[19 mai 1791.] 229 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. pour l’exercice de quelqu’un des pouvoirs constitués, sont privés par là et lorsqu’ils sont encore dans l’exercice de leurs fonctions, de pouvoirêtre élus pour les législatures. Le comité ne l’a pas pensé; il a considéré que dans un gouvernement représentatif, c’est un droit individuel du citoyen que de pouvoir parvenir à la représentation nationale, quand il est porté par la confiance de ses concitoyens; que d’une autre part, c’est le droit de la nation de choisir parmi tous les citoyens éligibles ceux qu’elle veut charger de la confiance distinguée de les envoyer à la législature. D’ailleurs, en fait d’admiuistration, il ne faut pas plus faire de déperdition d’hommes que de finances. Or, si l’on établissait une incompatibilité, on affaiblirait réciproquement, et le Corps législatif et les corps administratifs dont les fonctions priveraient les citoyens de l’avantaged’être éligibles. Maisdepuis la rédaction de notre article, on m’a observé qu’il jugeait la question de l’éligibilité des ministres. Votre comité a fait d’ultérieures réflexions. Cette question lui a paru tenir à un autre ordre de travail, savoir à l’organisation du pouvoir exécutif. Le gouvernement est composé de deux pièces, le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif; quand les fonctions de l’un et de l’autre sont bien déterminées et bien circonscrites, ces deux pouvoirs ne peuvent marcher s’ils ne sont d’acccord et en harmonie. Vous examinerez sous ce rapport s’il convient de déclarer les personnes attachées au ministère inéligibles à la législature; mais cetle question est attachée à des vues d’un genre différent de celles que présente l'organisation du Corps législatif; ainsi nous croyons qu’il ne doit être rien préjugé sur ce point. M. Lanjuinais. Je demande la parole. M. de Caæalès. J’ai l’honneur de représenter à l’Assemblée que je suis de l’avis de M. Thouret, quand il croit que les ministres doivent être élus; mais je ne suis pas de son avis quand il croit qu'il ne faut pas traiter actuellement laquestion. En effet, si l’engagement solennel que l’Assemblée nationale semble avoir pris de convoquer incessamment une prochaine législature, n’est pas un engagement vain, il faut bien décider cette question dès maintenant, il faut que les électeurs sachent s’ils pourront ou non élire les ministres. Je demande donc que l’Assemblée traite préalablement la question que voici : « Y aura-t-il incompatibiliié entre les fonctions de ministre du roi et de représentant du peuple? » M. Démeunier. Il est bien moins question de savoir si les ministres pourront être éligibles à la législature que de savoir s’ils pourront venir à l’Assemblée, ainsi qu’on l’avait proposé. J’observe Messieurs, que ceux-là qui veulent Ja convocation des assemblées primaires pour nous nommer des successeurs doivent marcher à la discussion de tout ce qui concerne le Corps législatif et je soutiens qu’adopter la méthode de M. de Cazalès serait un moyen, au contraire, de nous faire perdre beaucoup de temps. Je conclus donc à l’ajournement de la question relative à l’incompatibilité entre les fonctions de ministre et de représentant du peuple. M. Robespierre. Pourquoi exclure de la discussion ce qui regarde les ministres? Il est évident qu’on cherche à nous faire préjuger la question par le vote de l’article. Je demande qu’on mette aux voix la proposition de M. de Cazalès et qn’on discute sur la question ainsi posée: « Les ministres seront-ils éligibles, ou ne seront-ils pas éligibles à la législature? » M. Chapelier. Il s’en faut de beaucoup que la question que l’on vous propose relativement aux ministres soit simple ; elle est complexe. Car moi, qui suis d’avis qu’ils soient éligibles à la législature, je pense qu’ils doivent y être admis comme ministres. Cette question ne peut donc se résoudre par oui et par non et j’insiste, en conséquence, pour l’ajournement. (L’Assemblée, consultée, décrète l’ajournement de la question relative à l’incompatibilité des fonctions de ministre et de représentant du peuple.) M. de Rontlosier. Je demande l’ajournement de la totalité de l’article, parce qu’on pourrait mener à des conséquences forcées par des principes values. (L’Assemblée, consultée, décrèle qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la demande d’ajournement proposée par M. de Montlosier.) M. Lanjninais. Il est essentiel de bien distinguer l’objet des incompatibilités de celui de la réégibilité: aucune profession, aucune fonction ne doit être une raison d’inéligibilité. L’incompaiibitité sur laquelle je vous propose de délibérer est : 1» celle des membres des corps administratifs dans toute l’étendue du royaume ; 2° celle des membres des corps administratifs résidant dans Je lieu où le Corps législatif tient ses séances; 3° celle des agents du pouvoir exécutif, lorsqu’ils sont amovibles ad nutum, et dans cette classe viennent se ranger tous les commis et chefs de bureau des ministres, les régisseurs de vos régies générales nommés par le roi et par le ministre, etc..., tous gens qui, étant essentiellement dans les mains du pouvoir exécutif, peuvent être très préjudiciables aux vrais intérêts du peuple. Je propose donc, par amendement, d’ajouter à l’article 6 la disposition suivante: « Mais nul ne pourra être en même temps membre d’un directoire de district ou de département, ou agent amovible du pouvoir exécutif, et membre de la législature. » M. Deïavigne. Je demande l’ajournement de cette question. M. Démeunier. Les membres des corps administratifs étant élus pour 4 ans et toujours après que les membres des législatures seront élus, il s’ensuivra nécessairement que les administrateurs n’auront plus que 2 années d’exercice au moment où on pourrait les élire à la législature, de sorle qu’ils sortiraient de leurs fonctions en même temps que les législateurs. M. Roederer. La théorie des incompatibilités n’a rien de commun avec l'objet de l’éligibilité, le seul qui soit à votre délibération. Et, en effet, quand il serait déterminé, Messieurs, que l’existence d’un citoyen dans un corps administratif le constitue en incompatibilité, soit d’exercice, soit de place, avec une fonction législative, il ne s’ensuivrait pas que le partieufier ne puisse être éligible au Corps législatif ; il en résulte seulement qu’il a l’option. 230 [Assemblée nationale.] De là, je conclus à l'ajournement de la question de l’incompatibilité entre les différentes� fonctions publiques, jusqu’à ce que le comité nous ait présenté le décret sur la compatibilité et je demande que l'on passe de suite à la délibération sur l’article 6. (L’Assemblée, consultée, décrète l’ajournement de la question d’incompatibilité entre les différentes fonctions publiques.) M. de Folleville. Je demande qu’il soit dit dans le décret que les causes d’incompatibilité entre l’exercice des diverses fonctions seront définies ; mais que, dans tous les cas, l’option aura lieu. (Aux voix ! aux voix !) (L’Assemblée rejette l’amendement de M. de Folleville.) M. Thouret, rapporteur , donne une nouvelle lecture de l’article 6, ainsi conçu : Art. 6. « Aucun état, profession ou fonction publique, n’exclut de l’éligibilité à la législature les citoyens qui réunissent les conditions prescrites par la Constitution ». (L’article 6, mis aux voix, est adopté.) M. le Président fait donner lecture par un de MM. les secrétaires d’une lettre du ministre de la marine , ainsi conçue : « Monsieur le Président, « En entrant dans le ministère que le roi m’a confié, j’ai pensé quemon premier devoir était de fixer un moment l’attention paternelle de l’Assemblée sur un très grand nombre de familles de marins, dont le sort est inconnu depuis plusieurs années. Les mouvements inséparables de la dernière guerre maritime n’ayant pas toujours permis de suivre ceux de chaque matelot, il en est résulté une incertitude cruelle pour leurs femmes et leurs enfants. Dans le nombre des premières; il en est qui désirent se remarier ; les autres ne peuvent pas recevoir le montant du salaire ou la part des prises faites par leur père, en dépôt dans la caisse des Invalides de la marine. « Cependant d’après un usage adopté dans le département de la marine, les héritiers des marins sont habiles à succéder, lorsque le décès de ceux qu’ils représentent est présumé depuis 10 ans. Le sieur Micou, chef du bureau d’administration générale des Invalides de la marine, a été autorisé par l’instruction duroidu4 août 1786, et par différentes décisions de nos prédécesseurs, à les leur faire payer. Mais comme il reste toujours quelques incertitudes à cet égard, et que le sort des femmes des gens de mer qui ont été tués, ou ont fait naufrage sans qu’il soit possible de le constater, exige une loi particulière, le roi s’était détermiué le 14 mars 1788 à nommer une commission du conseil pour statuer sur cette question importai) te, sur le rapport de M. Chardon. « Je dois observer que la promulgation d’une loi particulière est seulement applicable aux citoyens de profession maritime, et me paraît d’autant plus nécessaire qu’aucune classe de la société n’est exposée comme celle des marins à cette cruelle anxiété. Il suffit de rappeler que plusieurs membres de ces familles sont ceux qui ont partagé le sort déplorable de M. de La Pey-rouse. Je vous supplie donc, Monsieur le Président, de prendre les ordres de l’Assemblée na-[19 mai 1791.] tionale pour le renvoi de cette lettre aux comités de judicature et de marine. » « Je suis, etc. « Signé : THÉVENARD. » (L’Assemblée renvoie cette lettre aux comités de judicature et de marine.) La suite de la discussion sur V organisation du Corps législatif est reprise . M. Thouret, rapporteur . Les articles 8 et 14 forment l’ensemble d’une division que j’ai indiquée dans mon rapport. Ils contiennent trois idées principales : la première, que la convocation de la législature a lieu de plein droit; la deuxième, qu’il existe des jours fixes pour déterminer la réunion de chaque nouvelle législature ; la troisième consiste à assurer le service nécessaire pour le rassemblement des assemblées primaires et des corps électoraux par la surveillance et l’activité des corps administratifs qui en répondent les uns aux autres hiérarchiquement jusqu’au Corps législatif. Tel est, Messieurs, le fond de ces dispositions : il ne nous a pas été possible de réunir plus de précautions pour qu’il y eût une activité propre à la puissance nationale. L’article 8 sur lequel vous êtes tout d’abord appelés à délibérer est ainsi conçu : « Le renouvellement du Corps législatif qui aura lieu tous les deux ans se fera de plein droit, et sans lettre de convocation du roi. » M. de Cazalèg. Je demande la parole sur cet article. C’est en vertu d’une loi constitutionnelle, c’est en vertu d’une disposition légale que le Corps législatif sera assemblé. S’il est vrai que l’Assemblée nationale ait départi au roi la puissance exécutrice dans toute sa plénitude, il s’en suit nécessairement que c’est à lui à provoquer la convocation et le renouvellement du Corps législatif. ( Murmures violents à gauche.) J’entends déjà les objections qu’on me fera; on me demandera quels sont les remèdes dans le cas où le roi n’ordonnerait pas l’exécution de la loi qui convoque le Corps législatif. A cela je réponds que, parce que l’occasion peut arriver, il ne faut pas manquer à un principe. Il n’est nullement convenable que l'Assemblée nationale procède à cet égard comme si elle était sûre que le roi sera assez mal conseillé pour ne pas assembler la législature. Il faut établir tout d’abord le principe constant que c’e-t au roi à maintenir l’exécution de toutes les lois du royaume, et, en conséquence, que c’est à lui à couvoquer le Corps législatif; ensuite on s’occupera du cas où le roi s’y refuserait. Je propose donc, par amendement, de dire que la convocation pour le renouvellement du Corps législatif sera faite par le roi et que la procédure indiquée dans le projet du comité, c’est-à-dire le renouvellement de plein droit, ne sera suivie que dans le cas où le roi ne ferait pas cette convocation. Plusieurs membres : La question préalable I M. de Slontlosier. C’est demander la question préalable sur la Constitution même. (Aux voix ! aux voix !) (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’ameudement de M. de Gazalès.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES.