298 jAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 août 1790.] M. Thomas. Les éloges proposés pour les gardes nationales devraient être retranchés du décret. M. Prieur. Tous ces amendements retardent votre délibération ; je propose la question préalable. (La question préalable est mise aux voix et adoptée.) (Le projet du comité est ensuite décrété sans changement.) Une députation de la garde nationale de Versailles admise à la barre, après avoir fait lecture d'un mémoire, par’ lequel elle réclame la justice de l'Assemblée, et demande que sa conduite inculpée par une dénonciation faite par le directoire du département de Seine-et-Oise, le samedi 21 août dernier, soit publiquement connue, dépose sur le bureau différentes pièces, dont elle prie l'As-setnblée de se faire rendre compte. M. le Président répond que l’Assemblée prendra la demande en considération et cette affaire est renvoyée à l’examen du comité des domaines. M. le Président fait lecture d'une adresse des maîtres et ouvriers de l'arsenal de Toulon, par laquelle ils jurent de ittaintenir la Constitution, d’exécuter les décrets de l’Assemblée, notamment celui qui favorise le retour de leurs compatriotes expatriés; ils demandent, en outre, que les malheureux qui ont été dénoncés à la municipalité, ainsi que ceux qui pourront l’être encore sur l'événement désastreux arrivé dernièrement à M. du Castelet, soient poursuivis par le ministère public. L'Assemblée décrète l’impression de cette adresse, et ordonne qu'il en sera fait mention dans son procès-verbal, ainsi qu'il suit : Extrait des registres des délibérations de la commune de Toulon , ét d'un article du conseil général , tenu le 17 août 1790. Lecture faite d'une adresse présentée par un nombre très considérable de citoyens de toutes les classés, employés au Service du roi dans l'arsenal, tendant au rappel des citoyens expatriés, à raison des divers troubles qui ont agité ia ville depuis quelque temps, et à ia punition des malfaiteurs, qui, dernièrement, ont tenté de commettre un assassinat en ia personne de M. Monier du Castelet. Le conseil, applaudissant unanimement aux sentiments louables et patriotiques, manifestés par tous ces citoyens, déclare que leur adresse les honore aux yeux de toute la cité, qui voit d’ailleurs en eux des citoyens précieux à l'Etat; leur déclare, en outre, que si, dans les combats, ils sont accoutumés à recueillir les palmes de la victoire, il est glorieux pour eux, pendant la paix, d'atteindre à celles du civisme; invite, au surplus, tous les habitants à imiter un exemple aussi noble, et leur rappelle que le premier devoir de l'homme* en société, consiste dans le respect le plus profond pour les lois, qui garantissent la liberté, la propriété, l'honneur et la vie d’un chacun, et qu'une des bases fondamentales de l'ordre politique, est la punition exemplaire des hommes coupables, qui* n'écoutant que leur passion ou leur veügêance, méconnaissent les régies imtnua* blés de l’humanité et du droit des gens; et pour donner à l'adresse ci-dessus la publicité qui lui est due, le conseil arrête qu'elle sera imprimée et affichée, ainsi que la présente délibération, et un exemplaire mis sous les yeux de l'Assemblée nationale. Et ont les délibérants signé à l’original, avec le secrétaire-greffier. Teneur de l'adresse mentionnée en la délibération ci-dessus. « Aujourd’hui quatorze août mit sept cent quatre-vingt-dix. « Nous ci toyens et ouvriers de l’arsenal , qui avons juré et jurons de maintenir la Constitution jusqu'à la dernière goutte de notre sang, et d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, comme aussi de nous conformer aux décrets de l’Assemblée nationale. « Jurons, au péril de notre vie, de soutenir de toutes nos forces nos compatriotes expatriés dans le cas où ils reviendront dans leur patrie, conformément aux décrets de l’Assemblée nationale, pour y prêter le serment de fidélité à la nation, à la loi et au roi. Demandons, en outre, que les malheureux qui ont été dénoncés à la municipalité, ainsi que ceux qui pourront l’être encore sur l’événement désastreux, arrivé dernièrement àM. du Castelet, soient poursuivis par le ministère public. Tels sont les sentiments d’honneur qui nous animent. Au moyen de quoi, nous, citoyens de l’arsenal, qui avons affronté dans tous h-s temps les plus grands dangers, soit dans les combats, soit dans les tempêtes, avec une fermeté sans égale, et qui avons été exposés à tous les coups decauons de l’ennemi, désirant n’être pas confondus avec des malfaiteurs; « Prions Messieurs les officiers municipaux et notables de vouloir bien faire part de notre comparant à toutes les compagnies de la garde nationale, à celles des troupes de ligne et de mer qui forment la garnison de Toulon, comme aussi de nous instruire de leur opinion à ce sujet, que nous suivrons dans tous ses points. « Jurons de plus de nous aimer constamment comme des frères, et de nous protéger mutuellement avec courage, et d’être toujours sur nos gardes contre les embûches des méchants qui ne cherchent qu'à corrompre les bons. « Et ont signé le comparant au delà de cinq cents. A Toulon, lesdits jour et an que dessus. » Collationné : SlMlAN, secrétaire-greffier. M. le Président lève la séance à dix heures du soir. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE du 26 août 1790. Lettré de M. le vicomte de Mirabeau, député de la noblesse du Haut -'Limousin aux Etats libres et généraux de France, à ses commettants, en leur envoyant l'acte de sa démission (1). Messieurs, député fidèle à mes commettants, (1) Ce document n'à pas été inséré ftu MôhiMr. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 août 1790.] 9QQ bon Français, botl serviteur de mou roi, je crois avoir toujours acquitté ce que je devais à ma patrie, à ma religion, au trône et au peuple, dont les intérêts indivisibles sont si im-politiquement séparés, si étrangement méconnus, et si indignement trahis, à la noblesse française dont j’aiFhonneur d’être membre, et à la foi publique violée, sous tous les points de vue imaginables, dans ma malheureuse patrie. Je dois aujourd’hui à ceux qui m’ont honoré de leur confiance, un compte rigide de ma conduite, pendant le temps que j’en ai été le dépositaire; ce compte vous sera rendu, Messieurs, avec la plus scrupuleuse exactitude, lorsque mes papiers me seront parvenus. Dans un moment toutefois où j’ai cru devoir me démettre de l’emploi honorable, mais pénible dont vous m’avez chargé, vous avez le droit d’exiger l’explication de mes motifs ; et le caractère de franchise qui ne m’a jamais abandonné, se manifestera encore dans cette dernière démarche que mon devoir m’impose. Je vous dois de grandes vérités ; j’acquitterai cette dette ; mais pour faire entendre ces vérités funestes, il fallait respirer un air libre, et je crois qu’il vous paraîtra démontré que, sous le despotisme de l’Assemblée nationale, depuis le monarque qui gouvernait la France, jusqu’à celui de ses sujets que la providence a le plus éloigné de ses regards paternels, nul n’est libre aujourd’hui dans toute l’étendue de l’empire français. Mon amour pour mon pays me force à le quitter, et je n’ai jamais été meilleur Français que depuis que j’ai momentanément abandonné la France. J’ai travaillé pendant seize mois éprouver que, dans l’exercice de mes devoirs, les considérations pusillanimes n’avaient aucun pouvoir sur mon esprit ni sur mon âme; j’ai souvent fait entendre à la tribune qui dut être celle de la vérité, et qui n’est que le centre d’où partent et où viennent aboutir les cabales les plus infernales, et l’atrocité la plus réfléchie, j’ai souvent fait entendre, dis-je, dans la tribune de l’Assemblée nationale, les mêmes vérités que je vais m’ef-forcer de développer aujourd’hui : presque toujours elles ont été étouffées; elles seront encore en ce moment, sans doute, traitées de crimes de lèse-nâtion , je m’y attends ; mais je serai quitte envers tout le monde et j’aurai rempli tous mes devoirs. Je n’avais aucun titre pour mériter votre confiance, Messieurs, lorsque vous voulûtes bien m’en honorer; personnellement inconnu dans votre province, vous daignâtes m’accueillir et me nommer l’un des rédacteurs de vos cahiers. Votre indulgence m’encouragea et me soutint dans une carrière absolument étrangère à celle que j’avais parcourue jusqu’alors. Reportons-nous à cette époque beaucoup plus éloignée par la rapidité de la marche qu’ont suivie vos prétendus législateurs, que par le laps de temps qui s’est écoulé depuis nos assemblées élémentaires. Reportons-nous même à l’instant où le résultat du conseil, contraire aux vœux de la presque totalité des notables, vous fut présenté par le génie malfaisant qui régnait alors sur la France: son système désastreux fut enveloppé déformés assez séduisantes pour égarer l’esprit du monarque et celui de son peuple : Le roi sera plus grand , le peuple plus heureux , disait le jongleur génevois, plus agioteur encore en morale et en politique qu’en finance; il abusait du désir qu’un peuple, jusqu’alors idolâtre de ses rois, avait de voir augmenter la puissance du monarque, et de celui que le meilleur des princes avait de voir son peuple plus heureux. Il n’est pas surprenant que des sentiments si nobles en apparence aient égaré un moment la noblesse française, alors dispersée et sans point de ralliement. Les provinces d’Etat ont été plus habiles à démêler le piège présenté à l’inexpérience et à la générosité française. C’est en me réunissant aujourd’hui aux Etats de Provence et de Bretagne, auxquels j’ai l’honneur d’appartenir par mes propriétés et plus encore par mes principes; c’est en me réunissant à ceux du Languedoc, de la Bourgogne, de l’Artois, etc., qui ont protesté en faveur des Etats libres et généraux du royaume en la forme ordinaire contre le préjudice qui pourrait provenir du résultat du conseil du 27 octobre 1788, ainsique de tous les faits subséquents ; c’est par mon adhésion formelle à ces sages précautions, que j’entends me relever de l’erreur d’une protestation tardive * Il est aisé de démontrer que la suite du dangereux système qu’entraînait le fatal résultat a fait évanouir la liberté des Etats généraux à l’instant même de leur création, soit dans les orages des assemblées primaires, soit dans les premières discussions qui ont eut lieu à Versailles. Dès cette époque, la vie de plusieurs membres des Etats a été menacée par une troupe de brigands soudoyés, événements précurseurs des scènes d’horreur nui, suivant l’expression éloquente de M. de Cazalès, pèsent sur la nation FRANÇAISE. Quel était et quel pouvait être l’objet de la convocation deg Etats généraux du royaume? Le rétablissement des finances et la réforme des abus. Nous avions, malgré tous les sophismes dont on a essayé d’étayer l’opinion contraire, une Constitution , une Constitution consolidée par treize siècles de gloire et de prospérité; la nation n’en demandait point une nouvelle; elle avait même fixé les points constitutionnels que nous devions respecter, et que l’Assemblée nationale a annihilés. Nos publicistes ont toujours reconnu, et nos rois ont eux-mêmes déclaré qu’il existait en France des lois fondamentales, que l’autorité royale était dans l’heureuse impuissance d'enfreindre. Récapitulons ces points constitutifs : hérédité de la couronne , prérogatives attachées au sang royal , religion nationale, distinction des ordres , stabilité des tribunaux , sûreté des personnes et de leurs propriétés , sous l'empire de la loi, capitulations des provinces, autorité de leurs coutumes. Il n’est pas une de ces bases constitutives que l’Assemblée ait respectées ; l’hérédité du trône est la seule à laquelle elle ait paru rendre hommage; mais ce serait ajouter la dérision à l’insulte que de soutenir que la France est encore une monarchie. L’Assemblée nationale était chargée du rétablissement des finances, tel était son devoir : examinons ses moyens et l’emploi qu’elle en a fait. Tout était assuré à cet égard au moment même de la convocation des Etats généraux : 1° par le consentement libre et généreux de tous les privilégiés de se soumettre à une contribution égale et commune, Objet de plus de 25 millions de re- 300 (Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (20 août 1790. venus; 2° par les sentiments d’honneur qui animent notre vertueux monarque et qui l’avaient décidé, ainsi que son auguste épouse, à faire et à promettre les plus grandes réformes, en réduisant les dépenses de la cour et les accessoires de plus de 15 millions ; 3° par les économies dans tous les départements auxquels tous les bons citoyens se sont montrés empressés de concourir. 'Qu’a fait l’Assemblée nationale? Non seulement elle n’a pas donné un plan de finance, mais n’en a pas même déterminé lesélé-ments; et dans ses querelles interminables feintes ou vraies avec M. Necker, on en est encore à désirer un état de situation, qui eût dû être mis sur le bureau, la veille de l’assemblée des Etats généraux et qui, puisqu’il n’était pas fourni, était le plus urgent et le plus indispensable travail du comité des finances, qui ne s’en est même pas occupé. Qu’a fait l’Assemblée nationale ? Sa main destructive appelée à une restauration que le maintien de la Constitution française eût rendue aisée, comme je viens de le démontrer, a anéanti le crédit, la confiance et l’ordre, seules bases d’une régénération fiscale, et semblable à ces hordes dévastatrices échappées du Nord, qui ne laissaient sur leur passage que des débris et des ruines, elle a remplacé le royaume le plus florissant de l’Europe par un échiquier dont toutes les pièces sont renversées. La plus puissante ressource des finances du royaume, le commerce, est presqu’anéantie ; qu’on jette un coup, d’œil sur nos ports, sur cette marine protectrice du commerce, qui n’avait jamais été si brillante et si redoutable, dont l’état florissant a coûté tant de millions à la France, même depuis la paix, on sera facilement convaincu qu’elle n’existe plus, et ceserait une témérité aujourd’hui pour un capitaine de vaisseau, de s’embarquer avec un équipage instruit à l’école de l’Assemblée nationale et de sa déclaration métaphysique des prétendus droits de l’homme. Nos colonies, autre source de richesses, nos colonies si françaises malgré leur éloignement de la métropole, nous sont devenues presque étrangères par la suite du système désastreux de nos législateurs. Qu’a fait l’Assemblée nationale ? Son souffle empesté a été tellement funeste à tout ce qu’elle a touché, que Paris, son idole, son rempart, et l’instrument aveugle de ses usurpations, Paris, cette brillante capitale du plus bel empire du monde, est déjà plongée dans la misère la plus affreuse et à la veille d’être ruinée sans ressources si le mal n’est réparé par un prompt rétablissement de l’ordre et des droits légitimes du monarque. De si funestes expériences démontreront sans doute que la foi publique ne peut être maintenue vis-à-vis des créanciers de l’Etat, s’il en est temps encore, que par le rétablissement des principes constitutifs de la monarchie. Mais les instants deviennent infiniment précieux pour réparer les maux incalculables que la prétendue organisation actuelle prépare au peuple et à ces malheureux créanciers de l’Etat, aveuglés, qui auraient dû calculer depuis longtemps que les encouragements donnés à l’agiotage et aux opérations de la banque, par un ministre agioteur et banquier, ne sont ni une sûreté, ni même une protection donnée aux capitalistes. Qu’ils ouvrent enfin les yeux, et qu’ils disent de bonne foi si l’on peut attendre autre chose que la banqueroute, la famine et la guerre civile, de l’union chimérique de 83 républiques indépendantes les unes des autres, divisées d’intérêts, renfermant dans leur sein quarante-quatre mille fourmilières de petites associations armées, ayant à leurs ordres le véritable état militaire, et sans l’aveu desquelles le pouvoir exécutif du monarque est dépourvu de tout ressort, ils sentiront peut-être qu’il faut un centre commun où leur créance aboutisse, et que ce centre ne peut être autre que le Trésor royal. Je n’ignore pas que la ligue des rentiers de Versailles et de Paris, avec les philosophes, presque tous agioteurs par intérêt, comme égoïstes par système, atout bouleversé, jusqu'à la solidité de leur fortune qu’ils voulaient pourtant assurer aux dépens de tout, mais leurs lumières semblables à leur loyauté se sont éclipsées dès le principe même de leurs opérations; car si le Trésor royal est en faillite à Paris, ces rentiers avides peuvent-ils se flatter que les 83 départements leur offriront volontiers une bonne caution solidaire ? Je ne le pense assurément pas. La réforme des abus était encore un des devoirs des Etats généraux ; les fauteurs de ces abus mêmes convenaient de la nécessité de cette réforme : le plus grand de tout était, dit-on, l’abus du pouvoir ministériel et la nullité de la sûreté individuelle. Je le demande, quel ministre eût osé, sous l’ancien régime, ordonner l’injustice qui vient d’être exercée sous vos yeux ; arracher à ses foyers une mère de famille aussi respectable par son âgequepar ses qualités personnelles (1), sur un simple soupçon, et sur les ordres d’un tribunal d’inquisition qui poursuit des affaires plus imaginaires encore que les visions qui y ont donné lit u , pendant qu’il traverse et combat les poursuites juridiques des tribunaux, contre les attentats du 5 et du 6 octobre. Les prétendus patriotes français vantent beaucoup la conquête facile et la démolition plus difficile de la Bastille ; ils peuvent se vanter aussi d’avoir fait de la France entière une immense Bastille où tous ceux qui autrefois étaient le plus révérés se trouvent à présent investis d’espions et de geôliers, et sous les mains d’une troupe de brigands et de gens sans aveu, qu’on lâche comme on veut et quand on veut, armés de torches et de poignards, en leur garantissant l’impunité dont l’Assemblée nationale expédie les actes authentiques. Je le demande encore sous quel despote eût-on osé proposer de créer un tribunal qui fut contraint de juger dans le sens de ses usurpations , comme on a osé proposer déjuger en France dam le sens de la Révolution ? Quel genre de liberté est celui qui permet à un •législateur de dire au sein du Sénat, que l’insur - rection est le plus saint des devoirs. Dans quel temps et chez quel peuple a-t-on demandé compte, par des clameurs et des menaces, aux membres du Corps législatif, de leurs opinions et de leurs discours ? Quelle Assemblée a osé, avant celle existant aujourd’hui, s’emparer de tous les pouvoirs, sous le prétexte spécieux de les séparer et distribuer, (1) M,n0 la marquise de Jumillac a été enlevée à main armée, il y a six semaines, de son château en Limousin, par ordre du comité des recherches ; conduite à Paris , elle n’a reçu d’autre satisfaction, que l’aveu tardif qu’on s’était trompé. 301 [Assemblée nationale. | ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 août 1790. pour les réunir et les exercer tous au gré de ses caprices et de ses injustices ? A-t-on jamais invoqué en faveur d’une Constitution nouvelle, de l’établissement de laquelle l’opinion publique devait être le seul garant des serments forcés, des prorogations de pouvoirs, une inviolabilité prononcée par les inviolables mêmes, et des défenses à la nation de s’assembler pour examiner l’ouvrage des dépositaires de sa confiance? Quelle caste de sauvage a vu la cabane de son chef violée, souillée du sang de ses gardes fidèles, sans se présenter pour le défendre? C’est ce qu’a fait l'Assemblée nationale française, et son inaction, dans la journée du 6 octobre, est un acte frappant de sa complicité, que sa conduite subséquente n’a que trop confirmé. Tout bon Français eût peut-être dû s’en séparer alors, mais nous avions devant les yeux un exemple funeste dont j’ose à peine faire le rapprochement, celui du long parlement d’Angleterre; nous nous regardions d’ailleurs comme les seuls gardes qu’eût conservés notre roi, et jamais je ne me suis rappelé les horreurs de cette nuit désastreuse, sans gémir de n’avoir pas partagé les dangers et le sort de mes deux braves commettants (1) qui ont versé leur sang pour la plus auguste et la plus courageuse des reines. Le tableau des maux et des injustices que le Sénat qui gouverne la France a versés sur ma malheureuse patrie serait trop long, et excéderait de beaucoup les bornes que je me suis prescrites dans cette lettre ; mais le résumé en est simple et facile ; elle a travesti en préjugés tous les principes, et établi comme principes toutes les rêveries philosophico -démocratiques de prétendus sages qui eussent eux-mêmes regardé comme impossible l’exécution de leurs projets. La religion, l’honneur, les propriétés, dans leur calcul aussi immoral qu’impolitique, sont des chimères; l’autorité, l’obéissance disparaissent dans leur plan d’égalité, et ces liens si nécessaires dans toute société policée sont anéantis, même du monarque au sujet, des tribunaux aux justiciables, du capitaine au soldat. Les philosophes modernes, sous le voile de la chimère séduisante de l’égalité, ne nous présentent qu’un système mal déguisé d’ambition et d’avidité, fondé sur la destruction des propriétés de tous genres, et la préférence du droit barbare du plus fort à toutes les lois de la société et de la justice ; ils ont changé l’idée saine qui faisait consister le bonheur à ne jeterles yeux qu’au-dessous de soi ; car, d’après leur calcul, il faut chercher la félicité dans le rapprochement de ce qui était au-dessus, et ne point s’assimiler à ce qui était subordonné ; l’illusion serait trop promptement détruite. Mais il est une justice distributrice, et déjà la rapidité des événements nous donne le coup d’œil de la postérité sur le temps présent. Déjà les jugements du ciel et des nations punissent les auteurs de nos maux. Ce ministre perfide, qui a si cruellement abusé de la confiance d’un bon roi, a réussi sans doute, en se montrant le chef d’une grande conspiration, à détruire le trône, la religion, la noblesse, la magistrature, et tout ce qui constituait la mo-(1) MM. Durepaire et de Sainte-Marie, gardes du corps, couverts de blessures en défendant, le 6 octobre, la porte de la reine, sont gentilshommes Limousins et mes commettants. narchie;mais n’ayantpas mêmel’énergie du crime, il a bientôt découvert à ses complices la bassesse de son orgueil, l’insuffisance de ses moyens et l’oscillation de ses principes ; ils Font eux-mêmes abandonné, et tellement démasqué, qu’il est douteux aujourd’hui s’il inspire à la France et à l’Europe plus de haine que de mépris. Déjà Versailles, cette ville qui était le berceau de nos rois et de nos princes, et qui a préféré d’en être le tombeau, est la victime déplorable de ses sordides combinaisons et de sa lâche complicité ; ruinée, abandonnée, elle devient le séjour de la misère et du désespoir ; le deuil du silence et de la solitude règne dans son enceinte ; une secrète horreur s’empare du voyageur à l’aspect de ses murs ; cette ville ingrate ne pourra jamais réparer tout ce qu’elle a à se reprocher pour son malheur et pour le nôtre. Déjà Paris, cette capitale qui a si promptement et si cruellement oublié le caractère de douceur qui lui avait valu le titre de bonne ville, et sa réputation d’amour et de fidélité pour ses maîtres; Pari3 qui a conspiré pour donner des fers au meilleur des rois et à ses plus fidèles serviteurs ; Paris, aujourd’hui en proie à toutes les dissensions intestines, voit l’or et l’argent disparaître de son sein, qui fut autrefois le centre des richesses, voit les Français et les étrangers s’en éloigner avec autant d’effroi qu’ils y accouraient avec empressement autrefois. Déjà les peuples des provinces, abusés par tant d’illusions, et poussés à commettre des crimes dont ils ne connaissent pas la’noirceur, et dont ils ne doivent pas recueillir le fruit, continuellement égarés par des terreurs factices, commencent à éprouver la seule véritable, celle d’avoir été trompés, et bientôt la honte et les remords d’avoir été séduits par les émissaires et les insinuations d’une législature incendiaire, seront une expiation dont tous les décrets de l’Assemblée ne pourront pas les absoudre. 0 France, ô ma patrie 1 reconnais enfin le précipice où t’ont plongée l’atrocité, l’ingratitude, l’ambition, l’impéritie et la faiblesse; réveille-toi, il en est temps encore; tu auras perdu une partie de ton éclat, et tu seras moins puissante, jusqu’à des moments plus heureux, mais tu seras instruite par le malheur et par l’expérience; la compensation me paraît encore assez belle. Des calomniateurs m’accuseront sans doute d’appeler sur ma patrie les malheurs d’une guerre civile; mon âme doit être mieux jugée par vous, Messieurs, par vous qui avez sûrement suivi ma marche dans le Sénat où votre confiance m’avait placé. Longtemps j’avais cru possible que nous trouvassions chez nous-mêmes le remède à nos maux ; cette idée me paraissait digne de la nation française; mais nos malheurs s’accroissent chaque jour et la nature de mes vœux a changé avec celle de notre position. Les voici tels que je les forme en ce moment : jamais ma bouche ne prononça que ceux avoués par mon cœur. Puisse la France, qui a eu souvent la gloire d’être la bienfaitrice des autres puissances et de leur servir de modèle ; puisse ma patrie, renonçant à tout système pernicieux, qui ferait son malheur et celui des autres, recouvrer et maintenir son bonheur! Puissent les autres puissances, auxquelles la France a donné un si grand exemple, lorsque, par le traité de Westphalie, elle s’est déclarée garante des propriétés et de la Constitution du 302 [Assemblée nationale.) corps germanique, nous faire éprouver, par un juste retour, l’heureuse influence de leur généreuse médiation ! Le congrès de Reichenbaeh nous offre l’aurore de la réalisation du superbe projet dont le bon roi Henri s’occupait au moment ou un bras parricide vint enlever aux Français ce monarque père ; projet qu’on a calomnié au sein de l’Assemblée nationale, en l’attribuant à la seule faiblesse de ce prince, la faiblesse des grandes années 1 Il est aisé de voir que nos malheurs sont la suite du projet formé par nos prétendus philosophes d’une ligue d’individus de tous les peuples contre tous les gouvernements existants, tant monarchiques que républicains. Nos législateurs ont professé hautement cette doctrine incendiaire : que doivent faire les gouvernements? Une sage confédération de toutes les puissances pour maintenir les individus dans les bornes de leurs droits et de leurs devoirs dont la séparation a tant causé de maux ; pour réprimer les esprits inquiets et maintenir partout l’empire des lois et le bon ordre qui préviennent les uerres civiles et peuvent seules assurer le bon-eur de tous. Oui, je le répète, l’intérêt bien entendu de tous les princes et de tous les peuples est de réunir tous leurs vœux et tous leurs efforts pour le rétablissement de la tranquillité publique, la paix générale et la prospérité commune. Les détracteurs du pacte de famille aussi utile qu’honorable aux Etats et aux princes de la maison de Bourbon, n’ont pas fait à celte alliance-là le seul reproche dont elle est susceptible : celui d’être trop resserrée, de ne pas embrasser et réunir, par les liens d’une amitié solide et durable, tous les princes et tous les peuples de l’Europe. Tels sont les vœux que forme pour le bonheur général des nations, et particulièrement pour celui de sa patrie, un vrai philosophe, un vrai citoyen, un vrai gentilhomme français, tous caractères indélébiles. Voilà les motifs de ma conduite ; vous êtes mes juges, Messieurs, et jamais je ne récuserai votre jugement; ce sera celui de l’honneur, ce sera celui de mes pairs. Puissiez-vous toujours voir en moi un compatriote digne de vous ! Puissé-je coopérer au retour de l’ordre et du bonheur dans ma patrie ! Je n’aurai plus rien à désirer. Je suis avec respect, Messieurs, votre, etc. LE VICOMTE DE MIRABEAU-Aix-la-Chapelle, le 18 août 1790. P*S. J’ai l’honneur de vous adresser l’acte de ma démission, consigné dans ma lettre au président de l’Assemblée nationale. ASSEMBLÉE NATIONALE PRÉSIDENCE DE M. DUPONT (DE NEMOURS). Séance du vendredi 27 août 1790, au matin (1). La séance est ouverte à 9 heures du matin. M.de Hyspoter, secrétaire, donne lecture du (1) Cette séance est très incomplète au Moniteur. 127 août 1790.1 procès-verbal de la veille au matin dans lequel il est fait mention de la lettre de démission de M. de Mirabeau le jeune. M. Bouche. Je demande que la mention de la démission de M. de Mirabeau le cadet soit rayée du procès-verbal. Il n’offre point de suppléant. Le procès-verbal ne doit pas être souillé par l’insertion de la lettre d’un homme qui s’est avili en fuyant sa patrie, et qui ne connaît ni pe respecte les décrets de l’Assemblée nationale. M. Goupil. Ce serait beaucoup trop honorer l’auteur de la lettre qui renferme des expressions indécentes et pleines d’inciyisme, que d’en constater la réception par une délibération en forme. (L’Assemblée ordonne la radiation de cette partie du procès-verbal.) Un de MM. les secrétaires donne lecture de deux pièces contenant les réclamations de la municipalité de Versailles contre l’adresse présentée à l’Assemblée, le, 21 de ce mois, par le directoire du département de Seine-et-Oise. L’Assemblée en ordonne le renvoi à ses comités féodal et des domaines. On lit aussi une lettre des officiers de l’académie de chirurgie à M. le président. Cette académie n’ayant pas été comprise dans le décret qui autorise les académies françaises, des belles-lettres, des sciences et la société de médecine, à présenter les règlements qui pourraient leur convenir, demande la permission de présenter aussi ses vues sur les lois réglementaires qui les concernent. L’Assemblée nationale autorise l’académie de chirurgie, comme (es autres compagnies savantes, à lui proposer un projet de règlement. L’Assemblée renvoie ensuite à son comité d’agriculture et de commerce une pétition des inspecteurs, sous-inspecteurs, ingénieurs et élèves des mines, relativement aux traitements dont ils ont joui jusqu’à présent. On lit la note des décrets présentés à la sanction du roi, savoir: « Décret qui annule la délibération de la municipalité de Montdidier, et déclare qu’elle ne peut porter atteinte à l’honneur du sieur Cousin de Beaumesnil, et le priver d’aucun de ses droits. « Décret qui fixe définitivement à Quimper le chef-lieu du département du Finistère. « Décret par lequel l’Assemblée nationale déclare qu’elle n’a entendu, par ces précédents décrets sur l’exportation des grains, rien innover sur le droit de transit, dont les Gênevois ont joui jusqu’à présent dans le pays de Gex, pour le transport des grains, sauf au directoire du district à prendre les précautions nécessaires pour éviter les abus. « Décret qui déclare qu’il y a lieu à accusation contre le sieur abbé Perrotin, dit de Barmond, relativement à l’évasion et à la fuite du sieur Bonne-Savardin. . . « Décret qui déclare que tous lès fonds situés sur le ban du territoire d’Amance, district de Nancy, seront imposés dans les rôles dudit lieu, quoique lesdits fonds dépendent des fermes dont le principal manoir est placé sur d’autres bans et territoires. ARCHIVES PARLEMENTAIRES.