicque nousavons reconnu ; ce sont eux qui ont déterminé ses fonctions, et qui en ont qualifié les officiers à leur gré, puisqu’ils les créaient par leurs édits, et les instituaient par leurs provisions. Les rois alors, seuls représentants de la nation, exerçaient tous les droits et tous les pouvoirs nationaux confusément avec ceux délégués à la royauté; mais ils étaient peu soigneux de rechercher la source et de conserver la distinction de ces pouvoirs. Voilà pourquoi, dans la précédente constitution du ministère public, comme dans tant d’autres établissements de l’ancien régime, il se trouve un mélangé de fonctions vraiment nationales avec celles qui dérivent du pouvoir exécutif. D’un autre côté, tout étant réputé procéder du roi, ces officiers qu’il créait, et qu’il instituait, étaient appelés officiers du roi. La chancellerie donnait l'épithète de royal à tout ce qui était obligé de prendre son attache; et les juges eux-mêmes étaient qualifiés officiers royaux, juges royaux. Maintenant que le jour de la séparation des pouvoirs est arrivé, vous remontez aux principes pour départir les fonctions suivant leur nature, et pour le plus grand bien public; parce que ni la confusion qui en a été faite, ni les styles de la chancellerie, ni les qualifications qui en sont résultées par habitude, n’ont pas pu changer l’essence invariable des choses. Je recueille ici les résu hais qui me paraissent dès à piésent constants : l°vous avez délégué au roi le mini.-tère public, mais sous la réserve nécessaire de l’approprier à la Constitution ; 2° vous l’avez délégué comme agence du pouvoir exécutif; il ne doit donc rester composé dans le partage constitutionnel des fonctions, que de celles qui appartiennent exclusivement au pouvoir exécutif; 3° de ce que l’accusation a fait partie de l’ancien ministère public, la conséquence n’est pas nécessairement qu’elle doive devenir, dans notre organisation nouvelle, une attribution du pouvoir exécutif. J’entre maintenant sans obstacle au fond de la discussion-.j’examine ce que l’accusation publique est par sa nature, et je n’hésite pas à prononcer qu’elle est une fonction populaire. C’est le corps social qui est principalement blessé par l’impunité des crimes; c’est lui que leur poursuite et leur punition intéressent; cest pour sa sûreté, plus que pour la satisfaction des individus lésés, que les peines afflictives sont établies ; car que fait aux malheureuses victimes de l’assassinat ou du vol, le supplice de l’assassin ou du voleur insolvable? C’est par cette raison, c’est encore parce que les plus grands crimes sont ceux qui attaquent l’existence du corps politique, que la nation doit se charger d’office du châtiment des coupables. C’est enfin par ce pressant intérêt que tous les peuples, qui n’ont pas connu la sublime institution d’un accusateur public, ont rangé l’accusation criminelle au nombre des actions populaires. L’accusation publique, sauvegarde de la liberté contre l’abus des magistratures, et contre les complots des factieux, était chez le3 4" Série. T. XVII. 609 anciens peuples libres, un droit de chaque citown » Voyez les lois grecques, romaines, et ce qu’â dit un républicain, à la fois magistrat, orateur, publiciste et philosophe, Cicéron : Accusatores multos esse in civitate utile est. Cependant, l’accusation populaire a de grands inconvénients. Quand tout le monde est chargé de veiller, il arrive un moment où personne ne veille; et quand chacun peut accuser, l’esprit de parti, les préventions vulgaires, les préjugés et les ressentiments individuels peuvent trop aisément troubler la tranquillité publique, sous le prétexte de l’assurer. Conservons donc le sa«e établissement d’un officier public chargé d’accuser. Mais si l’accusation publique, au lieu de rester une aciion populaire, devient la commission d’un officier, peut-il rester douteux que cet officier est l’homme du peuple, préposé pour l’intérêt de la nation à l’exercice de ses droits? Il doit donc être un des fonctionnaires élus et nommés par le peuple; car sa fonction est une de celles que le peuple a spécialement intérêt de ne confier qu’à des hommes dont il soit sûr, et qu’aucun intérêt différent du sien ne puisse écarter de l’exacte observation de leur devoir. Je sais qu’on pourra dire le pouvoir exécutif est dans sa source le pouvoir de la nation, que c'est elle qui Va délégué pour son avantage, qu'elle ne doit pas se défier de sa propre institution, et que le roi peut aussi bien exercer V accusation publique à l'avantage du peuple , que les autres fonctions de la royauté. Je réponds qu’il est vrai que tous tes pouvoirs publics sont ceux de la nation, que tous lui sont avantageux dans l’esprit et dans l’objet de leur institution, et que cependant il existe, par la nature même des choses, une distinction très essentielle à maintenir entre les attributions que la nation peut utilement faire au pouvoir exécutif, et celles qu’elle a spécialement intérêt de se réserver pour les exercer plus directement par ses délégués électifs. Si le premier principe est que le peuple ne doit confier que les fonctions qu’il ne peut pas remplir lui-même, la seconde maxime est que, dans l’exercice de ses délégations, il ne doit pas abandonner à son représentant héréditaire, ce qu’il peut confier aux représentants de son choix. Le premier n’agit qu’en subdéléguant; et le pouvoir national subdé-legué par le roi devient aisément, dans l’opinion trompée par ce circuit, pouvoir royal. D’ailleurs, dans une monarchie, le pouvoir exécutif résidant aux mains d’un seul a toujours un intérêt, une tendance et des moyens qui peuvent devenir funestes aux droits et à la liberté de tous. Tenons-nous donc attachés au principe de la démarcation sévère des fonctions entre le pouvoir exécutif et les représentants électifs du peuple : en l’appliquant à l’accusation publique, nous reconnaîtrons d’abord, par la nature de cette fonction, qu’elle ne peut pas être une attribution constitutionnelle de la couronne. Cette vérité acquiert une nouvelle force par l’inconvenance et le danger de confier au gouvernement la verge de l’accusation publique. Ceux qui n’y apercevraient pas un des ressorts les plus énergiques pour le maintien ou le renversement de la Constitution, s’en feraient une fausse idée : c’est par elle que les lois pénales reçoivent leur activité, et sans elle la force publique des tribunaux demeure paralysée. Cette arme est d’autant plus redoutable que par elle on peut nuire doublement; c’est-à-dire autant en ne s’en servant pas, qu’en l’employant 39 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [4 août 1790. J 610 à mauvais dessein. Son inaction contre les complots antipatriotiques serait le plus sûr moyen de les favoriser, de les encourager et de les amener jusqu’à la possibilité du succès, comme son activité dirigée contre les bons citoyens pourrait, en beaucoup d’occasions, inquiéter leur patriotisme, attiédir leur zèle et déconcerter leurs plus utiles démarches. Rien n’est à négliger, soit pour sauver dans les circonstances actuelles, la Constitution, soit pour rendre, dans l’avenir, sa stabilité imperturbable. C’est donc pour le présent, et c’est encore pour tous les temps, qu’il faut nous assurer du bon usage de l’accusation publique. Si, de son importance dans l’ordre politique, nous passons à ses effets moraux, l’intérêt redouble. C’est principalement par l’influence de l’accusation publique, que le pouvoir judiciaire agit si profondément sur le caractère et sur les mœurs des peuples. Rien ne dégrade, n’avilit et ne dispose à la servitude comme la crainte: vous cherchez en vain à fonder une Constitution libérale, si vous y laissez subsister un seul élément qui puisse alarmer et décourager les citoyens, Veillez donc à ne déposer le terrible pouvoir d’accuser, que dans des mains qui ne puissent jamais devenir suspectes. Aussitôt que le peuple en pourra craindre l’abus, il perdra, avec la confiance et la sécurité, cette énergie sans laquelle il ne peut ni aimer ni défendre la liberté. Me dira-t-on que f exagère l’influence politique et morale de V accusateur public , puisque le jugement ne dépendra pas de lui, mais des jurés et des juges qui vont être nommés par le peuple? Je réponds qu’il reste toujours a l’accusateur public un pouvoir indépendant des tribunaux, qui suffit pour exciter toute votre sollicitude. Ce pouvoir est celui de dissimuler les connaissances qui lui parviennent, de ne pas accuser, ou d’accuser trop tard, et de favoriser par là le succès du crime, on du moins l’évasion et i’impunilé des coupables. Ce pouvoir est encore, mais dans le sens contraire, celui de multiplier les accusations contre les défenseurs de la liberté. Je sais qu’en ce cas son influence est moindre, parce qu’il n’est pas le maître de la condamnation; mais il l’est toujours de l’accusation et de ses premières suites. Or, ces premiers coups qu’il porte sont déjà tellement fâcheux pour ceux qui en sont atteints, que la crainte de s’y exposer détruira, dans le plus grand nombre, les progrès du civisme et la conscience de la liberté. Ce serait donc voir trop superficiellement dans une matière aussi grave, que de traiter avec indifférence la délégation très importante de l’accusation publique. Que pouvez-vous attendre, et que n’avez-vous pas à craindre, si vous la remettez aux commissaires du roi? Vous consentiriez donc à en abandonner l’exercice au gouvernement; car le peuple ne sera rien, et le gouvernement sera tout pour les commissaires royaux. Exclus rigoureusement de toutes les fonctions nationales des municipalités et des corps administratifs, n’ayant rien reçu et ne pouvant rien recevoir du peuple, la reconnaissance et l’intérêt les attacheront exclusivement au ministre qui les aura placés, et au gouvernement dont ils attendront des récompenses et de L’avancement. Ces places d’ailleurs seules à la disposition du ministre, doutez-vous qu’elles deviendront successivement la proie de ses favoris, et des protèges de ses parents, de ses amis et des courtisans en crédit? Ne prévoyez pas ainsi une époque à laquelle l’accusation publique se trouverait, dans tout le royaume, livrée à la merci de ces créatures de la faveur ministérielle, qui n’obéiront qu’à l’impulsion du gouvernement, et le serviront également, soit en accusant, soit en n’accusant pas, selon ses vues? Supposez maintenant, à quelque temps que ce soit, un ministère mal disposé pour la liberté publique, et aidé par des circonstances favorables aux entreprises antipatriotiques : croyez-vous que des accusateurs publics, dévoués à ce ministère, inclineraient, veilleraient, influeraient, agiraient pour le maintien de la Constitution? Les complots qui leur seraient dénoncés seraient-ils poursuivis, ou le seraient-ils à temps? Les Sa - vardin d’alors qui s’évaderaient, seraient-ils repris parleurs soins? Les mouvements populaires, qu’autoriserait la résistance à l’oppression, ne seraient-ils pas traversés? Votre comité, dont la fonction est de veiller à la concordance des principes et des vues dans toutes les parties de la Constitution, vous devait, Messieurs, ces observations sur la nature et les effets de l’accusation publique : il en a conclu qu’il serait d’abord inconstitutionnel par la nature de cette fonction, et, de plus, dangereux par la gravité de son influence politique et morale de la confier au pouvoir exécutif. Cherchant ensuite dans le nombre des fonctionaires nommés par le peuple à qui elle peut être plus convenablement déléguée, il s’est arrêté, par l’analogie des fonctions, par l’exemple de notre droit français ancien, et par celui de la pratique d’un peuple voisin, à vous proposer un des juges de chaque tribunal. C’est par-là que, fidèles au principe, vous éviterez d’engouffrer dans le pouvoir exécutif une fonction toute populaire par sa nature. Vous éviterez aussi de mettre à la disposition du gouvernement un des plus puissants moyens par lesquels la liberté peut être défendue ou opprimée. Vous décréterez un mode dont l’exécution est facile; car chaque tribunal étant composé de cinq juges, et pouvant toujours juger à quatre, il est sans inconvénient d’en occuper un à l’exercice de l’accusation publique; ce qui ne l’exclura pas encore de prendre part aux jugements civils. Il n’y a aucun inconvénient à ce que l’un des juges soit accusateur : les deux fonctions se rapprochent, soit par la conformité des connaissances qu’elles exigent, soit par l’identité de l’objet auquel elles correspondent, qui est le maintien de la sûreté publique par l’exécution des lois pénales, Ce que le comité propose n’est point sans exemple. Lorsque la justice, par les pairs, avait lieu eu France, les baillis royaux étaient chargés de l’accusation et de la poursuite. En Angleterre, où les jurés prononcent sur le crime, un juge peut accuser et poursuivre : nous avons aussi les jurés, et notre position devient la même. Enfin, dans nos «sages plus récents, quand les procureurs du roi ne voulaient pas accuser, les tribunaux pratiquaient, ou de nommer un des juges pour le suppléer, ou d’informer et de diriger eux-mêmes l’instruction sous le nom des procureurs du roi, quoiqu’ils n’y donnassent pas d’adhésion. Le principe était donc que le juge, au défaut du procureur du roi, trouvait, dans sa qualité de juge, le caractère et l’aptitude nécessaires pour accuser. Il faudrait maintenir encore cet usage, si le ministère public restait accusateur, puisqu’il fournit le seul moyen praticable de remédier à son inaction. Mais pourquoi 0 'arriverions-nous pas tout de suite au véritable but, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 août 1790.] plutôt que de conserver ce circuit dangereux pendant lequel les complots peuvent réussir, les preuves être soustraites, ou les coupables s’évader? Il n’y a qu’une seule objection spécieuse d’abord, mais qui ne soutient pas l’examen y on pourra dire que les juges, étant temporaires, n auront pas, autant que les commissaires du roi permanents , l’indépendance et la fermeté nécessaires à V accusateur public. Prenez garde, Messieurs, que vous vous trouviez ici entre deux écueils. D’une part, les commissaires du roi ont pour eux d’être à vie, mais ils ont contre eux d’être des instruments ministériels. D’autre part, les juges ont contre eux au premier coup d’œil de n’être qu’à temps; mais ils ont pour eux d’être les élus et les délégués directs du peuple. Ainsi, si ces derniers manquent d’une des qualités désirables, les premiers manquent de l’autre, qui est la plus essentielle. Balancez maintenant les résultats d< s deux partis qui s’offrent : l’un, celui d’investir les commissaires royaux de l’accusation, est contre le principe; il est d’ailleurs dangereux pour la Constitution : l’autre est dans le principe, et entièrement favorable à la Constitution. Or, le principe et la Constitution sont des avantages publics si précieux, qu’aucune autre considération ne peut être mise en balance. Quand, d’ailleurs, pourriez-vous craindre que les juges constitués accusateurs manquassent de fermeté et d’énergie pour accuser? Ce ne sera pas, sans doute, quand il s’agira de la cause populaire et des intérêts de la liberté; ils auront alors pour aiguillon et pour appui l’opinion et la protection publique, la faveur, la reconnaissance et le secours de tous les bons citoyens. Croyez donc qu’ils seront très actifs, précisément où il est à craindre que des agents ministériels ne le lussent pas. Est-ce dans la poursuite des crimes privés que vous soupçonnez leur fermeté, lorsque les coupables seront des hommes en crédit? Vous n’êtes pas à l’abri de la même inquiétude dans l’autre hypothèse ; et n’avez-vous pas de plus le danger dès recommandations ministérielles? Quel serait le remède enfin contre les commissaires du roi, qui, par quelque raison que ce soit, refuseraient d’accuser? Celui, sans doute, de se plaindre aux tribunaux, soit pour leur faire enjoindre d’agir, soit pour les faire suppléer d’of-lice?Ce moyen est le même contre celui des juges, chargé de la fonction d’accuser, qui refuserait à tort de la remplir. On pourrait même acquérir une plus grande sûreté; car les dénonciations faites à l’officier du ministère public seul peuvent être celées ; au lieu qu’en établissant un des juges accusateur, on peut faire faire les dénonciations dans un registre du tribunal; registre secret pour le public, et commun pour les juges seulement : tous alors connaîtraient les crimes dénoncés et veilleraient à l'exactitude de leur poursuite. Pesez, Messieurs, les considérations très graves que cette matière, qui jusqu’à présent n’avait pas été approfondie, offre à vos méditations; et il me parait impossible que vous n’adoptiez pas la proposition du comité. (Ce discours est vivement applaudi par une partie de la salle. On en demande l’impression. Elle est ordonnée.) M. Dufraisse-Dwchey. Je ne veux pas entrer aujourd’hui dans la discussion du fond du discours peut-être insidieux (pie vous venez den-611 tendre ; mais comme il Blesse directement les principes de la monarchie, je demande l’ajournement. M. Chabroud. Avant de savoir ce que l’on fera des fonctions d’accusateur public, il faut d’abord discuter s’il y a lieu ou non à délibérer sur ce qui est proposé par M. Thouret. Vous avez déjà décrété que les officiers du ministère public seront nommés par le roi. Le comité de Constitution ne ratifie pas votre décret. H semble même qu’il allonge, aujourd’hui, dans l’éclaircissement qui vient d’être présenté, les fonctions des officiers publics, afin que votre attention détournée ne se porte pas sur ce qui vous intéresse réellement dans ce moment. Je suis étonné que l’on vienne ouvrir une discussion rétrograde lorsqu’un décret déjà rendu devrait être une loi sacrée pour le comité. Si l’on ôtait aujourd’hui aux officiers nommés par le roi les fonctions d’accusateurs publics, ils ne retiendraient plus que le nom, la chose leur ayant échappée. Je crois donc la question préalable nécessaire. Cependant, je me réserve, pour le cas où elle ne serait point admise, de démontrer que le projet du comité est contraire aux principes constitutionnels du royaume et qu’il ne tendrait qu’à peupler cet empire de malfaiteurs impunis, auxquels on ne pourrait opposer aucune borne. Le ministère public n’est point en France une institution nouvelle : elle était autrefois exercée par des procureurs auprès des cours que l’on nommait souveraines, par leurs substituts dans les cours-inférieures et par les procureurs des seigneurs dans les juridictions seigneuriales. Les fonctions de ces officiers publics consistaient à poursuivre les crimes après les avoir dénoncés : sous ce rapport, il serait infiniment dangereux de laisser ce droit à tous les citoyens. Je pourrais vous citer Montesquieu qui, parlant de la faculté qu’avait chaque citoyen romain d’en accuser un autre qui avait çoinmis un crime, dit que nous ayons à cet égard une loi admirable. L’action duministère publics’estsuccessivemen' étendue à toutes les causes qui intéressent l’ordre public, à fa défense des communautés, à celle des mineurs, parce qu’il importait que les communautés ne fussent pas dépouillées et que les mineurs ne restassent pas sans défense : tout cela est un complément de l’institutinn du ministère public. Si je me reporte maintenant à la date du 8 mai, où le décret qui attribue au roi la nomination des officiers publics, a été rendu, je remarque que ces officiers, soit qu’ils dussent être nommés par le roi ou par le peuple, avaient toujours les mêmes fonctions et qu’on ne demanda point quelles seraient ces fonctions. Il est si vrai que telle était votre idée, que vous auriez sans doute aboli ces fonctions, si vous aviez pensé alors comme le comité pense maintenant, puisqu’il ne vous propose pas autre chose que l’abolition. Le projet du comité est une contravention au décret du 8 mai ; aussi je conclus à ce que les officiers nommés parle roi remplissent les fonctions du ministère public, ou bien à ce que le procès-verbal du 8 mai soit apporté ici, afin d’en effacer le décret qu’il contient. M. Thonret. L’unique moyen du préopinant consiste à dire que tout ce qui concerne le ministère public se trouve dans le décret du 8 mai, tandis que ce décret ne lecontient pas précisément. Ce serait, en effet, un grand vice, si des décrets