96 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Je propose donc la suspension de l’exécution des jugements rendus contre des délits qui auraient eu la révolution pour cause. BOURDON (de l’Oise) : La dicussion qui vient de se prolonger prouve que, lorsqu’un principe est bon, au lieu de l’attaquer de front, on l’exagère pour le rendre nul. Ce que demande Reubell est déjà fait; les patriotes incarcérés avant le 9 thermidor ont déjà été mis en liberté. Vous devez empêcher que la réaction ne devienne funeste. Demander qu’on ne poursuive pas les procédures, c’est donner de la consistance aux accusés; mais il faudrait avoir un cœur barbare pour vouloir, en attendant un rapport, laisser tomber la tête des patriotes sous la hache des lois. Si, parmi des citoyens, il se trouve des hommes pervers, des voleurs, le comité ne les protégera pas, soyez en sûrs. J’appuie la proposition pure et simple de Calon. MERLIN (de Douai) La République ne peut se sauver quand on déviera des principes. Il y a ici une confusion d’idées qui m’étonne. Il y a trois espèces de causes d’arrestation : d’abord, on peut être arrêté comme suspect pour les cas prévus par la loi du 17 septembre; en second lieu comme contre-révolutionnaire; et enfin, pour les délits dont connaissent les tribunaux criminels. La motion de Méaulle ne peut frapper ni sur le premier [le comité de Sûreté générale a d’ailleurs la grande main sur ces sortes d’arrestations] (142) ni sur le second cas [certes ni Méaulle, ni personne ici ne prétend suspendre le jugement de ces sortes de crime, ni arrêter ou entraver les jugemens du tribunal qui en décide.] (143); quant au troisième, voyons de quels délits connaissent les tribunaux criminels. Il en est de contre-révolutionnaires, comme fabrication de faux assignats et émigration : certes, je ne puis croire que l’intention de la Convention soit de suspendre les procédures ou les jugements contre de pareils délits. Ils connaissent encore des crimes de vol et d’assassinat [incendies, escroqueries, etc.] (144) : or je demande si des voleurs, si des assassins doivent exciter l’intérêt de la Convention. Je demande encore si vous avez confiance dans l’institution sublime des jurés? [vous avez dans ces tribunaux la belle institution des jurés, qui est telle, à moins qu’on la pervertisse comme Robespierre l’avoit fait à l’ancien tribunal révolutionnaire] (145) [(qu’)il est possible quelquefois qu’un coupable échappe, mais jamais qu’un innocent périsse] (146). [C’est là une sauvegarde suffisante pour l’innocence et le patriotisme. Je demande donc que pour l’honneur des principes et pour celui de la Convention, vous passiez à l’ordre du jour sur la proposition faite de suspendre les procédures, puisqu’un tel dé-(142) Débats, n° 721, 427. (143) Débats, n° 721, 427. (144) Débats, n° 721, 427. (145) J. Perlet, n° 719. (146) Débats, n° 721, 427. cret ne pourrait tourner qu’au profit des voleurs et assassins] (147). {Plusieurs voix : oui, oui !) Eh bien, passons à l’ordre du jour. THURIOT : je crois aussi qu’il y a eu réaction de la part de l’aristocratie. Nous ne voulons ni propager le crime, ni laisser opprimer l’innocence, [mais elle n’a pas porté sur des innocens seulement, elle a aussi frappé des scélérats. Le peuple ne veut plus de tyrannie. (On applaudit.) (148)] La proposition de Méaulle est pure, elle est simple; mais en la décrétant sans examen elle pourrait devenir une mesure précipitée. [Que les fers des patriotes soient brisés ! c’est le vœu de tous les cœurs] (149). Déjà hier les trois comités de Législation, de Sûreté générale et de Salut public se sont réunis. Nous avons porté les yeux sur les grands intérêts publics, sur la réaction de l’aristocratie, et sur les tentatives de tous les scélérats qui avaient conspiré contre la République. Nous marchons, il faut l’avouer, entre deux écueils : d’un côté l’aristocratie, de l’autre les fripons. Des hommes impurs, que nous avons chassés des places où les avait portés l’intrigue, ceux qui craignent le soleil de la vérité, ceux qui avaient juré la perte de la liberté, ces hommes qui voulaient avilir et détruire la représentation nationale, avaient des correspondances dans les départements; [des atrocités se sont commises] (150), ils ont été saisis. Certes, pour les patriotes il ne faut pas d’indulgence : ils ne veulent que justice; [ap-plaudissemens ] (151) mais pour de pareils scélérats, interromprons-nous le cours de la justice ? [l’indulgence pour le crime seroit elle-même le plus grand des crimes. ( Vifs applau-dissemens.)] (152). Renvoyez aux trois comités, en les chargeant de se rassembler ce soir pour méditer la mesure la plus prompte et la plus salutaire [pour que la justice prompte soit rendue aux innocens mais aussi pour que les coupables soient punis. {Nouveaux applaudis-semens )] (153). La Convention décrète le renvoi. Un autre membre [Méaulle] demande que la Convention décrète la suspension des procès criminels intentés depuis le 9 thermidor, attendu que par-tout les patriotes sont opprimés, et qu’il est nécessaire que le comité de Sûreté générale examine les faits. Un autre membre [Reubell] demande la suspension seulement de l’exécution des jugemens. Ces propositions sont combattues, et sur la demande d’un membre [Thuriot], la Convention en décrète le renvoi aux co-(147) J. Perlet, n° 719. (148) Débats, n° 721, 427. (149) Débats, n° 721, 427. (150) Débats, n° 721, 428. (151) Débats, n° 721, 428. (152) Débats, n° 721, 428. (153) Débats, n° 721, 428. SÉANCE DU 25 FRUCTIDOR AN II (11 SEPTEMBRE 1794) - N° 53 97 mités chargés de faire le tableau de la situation de la République (154). La séance est levée à trois heures et demie (155). Signé, Bernard, (de Saintes), président ; Borie, L. Louchet, Reynaud, Bentabole, Guffroy, Cordier, secrétaires. AFFAIRE NON MENTIONNÉE AU PROCES-VERBAL 53 La société populaire de Port-Pelletier, ci-devant Saint-Valéry en Caux [département de Seine-Inférieure], donne connoissance à la Convention nationale des traits suivans : Victor-Hochard, âgé de 15 ans, se présente à la municipalité pour être admis à l’école du champs-de-Mars; sa trop grande jeunesse le fait refuser; mais Hochard sait bientôt s’élever au dessus des obstacles : il ne peut être utile à sa patrie sur terre, il veut la servir sur mer. Il recevoit de son père chaque décadi 10 sols (154) P.V., XLV, 209. (155) Moniteur, XXI, 741; J. Perlet, n° 719; M. U., XLIII, 414; J. Fr., n° 717 indiquent quatre heures. pour se divertir; il les économise en secret; et lorsqu’il a une somme qu’il croit suffisante, part sans prévenir ses parens et court à Fé-camp pour s’enrôler dans la marine. Le commissaire des classes ne peut s’empêcher de satisfaire le désir ardent de ce jeune citoyen; il lui délivre une route pour le Havre, où il s’embarque sur un vaisseau, sans avoir les habits nécessaires. Pierre-François Jolly, âgé de 13 ans devoit partir du Port-Pelletier sur un navire marchand mis en réquisition. Impatient des retards de l’expédition, il part pour le Havre sans prévenir ses parens, qui font faire des perquisitions pour le découvrir : il étoit à Fé-camp, dépourvu de tout ce qui est nécessaire pour s’embarquer; il est ramené à la maison paternelle. Son père ne voulant point contrarier le désir de son fils, le fit habiller; il est maintenant mousse sur la corvette La Tourterelle. Jacques-Philippe Bellenger, âgé de 15 ans, quitte aussi la maison paternelle, et absent pendant deux décades, il s’étoit déguisé pour se soustraire aux recherches : il va se présenter au bureau de la marine; mais il est reconnu et renvoyé à son père, qui applaudit aux sentimens de son fils. Il le fit habiller et embarquer (156). (156) M. U., XLIII, 408-409; Bull., 24 fruct.; Ann. Pa.tr, n°619. Dans cette dernière gazette l’âge de Victor Hochard est de 17 ans.