474 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 août 1789.] Séance du soir. Il a été rendu compte d’une délibération prise le deux de ce mois par la ville et mandement de Severac-le-Châtel, et les communautés de la paroisse de Saint-Grégoire, Lavergne et Saint-Pri-vant, portant adhésion aux arrêtés de l’Assemblée nationale. En conséquence de la présentation faite des pouvoirs de M. Defaye de Villeloutreix, évêque d’Oléron, député ecclésiastique du pays de Soûle, et sur le rapport du comité de vérification, M. l’évêque d’Oléron a été admis comme député vérifié. M. Rewbell, au nom du comité des douze, a mis sur le bureau le n° 21 d’une feuille intitulée: le Patriote Français, journal libre, impartial et national, par une société de citoyens, et dirigée par J. -P. Brissot de Warville, imprimé chez la veuve Hérissant. Il a dit qu’un passage de la page 4 de cette feuille, commençant par ces mots: « On distribue ici », et finissant par les mots: « le faire enterrer », avait paru mériter l’attention de l’Assemblée nationale, sous deux points de vue : 1° parce que pouvant exciter de la fermentation, il paraissait essentiel de vérifier si l’original de l’ordre dont cet écrit fait mention existe en effet; 2° parce que la demande qui serait faite de cet original pouvait conduire à demander en même temps la représentation des autres papiers de la Bastille, pour vérifier si l’on n’y trouverait point de traces de complots contre la nation. M. Rewbell a ajouté que le comité n’avait pas voulu se déterminer à demander la représentation de ces papiers, et d’autres relatifs aux mêmes faits, sans les ordres exprès de l’Assemblée nationale. Il a décidé qu’il n’v avait pas lieu de délibérer, attendu que le comité est suffisamment autorisé pour remplir l’objet de son institution. Un membre du comité des vérifications s’est présenté pour faire un rapport : il a ôté décidé que, suivant l’ordre du jour, on devait entendre en ce moment MM. du comité des subsistances, et ensuite MM. du comité du rapport. Le rapporteur du comité des subsistances et un autre membre de l’Assemblée ont tenu successivement la tribune. Le premier a proposé, l’autre a appuyé le projet d’arrêté qui suit : « L’Assemblée nationale, considérant que l’Etat n’est pas composé de différentes sociétés étrangères l’une à l’autre, et moins encore ennemies ; « Que tous les Français doivent se regarder comme de véritables frères, toujours disposés à se donner mutuellement toute espèce de secours réciproques ; « Que cette obligation est plus impérieuse encore et plus sacrée, lorsqu’il s’agit d’un intérêt aussi général que celui de la subsistance; « Que les lieux où se trouvent les plus grands besoins sont naturellement indiqués par les plus hauts prix ; « Que ceux qui sont le plus à portée de donner des secours le sont pareillement par les plus bas prix ; « Qu’entre ces deux extrêmes, sont, dans un état moyen d’approvisionnement et de prix, une multitude de provinces et de cantons qui peuvent avec avantage débiter ces grains dans ceux où le besoin est le plus grand et le prix le plus haut, et remplacer à meilleur marché, dans les provinces les mieux fournies, les secours qu’elles auront donnés à celles qui en étaient dénuées ; « Que l’on ne pourrait s’opposer à cette marche sans prononcer une véritable proscription contre les provinces qui éprouveraient la disette ; « Que rien ne serait plus contraire aux lois du royaume, qui, depuis vingt-six ans, ont constamment ordonné qu’il ne serait, en aucun cas ni en aucune manière, mis aucun obstacle au transport d’une province, ni d’un canton à l’autre ; « Qu’il est donc indispensable d’assurer l’exécution de ces lois, et de permettre la circulation desgrainset des farines, unique moyen d’égaliser la distribution et le prix des subsistances, sous la sauvegarde la plus spéciale de la nation et du roi ; « A décrété et décrète : « 1° Que les lois subsistantes, et qui ordonnent la libre circulation des grains et des farines dans l’intérieur du royaume de province à province, de ville à ville de bourg à bourg et de village à village, seront exécutées selon leur forme et teneur ; casse et annule toutes ordonnances, jugements et arrêts qui auraient pu intervenir contre le vœu desdites lois; fait défense à tous juges et administrateurs quelconques, d’en rendre de semblables à l’avenir, à peine d’être poursuivis comme criminels de lèse-nation ; fait pareillement défense à qui que ce soit, de porter directement ou indirectement obstacle à ladite circulation, sous les mêmes peines. « 2° Fait pareillement défense à qui que ce soit d’exporter des grains et farines à l’étranger, jusqu’à ce que, par l’Assemblée nationale, et sur le rapport et réquisition des assemblées provinciales, il en ait été autrement ordonné, à peine d’être, les contrevenants, poursuivis comme criminels de lèse-nation. « Et sera le présent décret envoyé dans toutes les provinces, aux municipalités des villes et bourgs du royaume, pour être lu, publié et affiché partout où besoin sera; ordonne, enfin, l’Assemblée nationale, aux milices bourgeoises, maréchaussées et troupes, de prêter main-forte pour assurer la pleine et entière exécution du présent arrêté. » Un membre, dans le cours des débats, a fait la motion que le projet fût imprimé et renvoyé dans les bureaux pour y être discuté. Un autre membre a proposé de délibérer actuellement sur ce qui concerne la libre circulation dans l’intérieur, et de renvoyer le surplus seulement dans les bureaux. Après quelques discussions sur ce point, M. le président a mis d’abord en question si l’on séparerait la partie du projet qui a rapport à la circulation intérieure, de la partie relative à l’exportation? lia été décidé qu’on ne diviserait pas le projet. L’Assemblée, délibérant ensuite sur la motion, a ordonné que le projet d’arrêté présenté par le comité de subsistances serait imprimé, distribué et renvoyé à la discussion des bureaux. Il a été fait une motion tendant à la suppression des comités de subsistances et de rapport ; il a été décidé que l’ordre du jour s’opposait à ce qu’on s’occupât de cet objet. M. Régna» Id de Saint-Jean-d'Angely, membre du comité des rapports, a rendu compte de l’affaire du procureur du roi Je Falaise, décrété d’ajourneflient personnel par le parlement de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 août 1789.] 475 Normandie, pour avoir (suivant les termes du décret) tenu des propos calomnieux contre la magistrature et contre les membres du parlement dans l’assemblée tenue à Falaise pour nommer des députés de l’assemblée des trois ordres à Caen. Après une longue discussion de cette affaire, un de MM. les députés, membre du parlement de Normandie, a dit que la nature des avis ouverts l’autorisait à réclamer delajustice de l’Assemblée la permission de parler en laveur de la compagnie dont il avait l’honneur d’être l’un des chefs, et qu’ayant besoin de se recueillir à cet effet, il suppliait l’Assemblée nationale de lui accorder jusqu’à demain. L’Assemblée y a consenti, à la condition que cette affaire se reporterait à une séance de l’après-midi, pour ne pas interrompre le travail ordinaire. M. le Président a remis la séance à demain , heure ordinaire. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE STANISLAS DE CLERMONT-TONNERRE. Séance du dimanche 23 août 1789. L’ordre du jour ayant ramené la discussion des articles 16, 17 et 18 du projet de la déclaration des droits, M. le président demande le calme et le plus grand silence pour un projet de cette importance. M. Péüon de Villeneuve. La question soumise à votre décision est de savoir si vous agiterez les articles 16 et 17 du projet de déclaration des droits, ou si vous en renverrez la discussion à la Constitution. 11 y a sans doute une certaine sagesse à ne pas se livrer à un examen qui pourrait devenir inutile, s’il faut s’en occuper lors de la Constitution; et ce n’est vraiment qu’à la Constitution qu’on doit traiter les articles 16 et 17; car, si vous y faites attention, ces articles vous annoncent des devoirs et non des droits... 11 ne s’agit pas ici de faire une déclaration des droits seulement pour la France, mais pour l’homme en général. Ces droits ne sont pas des lois, et ces droits sont de tous les temps et avant les lois. Je demande donc que l’on renvoie l’examen de ces deux articles à la Constitution. M. Maillot, ta religion est un de ces principes qui tiennent aux droits des hommes, l’on en doit faire mention dans la déclaration. Si la religion ne consistait que dans les cérémonies du culte, il faudrait sans doute n’en parler que lorsque l’on rédigera la Constitution : mais la religion est de toutes les lois la plus solennelle, la plus auguste et la plus sacrée; l’on doit en parler dans la déclaration des droits. Je propose l’article suivant: « La religion étant le plus solide de tous les biens politiques, nul homme ne peut être inquiété dans ses opinions religieuses. » (Cet article est en substance celui de M. le comte de Castellane, dont la dernière partie est retranchée.) (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. M. Bouche. Je vote la suppression des articles 16 et 17 ; quant à présent, il faut en venir à l’article 18, qui porte que « tout citoyen qui ne trouble pas le culte établi ne doit pas être inquiété. » Je commencerais donc par mettre en ayant une maxime qui est de tous les peuples, qui appartient à la morale, et une vérité que l’auteur des Opinions religieuses a si bien développée. Selon lui, « il ne peut y avoir de société durable sans religion, à tel point que s’il pouvait en exister sans religion, la politique devrait se hâter de lui en donner une. » Je proposerais donc d’adopter l’article 18 tel qu’il est dans le projet du sixième bureau, et en plaçant au lieu du mot culte « toutes croyances et opinions religieuses. » En rédigeant ainsi l’article, c’est en quelque sorte prendre l’esprit de l’édit de 1785. Voici l'article que je prends la liberté de présenter. « Comme aucune société ne peut exister sans religion, tout homme aledroit de vivre libre dans sa croyance et ses opinions religieuses, parce qu’elles tiennent à la pensée, que la Divinité seule peut juger. » Cette rédaction trouve quelques approbateurs, mais aucun orateur ne l’appuie formellement. La question de savoir si l’on devait traiter les articles 16 et 17, ou les renvoyer à la Constitution, n’était que la suite de là motion faite par M. l’abbé d’Eymar qui demande la parole. M. l’abbé d’Eymar. Les réflexions des préopinants m’ont inspiré des idées nouvelles sur le projet que j’ai eu l’honneur de vous présenter hier ; elles pourraient peut-être concilier la diversité des opinions. L’article 16 présente une variété qui découle des derniers articles que vous avez sanctionnés; il renferme un droit sublime, en ce qu’il proclame un tribunal supérieur, le seul qui puisse agir sur les pensées secrètes, le tribunal de la conscience et de la religion. Il est important de sanctionner, je ne dis pas l’existence de cette vérité, mais encore la néces-sité-de mettre sans cesse sous les yeux des hommes un principe avec lequel ils doivent naître et mourir. Il est la sauvegarde, il est le premier intérêt de tous, et il serait funeste que tout ce qui existe n’en fut pas pénétré. J’ai changé l’article que j’ai eu l’honneur de vous proposer hier. Je n’y annonce rien de relatif au culte. Cet objet tiendra mieux sa place dans la Constitution, soit pour fixer la dignité de son objet, soit pour déterminer de quelle manière il sera exercé. Je vous observe cependant qu’en discutant l’article rédigé tel que je vais avoir l’honneur de le lire, il ne faut pas se livrer encore à la discussion du dix-huitième article. L’essentiel, au reste, est d’examiner avec la sagesse, avec la gravité du sujet, les questions qu’il présente. C’est en s’élevant pour ainsi dire à la hauteur même de son travail, que l’on peut raisonner sur des questions aussi grandes, aussi majestueuses; et ce n’est point ni avec des phrases étendues, ni avec la hardiesse du paradoxe, ni aveedes plaisanteries facétieuses que l’on doit les réfuter. Voici mon projet d’article : o La loi ne pouvant atteindre les délits secrets, c’est à la religion seule à la suppléer. Il est donc essentiel et indispensable, pour le bon ordre de la société, que la religion soit maintenue, conservée et respectée. »