[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 mai 1790.] 438 absolue des suffrages à M. Thouret; mais comme il est obligé de s’absenter demain dimanche, il ne prendra le fauteuil que lundi. M. le marquis de Bonnay, président du comité d'agriculture et de commerce, fait le rapport suivant, au nom de ce comité, sur l'uniformité à établir dans les poids et mesures ( 1). Messieurs, l’intérêt et le vœu du commerce appellent l’uniformité des poids et des mesures dans toute l’étendue de l’empire. Ce vœu est exprimé dans la plus grande partie de nos cahiers : ce vœu est celui de la raison, de la justice et de la probité. Il sollicite une opération utile dans son objet, grande dans ses résultats, difticile dans son exécution. Il demande que l’on s’y livre avec courage, qu’on la combine avec précision, qu’on la suive avec constance. Ce vœu, dicté par une politique éclairée, repousse les spéculations honteuses que l’on a quelquefois osé opposer aux législateurs, quand ils ont voulu entreprendre la grande réforme, dont une mission expresse nous oblige de nous occuper. Ce n’est pas vous, Messieurs, qui serez arrêtés dans le projet de ramener toutes les mesures à une mesure commune, par la considération que la variété qui y règne maintenant favorise les calculs de quelques trafiqueurs de mauvaise foi, et fondé les profits d’un petit nombre d’hommes adroits sur l’ignorance ou la simplicité d’un grand nombre d’autres. Il faut que l’Assemblée nationale ajoute un bienfait à tous les autres; il faut que la France lui doive encore l’uniformité des poids et mesures. Ce que Louis XIV voulut entreprendre, ce que Louis XV fut près de tenter, ce que Turgot était digne d’achever, ce que les Romains seuls ont exécuté, Louis XVI et l’Assemblée nationale l’exécuteront. Votre comité d’agriculture et de commerce , auquel appartenait ce genre de travail, l’a regardé comme un des plus importants et des plus dignes de son attention. Il n’a pas eu l’ambition présomptueuse de ne chercher que dans son propre sein les lumières qui doivent l’éclairer. Il a appelé l’instruction de toutes parts, et de toutes parts l’instruction lui est venue. Plusieurs citoyens distingués nous ont adressé des plans et des projets utiles (2). Des compagnies savantes nous ont offert Je fruit précieux de leurs travaux, et se sont empressées à secoûder, à diriger les nôtres, quand nous les avons consultées. A cet égard, la société royale d’agriculture a des droits particuliers à notre reconnaissance. Au sein même de cette Assemblée, nous avons (1) Le Moniteur ne donne qu’un court résumé de ce rapport. (2) Parmi les mémoires adressés au comité d’agriculture et de commerce, trois surtout méritent d’être distingués : l’un est de M. Duyernoy, officier au corps royal du génie ; il est rempli de recherches et de détails très bien faits : un autre de M Collignon, avocat au parlement, accompagné d’un ouvrage assez étendu et fort intéressant ; l’autre de M. Villeneuve. Ce dernier a été communiqué a la société royale d’agriculture, et M. Abeille, choisi par elle pour en prendre connaissance, a fait au comité d’agriculture et de commerce un rapport très méthodique, très analytique, très savant, et digne en tout de la réputation de son auteur. trouvé des secours et des connaissances dont nous avons tâché de profiter. M. le comte de Chambord nous a fait remettre un mémoire rempli de vues sages et profondes. Il paraît avoir puisé ses principes dans cet ouvrage immortel, où sont en dépôt ceux de toutes les sciences : mais les réflexions qu’il a tirées de son propre fonds ajoutent à l’intérêt et à Futilité de son ouvrage; et comme il adopte définitivement les mêmes bases que M. l’évêque d’Âuluu, il doit partager l’hommage que nous rendons à ce dernier, quand nousvous annonçons qu’il a été notre principal guide. L’ouvrage de M. l’évêque d’Autun sur les poids et mesures (1), imprimé depuis quelques mois, a frappé tous les bons esprits par sa justesse, par sa méthode et par sa clarté. Chacun de vous, Messieurs, a eu le temps de le connaître et de l'apprécier ; et votre comité, en vous invitant à adopter un pian si sagement conçu, est persuadé qu’il ne fait que prévenir vos vœux. Mais si vos suffrages, si les siens avaient besoin d’être encouragés par ceux d’une nation impartiale et éclairée, votre comité vous dirait que le [dan de M. l’évêque d’Autun, calculé avec biea plus de précision que celui de l’Encyclopédie, d’où -il semble être tiré, a eu le plus grand succès en Angleterre, que plusieurs membres distingués en ont déjà entretenu la chambre des communes, et que le parlement d’Angleterre, si nous pouvons en juger d'après les discours de quelques-uns de ses orateurs les plus distingués, est tout disposé à concourir avec vous à l’exécution de cette grande entreprise. Votre comité, Messieurs, qui respecte vos moments, et qui a compté pour rien des semaines d’un travail assidu, quand il a cru pouvoir épargner quelques instants du vôtre, ne vous détaillera pas, à moins que vous ne lui ordonniez, les divers systèmes qui lui ont été présentés sur les moyens de réduire toutes les mesures à une mesure commune. Les uns se sont contentés d’indiquer les poids et mesures de Paris comme devant être adoptés par tout le royaume. Mais comment les définir? comment les fixer? comment les préserver de cette variation inévitable, que le temps amène dans tout ce qui n’est que l’ouvrage des hommes, si l’on ne détermine pas avec précision leur rapport avec ces mesures éternelles que donne la -nature et qui ne périssent qu’avec elle ? Mais, puisqu’il fallait consulter les mesures invariables que présente la nature, à laquelle fallait-il s’arrêter? On nous a proposé la hauteur moyenne du mercure du tube de Torricelti; mais la "seule définition de cette mesure en montre l’incertitude. Qui dit terme moyen, suppose des extrêmes ; et comment déterminer le point juste qui les sépare ? La hauteur du mercure varie suivant l’état de l’atmosphère, suivant la température, suivant le niveau. Cette mesure nous a paru trop incertaine. Une autre méthode consisteraità adopter, pour premier élément de nos mesures, une fraction de la longueur du méridien, coupé en deux parties égales par le quarante-cinquième parallèle ; et cette fraction, qui serait un soixante millième, a été évaluée, d’après les calculs de (1) Voy. Archives parlementaires, séance du 9 mars 1790, tome XII pag. 104, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 mai!790.] 439 M. de la Caille, à cinq pieds huit pouces cinq | lignes un quart. M. l’évêque d’Àutun, en présentant les avantages de cette mesure élémentaire, en a fait voir aussi les imperfections. Il vous a prouvé qu’elle manquait de cette exactitude rigoureuse qu’il est nécessaire de chercher, et peut-être possible d’atteindre, en se livrant aux méditations qui nous occupent. Nous ne répéterons pas ce qu’il a dit, parce que nous présumons que vous le connaissez ; et nous ne nous permettrons pas d’ajouter nos réflexions aux siennes, parce que nous craindrions de ne pas aussi bien dire. Nous nous contenterons de vous annoncer, qu’ainsi que lui, nous nous sommes déterminés en faveur du pendule qui bat les secondes sous la latitude de 45 degrés. Sa longueur a été calculée et estimée à 36 pouces 8 lignes 52 centièmes : mais nous pensons, ainsi que M. l’évêque d’Àutun, qu’il serait nécesssaire de la déterminer de nouveau. Nous adoptons pour cette opération les moyens sages qu’il propose. Nous croyons être informés d’ailleurs que l’Angleterre est prête à se joindre à nous pour en assurer le succès, et nous mettons le plus grand prix à cette association de travaux èt de lumières. Nous croyons que lorsque deux nations, qui ne peuvent presque avoir de rivales qu’elles-mêmes, auront adopté de concert une mesure générale et commune, cette mesure ne tardera pas à devenir celle de! l’Europe et celle de tous les peuples commerçants de la terre. Cette heureuse uniformité sera un lien déplus entre les hommes. Un plus grand nombre d’entre eux pourront se livrer aux entreprises du commerce. Les calculs du négociant seront simplifiés, ses résultats plus certains, ses spéculations moins vaeues. Mais, Messieurs, quelque séduisante que soit cette perspective, osons la laisser encore dans le lointain qu’elle occupe à nos yeux; sachons calmer nos désirs pour mieux èn atteindre le but ; entamons avec vivacité cette grande entreprise, mais suivons-Ia avec lenteur et patience : gardons-nous de rien précipiter. La vérité ne doit jamais s’offrir brusquement aux hommes; et, peut-être que le bonheur lui-même a besoin de trouver des cœurs préparés à le goûter. Votre comité, Messieurs, pour les détails de l’exécution du plan auquel il s’est fixé, a cru devoir vous renvoyer au Mémoire déjà cité de M. l’évêque d’Àutuh. Vous y verrez qu’une opération qui, par sa na-turp, est du domaine des sciences, est presque entièrement confiée à l’Académie des sciences de Paris, et à la Société royale de Londres; c’est-à-dire aux 'deux compagnies les plus savantes du monde savant. Vous y verrez que ce projet, si vous daignez l’adopter, doit être mis en dépôt entre les mains de ces hommes aussi distingués par leur zèle que par leurs lumières, et qu’il doit s’v mûrir en silence, pour ne reparaître dans l’Assemblée législative que lorsqu’il aura atteint toute sa perfection, et que des instructions préalables, universellement répandues, en auront fait désirer partout l’accomplissement. Vous y verrez combien de précautions sont indiquées, soit pour préparer graduellement les peuples à jouir du bienfait que vous leur destinez, soit pour prévenir les dépenses trop fortes qui pourraient en résulter pour le pauvre, soit pour empêcher les secousses qui pourraient naître d’un changement subit. Vous y verrez enfin que le décret préparatoire que vous pouvez rendre à l’instant même, vous acquitte de toutes vos obligations, satisfait à tout ce que l’on attend de vous� et vous conserve cependant la gloire d’une entreprise dont l’exécution sera renvoyée à vos successeurs. Votre comité, en finissant son rapport, croit qu’il est de son devoir de vous avertir que le parlement d’Angleterre touche à la fin de sa session et de vous représenter que, si vous daignez adopter les idées qu’il a eu l’honneur de vous soumettre, il serait extrêmement instant que l’Assemblée nationale voulût bien adopter le projet de décret suivant ; il ne diffère presque en rien de celui qui vous a déjà été proposé par M. l’évêque d’Autun : PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale, désirant faire jouir à jar mais la France entièrede l’avantage quidoit résulter de l’uniformité des poids et mesures, et voulant que les rapports des anciennes mesures avec le? nouvelles soient clairement déterminés et facile? ment saisis, décrète, que Sa Majesté sera suppliée de donner des ordres aux administrations des divers départements du royaume, afin qu’elles se procurent, et qu’elles se fassent remettre par chacune des municipalités comprises dans chaque département, et qu’elles envoient à Paris, pour être remis au secrétaire de l’Académie des sciences, un modèle parfaitement exact des différents poids et mesures élémentaires qui y son en usage. Décrète ensuite que le roi sera également sup-plié d’écrire à Sa Majesté Britannique, et de la prier d’engager le Parlement d’Angleterre à convenir avec l’Assemblée nationale à la fixation de de l’unité naturelle de mesures et de poids: qu’en conséquence, sous les auspices des deux nations, des commissaires de l’Académie des sciences de Paris pourront se réunir en nombre égal avec des membres choisis de la Société royale de Londres, dans le lieu qui sera jugé respectivement le plus convenable, pour déterminer, � la latitude de 45 degrés, ou toute autre latitude qui pourrait être préférée, la longueur du pendule, et en déduire un modèle invariable pour toutes les mesures et pour les poids ; qu’après cette opération, faite avec toute la solennité né-* cessaire, Sa Majesté sera suppliée de charger l’Académie des sciences de fixer ayec précision, poup chaque municipalité du royaume, les rapports de leurs anciens poids et mesures avec le nouveau modèle, et de composer ensuite, pour l’usage de ces municipalités, des livres usuels et élémentaires, où seront indiquées avec clarté toute? les proportions. Décrète, en outre, que ces livres élémentaires seront adressés à la fois dans toutes les municipalités, pour y être répandus et distribués; qu’en même temps, il sera envoyé à chaque municipalité un certain nombre de nouveaux poids et mesures, lesquels seront délivrés gratuitement pap elles à ceux que ce changement constituerait dans des dépenses trop fortes. Enfin, que six mois seulement après cet envoi, les anciennes mesures seront abolies et seront remplacées par les nouvelles. M. le Président donne la parole à M.Bureaux de Pusy qui la demande.