ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 juin 1789. J §A [États généraux.] c’est en ce sens seulement que nos pouvoirs peuvent et doivent être limités. Leur vérification, différéejusqu’a présent, s'opérera en commun, Messieurs, quelleque soit l’issue des conférences ; car je distingue l’exhibition de nos titres de députation delà vérification effective des suffrages nationaux sur tous les points de constitution, tels qu’ils sont exprimés dans nos cahiers. Cette dernière opération pourrait se faire avec la plus grande authenticité, malgré le refus même des mandataires ; la volonté des constituants, légalement énoncée, étant la véritable et l’unique puissance de leurs représentants. Peu importe que ceux-ci soient discords dans les formes, pourvu que les pouvoirs respectifs et les vœux esprimés soient en harmonie. Or, nous sommes assurés, Messieurs, de cette concordance sur les points essentiels ; il ne s’agit que de la manifester ; mais il faut pour cela que nous développions le caractère national dont nous sommes revêtus, et que nous en déterminions l’exercice par la réunion et la manifestation des vœux de l’universalité du peuple français. Je crois, Messieurs, qu’il n’est point de puissance qui soit en état de contrarier celle-là ; et je ne crains le veto d’aucun ordre contre les intentions promulguées de 25 millions d’âmes qui composent l’empire français. J’aime au contraire à espérer que le clergé et la noblesse, rassurés sur nos dispositions s’uniront à nous par une délibération commune, pour l’œuvre immortelle de la régénération de la France. Supposons cependant, ce que je n’ai garde de penser, que les ordres privilégiés voulussent s’opposer à quelqu’une des lois salutaires que toute la France attend et sollicite; croyez-vous, Messieurs, qu’une telle entreprise ne serait pas plus dangereuse pour ses auteurs que pour nous ? Hél qui pourrait contenir l’indignation universelle qu’elle exciterait? Qui pourrait rendre au clergé et à la noblesse le crédit, la considération, la confiance publique? Et que signifient toutes les distinctions, si vous en retranchez celle-là? Ce n’est point la vanité seulement qui a créé les prééminences de rang, de naissance et de dignité ; elles ont une destination utile et nécessaire dans une monarchie. Mais si leur action devient oppressive et malfaisante, dans le moment où un peuple éclairé s’agite et se dirige vers un meilleur ordre de choses, c’est alors la lutte d'un enfant opiniâtre, dontles caprices se taisent devant la raison d’un homme robuste. Ecartons, Messieurs, ces sinistres présages, et ne présumons pas que l’élite des classes privilégiées soit moins empressée que nous de servir efficacement la patrie. Des préjugés, des inquiétudes mal fondées sur nos propres dispositions, les éloignent de nous. La sagesse, la justice, l’intérêt national nous rapprocheront. Arrêtons-nous aux exemples de patriotisme et de vertus publiques qu’ont donnés si souvent à la nation le clergé et la noblesse, et n’imitons point celui d’une séparation prononcée par le veto; n’adoptons pas la constitution de notre Assemblée en Assemblée nationale. il J’avoue, Messieurs, que la proposition de cette [mesure m’a toujours alarmé. Elle est inutile aux ijintérêts de nos commettants. Elle est au-dessus Ide nos pouvoirs. Elle nous ferait perdre tous les avantages de notre position. Elle produirait la dissolution des Etats généraux. Elle exciterait les troubles les plus funestes. Ce serait en effet attenter aux droits civils et politiques de la nation, que de la déclarer complètement représentée en l’absence des plus grands propriétaires et des premiers citoyens, qui sont les députés du clergé et de la noblesse. Aussitôt des protestations solennelles de la part des deux ordres obtiendraient l’appuides cours souveraines, et imprimeraient sur nos opérations un sceau de nullité qui ne pourrait être effacé que par la force, dont nous n’avons garde de désirer et encore moins de provoquer l’emploi. Serait-ce donc là, Messieurs, le terme des espérances de la nation et des efforts généreux du monarque pour la régénérer? Nos dissensions appelleraient encore le pouvoir absolu ; car lorsque la puissance élémentaire, au lieu de s’ordonner et d’agir, se déchire, il faut bien que la puissance publique déposée dans les mains du monarque veille au salut de tous et nous préserve de l’anarchie. Ah ! j’ose croire que vous préférerez le parti le plus sage, et dès lors le plus sûr, celui qui se lie aux plus solides appuis de la société : la justice, la vérité, la prudence, la fermeté. Si nous n’avions pas des droits à réclamer, si nous ne les réclamions pas avec modération, si nous n’avions pas des pouvoirs et uDe force réelle ; si nous les exagérions, si nous voulions être plus que nous ne sommes, si nous attaquions le clergé et la noblesse en ennemis, tous nos projets se fonderaient sur le sable, et nos déclarations, nos adresses au Roi ne seraient que des paroles bruyantes, inutiles pour nous, embarrassantes pour Sa Majesté, funestes à la nation. Mais en nous tenant dans une juste mesure, en nous constituant ce que nous sommes, Jeg_représentants du peuple, en n’offrant au Roi que ce que nous pouvons tenir; en ne demandant que ce qu’il est juste d’accorder : en ne nous subordonnant point au veto des ordres privilégiés ; en ne nous permettant aucune offense contre eux, nous finirons par arriver ensemble à une constitution ; et le temps, la raison, les Assemblées subséquentes de la nation, applaniront tous les obstacles que nous n’aurons pu détruire. C’est au nom de la patrie, Messieurs, et de nos devoirs les plus sacrés, que je soumets à votre sagesse ces observations. Ne bravons pas inutilement les dangers qui nous menacent, lorsque nous pouvons les éviter. N’adhérons à aucune prétention destructive des droits essentiels du peuple et des principes qui les conservent. Développons notre caractère, usons de nos pouvoirs tels qu’ils sont, et n’allons pas chercher au delà des difficultés et des malheurs. Un membre. J’observe que ce n’est pas le moment de se livrer à la discussion des principes adoptés par M. Malouet; l’Assemblée doit être conséquente dans ses démarches, et elle ne le sera point si l’on ne se hâte de rejeter la proposition de M. Malouet. En effet, on ne peut se décider, même sur l’adoption d’aucun projet conciliateur, que le jour de la clôture du procès-verbal, et c’est demain qu’elle doit se luire : alors, il sera temps d’examiner l’ouverture donnée par les ministres du Roi, la motion de M. Malouet, et toutes celles qui pourraient être faites sur le même objet. On ne peut pas d’ailleurs délibérer encore sur cette motion, puisque les communes ayant fait une première invitation à MM. du clergé de se réunir à elles dans la salle nationale et leur en ayant fait une seconde dans le même objet, le 6 de ce mois, il faut nécessairement en attendre la réponse. Enfin, ou examinera la motion de M. Malouet quand il en sera temps. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juin 1789.] 81 [États généraux.] M. Malouet fait des efforts pour répondre au préopinant. M*** député du Languedoc. Faut-il donc tant multiplier la délibération? Il ne s’agit pas de représenter ici un projet de conciliation, mais plutôt de suivre celui que nous avons formé hier. Tant de variations n’annoncentqu’uneversatilitéd’opi-nions et d’idées qui ne doit pas se manifester dans une si solennelle Assemblée. L’on a décidé hier que nous nous assemblerions en bureaux : formons donc ces bureaux ; voilà ce qui doit nous occuper. Quant à la motion de M. Malouet, ce n’est, pas le moment de la mettre en délibération ; il ne nous reste qu’à le remercier des idées qu’il nous a communiquées. Jusqu’ici il a bien voulu le faire à presque toutes les séances ; espérons de son patriotisme qu’il s’empressera, dans un moment plus favorable, de remettre sous nos yeux celles dont il nous vient de faire part, et .qu'à l’avenir il ne cessera de nous communiquer ses ijéflexions, puisqu’il n’a jamais cessé de le faire. M. Malouet convient que sa motion est prématurée. MM. le comte de Renaud, le marquis de Rou-yray, le comte de Magallon, le marquis de Péri-gny, le chevalier de Cocherel, Bodkin-Fitz-Gé-rald, le marquis de Gouy et le chevalier Bougé seprésentent-comme députés de Saint-Domingue; ils remettent une requête cachetée ; ils demandent que son ouverture soit différée jusqu’au moment où les Etats généraux seront constitués; et cependant ils réclament leur admission provisoire. L’Assemblée leur accorde la faculté d’assister aux séances sans suffrages, jusqu’à ce que leurs (jroits et leurs pouvoirs soient reconnus. On s’est occupé de la formation des bureaux. M. Bailly, pour proportionner leur nombre à Détendue du local, propose de n’en faire que dix. M. Target rappelle qu’il a été décidé la veille qu’il en sera établi vingt, et que d’ailleurs la division proposée par M. Bailly compose les bureaux de 60 membres, qui, selon lui, ne peuvent pas délibérer plus paisiblement que six cents. MM. les adjoints déclarent immédiatement après quels sont les trente membres qui doivent composer chacun des vingt bureaux. La voie du sort détermine le local pour chacun d’eux, et il est convenu que tous les soirs les députés se rendront respectivement à leurs bureaux. La séance est levée. i ÉTATS GÉNÉRAUX. î Séance du mardi 9 juin 1789. I | CLERGÉ. Plusieurs membres demandent de nouveau qu’il soit décidé par la Chambre que les commissaires du clergé signeront les procès-verbaux, puisqu’ils contiennent vérité. Cette proposition donne lieu à de nouveaux débats. Les curés veulent qu’on regarde cela comme déjà décidé. Le haut clergé, cependant, obtient qu’on ira encore aux voix sur cet objet, et il est décidé, à une très-grande majorité, que tous les commissaires du clergé, curés et évêques, signe-; 1" Série, T. V III. ront le procès-verbal des conférences, s’il est reconnu exact par les commissaires des trois ordres, sous la condition que l’on ne pourra induire des qualités ou dénominations employées dans le procès-verbal, aucune conséquence qui préjudicie à aucun droit, ou en confère aucun. NOBLESSE. La Chambre s’occupe du jugement de la députation du Dauphiné ; elle entend et examine les réclamations faites à ce sujet. M. Ic comte de Lally-Tollcndal (l). Messieurs, les habitants d’une grande province ont voulu se donner la constitution d’un peuple libre sous un Roi juste. Le prince les a rassemblés lui-même; il leur a déclaré par l’organe de son commissaire, qu’il les convoquait pour peser avec eux dans une seule balance tous leurs intérêts différents; pour les consulter sur les moyens les plus sages d’établir leur nouvelle constitution, et pour les mettre à l’abri, par sa sanction royale, de toutes les réclamations auxquelles d’anciennes formes pourraient servir de prétextes. Les trois ordres réunis ont dressé un plan de contitution et d’états provinciaux, ont fait un projet de règlement et les ont envoyés au Roi, en le priant de sanctionner leurs délibérations . Deux mois après, ils ont regu cette sanction du Roi, ils ont reçu des règlements du Roi, les ont trouvés conformes à leurs vœux, en ont modifié quelques-uns, les ont tous consentis, et le commissaire du roi a dit à l’Assemblée : Vous êtes parvenus à consommer l’ouvrage de la bienfaisance de Sa Majesté. La constitution qui va régir cette province a reçu de vos mains cette empreinte qu’on devait attendre de sujets également éclairés et fidèles. Les nouveaux états de la province se sont formés ; iis ont ouvert leurs séances le premier décembre 1788. L’Assemblée qui avait été leur berceau s’était déjà occupée de la manière d’élire les représentants du Dauphiné aux états généraux. Elle en avait fait l’objet du cinquantième article dans son projet de règlement. Les états en ont réclamé l’exécution. Le Roi l’a autorisée. Une instruction ministérielle annoncée pour le 26 décembre, n’étant pas eucore arrivée le premier janvier, il a fallu la prévenir pour céder aux vœux de la province et pour se préserver des inconvénients que le Roi lui même avait craints pour elle. Le règlement consenti par le Roi a été exécuté, 144 députés élus librement dans toutes les parties du dauphiné se sont joints aux 144 membres des Etats et les trois ordres réunis, c’est-à-dire la nation dauphinoise en corps a nommé 30 représentants aux Etats généraux. L’instruction ministérielle est arrivée, elle fixait le nombre de ces représentants à 24 et la nation en a retranché 6. Le scrution avait été ouvert le premier janvier, la clôture des Etats a été annoncée pour le 16 ; il n’y a eu aucune réclamation de la part du gouvernement et le jour de la clôture, le commissaires du Roi a dit aux Etats ; « Une sagesse frofonde a dirigé vos démarches et présidé à vos choix. » Enfin le 7 avril dernier, le Roi a écrit à la commission intermédiaire représentant les Etats (1) Le discours de M. de Lally-Tollendal n’a pas été inséré au Moniteïir,