[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |23 avril 1791.) du royaume, et que lecture eu sera faite par les curés, dans toutes les églises paroissiales, à l’issue de la messe du prône.) La plus grande partie du côté droit ne prend pas parta la délibération. M. l’abbéColauddeLaSalcette. Jedemantle que ceux qui n’ont pas pris part à la délibération ne puissent pas être de la députation. M. d’Aremberg de La Marck. Je pense qu’il serait très à propos de faire adresser par le ministre de la guerre, à chaque régiment de l’armée, la même lettre que vous faites envoyer aux départements. M. Prieur. Je demande la même chose pour le ministre de la marine. M. Gaulticr-Biauzat. L’amendement que je propose à cette motion est fondé sur le reproche qui a été fait quelquefois que l’on ne communiquait pas aux soldats ce qui était envoyé aux chefs. Je demande qu’il soit décrété qu’il en sera fait lecture à la tête de chaque corps. M. Moreau. Il est inconstitutionnel de faire de l’armée un corps séparé; ce n’est point un corps délibérant. Elle connaîtra la lettre du roi comme tous les autres citoyens. M. Dubois-Crancé. J’appuie la motion de M. d’Aremberg : l’intention au roi est bien manifeste ; il ne peut y avoir que d’exécrables citoyens qui puissent aujourd’hui douter que la Constitution française fera le bonheur du roi et celui du peuple. �Messieurs, l’exemple du régiment de Beauvoisis est malheureusement trop fâcheux, et peut avoir une grande influence sur l’opinion d’un grand nombre d’officiers qui n’ont pas cru jusqu’à présent manquer à leur conscience et manquer à leur roi, en résistant aux vrais principes de la Constitution française. Je demande donc que le ministre, non seulement fasse passer à l'armée la lettre du roi, telle qu’elle doit être envoyée dans toutes les cours étrangères ; mais elle doit encore être plus authentiquement manifestée à tous les corps quelconques' de la France, particulièrementaux corps armés qui feront cesser à l’instant toutes les inquiétudes du peuple, et ramèneront la paix au cœur du roi. ( Applaudissements .) Je demande que tous les officiers et tous les soldats de l’armée témoignent leur adhésion complète à la Constitution, et envoient leur acte d’adhésion. (Murmures .) (L’Assemblée ferme la discussion et décrète que la lettre de M. de Montmorin sera envoyée à tous les corps d’armée de terre et de mer pour être lue à la tête de chaque corps.) Un membre : Messieurs, voici ma proposition. C’est de faire comprendre les colonies dans le décret que vous voulez rendre. (Cette motion est décrétée.) En conséquence, le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu la lecture de la lettre par laquelle le roi ordonne aux ambassadeurs dans les cours étrangères, de notifier aux puissances, près desquelles ils résident, la Constitution décrétée par les représentants de la nation française et acceptée par lui, et dans laquelle lettre le roi rappelle les senti-315 ments qu’il n’a jamais cessé de manifester pour la Constitution qu’il a solennellement juré de maintenir, a arrêté : « 1° Qu’il serait nommé une députation pour porter au roi l’expression des sentiments de l’Assemblée ; « 2° Que cette lettre serait insérée dans le procès-verbal, qu’elle serait imprimée et envoyée dans tous les départements du royaume; « 3° Que la lecture en serait faite par les curés dans toutes les églises paroissiales, à l’issue de la messe du prône; « 4° Elle charge le ministre de la guerre de l’envoyer à tous les corps d’armée de terre et de mer, ainsi qu’aux colonies, pour être lue et publiée à la tête de chaque corps. » Un de MM. les secrétaires : Voici les noms des membres de l’Assemblée composant la députation qui doit se readre auprès du roi : Ce sont MM. M. Emmery, ex-président , le remplace. (La députation quitte la salle des séances.) M. le Président. L’ordre du jour est un rapport des comités féodal, des domaines et d'agriculture et de commerce, sur le cours des fleuves et rivières, les lies et alluvions, et la pêche. M. Arnoult, au nom des comités féodal , des domaines d'agriculture et de commerce (1). Messieurs tous les anciens peuples avaient respecté la liberté de l’air et des eaux ; aucun n’avait imaginé que ce qui est nécessaire à tous pût devenir la propriété d’un seul. 11 était réservé à la féodalité de briser ce premier lien des communions sociales : est-il éton-(1) Co document n’est pas inséré au Moniteur. 316 lAssemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES, 123 avril 1791.] riant qu’une institution qui condamna la nation entière à l’esclavage, ait permis d’asservir les éléments ? On sait qu’en usurrant la puissance publique, les grands vassaux s’emparèrent des fleuves navigables : le glaive de la justice cont ils étaient armés autorisa cette entreprise dont les suites ne sont que trop connues. Les usurpateurs ne se contentèrent pas de s’approprier exclusivement la pèche des fleuves, ils vendirent au commerce la l'acuité d’employer le cours des eaux, au transport de ses effets; ils privèrent l’agriculture des avantages de l’irrigation; le lit desfleuves, les îles qu’ils renferment, les atterrissements, lesalluvions, lesmarais formés sur leurs bords, la glèbe même couverte par les inondations devinrent leur domaine; ils rançonnèrent les malheureux cultivateurs dépouillés par les eaux, pour leur laisser reprendre leur ancienne propriété, ou pour leur permettre de dessécher les marais qui portaient la peste dans leurs habitations et la stérilité dans leurs champs. A l’exemple des grands vassaux, les seigneurs particuliers, comptant les petites rivières au nombre de leurs possessions, en disposèrent comme de la glèbe. Quel fut leur titre? Celui de leurs maîtres; ils tenaient d’eux le droit d’exercer héréditairement la justice et l’administration, ils en usèrent comme eux : aussi vit-on bientôt l'agriculture désolée, ramenant ses troupeaux des prairies frappées de stérilité, ou détournant ses charrues des marais qui ne tardèrent pas à couvrir les plus fertiles guérets : le ciel même n’eut plus le droit de dispenser librement ses douces influences, il fut défendu d’employer gratuitement le secours des eaux pluviales; tout fut taxé jusqu’à l’air dont l’industrie humaine n’obtint la faculté de diriger le mouvement qu’en s’assujettissant à d’odieuses redevances. Une longue série d’événements apporta quelques changements à cette inconcevable barbarie, mais sans en adoucir les sinistres effets. Les grands fiefs furent successivement réunis dans la main du chef de la nation; mais la liberté publique ne gagna rien à cet échange, les mêmes droits ont continué d’exister sous le nom de domanialité, et leur exploitation, loin de prendre un caractère plus doux était devenue plus rigoureuse encore dans la main de la finance. Quant aux droits attaches aux seigneuries particulières, ils se sont maintenus jusqu’à cette grande époque où la France, sortant tout à coup d’un sommeil de 10 siècb s, a brise en s’éveillant les fers dont elle avait été garrottée pendant sa longue léthargie. Tel est, Messieurs, l’état où se trouvait cette grande partie de l'ordre public au moment de la Révolution. Sans doute il était juste de rendre aux éléments la liberté que. vous veniez de reprendre punr vous-mêmes. Vous nous avez confié la mission honorable, man difficile, de trier dans les décombres de la féodalité les propriétés oui devaient être respectées. La nécessité de purger les fleuves et les rivières ues déniais de l’édifice monstrueux que vous veniez d’abattre, entrait nécessairement dan-le plan de ce erand travail. iSous avons employé tous nos efforts pour répondre à votre confiance; mais, nous ('sons le dire, cette portion de notre tâche n’a pas été la moins laborieuse. En jetant un premier coup o’œil sur la matière importante des fleuves et desrivièies, no;. s avons vu que partout lu propriété exclusse et privée avait pris la place de la communion générale prescrite par l’ordre immuable de la nature. Je viens de dire que les grands vassaux, confondant le cours des eaux avec la glèbe, et l’administration avec la propriété, en avaient disposé aux mêmes titres. J’ai ajouté qu’après eux les administrateurs du domaine royal n’avaient été ni moins avides, ni plus sages. Notre travail ne nous a offert que trop de preuves de ces tristes vérités. Ce n’était pas assez d’établir, à titre d’impôt, des droits de bac, de pontonage, de halage, de long et travers, de traite dessus et dessous; d’in-venterune foule de dénominations aussi barbares que funestes-, d’obstruer la navigation par des constructions d’usines, pard�s barrages, par tous les genres possibles de servitudes et d’exactions; d’interdire l’irrigation des prairies; de s’opposer aux premiers besoins de l’humanité; de s’arroger le droit inconcevable d’inonder les cultures et les habitations, il fallait encore transmettre cette odieuse prérogative, et en infecter le commerce des propriétés. Les seigneurs justiciers avaient en effet transféré ce privilège barbare par tous les moyens que les lois autorisaient alors; concessions à titre de fiefs, baux à cens, baux à rentes foncières, ventes pures et simples, dons, échanges, engagements, toutes les transactions en un mot qui, depuis l’origine des sociétés, font circuler les propriétés entre les citoyens, ont été employées par la tyrannie féodale pour consolider son usurpation; elle en avait même imaginé de nouvelles pour la propager plus rapidement. Fallait-il anéantir d’un seul mot tant de contrats solennels? Fallait-il, en abrogeant la création d’une propriété tyrannique, priver des effets d’une longue possession ou d’un contrat alors autorisé, une foule immense de citoyens dont la fortune entière repose sur la confiance que l’institution féodale avait usurpée? Cette première considération n’a point échappé à vos trois comités; mais se ralliant aux principes constitutionnels que vous avez posés, Messieurs, la solution de ce problème intéressant a cessé de leur paraître embarrassante. En supprimant le régime féodal, vous avez, dans cette antique institution, sagement distingué deux parties dont elle avait été composée : la première était l’aliénation delà puissance publique, conférée par nos rois à leurs feudataires, et devenue héréditaire dans leurs mains; la seconde était la propriété de la glèbe concédée au fonctionnaire public pour prix des services que le prince se promettait de son zèle et de sa fidélité. L’autorité nationale était inaliénable, puisqu’elle ne peut être la propriété exclusive d’aucun individu quel qu'il soit; vous l’avez révoquée, parce que la possession de la puissance publique ne peut être héréditaire, eùi-elle été acquise à prix d’argent ; mais vous avez laissé aux ci-devant seigneurs la jouissance des biens dont le droit public autorise la possession privée, parce que leur antique alienation n’avait pas blessé les principes de l’ordre social. Ainsi, Messieurs, vous avez heureusement concilié le droit sacré de la propriété civile avec un autre droit non moins sacré, non moins inviolable, celui de la pronriété nationale. Ce principe est le flambeau qui nous a guidés. Dans la matière soumise à ■ otre examen, nous avons aussi distingué ce que les seigneurs justiciers ne possédaient qu’à titre d’administration et de supériorité, de ce qui pouvait être l’objet d’une propriété civile et individuelle. Nous avons pensé que ce qui était nécessaire aux (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, |23 avril 1791.) 317 besoins de tous n’avait jamais été valablement concédé à titre héréditaire, parce que les seigneurs de fiefs n’ont jamais pu le posséder valablement à ce titre; nous avons cru que ce que la puissance dont ils étaient revêtus leur avait permis de convertir en propriété exclusive, n’était qu’une usurpation illicite qui devait disparaître avec le titre qui l’avait autorisée; mais les biens, dont la possession individuelle est permise à chaque citoyen, nous ont paru devoir être respectés. Nous vous proposerons donc, dans l’ordre de notre travail, de rendre à la nation ce que réclament pour elle les droits de la nature et la constitution d’un peuple libre; mais nous vous proposerons aussi de ne pas dépouiller les ci-devant seigneurs de ce qui peut être l’objet d’une jouissance personnelle et isolée : si le principe de leur propriété n’a pas été toujours pur, une possession de plusieurs siècles a purifié le vice de son origine. Les jurisconsultes avaient divisé la matière des eaux en deux branches principales : les fleuves navigables et les petites rivières. Nous u’avous pas cru devoir nous assujettir à cet ordre, prescrit plutôt par les règles que la féodalité avait introduites, que parla marche naturelle des idées. Nous avons suivi le cours des eaux depuis leur source jusqu’à leur reunion à la masse de leur élément. Nous avons considéré leur destination naturelle, et l’usage que l’industrie humaine en a fait. Nous avons consulte les droits des hommes et des animaux, les besoins de l'agriculture, le service du commerce, les secours dûs aux arts, et nous avons eu soin de concilier lous ces grands intérêts avec un intérêt plus grand, plus impérieux, celui de la liberté. En parcourant la surface des rivières, nous ne pouvions manquer de nous occuper des terres qu’elles entourent, de celles qu’elles détachent des rivages, de celles qu’elles reproduisent, de leurs incursions sur le continent da sol qu’elles occupent et qu’elles abandonnent tour à tour; en un mot, de cette importante partie de notre légis-la i ion relative aux îles, aux atterrissements, aux alluvions, aux mortes, aux relaissées, aux marais des fleuves. C’est là surtout que nous avons trouvé l’empire de la domanialité établi d’après ies maximes de la fiscalité la plus odieuse. Nous aurons l’honneur de vous proposer à cet égard des règles pi us conformes aux principes que vous ave*, consacrés. La pêche a été le dernier objet de notre examen. Nous ne nous sommes pas contentés d’examiner ci-point intéres-ant d’après les principes de la liberté naturelle, nons avons cru devoir étudier aussi le meilleur usage que l’on peut faire de ce genre ne bien. A la discussion de droit public, nui se présentait en premier ordre, nous avons fait succéder l’examen de quelques questions agricoles et économiques dont nons avons pensé que le résultat devait vous être offert. Notre travail a donc été divisé en trois parties, qui chacune forment un titre séparé dans le projet de décret que nous avons l’honneur de vous apporter ; le cours des fleuves et des rivières occupe le premier; le second a pour objet les lies, alluvions, atterrissements, mortes et relaissées; la pèche forme la matière du dernier. Je vais, Messieurs, vous présenter sommairement les raisons principales qui, sur chacun de ces objets, ont déterminé nos résolutions. Du cours des fleuves et rivières. Puisque le cours des fleuves et des rivières est indispensablement nécessaire à tous les hommes, il e t de la plus haute évidence que les fleuves et les rivières ne peuvent être la propriété exclusive de personne. Nous avons cru devoir consacrer cette première maxime par une déclaration solennelle. Le développement de ce principe devait assurer toutes les conséquences qui servent de base aux règles que nous allons vous proposer. Vous concevez, Messieurs, que ces conséquence-ne peuvent s’appliquer également et avec la même précision à tous les cours d’eaux, aux petites rivières comme aux grands fleuves’; elles doivent donc semoditier sur les differents usages auxquels la nature elle-même paraît avoir destiné les eaux qu’elle a répandues sur la surface du globe. Cette considération ne pouvait échapper à vos comités : vous trouverez dans la série de nos propositions, les distinctions qu’elle devait produire. Je commence par suivre les réflexions relatives au service des fleuves navigables. De ce que le cours des fleuves appartient en commun à tous ies citoyens d’un même empire, il suit nécessairement que la nation seule a le droit d’en régler le service et l’usage. Il est donc évident aussi que personne ne peut ni s’approprier les eaux des fleuves, soit en les obstruant par des constructions, soit en les énervant par des dérivations et des barrages, soit en les occupant par des usines ou d’autres édifices. Il est d’une égale évidence que, la navigation étant l’objet le plus naturel du service des fleuves, le législateur doit proscrire avec soin tout ce qui peut gêner cette grande et importante destination. Enfin, puisque la police des fleuves appartient à la nation et ne peut appartenir qu’à elle, il est incontestable qu’à la nation seule appartient aussi le droit d’en taxer le service et l’usage, si ce genre de contribution lui paraît compatible avec l’intérêt du commerce et la liberté des citoyens. Le désir d’assurer au cours des fleuves la plus grande activité, persuade à plusieurs citoyens que l’établissement des forges, des moulins, de toutes les usines sans exception, en doit être sévè-remeut écarté. En effet, disent-ils, si rien n’est plus nuisible à la navigation que la présence de ces divers obstacles, rien aussi n’est plus dangereux pour L s propriétés riveraines. En accélérant le mouvement d’une grande masse d’eau, le pro-I priétaire de l’usine a bientôt détruit le fonds contre lequel ce mouvement est dirigé. D’un I autre côté, la partie du fleuve que les vannes de ; l’usine tiennent eu stagnation, se charge de dépôts qui en peu d’années opèrent des changements fuuestes à la navigation; rendez aux cours d’eaux leur liberté naturelle, et vous évitez ces deux inconvénients. Vos comités n’ont pu se dissimuler la vérité de cette observation que les lois romaines avaient érigée en principe. Mais ils ont pensé que l’iutérêt du commerce et surtout celui des subsistances locales, pouvaient s'opposer à lu proscription absolue que l’on vous demande. Ils vous proposent donc de ne toiérer ces constructions dange-l reuses que dans les cas d’une nécessité bien i démontrée, de réserver au Corps législatif le I droit de prononcer sur cette nécessité, et de près- 318 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1791.J [Assemblée nationale.] crire lui-même les conditions auxquelles sera assujettie la licence qu’il accordera. En vous déterminant sur cet article, vous préjugerez, Messieurs, le sort des usines actuellement existantes. Si vous vous décidez à nejjper-mettre à l’avenir cette espèce de construction que sur les motifs d’une indispensable nécessité, vous ne laisserez pas subsister les usines qui, dénuées de cet appui, réuniraient le double inconvénient de détruire les propriétés riveraines, et de gêner le service de la navigation; vos comités vous proposeront les règles qui leur ont paru propres à corriger l’un et l’autre abus. Mais vous ne poserez point ces règles sans vous décider sur une question assez importante, celle de savoir si les propriétaires des usines supprimées recevront quelque indemnité. La décision de cette question nous a paru dépendre de deux points, l’un de droit et l’autre de fait; la nature de la propriété transmise au possesseur de l’usine, le caractère de son titre. Le cours des neuves étant indispensablement nécessaire au service de la société, toute aliénation contraire à cet important objet est essentiellement abusive et nulle : voilà le principe; le concessionnaire, quel qu’il soit, n’a pu le méconnaître, ni par conséquent acquérir légitimement ce qu’il ne pouvait posséder. Le titre primitif de l’aliénation des fleuves ne pouvait être, et n’a jamais été qu’un simple droit de police et d’administration. Que le propriétaire féodal ait lui-même construit des usines sur les fleuves, dont il devait maintenir la liberté; ou qu’il ait aliéné le droit d’en établir, il a, dans l’un et l’autre cas, abusé de son titre ; car ce qu’il ne pouvait faire lui-même sans abus u’a pu, sans abus, être fait en son nom. De là, la conséquence nécessaire que la nation ne doit aucune indemnité, ni au seigneur féodal, ni à son représentant. A plus forte raison celui qui aurait usurpé le cours d’un fleuve à titre de simple possession allodiale, n’a-t-il rien à prétendre; on ne prescrit pas ce qui ne peut être l’objet d’une propriété exclusive. Mais l’ancien gouvernement peut avoir fait de semblables concessions, soità titre d’engagement, soit à titre d’échange; dépouillerions-nous, sans indemnité, ces derniers concessionnaires, d’un droit acquis, à titre onéreux, du chel'de la nation, stipulant en son nom et pour elle? Vos comités ont pense que les règles de la justice distributive, auxquelles vous vous êtes scrupuleusement asservis, ne le permettraient pas. Ils vous proposeront de soumetire cette dernière espèce d’aliénation aux principes que vous avez déjà déterminés sur l’aliénation des domaines. Après avoir nettoyé les cours des fleuves des encombres de la féodalité, il était nécessaire de pourvoir à leur conservation. Vos comités se sont occupés de ce soin : les règles qu’ils vous proposent, relativement à cette police intéressante, ne devaient être, et ne sont en effet, que les conséquences du principe général. Il est d’abord de toute évidence que le maintien des propriétés communes est un devoir commun à tous les membres de la société; il n’est pas moins évident que le cours des fleuves, étant destiné à l’usage de tous, tous doivent contribuer à leur perfection comme à leur défense. Ainsi la dépense nécessaire à l’entretien de la navigation, celle qu’exige la construction des ponts, des bacs, de tous les moyens de communication générale; celle des digues et des chaussées qui n’ont d’autre objet que celui de contenir les eaux dans le canal navigable, sont incontestablement une charge do l’Etat. Mais les communications bornées au service d’un canton particulier, d’une ville, d’une communauté d’habitants, souvent même d’un simple particulier; les digues opposées à l’exubérance naturelle des eaux, dans un territoire particulier; les dépenses purement locales, qui n’ont aucun rapport au service commun de la société, mais dont l’objet se borne à l’utilité privée de quelques individus, doivent-elles être supportées par la nation? Vos comités ne l’ont pas cru. Ici, Messieurs, s’offrirait une ample matière à votre discussion, si vous n’aviez déjà prononcé sur l’un des objets les plus embarrassants de notre travail : je veux dire les droits de bacs, de pontonage, de péage, et tous les impôts établis par les anciens usurpateurs des fleuves. Notre mission à cet égard s’est bornée à consacrer de nouveau le principe déterminé par votre décret du 24 mars dernier, et ce principe n’est lui-même qu’une conséquence de la maxime générale. En effet, puisque le cours des fleuves appartient en commun à la nation entière, c’est à la nation seule qu’appartient le droit d’imposer la navigation des fleuves. La nation seule peut donc autoriser les taxes imposées sur le passage des bateaux, sur les bac?, sur les ponts; et c’est en son nom seul que ces taxes peuvent être perçues. A la nation seule aussi appartient le droit de permettre les taxes que les municipalités ou même de simples particuliers perçoivent sur les communications établies à leurs dépens. Cet ordre, que vous avez vous-mêmes consacré, confirme la pureté du principe, et remplace l’usurpation tyrannique du système féodal, par l’autorité sainte de la loi. Un objet particulier, qui paraît, au premier coup-d’œil, contrarier les droits de la liberté individuelle, mais qui n’est que l’accessoire de la communion des fleuves, nous a paru mériter une attention sérieuse : c’est le passage forcé sur les fonds voisins des rivières navigables. Peut-être serait-il difficile, en thèse générale, d’assujettir le propriétaire riverain d’un fleuve à supporter ce passage sans indemnité; car, dans l’ordre primitif des" institutions, la propriété de la glèbe a nécessairement précédé l’exercice de la navigation. Mai? vos comités ont pensé que cette considération devait céder aux circonstances des faits, et à l’ordre actuel des propriétés. 1° Il n’est aucun propriétaire qui ne soit assujetti à cette servitude, et qui n’ait acquis sous cette condition ; 2° C’est une charge imposée au sol riverain par le besoin de la société entière. 3° Presque toujours l’incommodité qui résulte du voisinage d’un fleuve est compensée par le bénéfice qu’il procure. C’est d’après ces observations que vos comités ont préparé les règles concernant les marches des fleuves. Avant de passer aux cours des rivières nou navigables, nous devons, Messieurs, vous proposer une question qui nous a paru mériter une attention particulière. Plusieurs rivières, trop faibles pour servir à la navigation, ont reçu cet avantage au moyen des constructions élevées dans leur sein. L’art du géüie est venu, pour elles, au secours de la nature, et combinant avec (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 avril I791.J soin la pente des rivières avec la masse de leurs eaux, augmentant celles-ci des forces des ruisseaux voisins, les contenant par des digues, les aménageant par des écluses, il est parvenu à procurer au commerce un secours que la nature lui refusait. Quel sera le sort de ce genre de canaux? Appartiendront-ils à la nation? ou formeront-ils des propriétés privées pour ceux qui ont fourni la dépense qu’ils ont exigée? Vos comités n’ont pas pensé que cette question dût élever le moindre doute sur l’application générale du principe. Ce n’est pas seulement dans les rivières non navigables que le génie est venu au secours du commerce; le cours des llenves les plus grands a souvent été perfectionné par l’art ; presque partout Je commerce rencontre des éclu;-es, des pertliuis, des portes marinières que l’on prétend avoir été construits pour son utilité, et qui souvent n’ont été qu’un prétexte pour le vexer. Mais quoi qu’il en soit, puisqu’il est certain que le cours des rivières ne peut être la propriété d’un simple individu, la construction de pareils ouvrages ne sera jamais une raison suffisante de déroger à ce grand principe. Sans doute la nation ne profitera pas de la dépense faite par un citoyen sans le dédommager; elle payera la valeur des ouvrages utiles en reprenant ses droits. Passant à l’examen des cours d’eaux ordinaires, vos comités ont compris, sous le nom de rivières non navigables, toutes celles qui, trop faibles pour servir le commerce par la voie des transports, sont assez considérables pour communiquer aux usines la puissance qui les met en activité. Les cours d’eaux qui, quoique pérennes, ne peuvent servir à ce dernier usage, ne sout que de simples ruisseaux, et doivent former une classe particulière, puisque toutes les règles qui conviennent aux rivières ordinaires ne peuvent leur être également appliquées. Cette distinction nous a paru nécessaire pour ne pas confondre, dans le langage de la loi, trois sortes de cours d’eau, qui, dans plusieurs idiomes, n’ont pas reçu des limites bien déterminées. Si les lleuves ont le précieux avantage de lier entre elles les diverses parties d’un grand empire, l'utilité des simples rivières est d’un bien plus grand prix. Indispensablement nécessaires à la vie des hommes et des animaux, elles entretiennent la salubrité de l’air; elles porttmt la fécondité dans les territoires qu’elles arrosent; elles suppléent, parleurs masses accumulées, à la faiblesse des forces humaines : l’existence de tout ce qui respire, celle de l’agriculture et la prospérité des arts sont soumises à leur empire. Ainsi, nécessaires aux besoins de tous, les rivières, non plus que les tleuves, ne peuvent être la propriété d’un seul. Envahies par les seigneurs justiciers au même titre et de la même manière que les fleuves navigables, comme eux elles doivent rentrer dans la main de la nation; elles ne peuvent pas même appartenir à une communauté d’habitants, puisqu’elles formeraient alors une propriété particulière et spéciale. Or, toute possession exclusive est incompatible avec les vues que la nature s’est proposées en établissant l’union des sociétés sur la communion des éléments. Après avoir satisfait aux besoins des hommes et des animaux, Ja destination la plus naturelle des rivières est l’irrigation du sol qu’elles parcourent. L’agriculture est le premier des arts qui ait emprunte leur secours ; elle est aussi de tous 319 les arts celui qui fait des eaux l’usage le plus nécessaire et le plus riche. Le droit de l’industrie mécanique ne s’est établi sur les eaux que longtemps après celui de l’agriculture. Quelque précieuses que soient les productions du manufacturier, elles le sont moins sans doute que celles du cultivateur : ainsi, dans l’ordre du temps comme dans l’ordre de l’économie sociale, l’intérêt de l’industrie ne doit être consulté qu’après celui de l’agriculture. Ajoutons que le plus nécessaire des arts a toujours été le plus juste. L’agriculteur emploie le secours deseaux sans uuireà personne; il se contente de les conduire un moment sur son champ, et tes rend ensuite à la pente qui les porte à son voisin. Le mécanicien, au contraire, les enchaîne dans leur course; il ne se croit sur du succès de son travail qu’en les accumulant devant ses machines; il submerge sans pitié, presque toujours sans intérêt, les champs et les maisons qui l’avoisinent; il couvre tout son canton de marais infects; il est, en un mot, l’ennemi mortel des hommes et le fléau de l’agriculture. Que les partisans du régime féodal cessent de vanter les services que les ci-devant seigneurs ont rendus à l’humanité en établissant des moulins à blé, des foulons, des forges et d’autres usines. Tout cela eût été fait, tout cela se fera mieux qu’on ne l’a fait jusqu’à présent, sans frapper nos champs de stérilité, et sans infecter nos habitations. Les moulins à bras et les pompes à feu, protégés par l’abolition des banalités, remplaceront bien avantageusement les usines que la justice et la liberté pourront détruire. Ne croyez pourtant pas, Messieurs, qu’en réglant les eaux d’après leur destination primitive, vos comités aient négligé l’intérêt des arts et celui du commerce; nous avons eu soin de concilier cet intérêt avec la conservation de la vie humaine et le service de l’agriculture. Les décrets que nous vous proposons nous ont paru remplir cet important objet. 11 était facile, sans doute, de prévoir les conditions auxquelles il sera permis à l’avenir de construire des forges, des moulins, des usines de tout genre. Cette partie de notre travail n’exigeait qu’une connaissance exacte des inconvénients qu’il est nécessaire de prévenir; mais il fallait encore pourvoir au sort des usines existantes, sans laisser subsister les divers abus dont leur existence est accompagnée. Ici nous avons senti la nécessité de concilier encore, avec les principes de la liberté sociale, les règles de la justice distributive, et les considérations d’utilité générale; nous nous sommes donc efforcés de remplir ce devoir. Nous n’avons pas douté que les usines qui ne nuisent ni à l’intérêt, public ni à l’intérêt des particuliers, ne dussent être conservées, par la raison seule, qu’elles existent sans être nuisibles ; la même raison nous a fait penser que ce! les qui peuvent subsister en cessant de nuire, devaient subir les modifications que nous aurons l’honneur de vous proposer. Quant à celles qui ne peuvent exister sans être nuisibles, nous n’avons pas cru qu’il fût possible de les conserver. En rendant à la nation la communion des cours d’eau, en accordant à tous les citoyens le droit d’en user conformément aux règles que vous allez prescrire, laisserez-vous subsister ces cens, ces servitudes nombreuses imposées aux malheureux habitants des campagnes, soit pour leur permettre d’arroser leurs héritages, soit pour souffrir qu’ils appellent les eaux au secours de 320 | Assemblée nationale.] leur industrie? Vos comités, Messieurs n’ont pas dû supposer celle inconséquence; iis l’ont formellement écartée de leur projet. Mais ils ont prévu le cas où la redevance affectée sur une usine a été tout à la fuis le prix illé— cal d’une chose qui ne pouvait appartenir au vendeur, et le prix légitime d’une concession de bâtiments ou de toute autre propriété. Cette circonstance leur a paru mériter une disposition qui, conservant la propriété légitime du ci-devant Si igneur, écartât l’impôt injuste qui s’y trouverait réuni. Enfin, notre mission n’eût pas été totalement remplie si nous nous fussions contentés de bannir la féodalité du cours des fleuves et du cours des rivières; elle avait usurpé les eaux des ruisseaux et les eaux pluviales, elle avait infecté l’air même; nous l’avons poursuivie jusque dans ce dernier élément, nous avons levé cet anathème abominable que la féodalité avait lancé contre le genre humain, et qu’un peuple célèbre n’employait qu’à regret contre les plus grands crimes. Nous avons assuré à tous les hommes le libre usage de l’air, des eaux et de tous les présents de la nature. Du lit des fleuves, des îles , atterrissements et alluvions. Si les eaux des fleuves ne peuvent être la propriété exclusive d’un individu, parce qu’elles sont nécessaires aux besoins de tous, le lit qui les contient ne pouvant être séparé d’elles, ni se prêier à l’usage exclusif de personne, est, ainsi qu’elles, la propriété de tous. Mais si ce lit se trouve abandonné tout àcoup par ses eaux, s’il se forme dans son sein des atterrissements, si, s’ouvrant une nouvelle route à travers les terres riveraines, il renferme dans ses contours quelques portions de l’ancien continent, s’il se jette sur l’une de ses rives et s’éloigne brusquement de la rive opposée; à qui les îles, les atterrissements, les accrues, l’ancien lit même, le rivage délaissé, les moites et les marais produits par ces vicissitudes diverses, doivent-ils appartenir? Cette question a dû faire une partie importante du travail de vos comités. En consultant à cet égard l’usage des anciens peuples, nous n’avons pu méconnaître l’esprit d’équité que l’on admire dans la législation romaine. Les auteurs de cette législation, presque toujours judicieuse et sage lorsqu’elle règle les intérêts civils, avaient pensé que les îles, les atterrissements, l’abandon même ou lit des fleuves, ne pouvant s’opérer qu’aux dépens des fomis riverains, la nature et la justice les offraient en indemnité aux proprietaires exposés à l’invasion des fleuves. C’est d’après ce principe que le droit écrit dispose en eli'et des lies, des atterrissements et des alluvions. Mais la eupnuié féodale s’était bien gardée d’adopter une police si raisonnable; elle ne se contenta pas de s’approprier le sol que les fleuves abandonnent pour se former de nouveaux lits; elle s’empara des îles que l’impétuosité des eaux détache du continent; elle établit en sa laveur une prescription de dix années sur les terrains submergés; elle s’appropria les dépôts formés sur les rivages, et les atterrissements élevés dans le sein desfKuves. Ce droit, que l’on appela régalien, appartint aux grand' vassaux lorsqu'ils eurent envahi la puissance publique; il a depuis été réuni au domaine de nos rois. Ces principes, connus sous le nom de jurisprudence domaniale, [23 avril 1791.) ont désolé jusqu’à présent la majeure partie de nos provinces. Quelques-unes, il est vrai, s’étaient opposées avvc plus ou moins de succès à cette barbarie, certains cantons avaient même conservé jusqu’à présent l’heureuse prérogative de reprendre la portion de leurs héritages, envahie par les eaux, ou de s’indemniser de leurs pertes sur le terrain qu’elles abandonnent. Mais ces légère-; exceptions rendent d’autant plus nécessaire la justice que réclament tous les autres habitants de l’Empire; vos comités se sont donc efforcés de la leur procurer. La première considération à laquelle nous nous sommes arrêtés est qu’il ne s’agit pas ici d’une chose qui ne puisse être possédée privativement. il est clair qu’il s’agit au contraire d’une espèce de bien qui serait sans utilité s’il restait abandonné à la multitude. Eu effet la glèbe n’est productive qu’autant qu’elle est cultivée, et toute culture suppose un possesseur privé. Ce n’est donc pas à titre de simple administration que les propriétaires actuels jouissent des fonds abandonnés par ies eaux ou formés dans leur sein; cette glèbe faisant partie de leur domaine réel, doit, pour le passé, demeurer assujettie auxrègles qui jusqu’à présent en ont fixé la propriété. Cette resolution est la conséquence nécessaire de la distinction que vous avez adoptée en supprimant le régime féodal. Mais nous n’avons pas hésité à abandonner pour l’avenir les maximes cruelles du despotisme fiscal. Voudriez-vous, Messieurs, faire entrer dan9 votre Trésor public le fruit des usurpations et des ravages commis par les fleuves sur la glèbe de vos concitoyens? Cette idée, si nous avions osé la concevoir, aurait outragé votre justice. Nous nous sommes donc déterminés à adopter, sur cette matière, non les dispositions, mais l’esprit de la loi romaine, et nous l’avons préférée, non parce qu’elle est l’ouvrage d’un peuple célèbre, mais parce qu’elle est le résultat des méditations profondes de grands jurisconsultes, dont la sagesse a été guidée par le flambeau de la liberté. Nous avons distingué comme eux les différents accidents qui détruisent la glèbe ou qui la reproduisent; les irruptions soudaines et les dépôts successifs, les alluvions qui reculent le rivage, et les relaissees qui le rapprochent. Nous avons prévu les cas où le cultivateur négligent abandonne son domaine aux eaux, et méprise celui qu’elles livrent à son activité. Nous avons eu soin de concilier, dans ce cas-là même, l’intérêt de la grande famille avec celui du citoyen privé. Nous avons considéré particulièrement cette énorme quantité de marais que les lois fiscales livraient à une éternelle inertie. Nous vous proposons les moyens de les confier à l’industrie pour ies rendre à l’agriculture. Nous n’avons négligé ni l’intérêt de la nation, ni les droits des particuliers qui ne peuvent eu être séparés, ni même le désir qui vous anime de mettre des obstacles invincibles à l’inquiétude des contestations judiciaires. Nos vues ont été les vôtres, Messieurs, vous les adopterez si nous avons été assez heureux pour les remplir. De la pêche. Nous n’avons pu appliquer à la pêche les principes qui conviennent à la glèbe. Né dans le sein ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 avril 1791.] 321 des eaux, le poisson doit suivre le sort de l’élément qui le nourrit; il n’est que l’accessoire des lieux qui le recèlent, il appartient donc au même maître. Ce fut en effet parce que les seigneurs de fiefs se crurent propriétaires îles fleuves et des rivières qu’ils s’arrogèrent le privilège exclusif de la pêche; ce fut au même titre et dans la même supposition qu’ils disposèrent de la faculté de pêcher dans les eaux de leurs territoires; c’est à ce titre qu’ils confondent encore aujourd’hui la propriété du droit de pcche avec la propriété de leur glèbe. Leur prétention pourrait paraître juste si la cause qu’ils attribuent à leurjouissance exclusive n’etait pas une erreur. Quel droit l’institution féodale avait-elle accordé aux feudataires sur les cours d’eau? Celui de police et d’administration. Cette vérité, attestée par l’histoire, se trouve solennellement confirmée par nos lois les plus récentes qui, confondant la propriété des rivières avec la possession héréditaire de la haute justice, prouvent que cette prétendue propriété n’a jamais été qu’une prérogative attachée à l’exercb e de ia puissance publique. L’usurpation de la pêche a donc eu la même cause que tous les droits nés des prohibitions féodales et n’a jamais eu le caractère d’une véritable propriété. Mais nous n’avons pas besoin de cette preuve pour assigner, à la pèche des rivières, le seul caractère qui lui convienne : celui de propriété nationale et commune. Car, s’il est indubitable que le cours des rivières est indispensablement nécessaire à la communion sociale, il est indubitable aussi que personne ne peut acquérir aucun droit exclusif dans une chose qui, par sa nature et sa destination, ne peut devenir la propriété de personne : ainsi, quand parmi les possesseurs actuels il s’en trouverait plusieurs à qui le droit de pêche aurait été transmis à prix d’argent, ils n’auraient acquis qu’un droit incessible, usurpé par la violence-, ou toutauplus qu’un vain titre, qu’un privilège uni à l’exercice du pouvoir public, privilège qui ne peut survivre à la cause qui l’avait produit. En un mot, quelle qu’ait été l’origine de la pêche exclusive, il est plus clair que la lumière que ce droit ne consiste que dans une simple prohibition, dans un ban intimé à la faiblesse par la force. Or à la nation seule appartient le droit de permettre eu de défendre, et la nation vient de révoquer tous les genres de banalités. En purgeant les rivières de cette dernière servitude, devez-vous accorder quelque indemnité aux propriétaires actuels de la pêche? Cette question s’est présentée à notre examen. Sans doute la pèche est un droit utile; mais tous les genres de banalitésseigneuriales étaient utiles; mais la possession héréditaire du glaive de la loi produisait des fruits considérables; mais les corvées personnelles, les tailles, les droits de feu et d’habitation, toute cette longue nomenclature de taxes, nées de l’usurpation nu pouvoir public, donnaient des profits pécuniaires. Vous avez décidé, Messteuis, que leur suppression n’exigeait aucune indemnité, parce que leur existence était le salaire d’une fonction que vous veniez d’abroger; nous n’avons pasdù nous écarter de ce principe. Ainsi la possession de la pêche a titre de justice héréditaire doit disparaître avec ce titre, celle à titre de liefs s’évanouit avec la féodalité, celle à titre de redevance foncière reçoit la seule indemnité qui lui soit due par l’extinction de la redevance. lro Série. T. XXV. Il est pourtant une exception que vos comités ont cru devoir admettre. Quelques pêcheries ont pu être aliénées par le domaine à titre d’engagement; quelques autres à titre d’échange. Ce cas particulier suppose que les possesseur actuels ont versé au Trésor public le prix de leur jouissance, ou qu’ils ont cru acquérir une possession réelle en cédant un bien de cette nature. Dans l’une et l’autre espèce, la fidélité due aux conventions faites de bonne foi ne permet ni de retenir l’urgent de l’engagiste, ni de conserver le fonds reçu en contre-échange d’un droit qui n’existe plus. Après avoir reconnu que les productions des rivières ne pouvaient être enlevées à vos concitoyens pour servir d’aliment à quelques êtres privilégiés, des considérations d’un autre ordre ont dû nécessairement occuper vos comités. La faculté de pêcher doit-elle être accordée indistinctement à tous les citoyens? IN’appartiendra-t-elle qu'à ceux dont les propriétés sont baignées par les cours d’eau? Ce droit formera-t-il la propriété spéciale des municipalités dont le territoire est traversé par les rivières? Convient-il au bien général de l’empire de soumettre la pêche à un régime qui soit tout à la fois utile aux finances de l’Etat, et profitable aux subsistances publiques? Toutes ces questions ont été proposées, toutes exigeaient un examen sérieux, toutes ont été discutées avec soin. Nous avons eu la scrupuleuse attention de ne rien résoudre sans concilier, autant qu’il était possible, la liberté sociale avec les vues d’une sage économie, lesprincipes constitutionnels avec le vœu de l’intérêt public. Nous n’avons pu nous dissimuler qu’en thèse générale les droits naturels étant parfaitement égaux, la faculté de chercher la subsistance dans le sein des rivières appartient également à tous; mais nous savions aussi que ce principe peut être modifié par la volonté générale, lorsque h s limitations qui le restreignent ne blessent point l’essence de la liberté; nous n’avons donc pascruqu’ilfût inconstitutionnelde réserver, pour le profit de tous, un genre de production, qui, né dans le sein d’un élément commun à tous, prospère sans culture et sans dépense, et qui bientôt serait anéanti s’il était livré à la discrétion de la multitude. Nous avons considéré qu’en permettant la destruction du poisson des rivières, non seulement vous vous priveriez d’un aliment sain, mais encore que vous altéreriez sensiblement la masse des subsistances du royaume; nous avons considéré que, si le désir de rendre à l’agriculture cette quantité immense de lacs et d’étangs qui infectent plusieurs provinces de l’Empire, vous engageait à restreindre1 leur nombre, la conservation de la pêche dans les eaux courantes, devenait plus nécessaire; nous avons pensé qu’en appelant tous les habitants du royaume à ce genre d’exercice, vous déroberiez à f agriculture, aux arts, à tous les genres d’industrie une portion considérable du travail journalier qui les enrichit. D’ailleurs les prairies, les clôtures, les usines, les édifices construits sur les rivières, seraient à chaque instant exposés à être dégradés par une multitude d’hommes sans aveu, sans consistance, et sans responsabilité. Ceux qui désirent que l’exercice de la pêche .-oit permis indistinctement à tou-les citoyens invoquent en faveur de leur opinion le décret que vous avez rendu sur la chasse. Mais ce décret, en révoquant la prérogative usurpée par les seigneurs de fief, a’est contenté u’.mtoriser 21 322 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]23 avril 1791. chaque propriélaire à détruire sur son propre champ le gibi r qui nuit à ses récoltes. Vous n’avez pas encore décidé, Messieurs, s’il serait permis à tous les habitants du royaume, sans aucune exception, ce parcourir avec des armes offensives les terres ouvertes, sous prétexte de se procurer le plaisir de la chasse ; eussiez-vous solennellement proclamé cette liberté, ce ne serait point un motif pour rendre la pêche également libre, si des considérations puissantes ne le permettent pas. Devez-vous abandonner la pêche des rivières aux propriétaires des fonds qu’elles avoisinent? Quelques-uns regardent cette prérogative comme l’accessoire naturel de leur propriété, et la réclament à ce titre. Mais vos comités n’ont pas trouvé cette prétention légitime. Le droit du propriétaire de la glèbe ne s’étend pas au delà des limites de son champ; le cours d’eau qui en baigne les bords le confine, mais n’en fait point partie. Quand même ce propriétaire posséderait l’une et l’autre rive, sa propriété particulière se trouverait divisée par l’interposition de la propriété nationale, sur laquelle il ne peut avoir qu’un droit égal à celui de tout autre citoyen. Ecartons encore ici l’exemple de la chasse : le poisson ne sort pas du sein des eaux pour ravager les récoltes du riverain, et si le contraire arrivait, ce serait sur son champ que le riverain devrait venger son injure, il n’aurait pas le droit d’attaquer son ennemi dans le sein de sa retraite. La prétention des municipalités sur la pêche des rivières de leur territoire n’est ni plus légitime ni plus conforme aux principes constitutionnels que la demande des propriétaires riverains. Quelques-unes à la vérité ont exercé ce droit que l’on réclame pour elles, mais leur jouissance était une émanation de la féodalité; elle doit donc cesser avec la féodalité. Gomment en effet concilier la possession exclusive d’une municipalité avec la communion des rivières? Le patrimoine des corps moraux est une véritable propriété civile : ce que la nature destine à Lu-sage de tous, ce qui ne peut être possédé priva-tivement par un seul citoyen, ne peut donc appartenir à un corps qui s’isole de la société. Est-il permis d’élever quelque doute sur cette grande vérité après la confusion solennelle et sainte que tous les corps de l’Empire ont faite de leurs prérogatives particulières? Quelle est donc aujourd’hui la municipalité qui oserait disputer à ses voisins la communion des eaux de sou territoire? On nous a proposé d’adopter la législation de l’ancien régime qui, en ordonnant que les rivières appartenant aux municipalités seraient affermées à leur profit, avait voulu pourvoir à la conservation de la pêche ; mais vos comités n’ont pu se prêter à ce tempérament. 1° L’ancienne législation était fondée sur un titre que vous avez détruit. 2» Les précautions qu’elle avait cru devoir prendre, pour ne pas blesser les propriétés féodales, étaient une illusion : ou sait avec combien peu de soin la pêche des rivières communes a été conservée. 3° Que deviendraient les rivières seigneuriales ? Seraient-elles aussi abandonnées aux munici palités riveraines? A quel titre celles-ci obtiendraient-elles une faveur dont les municipalités éloignées des eaux seraient privées? 4° Enfin pourquoi dérogeriez-vous au principe de la communion pour favoriser les habitants d’un territoire particulier? Ce principe, Messieurs, nous forçait à nous déterminer entre deux partis ; celui d’abandonner la pèche au premier occupant ; celui de la faire exploiter au nom de la nation, et d’en verser le produit dans le Trésor public mous avons adopté le second d’après les considérations que j’ai eu l’honneur de vous indiquer. En supposant la nécessité de conserver cette branche précieuse de subsistances, en supposant aussi qu’il doit entrer dans les vues d’une sage économie ne l’améliorer, il n’est qu’un seul moyen d’obtenir l’un et l’autre avantage; contiez dans chaque canton l’exercice de la pêche à un petit nombre de personnes. Vous soumettrez les fermiers de la pêche à une responsabilité sévère ; vous leur prescrirez les règlemeuts qui conviendront au double objet que vous devez vous proposer ; vous les assujettirez à la surveillance des corps administratifs, vous intéresserez tous les citoyens à la conservation d’un bien dont les fruits seront également partagés par tout le poids des coutribu lions publiques. Considérez, Messieurs, que l’abandon de la pêche ne procurerait aucun avantage réel à vos concitoyens; considérez que la liberté indéfinie de pêcher serait une source intarissable de désordres et même de procès ; considérez que le produit de toutes les rivières du royaume formera dès à présent un revenu très considérable qu’une police sévère et de bonnes lois ne peuvent manquer d’améliorer ; consultez l’état de vos finances ; consultez la masse effrayante de vos impositions : peut-être alors le plan que vos comités vous proposent méritera votre approba-t ion . Voici notre projet de décret ; « L’Assemblée nationale, après avoir ouï le rapport de ses comités féodal, des domaines, d’agriculture et de commerce, sur le cours des fleuves et des rivières, les îles, atterrissements, aliuvions, mortes et relaissées, la pêche, a décrété et décrète ce qui suit : TITRE Ier Des cours d'eau. •« Art. 1er. Les cours d’eau, assez considérables pour transporter naturellement, et sans artifice. les barques et bateaux servant au commerce et à la navigation intérieure du royaume, sont désignés dans le présent décret sous le nom de fleuves; les cours d’eau qui ne sont point navigables sans artifice, mais qui sont assez forts pour faire mouvoir des usines, sont désignés sous le nom de rivières; les autres cours d’eau ne forment que de simples ruisseaux. « Art. 2. Le cours des fleuves est une propriété commune et nationale; nul ne peut s’en approprier les eaux, ni en gêner le cours; l’usage en appartient à tous les habitants de l’Empire; le droit de régler cet usage appartient au Corps lé-< îslatif. >< Art. 3. La dépense nécessaire à l’entretien de la navigation est une charge publique. « Art. 4. La dépense qu’exigent les besoins locaux des villes, des communautés d’habitants, ou des particuliers, pour se défendre contre l’invasion des eaux, est à la charge de ceux à qui elle est nécessaire. « Art. 5. La construction et l’entretien des ponts, et de tous autres moyens établis pour les communications générales, sont une charge de l’Etat.