400 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 25 Robert LINDET, au nom des trois comités de Commerce, de Législation et de Salut public, présente un nouveau mode de fixer le maximum des grains. Vos comités, dit-il, ont balancé les avantages et les inconvénients de la loi du maximum; ils ont examiné s’il convenait de fixer un maximum uniforme pour toute la République. Le tableau général de la France a bientôt résolu cette question première. La nature a divisé la République en deux parties bien distinctes quant à son sol et à ses productions. Dans l’une, la culture est aisée qt les productions abondantes; dans l’autre, la culture difficile rend cependant trois ou quatre pour un. Le maximum uniforme a donc augmenté considérablement le prix des grains dans la moitié de la République, et considérablement diminué dans l’autre moitié. Dans quarante départements, ce prix a toujours été infiniment au dessous du maximum, et dans quarante autres beaucoup au-dessus; vous aviez donc manqué votre but par un maximum uniforme : vous vous proposiez d’encourager l’agriculteur en lui fournissant dans l’augmentation du prix des grains des moyens de s’indemniser des frais de culture et de semence, et le maximum uniforme avait exactement produit le contraire. On vous avait entraînés dans cette mesure par l’avantage d’établir une balance égale ; mais la nature s’y opposait, et jamais le législateur ne doit être en opposition avec la nature. Vos trois comités ont donc pensé que la fixation du maximum devait être calquée sur la nature du sol et sur les productions de la France. Ils ont ensuite examiné s’il convenait de conserver un maximun pour la fixation du prix des grains ; grande question qu’il est temps d’aborder, que le républicain doit fixer avec un oeil sévère, puisqu’elle touche aux plus grands intérêts. Mais cette question a cessé d’en être une lorsque les grands besoins de cette année ont été calculés, lorsque les manoeuvres de l’agiotage, les spéculations de l’avarice, les fraudes de la malveillance, et peut-être même les combinaisons perfides de l’aristocratie ont été senties. La libre circulation ne pourrait subvenir à toutes les demandes. Le maximum supprimé, le prix ne pourrait être soumis à aucune mesure, l’avidité mercantile à aucune règle, le mécontentement du peuple à aucune réflexion; tous ces inconvénients seraient aggravées par l’impatience des citoyens qui se rendraient en affluence dans les marchés, conduits par la crainte de manquer, et par l’impossibilité où serait le gouvernement d’apaiser l’impatience en faisant vendre des grains achetés dans l’étranger. Ces considérations ont décidé vos comités à vous proposer de maintenir la loi du maximum, mais fixée sur une base juste. Celle qui a paru à vos comités assurer la justice et aux cultivateurs et à la classe des citoyens qui achètent des grains, c’est le prix de 1790, augmenté de moitié en sus. Le prix de cette année a paru le plus uniforme et le plus régulier. L’augmentation de moitié en sus a paru nécessaire à vos comités pour compenser l’augmentation des frais de culture. Lindet fait lecture d’un projet de décret (95). Sur la proposition d’un membre [Robert LINDET], la Convention décrète ce qui suit : La Convention nationale décrète : Article premier. - Les comités de Commerce, des Finances et de Salut public, présenteront, dans une décade, un rapport qui développe les inconvéniens actuels de la loi sur le maximum , et qui indique les moyens d’y porter remède. Art. IL - Ils présenteront aussi leurs vues sur les changemens à faire dans l’organisation de la commission de commerce et des approvisionnemens, et sur les moyens de borner les attributions qui lui sont déléguées à l’approvisionnement des objets nécessaires au gouvernement, de manière que l’exercice de ses attributions se concilie avec les opérations qui doivent être abandonnées au commerce particulier (96). On en demande l’impression et l’ajournement. [MAURE désire que la discussion se fasse très incessamment, dans la crainte de donner à la malveillance le temps et les moyens d’accaparer.] (97) TALLIEN : Il ne peut y avoir de doute sur la nécessité d’ajourner ce projet, afin que chacun de nous ait le temps de le méditer et de réfuter les nombreux sophismes qu’il renferme. Cette discussion sera utile, car elle fera approfondir la question qui n’est qu’esquissée dans le rapport. Il faut que la Convention s’occupe du prix de toutes les denrées, qu’il soit tel que le cultivateur et le consommateur y trouvent également leur intérêt. Je reviendrai aussi sur une proposition qui a déjà été faite, sur celle de faire rendre à la commission de commerce compte des fonds qui ont été mis à sa disposition. Il faut savoir ce qu’elle a fait pour pourvoir aux besoins du peuple, il faut savoir pourquoi, à l’entrée d’une saison rigoureuse, il n’y a, dans une commune aussi importante que celle de Paris, ni bois, ni charbon ( applaudissements ); du charbon surtout, qui sert à tous les usages domestiques, à tous les ateliers, à tous les arts. On me dit qu’en parlant de cela je sème des inquiétudes ; et moi je soutiens le contraire : c’est en éclairant le peuple sur les causes de cette disette [que je tiens pour factice] (98) qu’on l’empêchera de se porter à aucun mouvement. (95) Moniteur, XXII, 424. J. Mont., n° 22 ; M. U., XLV, 234-235; Ann. R. F., n° 44 et 45; Ann. Patr., n° 673; C. Eg., n° 808; J. Fr., n° 770; J. Perlet, n° 772; F. de la Républ., n° 45; Mess. Soir, n° 809; J. Univ, n° 1804; J. Paris, n° 45; Débats, n° 772, 634 ; Rép., n° 45 ; Gazette Fr., n° 1037. (96) P.-V., XL VIII, 192. (97) Débats, n° 772, 634. (98) Débats, n° 772, 634. SÉANCE DU 14 BRUMAIRE AN III (4 NOVEMBRE 1794) - N° 25 401 On me dit encore qu’on n’ajourne pas la faim ; non certainement, mais on n’ajourne pas plus les autres besoins du peuple ; et si le maximum peut les accroître, il faut le rejeter. C’est pour examiner cette question que je demande l’ajournement du projet de décret. Je demande encore que la commission de commerce rende compte des nombreux millions en écus qui ont été mis à sa disposition pour acheter des grains. Je ne demande la reddition de ce compte qu’en ce qui peut être publié, car je ne veux pas qu’on fasse connaître aux Anglais nos moyens d’approvisionnements, ni tout ce qui peut tenir à nos relations extérieures ; mais je demande pour le surplus un compte exact. {Applaudissements.) *** (99) : Je demande que la distribution du projet de décret soit faite demain, et que la discussion s’ouvre le jour suivant. BEFFROY (100) : La Convention a déjà eu occasion de remarquer que c’est en précipitant les décisions qu’on fait de mauvaises lois. Je demande l’ajournement de celle qu’on propose en cet instant à trois jours après sa distribution. Il faut pouvoir combiner des mesures sur lesquelles on ne soit pas obligé de revenir sans cesse, et qui n’occasionnent pas des pertes énormes à la République. Je déclare, quelque défaveur qu’on puisse éprouver en attaquant l’opinion des trois comités, que je combattrai ce projet-ci, et lui en substituerai un autre. Ce sera à l’Assemblée à juger ma proposition. GASTON : Il faut se hâter, autrement les spéculations vont se faire de toutes parts. La Convention ajourne la discussion de ce projet de décret à trois jours après la distribution. [LEGENDRE (de la Nièvre) s’étonne que le comité de Salut public eût terminé son travail sans avoir pris conseil d’un mémoire étendu qu’il lui a adressé sur les ressources territoriales de la France ; il demande de faire connoître à l’Assemblée ce tableau, qui pourra la diriger dans son travail.] (101) CAMBON : Je crois que la Convention, en ajournant ce projet à trois jours, vient de rendre un décret très sage ; car une pareille loi mérite d’être bien examinée. C’est peut-être à la motion qui fut faite ici de fixer le pain uniformément à 2 sous la livre par toute la République que nous devons les plus grands maux. {Applaudissements.) En même temps qu’on ouvrira la discussion sur le projet qu’a présenté Lindet, il faudra la faire rouler sur la loi du maximum. Lorsque le gouvernement a quelque chose à vendre, il le vend sur le pied du maximum, et d’autres personnes le reven-(99) J. Mont., n° 23, indique Gaston. (100) J. Mont., n° 23, associe Ricord à l’intervention de Beffroy. (101) J. Mont., n° 23. dent ensuite à 4 ou 5 pour cent de bénéfice. {Applaudissements.) C’est ainsi que le cacao provenant des prises faites par les bâtiments de la République sur l’ennemi n’est vendu dans les ports de mer, que 18 sous la livre, et qu’il est revendu ensuite à Paris 18 francs. Nous vendons à bon marché, et nous achetons cher. On se plaint de ce qu’il n’y a pas de sucre ici; on demande des réquisitions pour en faire venir; on en prive les autres départements : le maximum n’est pas suivi, et le gouvernement paie tous ces frais. Peut-être plusieurs de ses agents s’entendent-ils ensemble {applaudissements), et ont-ils pour associés ceux qui disent au peuple : « si tu veux cela, tu le paieras tel prix. » {Applaudissements.) Il est temps d’examiner loyalement les besoins de la République et les causes du renchérissement des denrées ; il faut y porter un oeil sévère, et si l’on reconnaît après qu’il faille faire quelques sacrifices, personne ne s’y refusera. {Applaudissements) Il faut en entamant cette discussion, nous faire rendre compte de toutes les opérations qui ont été faites : il est impossible que le gouvernement soit commerçant. {Applaudissements.) Il fut un temps où nous étions très heureux lorsqu’on pouvait arrêter des motions désorga-nisatrices. Ces motions ne sont pas nées dans le sein, de la Convention ; elles ont été provoquées par des pétitions. On ne cessait de dire que la propriété n’était autre que l’usufruit ; que la République pouvait se suffire à elle-même, et qu’il fallait nous passer des étrangers, qui étaient tous des aristocrates et des tyrans, [et qu’avec du pain et du fer elle vaincroit le monde entier] (102). C’est ainsi qu’on nous a plongés dans l’abîme de maux dont nous avons tant de peine à sortir. {Applaudissements.) Notre industrie peut nous procurer facilement des moyens d’échange ; mais il faut exciter le travail; l’oisiveté est notre plus grand mal {applaudissements) ; vous allez en avoir un exemple. On avait organisé un gouvernement qui, en simple surveillance, coûtait 591 millions par années; aussitôt tous les hommes accoutumés au travail de la terre et à celui des ateliers abandonnèrent leurs occupations ordinaires, occupations qui les rendaient utiles à leurs concitoyens, pour se placer dans ces comités révolutionnaires où ils n’avaient rien à faire, et où ils jouissaient d’une certaine autorité en recevant 5 L par jour. ( Applaudissements . ) Voilà une des grandes sources de nos maux, source qu’il faut tarir. Je demande que les comités de Salut public, des Finances et de Commerce, nous présentent un travail général sur le maximum, et les moyens de régulariser les opérations de la commission des approvisionnements, qui doit pourvoir aux besoins de la République, mais ne pas faire le commerce à elle seule. Il est temps de faire cesser cette grande lutte de l’intérêt d’une agence du gouvernement contre l’intérêt particulier de chaque citoyen. Les propositions de Cambon sont décrétées. (102) Débats, n° 772, 635. 402 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE PÉNIÈRES : Il y a déjà plusieurs décades qu’on a renvoyé au comité de Commerce la question de savoir s’il ne serait pas utile au commerce de permettre l’exportation des objets de luxe. Je demande qu’incessamment le comité fasse son rapport. THIBAULT : J’observe à l’opinant qu’un décret a déjà été rendu sur cet objet. COUPÉ (de l’Oise) : Je demande que les réquisitions soient ajoutées au travail général que les comités doivent faire sur le maximum. RÉAL : J’appuie le travail général que l’on demande sur les subsistances ; mais je ne crois pas qu’il soit dans l’intention de la Convention de vouloir retarder la discussion du projet de décret présenté par Robert Lindet. Plusieurs membres : Non, l’ajournement est prononcé à trois jours. PELET : Je demande la parole pour un article additionnel à la proposition de Cambon. Je pense que, si la loi du maximum est une des causes de la pénurie que nous éprouvons, et de quelque importance qu’il puisse être de discuter les questions dont l’Assemblée vient d’ordonner le renvoi à ses comités, cependant ce serait abuser le peuple et la Convention, ce serait tromper l’espoir public, que de laisser croire que le travail des comités fera renaître l’abondance. La cause la plus réelle de la cherté et de la rareté des denrées est dans nos finances; elle est dans la circulation de 6 milliards d’assignats, quand les productions du sol de la France ne s’élèvent qu’à la valeur de 2 milliards. Ce qu’il faut donc demander, c’est un rapport où l’on nous fasse connaître l’influence de cette grande quantité d’assignats sur le prix des denrées. Il ne faut pas avoir un grand génie pour s’apercevoir que c’est là qu’est réellement le mal. Ce n’est pas en captant des applaudissements qu’on sauvera la chose publique. C’est en traitant les grandes vérités. (On applaudit .) Je le répète : il est reconnu que le territoire de la France ne fournit que 15 à 18000 millions de productions ; comment veut-on que l’équilibre ne soit pas rompu par une circulation de 6 milliards d’assignats? Nos finances ont trop été négligées; il y a de grandes économies à faire. Pourquoi souffrons-nous sous nos yeux mêmes qu’on retourne en tous sens le jardin des Tuileries et les édifices nationaux? Il faut arrêter tous les genres de dilapidations. Il faut faire rentrer les impositions arriérées. Pourquoi ne paie-t-on rien dans le département de Paris, par exemple? Je demande que le comité des Finances nous présente le tableau des finances de la République. ( Vifs applaudissements. ) *** : Cambon vous a fait une observation bien juste quand il vous a dit que les comités révolutionnaires coûtaient à la nation 80 millions... (cinq cents ! s’écrient plusieurs membres. ) CAMBON : J’observe à l’Assemblée qu’ils n’ont jamais été payés. (On applaudit.) *** (103) : Ils se sont payés par leurs mains. (Oui, oui! On applaudit.) Ce ne sont pas là les plus grandes pertes qu’ils ont occasionnées à la République; celles qui lui ont fait le plus de tort existent dans l’incarcération des agriculteurs. La terre ne produit rien sans bras. Vous avez, il est vrai, rendu un décret pour que la liberté fût rendue à ces cultivateurs; mais il n’est pas exécuté partout. Je citerai entre autres départements, celui des Bouches-du-Rhône, où il est demeuré sans exécution ; cependant la prospérité publique en dépend. On observe que l’exécution de ce décret est un objet qui concerne le comité de Sûreté générale (104). TALLIEN : La motion incidente qui vient d’être faite n’a pas un rapport direct à la question qu’on traite. L’Assemblée a ordonné la mise en liberté des cultivateurs, mais elle a sagement fait de laisser à son comité de Sûreté générale le soin de distinguer entre eux. Il ne faut pas confondre avec ces hommes utiles des hommes qui ne sont cultivateurs que depuis deux jours ; il ne faut pas que ceux qui n’ont pas de durillons aux mains puissent profiter des bienfaits de cette loi pour rentrer dans la société. (On applaudit.) Je reviens à la question principale. Pelet vient d’élever une question importante et qui doit rester invariablement à l’ordre du jour. Voilà des discussions utiles et qui honoreront la Convention; c’est ainsi que vous parviendrez à sonder les plaies de l’Etat et à les cicatriser. (On applaudit.) Ce ne sont pas les débats particuliers qui scandalisent l’Europe, des dissensions occasionnées par des passions individuelles ; ce sont de sages décrets qui feront le bonheur du peuple. (Vifs applaudissements.) Le bonheur du peuple, voilà notre devoir comme notre voeu. Portons donc nos regards sur cette immense circulation d’assignats ; disons au peuple la vérité toute entière ; qu’il sache que ce n’est pas seulement à la malveillance et aux événements qu’il doit attribuer la cherté des denrées, mais aussi au grand nombre d’assignats mis en circulation, que nous devons nous occuper de retirer avec sagesse. Oui, cette masse énorme doit disparaitre dans un temps donné ; c’est la bravoure de nos armées qui va réduire nos dépenses (On applaudit.)', c’est elle qui va faire que nous aurons moins de troupes à entretenir. Il faut entamer cette question. Je ne crains pas qu’on m’accuse de jeter l’idée de la paix; mais il est vrai, très vrai de dire que c’est la baïonnette victorieuse de nos intrépides frères d’armes qui, en repoussant les ennemis fugitifs au delà du Rhin, et en nous faisant rentrer dans nos anciennes limites, (103) J. Mont., n° 23, attribue cette intervention à Le Blanc, représentant des Bouches-du-Rhône. (104) Voir ci-dessus Arch. Parlement., 14 brum., n° 23. SÉANCE DU 14 BRUMAIRE AN III (4 NOVEMBRE 1794) - N° 25 403 diminuera la masse de nos anciennes dépenses ; c’est elle qui vous met en état de donner la paix à une portion de nos ennemis qui viendront vous la demander et souscrire aux conditions que vous leur dicterez. (On applaudit.) Mais en diminuant les dépenses, il faut aussi, comme le dit Cambon, diminuer le nombre des individus qui existent sans rien faire, qui avaient un revenu annuel sans autre tâche que celle de vexer les citoyens. Du travail pour tous, que tout citoyen soit utile et honnête; voilà l’égalité, voilà la vraie démocratie. Rappelons au peuple que celui qui vit du travail de ses mains est seul respectable, et que le fainéant devrait, en quelque sorte, être exclu de la société. Je demande que la proposition relative aux moyens de diminuer la masse des assignats, et toutes les autres, soient renvoyées aux comités, pour vous faire à cet égard un rapport détaillé d’ici à deux décades. CAMBON : La masse des assignats en circulation n’est pas difficile à connaître ; elle est imprimée, elle est affichée dans le comité des Finances, qui chaque mois en soumet le tableau à la Convention. Ce n’a pas été pour votre comité un petit travail que celui de débrouiller le chaos des finances et de remonter jusqu’aux Assemblées Constituante et Législative qui n’ont fait que le rendre plus obscur et plus pénible. Lorsque la Convention rend des décrets pour des payements, le comité est obligé d’obéir ; mais il s’estime heureux d’avoir par une force d’inertie, sauvé au Trésor public 591 millions, dans un temps où, [sous le despotisme de Robespierre] (105), il était dangereux de les refuser aux hommes qui prétendaient y avoir droit. Le comité demande-t-il des pièces justificatives ; on lui dit : « Tu opposes des formes, tu entraves tout; » et s’il manque des blés, c’est sur lui qu’on en jette la faute, parce qu’il prépare à la Convention les moyens de voir clair dans les dépenses de la République. Jamais le comité des Finances ne s’est opposé à la diminution de la masse d’assignats en circulation ; au contraire, il avait une mesure prête, vous étiez à la veille d’en jouir; [c’étoit l’emprunt forcé. Par ce moyen, sans attaquer la propriété, vous auriez forcé toutes les grandes fortunes à venir au secours de l’Etat; de grands biens eussent découlés de cet emprunt.] (106) mais on a voulu la paralyser ; nous nous en plaignîmes à la Convention, et l’on proposa la loi du maximum. Toutes les mesures que nous avions prises devinrent nulles. Cela ne suffit pas ; alors vinrent des lois qui firent disparaitre de la société les hommes qui auraient rempli l’emprunt forcé de 1 milliard. Non, la quantité d’assignats en circulation n’est point un problème ; il en reste 6 milliards 400 millions. On a voulu pendant longtemps insinuer la démonétisation des assignats à face royale. Comme ils étaient pour la (105) Ann. R. F., n° 45. (106) Débats, n° 772, 638. plus grande partie, de petites valeurs, on voulut en faire un moyen de soulever le peuple contre la Convention. Nous résistâmes à ces insinuations. Enfin, dans un moment de violence on nous força la main, et cependant nous insistâmes et nous réussîmes à borner cette opération aux assignats au dessus de 100 L. Il ne faut pas jeter sur un comité toute la responsabilité pour des maux qu’il aurait prévenus si l’on était venu à son secours. Eh bien, aujourd’hui nous appelons à notre aide toutes les lumières. ( Une voix : Il ne faut pas les persécuter, les arrêter !) Je n’ai jamais fait arrêter personne. Parmi vos dépenses, il en est de deux classes : les unes sont inévitables ; habiller, nourrir, équiper, récompenser les défenseurs de la patrie, donner des secours, des indemnités, des pensions à leurs familles, voilà ce qui constitue cette première nature de dépenses : celui qui s’y opposerait, serait un monstre à proscrire de la République. (On applaudit.) Mais il en est d’autres sur lesquelles vous pouvez porter un oeil réformateur. Déjà vos lois ont affranchi la nation des frais énormes du culte. Vous avez à payer vos administrations ; mais lorsque, dans une révolution, tous les hommes sont neufs en principes politiques, en pratique administrative, on doit se borner à leur accorder le strict nécessaire. Il s’élève actuellement autour de vous une clameur générale. Tous les fonctionnaires publics demandent une augmentation de traitement. Vous avez en effet porté dans cette partie la plus grande économie; la majeure partie des traitements ne passe pas 6000 livres, excepté pour vingt ou vingt-cinq personnes : encore faut-il que les employés de la République trouvent leur existence à la servir. Il y a dans Paris des hommes à systèmes qui entravent tout. Croiriez-vous qu’à votre ancienne salle on vient de faire une dépense de 7 à 800000 livres, qui ne sera d’aucune utilité pour la République ? (De violents murmures éclatent dans toute l’Assemblée.) Vous aviez rendu un décret fort sage. S’il avait toujours été exécuté, vous auriez prévenu beaucoup de mouvements salariés peut-être par des partis contraires. Vous aviez décrété, le 30 germinal, qu’on ne paierait plus aucunes dépenses, sans pièces justificatives. En effet, les anciens ministres ordonnançaient sans cette précaution, et l’on payait souvent pour des objets qui n’avaient point été fournis. Autre abus : on donne des à-comptes qui finissent toujours par excéder les dépenses et aggraver le désordre de la comptabilité. Apportez donc ici la sévérité la plus grande; exigez que vos commissions exécutives vous présentent des pièces justificatives pour tout. Songez que vos dépenses sont énormes, qu’il en coûte à la République 300 millions par mois (107). En 1792 la France a dépensé 1 800 millions et en 1793, 2 milliards. Sans doute vous ne pouvez (107) Débats, n° 772, 640, indique « par mois, environ deux cents millions, plus ou moins. » 404 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE réformer les secours attribués aux femmes, aux veuves, aux enfants, aux pères et mères des défenseurs de la patrie ; mais vous avez le système de commerce exclusif dans la main du gouvernement, système qui occasionne des pertes énormes. On nous force d’acheter en écus des denrées qui reviennent, je suppose, à 21 L le quintal, et que l’on donne à 14 L ; voilà donc 7 L de perte. Sans doute il faut dans les circonstances où nous nous trouvons, il faut faire des sacrifices, sans quoi vous organiseriez la famine; mais il faut un respect inviolable pour les propriétés. (On applaudit à plusieurs reprises.) Voilà la base unique de votre système de finances. Nous n’avons cessé de vous le dire, je vous le dirai sans cesse avec la franchise que vous me connaissez : qui est-ce qui voudra acquérir des domaines nationaux s’il n’a pas la certitude que sa propriété lui sera garantie? (Nouveaux applaudissements.) Si l’on porte la moindre atteinte aux propriétés provenant des biens des émigrés, des déportés, votre système financier croule encore. Les biens qui provenaient du clergé sont connus; ils étaient vendus presque en totalité avant votre réunion. Il y a les domaines et les forêts, agrandis par les possessions des émigrés. Le système des biens à vendre résulte de votre législation. Plus vous repecterez les propriétés, plus vous trouverez d’acquéreurs. (Les applaudissements recommencent.) On ordonne des démolitions de bâtiments d’églises; certes je n’aime pas plus les églises qu’un autre, mais elles peuvent être vendues utilement ; ceux qui les démolissent attaquent la propriété nationale. Il est impossible de vous donner un tableau précis, ni même approximatif, des revenus nationaux, par exemple, dans la Vendée, dont presque toutes les terres appartiennent à la République par l’effet de l’émigration ou de la déportation. Je le répète, il faut que tous les membres viennent à notre aide. Sans doute, avec le déficit de nos recettes et l’énormité de nos dépenses, le moyen de retirer les assignats de la circulation n’est pas un moyen aisé ; mais, pour parvenir à le trouver, ayez une comptabilité bien réglée, bien exacte, et surtout probe, et que tous nos collègues viennent à cette tribune et dans le comité apporter le tribut de leurs lumières et le fruit de leur expérience et de leurs réflexions. (On applaudit.) La Convention charge les comités des Finances, d’ Agriculture et de Commerce, de méditer les moyens de retirer le plus possible d’assignats de la circulation (108). (108) Moniteur, XXII, 424-427. J. Mont., n° 22; M. U., XLV, 234-235; Ann. R. F., n° 44 et 45; Ann. Patr., n° 673; C. Eg., n° 808 ; J. Fr., n° 770 ; J. Perlet, n° 772 ; F. de la Républ., n° 45 ; Mess. Soir, n° 809 ; J. Univ, n° 1804 ; J. Paris, n° 45; Débats, n° 772, 634-640; Gazette Fr., n° 1038; Rép., n° 45. 26 Après avoir entendu la pétition de la veuve Laroche-Lambert et sur la proposition d’un membre [GUYOMAR], la Convention rend le décret suivant : La Convention nationale, sur la pétition de la veuve Laroche-Lambert, qui expose, qu’après la mort de son mari, enveloppé dans la conspiration des prisons, on a compris ses biens dans le séquestre de ceux de son mari, que le délai accordé pour la suspension de la vente est à la veille d’expirer, et sur la demande en prorogation de délai pour pouvoir faire liquider ses droits et se soustraire, elle et ses enfans, à la plus affreuse misère; La Convention nationale surseoit à la vente et renvoie au comité des Finances (109). 27 Les prêtres détenus dans la maison d’arrêt de Grenoble [Isère], se plaignent de ce qu’on a réduit à 40 sols la somme qui leur est accordée pour leur nourriture et leurs premiers besoins, tandis qu’on accorde 50 sols à tous les autres détenus. Sur la motion d’un membre, la Convention renvoie la pétition aux repré-sentans du peuple sur les lieux pour y statuer (110). La séance est levée à quatre heures (111). Signé, ESCHASSERIAUX jeune, BOISSY [d’ANGLAS], Pierre GUYOMAR, GUIMBERTEAU, secrétaires. En vertu des lois des 7 floréal et 3 fructidor, l’an troisième de la République française une et indivisible. Signé, Marie-Joseph CHÉNIER, président, GUILLEMARDET, J.-J. SERRES, BALMAIN, C.A.A. B LAD, secrétaires (112). (109) P.-V., XL VIII, 192-193. C 322, pl. 1367, p. 8, minute de la main de Guyomar, rapporteur selon C* II 21, p. 22. M. U., XLV, 267. (110) P.-V., XL VIII, 193. C 322, pl. 1367, p. 9, minute non signée. Rapporteur, Genevois, selon C* II 21, p. 22. J. Fr., n° 770; M. U., XLV, 267 (111) P.-V, XL VIII, 193. M. U., XLV, 236. J. Perlet, n° 772, indique 5 heures. (112) P.-V, XL VIII, 193.