440 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 novembre 1790.] ADRESSE des chasseurs à cheval du Hainaut , et procès-verbal de la municipalité de Melun . Monsieur ]e Président, un article du Courrier , rue Basse-du-Rera part, s’exprime dans les termes suivants, au sujet d’une prétendue insurrection du régiment des chasseurs du Hainaut, arrivée à Melun. « Mercredi dernier, les chasseurs ont insulté la « garde nationale, ont déchiré la cocarde et tenu « des propos sur la nation, puis ont fini par cou-« per les cordes des réverbères, et les ont jetés « dans la rivière. Nota. Les officiers n’ont aucune « part à cette insurrection. Ils étaient à une noce, « où ils se divertissaient amicalement avec des « citoyens de la ville. La municipalité est à « Paris, pour demander le renvoi de ce régiment, « de la ville de Melun. » Le Courrier français imprime la lettre suivante : Gorbeil, le 10 novembre. € Le régiment des chasseurs du Hainaut vient « de se rendre coupable du même forfait que « celui qu’on a fait commettre à Royal-Liégeois « et Lauzun. Hier au soir, ou plutôt cette nuit, « la plupart des soldats qui le composent, ont par-« couru les rues à la suite d’une orgie militaire, « se sont répandus en propos insultants contre « l’Assemblée nationale et la Constitution, et ont « menacé de mettre ici tout à feu et à sang. On « les voyait de tous côtés aiguisant leurs sabres « sur le pavé, et montrant le dessein cruel de « tout saccager. Heureusement leur fureur s’est « bornée à abattre toutes les lanternes qui éclai-« raient nos deux ponts. » Voisins de la capitale, nous avons au moins, Monsieur le President, le bonheur de démontrer plus tôt la fausseté de pareilles inculpations. Si la calomnie a épargné les officiers, si ses traits empoisonnés ont respeclé l’innocence de leur conduite personnelle, ce n’est pas un motif suffisant pour les engager à un silence, que les chasseurs auraient le droit de leur reprocher. L’attestation ci-jointe de la municipalité de Melun répondra plus que suffisamment pour un régiment qui, fidèle à ses devoiis et à son serment, eût méprisé une aussi odieuse calomnie, s’il ne devait pas en redouter les suites. Persuadés que les représentants de la nation donneront bientôt, dans leur sagesse, des bornes à la liberté de la presse, nous croirions nous humilier en sollicitant la juste punition des calomniateurs, et nous nous bornons, Monsieur le Président, à supplier, par votre organe, l’Assemblée nationale de vouloir bien, dans sa justice, ordonner l’impression de notre lettre et de l’attestation delà municipalité de Melun, que nous avons l’honneur d’y joindre. Nous avons l’honneur d’être avec le plus profond respect, Monsieur le Président, vos très humbles et très obéissants serviteurs. Les officiers commandant l’escadron du régiment des chasseurs à cheval du Hainaut , en quartier à Melun. Signé : Montaus, commandant du régiment; Monnet, commandant l’escadron; de Dudieu, Prudent, Darü-d’E-pmay, Dessaulx. A Melun, le 14 novembre 1790. P. S. Au moment où notre lettre était terminée, MM. les administrateurs du district de Melun ont bien voulu démentir les assertions insérées dans les deux journaux cités ci-dessus. Cette marque de bienveillance, en ajoutant à notre reconnaissance, prouve de la manière la plus évidente, les sentiments opposés à ceux qu’on suppose à nos chasseurs. Extrait du procès-verbal de la municipalité de Melun. Nous, maire et officiers municipaux de la ville de Melun, à la réquisition de MM. les officiers commandant l’escadron du régiment des chasseurs à cheval du Hainaut, en quartier dans nos murs, attestons que l’article qui concerne les chasseurs de ce régiment, inséré dans le Courrier français, et celui rue Basse-du-Rempart, est de tout point faux et calomnieux; que jamais ils n’ont fait la plus légère insulte à la garde nationale, avec laquelle ils vivent dans la plus parfaite intelligence, et que tous les autres points d’accusation, prononcés contre eux, sont dénués de tout fondement. Que s’il est vrai que, dans la nuit du mercredi dix au jeudi onze novembre, quelques réverbères de Dotre ville ont effectivement été fracassés par quelques-uns des chasseurs, cet événement n’a été que la suite d’une ivresse, de la part des délinquants; que M. le commandant s’est présenté dès le lendemain à l’hôtel commun, pour y offrir l'indemnité, et nous exposer les mesures qu’il avait prises; telles que d’avoir fait partir sur-le-champ, pour leurs escadrons respectifs, les recrues qui en étaient la cause innocente, et d’avoir mis d’abord en prison quelques hommes qui, rentrés aux casernes dans la nuit, pouvaient être suspectés ; que nous avons nous-mêmes renoncé à toute indemnité et sollicité la grâce des chasseurs emprisonnés ; et, qu’animés du désir de rendre justice à la vérité, nous n’avons que de bons témoignages à rendre, tant des officiers que des chasseurs en quartier dans notre ville, et qu’aucun vœu n’est plus éloigné de notre pensée, que celui de demander le départ d’un régiment dont le zèle et le patriotisme nous ont paru démontrés depuis le peu de temps qu’il est ici, et sur lequel nous aimons à compter, pour le maintien de l’ordre et de la tranquillité publique. Fait à Melun, en l’hôtel commun, le treize novembre mil sept cent quatre-vingt-dix. Signé : Chamblin, maire; Gittard, officier municipal ; Metier; Estancelin, officier municipal; Doucet; Thesy-Devannesson, officier municipal; Amiot, officier municipal ; Therenou, président; Riquet, procureur de la commune. M. le Président, pour corriger une erreur qui s’est glissée dans le procès-verbal du 28 octobre au matin, annonce que, par le résultat du scrutin, les commissaires pour la fabrication des nouveaux assignats , sont : MM. Populus, MM. Ledéan, Armand (de Saint-Flour), Guy-Blancard, Saint-Martin (d’An-nonay), Papin, Leclerc (de Paris), Périsse-Duluc. M. le Président. L’ordre du pur est la suite de la discussion sur l'impôt du tabac. M. Pétion (1). Messieurs, le comité d’imposi-(1) Ce discours est très incomplet au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [15 novembre 1790.J 441 tions distingue le tabac qui croîtra sur notre sol, du tabac étranger; il abandonne l’un au régime de la liberté; il fait de l’autre un objet de monopole confié à une régie, avec privilège exclusif. Ce système de fiscalité est-il convenable à la dignité de la nation ? Est-il conforme aux intérêts de son commerce et de ses manufactures? C’est ce que nous allons examiner (1). Dans le plan du comité, les frais et les abus de la régie ne sont pas douteux, et le revenu est incertain ; il est néanmoins estimé à 12 millions, mais par approximation. Sous le régime du monopole, le tabac serait acheté avec des espèces. L’expérience prouve que les compagnies privilégiées font leurs achats de cette manière ; l’expérience prouve également que ces compagnies ne contractent qu’avec de fortes maisons, et ne traitent pas avec les petits commerçants. Il en résulte : 1° l’exportation d’une quantité de numéraire égale à la valeur du tabac importé; 2° un bénéfice de commerce en faveur des négociants à grands capitaux. D’après cela, on ne peut se dissimuler que la régie correspondrait avec des négociants de Londres ou avec leurs agents en Amérique, non seulement nos espèces seraient exportées, mais elles seraient fournies à une puissance rivale; ce qui porterait un nouvel échec au taux déjà ruineux du change entre Londres et Paris. Ces considérations sont très graves sans doute; en voici de nouvelles. Il est évident que le tabac n’a fixé l’attention du comité que sous le rapport du revenu dont il peut être la base. Ce point de vue est intéressant, nous en convenons; mais le tabac doit être le sujet d’une spéculation plus vaste. On peut lier le revenu, qui résultera de ce commerce, à des rapports politiques étendus et importants. Le tabac ne pourrait-il pas être librement importé et librement cultivé? ne pourrait-il pas être assujetti à un droit qu’on percevrait dans les ports d’une manière simple et peu dispendieuse? Ne pourrait-on pas le déposer en arrivant dans des magasins publics? Là on le vendrait; là l’acheteur payerait, à la fois, et le droit et le prix; le vendeur recevrait la valeur de sa marchandise, et le percepteur sa taxe. La seule objection qui se présente, c’est celle du danger delà contrebande; mais un mot écarte cette objection. Le droit levé sur un objet de commerce est la juste mesure de l’intérêt du contrebandier à le faire passer en fraude. Or, le droit supposé égal pour l’Etat, les frais de régie sont nécessairement une taxe additionnelle qui accroît l’intérêt du contrebandier, de tout ce dont le prix delà denrée en est augmenté. Il est donc évident que c’est dans le système de la régie que sont réunis tous les inconvénients de la contrebande. Je dis plus : le tabac étant une marchandise volumineuse, son introduction ne pouvant se faire que parles ports, et étant emmaginé à son arrivée, les obstacles à la fraude se multiplient à l’infini. Les avantages de la liberté de l’importation sont nombreux et incalculables. D’abord, économie des frais de la régie, — ses abus écartés, — . (1) Cette opinion est très abrégée ; je dois ce qu’elle peut contenir d’intéressam à l’ouvrage de MM. Clavière et Brissot, sur les rapports de la Fiance avec les Etats-Unis de l’Amérique, et aux observations de M. Short, chargé des affaires de l’Amérique auprès de la France. [Voy. plus loin les observations de M. Clavière sur l’impôt du tabac.) Je revenu de la consommation formant un produit net, exempt de toute charge. Ensuite, l’exportation du numéraire nulle ou à peu près. Le tabac des Américains serait naturellement échangé contre les produits du sol et des manufactures françaises. Il y a eu jusqu’à présent peu de commerce entre les deux nations, parce qu’il y a eu peu de moyens d’échange. Le tabac, objet principal de l’exportation des Américains, étant prohibé en France, on a dû le porter en Angleterre où l’introduction était libre. Une fois dans cette île, il était naturel que les marchands des Etats-Unis se chargeassent, en retour, des marchandises dont ils avaient besoin. — Ils en agiraient de même en France, et se fourniraient, dans ses manufactures, des articles que l'Amérique ne peut se procurer qu’en Europe. Les produits de l’industrie française, ses vins et ses autres denrées trouveraient donc un nouveau débouché, un débouché, immense. Le tabac ayant ouvert la porte des Etats-Unis, ce ne serait pas à cette production seule que se borneraient les liaisons de commerce. Les diverses branches de commerce se tiennent; et les Américains finiraient par conduire leurs divers articles d’exportation dans le lieu où ils porteraient habituellement le principal de tous. Les exportations de l’Amérique montent actuellement à 90 millions tournois, et les importations maintiennent la balance. N’est-il pas digne de l’Assemblée nationale d’examiner s’il n’est pas d’une bonne politique. de profiter du moment pour faire du tabac le lien de commerce entre les deux nations; d’attirer ainsi dans les ports de France les productions de l’Amérique, et de se rendre maîtres des échanges ? Quiconque a réfléchi à la nature des produits du sol et de l’industrie de là France, et a songé à les comparer aux besoins des Etats-Unis, ne saurait douter un instant que ces deux contrées ne soient précisément dans la situation respective, d’où il résulte, pour lune et l’autre, le plus grand avantage possible d’un commerce réciproque. Ce qui, jusqu’à présent, s’est opposé à ce commerce, ce sont les entraves qu’une administration désastreuse a mises à la libre importation des marchandises américaines; et, d’un autre côté, l’attention suivie avec laquelle le gouvernement britannique a favorisé leur introduction. Non seulement, dans le système de régie proposé par le comité, le tabac serait, ainsi que nous l’avons dit, fourni par les négociants anglais et leurs agents, mais il serait transporté sur leurs vaisseaux, et contribuerait à entretenir et augmenter les matelots anglais, comme il l’a fait jusqu’à ce jour. Si la France, au contraire, ouvrait ses ports au commerce de cette plante, elle pourrait prescrire que le transport n’en serait fait que par ses vaisseaux ou ceux des Américains. Cette disposition serait toute à l’avantage de la France; car il est prouvé que l’Amérique n’a pas assez de vaisseaux pour l’exportation de ses productions ; et ce sont les vaisseaux anglais qui, en 1787 et 1788, ont transporté en France le riz et les autres denrées de la partie méridionale des Etats-Unis. Cette nouvelle branche de commerce donnerait un grand emploi à sa marine. Le tabac est volumineux ; il ne se transporte qu’en tonneaux. L’exportation de l’Aménqne est de cent mille tonnes d’un millier pesant. La totalité ou à peu 442 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (18 novembre 1790.] f4gflemhlée nationale.] près se charge sur les vaisseaux anglais, et elle pourrait se charger sur nos vaisseaux. Eu effet, sous le régime de la liberté, les droits sur le tabac étaient moindres, la concurrence s’établissant, les négociants ayant intérêt de se livrer à ce commerce, la France pourrait diriger vers ses ports et au meilleur prix les tabacs américains ; elle pourrait ensuite en faire l’exportation dans l’Enrope. Pour favoriser cette exportation, elle affranchirait de tous droits les tabacs qui sortiraient de ses dépôts pour passer à l’étranger. C’est ce que font les Portugais. Les Anglais lui donnent les mêmes encouragements. Les tabacs destinés à l’exportation, et déposés dans les magasins du roi, payent le droit le plus léger, un droit de 2 sous par livre, qui leur est restitué à l’exportation ; tandis que les tabacs, destinés à la vente intérieure, payent de 32 à 33 sous par livre ; et même, par un nouveau règlement, au lieu d’exiger le payement des 2 sous par livre, on autorise les négociants à donner leur obligation de payer le droit dans les quinze mois, s’ils n’exportent pas les tabacs emmagasinés (1). En suivant cette marche, il est présumable que l’excellence des manufactures françaises, la bonté des tabacs qui en sortent, le bas prix de la main-d’œuvre assureraient insensiblement à la France la fabrication du tabac du Nouveau-Monde, et lui soumettraient la consommation des nations voisines. La France trouverait trois avantages à s’approprier ce commerce : Elle donnerait une nouvelle activité à sa marine marchande et augmenterait le nombre de ses matelots; Ses manufactures de tabac emploieraient un plus grand nombre de bras ; Elle lèverait sur les nations consommatrices du tabac d’Amérique, un tribut égal à la différence du prix entre letahac en feuille et le tabac fabriqué. La culture du tabac dans le royaume pourrait détruire ces précieux avantages, ces rapports intéressants, si le tabac étranger était surchargé de droits et ne pouvait pas balancer le prix du tabac indigène. Je n’examinerai pas ici s’il est utile, pour la prospérité de l’Empire, que ta culture du tabac fasse des progrès ; — je ne pense pas. — Le tabac est une plante vorace qui épuise le sol qui l’a fait croître. Les Américains ne la cultivent avec succès qu’à raison de l’immense étendue des terres qu’ils ont à défricher, et de leur inépuisable fertilité; mais aussitôt qu’un canton se peuple et que le prix des terres augmente, ils abandonnent la culture du tabac, pour se livrer à une culture plus avantageuse. La culture du tabac ne convient peut-être sous aucun rapport à la France; mais enfin des contrées considérables ont l’habitude de se livrer à cette culture; mais le droit naturel veut que chacun use à son gré de sa propriété : il y aurait dès lors de l’imprudence et de l’injustice à interdire la culture du tabac ; il vaut donc mieux laisser les citoyens s’éclairer par leur expérience et par leur intérêt. Mais ce dont nous ne pouvons nous dispenser, c’est de favoriser l’importation des tabacs américains, et nous n’y parviendrons qu’en les assujettissant à des droits très modérés. Une taxe de (1) Voyez les observations du lord Sheffield sur les Américains. 5 sols par livre paraîtrait remplir Iqqles (escpq-ditions. Le revenu serait certain, parce qu’il n’y aurait point d’intérêt à la fraude ; les tabacs d’Allemagne ne soutiendraient pas la concurrence, et les tabacs français se mettraient à peu près de niveau : resterait, dans tous les cas, la différence des qualités, et les tabacs américains sept supérieurs aux nôtres. La consommation de la France, d’après les calculs les plus modérés, est de vingt millions de livres pesant ; beaucoup de personnes la portent à trente : à 5 sols la livre, ce premier droit s’élèverait à cinq millions; le bas prix de la marchandise en augmenterait nécessairement la consommation, et "par conséquent le revenu accroîtrait dans la même proportion ; et ce ne serait pas avoir une opinion exagérée, que de penser qu’il tiercerait. Ce revenu se combinerait avec la liberté du commerce d’une matière brute, propre à animer un grand nombre de manufactures, à employer beaucoup de bras, de matelots, de vaisseaux, a créer dès lors de grands moyens de richesses. Ce revenu pourrait être augmenté par un droit de fabrication et par un droit de débit Je n’examine pas dans ce moment ces deux droits qui porteraient également et sur le tabac indigène et sur le tabac étranger. Je me contenterai de dire que, dans un excellent ouvrage qui a paru en 1787, sur les rapports de la France et des Etats-Unis, on a discuté, avec une grande sagacité et beaucoup de soin, cette triple base de l’jmpôt à asseoir sur le tabac, et que le résultat donne un revenu égal à celui que la France tire aujourd’hui, et en. favorisant son commerce avec les Etats-Unis. Si ce commerce est confié à une régie, il sera infailliblement perdu; il continuera à être surchargé d’entraves, et le tabac se vendra beaucoup plus cher sans que le Trésor public en soit enrichi. Il est simple que la régie tiendra sa denrée au plus haut prix possible pour acquitter les frais de son administration et accroître ses profits. Le tabac indigène s’élèvera dans la mêqiê proportion. Les provinces qui le cultiveront auront plus de bénéfices, mais les provinces qui né le cultiveront pas, auront plus de charges. Ainsi la Normandie et la Bretagne, par exemple, payeront non seulement le prix intrinsèque du tabac, mais encore les droits et les frais de régie ; et l’Alsace, la Flandre gagneront non seulement lq prix du tabac, mais plus les droits et les frais. Je finis par une réflexion qui mérite d’êtrq pesée avec attention. 11 est évident que les Laissons politiques des Etats-Unis dépendront toujours de leurs relations commerciales, et leur seront subordonnées. Si la France attache de l'importance aux premières, elle ne peut pas négliger les secondes : or, quel intérêt n’a pas la France d’entretenir des rapports politiques avec les Américains? Dans le cas malheureux d’une guerre eptre elle et l’Angleterre, les Américains sont certainement, dans le Nouveau-Monde, les plus dangereux ennemis de l’Angleterre : le Canada est sous leur main fils peuvent harceler et ruiner lp commerce des Anglais aux Indes occidentales avec la plus grande facilité. Leurs matelots sont nombreux ; et, au rapport des officiers anglais eux-mêmes, ils n’ont point d’égaux en adresse et en courage. La marine française n’est pas au-dessus d’un pareil secours pour l’équipement de ses propres vaisseaux. La France s’était promis de grands avantages dans la part qu’eile a prise à procurer l’indé- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 novembre 17§Q.| pendanee de l’Amérique. Eh bien ! en a-trelle réalisé aucun? Non. Ceux du commerce ont été sacrifiés à la ferme générale, aux obstacles de tous genres que les productions américaines ont rencontrés à leur introduction dans nos ports, tandis que les Anglais leur ont présenté les plus randes facilités. Les Américains se sont éloignés e nous, et ils ont été là où ils n’ont trouvé ni monopole ni lois prohibitives. Une fois en Angleterre, les Américains ne sont pas venus chercher en France les objets de leur consommation. Les fabriques anglaises leur fournissant tout, ils y ont tout pris. Qu’ils trouvent en France le débit de leurs productions, ils y feront les mêmes échanges; ils les feront à meilleur prix, ils n’iront plus en Angleterre acheter ce qu’ils achèteront en France avec plus de commodité et d’économie. Dans l’ancien régime, les États-Unis n’ont pas été surpris de voir leurs espérances de commerce aveç la France trompées et détruites. Le tabac avait été l’objet d’upe négociation particulière dont M. de La Fayette s’était chargé, et que la ferme fit échouer. Mais aujourd’hui que la nation est rentrée dans ses droits, que vous détruisez tous les monopoles, que penseront les Américains ? Quel espoir leur restera-t-il de se rapprocher de vous, lorsqu’ils verront que vous conservez celui qui rompt le plus toutes les relations entre eux et la France? Non, ..... vous ne commettrez pas une aussi grande faute. Vous proscrirez le système fiscal et désastreux qui vous est présenté, et vous resserrerez les liens précieux qui doivent vous attacher à jamais aux États-Unis; à une nation libre et généreuse dont la population et l’activité industrielle s’accroissent avec une rapidité qui tient du prodige; à une nation dont le commerce s’élève maintenant, tant en importation qu’en exportation, à près de 200,000,0011. J’ai l’honneur de vous proposer les articles suivants. Je laisse subsister les quatre premiers articles du projet de votre comité, et j’y joins les trois que voici, en remplacement du cinquième. Art. 1er. Il sera établi dans les villes qui seront indiquées, des entrepôts pour recevoir les tabacs étrangers en feuille. Art. 2. Ces tabacs seront assujettis à un droit de 5 sols par livres pesant. Ce droit ne sera perçu que lors de la vente et sur les tabacs destinés à la consommation intérieure ; quant à ceux qui sortiront des entrepôts pour être exportés à l'étranger, ils ne seront assujettis à aucun droit. Art. 3. Les tabacs américains ne pourront être transportés en France que sur des vaisseaux français ou américains. Plusieurs membres demandent l’impression du discours de M. Pélion. L’impression est ordonnée. M. l’abbé Maury (1). Messieurs (2), avant d’entrer dans l’importante question qui vous est soumise, je me hâte d’éclaircir d’abord deux difficultés principales que l’on ne cesse de reproduire depuis plusieurs jours dans cette tribune. (1) Je ne m’étais pas proposé de publier cette opinion, dont le sujet est très important sans doute, mais très sec et très ingrat; je la dicte rapidement après l’avoir prononcée, pour céder aux instances de més amis. (2) L’-opinion de M. l’abbé Maury est incomplète an JjtfwiUu r. 443 Pour décréditer l’impôt du tahac, on nous répète, jusqu’à la satiété, que cette vente est fondée shr un privilège exclusif incompatible avec potre Constitution, et qu’elle se soutient dans le royaume par les rigueurs d’ùh code pénal outrageant pour l’humanité. Examinons donc ces lieux communs d’économie politique et de morale législative, que l’on nous débite avec tant d’emphase pour rendre odieux l’impôt du tabac; et écqrtons de vaines déclamations qui contristent la raison du sage, en mendiant les honteux applaudissements de la multitude. Un privilège exclusif accordé à un citoyen est ordinairement une atteinte portée à l’industrie, et un véritable impôt établi sur une nation eq faveur d’un individu. Personne ne défend, dans cette Assemblée, de pareilles concessions, à moins qu’elles ne fussent la récompense passagère d’une découverte utile; et. nous professons tous unanimement que la force publique est profanée, lorsqu’elle protège les spéculations isolées d’un particulier, aux dépens de tout un Empire. Mais ces grands principes de liberté ne sauraient s’appliquer à la délibération qui nous occupe dans ce moment. Il ne s’agit pas d’examiner si la nation doit accorder des privilèges exclusifs : il s’agit de décider si elle ne peut s’en réserver aucun, et si le gouvernement n’a pas le droit de s’emparer, au prolit de l’Etat, de certaines branches d’un commerce de luxe, pour fournir aux dépenses publiques dont il est chargé. Or, en posant ainsi la question, elle est résolue devance, et tous les sophismes de nos apprentis administrateurs s’évanouissent devant nous. Il est déjà démontré, par le fait, que la nation s’attribue à elle seule, sans aucune réclamation, plusieurs privilèges exclusifs, tels que la fabrication des monnaies, la poste aux lettres, les loteries, et enfm tous les impôts indirects, qui ne sont autre chose, en dernière analyse, que l’exercice légal d’un privilège exclusif. La vente nationale du tabac n’a donc rien de contraire au droit commun des gouvernements ; et elle sera évidemment légitime, s’il est prouvé qu’elle tourne au profit du peuple, en soulageant les contribuables, de tout le produit effectif que ce commerce assure au Trésor public. Il faut que l’esprit de liberté, sagement modifié par l’esprit d’ordre et de calcul, respecte un privilège de l’Etat, quand cette réserve du fisc devient ainsi un affranchissement personnel pour chaque citoyen; et que nul ne se cruie véritablement libre, à moins qu’il ne sacri-tie une portion de ses droits en tout genre, à l’empire nécessaire des lois. Quant au code pénal dont le génie du fisc a si souvent dicté les dispositions à des ministres que le besoin du moment rendait dociles aux plus avides cruautés, je ne viens point faire l’apologie de ces lois sanguinaires que l’opinion publique a justement proscrites. Vous avez déjà reconnu, Messieurs, que ce ne sera pas dans cette seule branche de notre législation criminelle, qu’il faudra rétablir une juste proportion entre les peines et les délits. Votre code pénal doit être réformé tout entier; et vous avez déjà commencé à Je mettre de niveau avec les progrès de la raison. Mais votre sagesse ne saurait-elle donc adoucir les lois criminelles, sans tarir l’une des principales sources du rewnu public? La contrebande est sans doute un attentat contre la société. Celui qui s’isole pour l’exercer, se constitue dans un véritable état de guerre avec tousses concitoyens; et ii ne doit imputer qu’à sa propre avidité, les