SÉANCE DU 24 MESSIDOR AN II (12 JUILLET 1794) - Nos 36-41 99 36 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition du citoyen Pierre Jolier, volontaire au 3e bataillon de Saone-et-Loire, lequel, après 2 mois 1/2 de détention, a été acquitté et mis en liberté par jugement du tribunal révolutionnaire de Paris, du 14 messidor présent mois; « Décrète que, sur la présentation du présent décret, la trésorerie nationale paiera au citoyen Jolier la somme de 200 liv., à titre de secours et indemnité; et ce, indépendamment de la solde ou traitement dont il doit également jouir pendant tout le temps de sa détention. « Le présent décret ne sera pas imprimé » (l). 37 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition du citoyen Jean Albert, volontaire dans le 5e bataillon de la Côte-d’Or, lequel, après 13 mois de détention, a été acquitté et mis en liberté par jugement du tribunal révolutionnaire de Paris, du 16 messidor présent mois; « Décrète que, sur la présentation du présent décret, la trésorerie nationale paiera au citoyen Albert la somme de 1 000 liv., à titre de secours et indemnité; et ce, indépendamment de la solde ou traitement dont il doit également jouir pendant tout le temps de sa détention. « Le présent décret ne sera pas imprimé » (2). 38 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition des citoyens Nicolas Denain et Joseph Billaux, volontaires dans le bataillon du district de Clermont, département de l’Oise, lesquels, après 7 mois 1/2 de détention, ont été acquittés et mis en liberté par jugement du tribunal révolutionnaire de Paris, du 8 messidor présent mois; « Décrète que, sur la présentation du présent décret, la trésorerie nationale paiera à chacun desdits citoyens Denain et Billaux la somme de 600 liv., à titre de secours et indemnité; et ce, indépendamment de la solde ou traitement dont ils doivent également jouir pendant tout le temps de leur détention. (l) P.V., XLI, 210. Minute de la main de Briez. Décret n° 9903. Reproduit dans Bln, 28 mess. (ler suppl4). (2) P.V., XLI, 211. Minute de la main de Briez. Décret n° 9904. Reproduit dans Bln, 28 mess. (ler suppl4). « Le présent décret ne sera pas imprimé » (l). 39 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition du citoyen Antoine-Pierre Pain et d’Anne-Marie -Madelaine Bouffard, sa femme, dont Pascal Pain, leur fils, volontaire dans la 43e demi-brigade, et mort à l’hôpital de Bergues, à la suite d’un coup de feu qui lui avoit emporté la cuisse, décrète ce qui suit : « La trésorerie nationale paiera, sur la présentation du présent décret, une somme de 400 liv. auxdits Pain et Bouffard, à titre de secours provisoire, et renvoie leur pétition au comité de liquidation, pour le réglement de la pension. « Le présent décret ne sera imprimé que dans le bulletin de correspondance » (2). 40 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition du citoyen Grégoire Late-lise, caporal des carabiniers dans le 4e bataillon des chasseurs Francs, lequel, après 7 mois 1/2 de détention, a été acquitté et mis en liberté par jugement du tribunal révolutionnaire de Paris, du 16 messidor présent mois; « Décrète que, sur la présentation du présent décret, la trésorerie nationale paiera au citoyen Latelise la somme de 500 liv., à titre de secours et indemnité; et ce, indépendamment de la solde ou traitement dont il doit également jouir pendant tout le temps de sa détention. « Le présent décret ne sera pas imprimé » (3). 41 BERLIER, au nom du comité de législation : Citoyens, vous avez renvoyé à votre comité de législation une question importante, et sur laquelle il convient de prendre une résolution qui se concilie avec l’intérêt social et la gloire même des armées de la république. On vous a proposé de suspendre l’exercice de toutes actions et créances contre les citoyens qui portent les armes pour la cause de la liberté. Sans doute cette proposition a fait une forte (l) P.V., XLI, 211. Minute de la main de Briez. Décret n° 9905. Reproduit dansBm, 28 mess. (ler suppl1). (2) P.V., XLI, 212. Minute de la main de Roger-Ducos. Décret n° 9907. Reproduit dans Bm, 28 mess. (ler suppl4). (3) P.V., XLI, 212. Minute de la main de Briez. Décret n° 9906. Reproduit dans Bm, 28 mess. (ler suppl4). SÉANCE DU 24 MESSIDOR AN II (12 JUILLET 1794) - Nos 36-41 99 36 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition du citoyen Pierre Jolier, volontaire au 3e bataillon de Saone-et-Loire, lequel, après 2 mois 1/2 de détention, a été acquitté et mis en liberté par jugement du tribunal révolutionnaire de Paris, du 14 messidor présent mois; « Décrète que, sur la présentation du présent décret, la trésorerie nationale paiera au citoyen Jolier la somme de 200 liv., à titre de secours et indemnité; et ce, indépendamment de la solde ou traitement dont il doit également jouir pendant tout le temps de sa détention. « Le présent décret ne sera pas imprimé » (l). 37 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition du citoyen Jean Albert, volontaire dans le 5e bataillon de la Côte-d’Or, lequel, après 13 mois de détention, a été acquitté et mis en liberté par jugement du tribunal révolutionnaire de Paris, du 16 messidor présent mois; « Décrète que, sur la présentation du présent décret, la trésorerie nationale paiera au citoyen Albert la somme de 1 000 liv., à titre de secours et indemnité; et ce, indépendamment de la solde ou traitement dont il doit également jouir pendant tout le temps de sa détention. « Le présent décret ne sera pas imprimé » (2). 38 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition des citoyens Nicolas Denain et Joseph Billaux, volontaires dans le bataillon du district de Clermont, département de l’Oise, lesquels, après 7 mois 1/2 de détention, ont été acquittés et mis en liberté par jugement du tribunal révolutionnaire de Paris, du 8 messidor présent mois; « Décrète que, sur la présentation du présent décret, la trésorerie nationale paiera à chacun desdits citoyens Denain et Billaux la somme de 600 liv., à titre de secours et indemnité; et ce, indépendamment de la solde ou traitement dont ils doivent également jouir pendant tout le temps de leur détention. (l) P.V., XLI, 210. Minute de la main de Briez. Décret n° 9903. Reproduit dans Bln, 28 mess. (ler suppl4). (2) P.V., XLI, 211. Minute de la main de Briez. Décret n° 9904. Reproduit dans Bln, 28 mess. (ler suppl4). « Le présent décret ne sera pas imprimé » (l). 39 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition du citoyen Antoine-Pierre Pain et d’Anne-Marie -Madelaine Bouffard, sa femme, dont Pascal Pain, leur fils, volontaire dans la 43e demi-brigade, et mort à l’hôpital de Bergues, à la suite d’un coup de feu qui lui avoit emporté la cuisse, décrète ce qui suit : « La trésorerie nationale paiera, sur la présentation du présent décret, une somme de 400 liv. auxdits Pain et Bouffard, à titre de secours provisoire, et renvoie leur pétition au comité de liquidation, pour le réglement de la pension. « Le présent décret ne sera imprimé que dans le bulletin de correspondance » (2). 40 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition du citoyen Grégoire Late-lise, caporal des carabiniers dans le 4e bataillon des chasseurs Francs, lequel, après 7 mois 1/2 de détention, a été acquitté et mis en liberté par jugement du tribunal révolutionnaire de Paris, du 16 messidor présent mois; « Décrète que, sur la présentation du présent décret, la trésorerie nationale paiera au citoyen Latelise la somme de 500 liv., à titre de secours et indemnité; et ce, indépendamment de la solde ou traitement dont il doit également jouir pendant tout le temps de sa détention. « Le présent décret ne sera pas imprimé » (3). 41 BERLIER, au nom du comité de législation : Citoyens, vous avez renvoyé à votre comité de législation une question importante, et sur laquelle il convient de prendre une résolution qui se concilie avec l’intérêt social et la gloire même des armées de la république. On vous a proposé de suspendre l’exercice de toutes actions et créances contre les citoyens qui portent les armes pour la cause de la liberté. Sans doute cette proposition a fait une forte (l) P.V., XLI, 211. Minute de la main de Briez. Décret n° 9905. Reproduit dansBm, 28 mess. (ler suppl1). (2) P.V., XLI, 212. Minute de la main de Roger-Ducos. Décret n° 9907. Reproduit dans Bm, 28 mess. (ler suppl4). (3) P.V., XLI, 212. Minute de la main de Briez. Décret n° 9906. Reproduit dans Bm, 28 mess. (ler suppl4). 100 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE impression sur vos âmes ; elle se présente avec beaucoup d’avantages au premier aperçu, et le sort de nos frères d’armes ne pouvait vous trouver froids ni insensibles. Votre comité de législation partagera toujours avec vous ce tendre et juste intérêt ; mais, comme vous aussi, il veillera à ce que rien ne dérange l’harmonie qui doit résulter de vos lois. C’est sous ce rapport que votre comité vous doit compte du travail préparatoire qu’il a fait et qu’il vient vous soumettre. Nous ne vivons plus sous le régime tyrannique, où, pour des dettes civiles, les hommes pouvaient être privés de leur liberté. Comme autrefois Solon affranchit sur ce point les Athéniens de la contrainte par corps, de même, et dans les premiers jours de la république, vous en avez affranchi tous les citoyens français. Mais la discussion actuelle présente la question de savoir si toute action sera interdite contre les défenseurs de la patrie, pendant le temps de leur exercice, ou, ce qui est la même chose, s’ils seront mis hors d’atteinte dans leurs biens pendant ce temps. Cette proposition, si séduisante et si favorable au premier coup d’œil, ne peut se soutenir après un examen approfondi. Qu’elle soit décrétée aujourd’hui, et demain il n’y a plus de garantie pour les transactions sociales; ce ne serait pas un privilège accordé à quelques-uns, ce serait une voie ouverte à tous pour se jouer de tous les engagements. Quand, dans les champs de Marathon, Miltiade appela les esclaves à la défense de la patrie, la nature et la morale durent sourire à cet acte de nécessité, qui devenait un acte de justice; c’étaient des hommes trop longtemps et trop injustement distingués des autres qu’on appelait à l’honneur de défendre le territoire commun, et l’ordre social n’y perdait rien. Dans l’espèce, au contraire, que nous examinons, l’harmonie générale serait subvertie sans utilité pour l’Etat (car les bras ne manquent pas à sa défense) et sans profit pour la morale, qui ne peut admettre ce moyen banal de suspendre l’effet des conventions les plus sacrées. Voyez-vous d’ici l’inquiétude s’emparer de tous les citoyens de la république ? Ce père de famille espère à une époque certaine toucher un payement qui lui est nécessaire pour élever ses enfants et pour cultiver le champ nourricier qu’il tient de ses sueurs; son débiteur s’enrôle, et aussitôt ses biens, devenus inaccessibles, sont un gage qui s’est évanoui, et à côté duquel le créancier le plus légitime va périr de misère. Voulez-vous qu’on vous cite un autre exemple qui se présentera plus souvent peut-être ? Les débiteurs, devenus maîtres de la condition et du sort de tous leurs créanciers, les menaceront d’un prochain enrôlement pour obtenir des remises, et ce sera un nouveau genre d’agiotage qui couvrira la surface de la république. Croyez-vous enfin que ce sera toujours le débiteur obéré qui sera secouru ? Quand cela serait, la morale publique ne veut-elle pas, abstraction faite du plus ou du moins de fortune, que les biens de chacun répondent de ses obligations ? Mais un autre abus résulterait d’une telle institution. Certes, on ne suspendra pas dans les mains du soldat l’exercice de ses actions utiles; eh bien ! il toucherait ses rentes, et cependant il ne paierait point celles qu’il pourrait devoir; il aurait la faculté d’actionner tel citoyen qui lui devrait 100 écus, et il deviendrait inaccessible à tel autre à qui il en devrait lui-même 50. Dans �intervalle, et par l’effet même de l’équilibre rompu, les droits du créancier péricliteraient, et, suspendus quelque temps, ils finiraient souvent par devenir de nulle valeur. Ainsi, tous les ressorts sociaux seraient brisés, ainsi la foi des contrats serait sans garantie comme sans action; ainsi l’alarme se répandrait, et l’incertitude des recouvrements, en arrêtant toutes les transactions commerciales, paralyserait le corps politique. Sans doute, lorsqu’on a fait la proposition que votre comité vient de combattre, on n’avait pas assez aperçu de quelle manière elle se liait au système général de la société, et tendait à le détruire. L’on n’avait pas assez réfléchi que ce serait introduire un privilège plus anti-social que celui du Temple et des ci-devant maisons royales; car l’exception que le despote s’était réservée ne tendait, en ramenant les choses à l’état naturel, qu’à faire cesser l’action du créancier sur la personne de son débiteur, et non sur ses biens. Enfin, l’on n’avait pas assez senti que ce serait accorder des lettres de répit à qui en voudrait, et décréter ainsi la banqueroute universelle. L’on pourrait, citoyens, se dispenser de pousser la discussion plus loin ; car, dès là que le corps serait lésé, tout motif de faveur particulière cède et fléchit nécessairement. Mais, pour peu que l’on veuille y réfléchir, on se convaincra facilement qu’en adoptant l’exception proposée l’on ferait très-peu de chose en faveur de ceux qui aujourd’hui composent les armées de la république. Parlerons-nous d’abord de ceux qui, volontairement et avant toutes réquisitions légales, ont volé à la défense de la commune patrie ? Ils n’ont pas mis pour condition à leur généreux dévouement que toute action civile cesserait contre eux; ils savaient bien que les vertus publiques naissent des vertus privées, et que le héros qui se bat pour la liberté de son pays n’en doit pas moins payer ses dettes et remplir ses engagements particuliers; sans doute l’immense majorité ne laissait point d’affaires, ou y avait pourvu. Parlerons-nous ensuite de ces jeunes citoyens que la patrie a requis et appelés les premiers à la gloire de la défendre ? Très-peu sans doute profiteraient de l’exception, car ils n’étaient pas d’un âge auquel les transactions commerciales fussent fami-lères. Ainsi, et à un infiniment petit nombre près, la loi que vous porteriez sur ce point ne serait bienfaisante, et beaucoup trop bienfaisante, que pour cette partie inerte aujourd’hui, mais bientôt perfidement active, qui en ferait à l’avenir un objet de spéculation pour troubler et renverser la société. Des anciens et honorables défenseurs de la patrie y perdraient beaucoup plus qu’ils n’y gagneraient, du moins pour la très-grande majorité, car ces braves républicains n’ont point abjuré leurs familles; leurs pères sont dans la grande société, et leur ruine réfléchirait sur leurs enfants. Ainsi, et le plus souvent, ces derniers seraient eux-mêmes frappés par l’institution invoquée pour eux. Et que recevraient-100 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE impression sur vos âmes ; elle se présente avec beaucoup d’avantages au premier aperçu, et le sort de nos frères d’armes ne pouvait vous trouver froids ni insensibles. Votre comité de législation partagera toujours avec vous ce tendre et juste intérêt ; mais, comme vous aussi, il veillera à ce que rien ne dérange l’harmonie qui doit résulter de vos lois. C’est sous ce rapport que votre comité vous doit compte du travail préparatoire qu’il a fait et qu’il vient vous soumettre. Nous ne vivons plus sous le régime tyrannique, où, pour des dettes civiles, les hommes pouvaient être privés de leur liberté. Comme autrefois Solon affranchit sur ce point les Athéniens de la contrainte par corps, de même, et dans les premiers jours de la république, vous en avez affranchi tous les citoyens français. Mais la discussion actuelle présente la question de savoir si toute action sera interdite contre les défenseurs de la patrie, pendant le temps de leur exercice, ou, ce qui est la même chose, s’ils seront mis hors d’atteinte dans leurs biens pendant ce temps. Cette proposition, si séduisante et si favorable au premier coup d’œil, ne peut se soutenir après un examen approfondi. Qu’elle soit décrétée aujourd’hui, et demain il n’y a plus de garantie pour les transactions sociales; ce ne serait pas un privilège accordé à quelques-uns, ce serait une voie ouverte à tous pour se jouer de tous les engagements. Quand, dans les champs de Marathon, Miltiade appela les esclaves à la défense de la patrie, la nature et la morale durent sourire à cet acte de nécessité, qui devenait un acte de justice; c’étaient des hommes trop longtemps et trop injustement distingués des autres qu’on appelait à l’honneur de défendre le territoire commun, et l’ordre social n’y perdait rien. Dans l’espèce, au contraire, que nous examinons, l’harmonie générale serait subvertie sans utilité pour l’Etat (car les bras ne manquent pas à sa défense) et sans profit pour la morale, qui ne peut admettre ce moyen banal de suspendre l’effet des conventions les plus sacrées. Voyez-vous d’ici l’inquiétude s’emparer de tous les citoyens de la république ? Ce père de famille espère à une époque certaine toucher un payement qui lui est nécessaire pour élever ses enfants et pour cultiver le champ nourricier qu’il tient de ses sueurs; son débiteur s’enrôle, et aussitôt ses biens, devenus inaccessibles, sont un gage qui s’est évanoui, et à côté duquel le créancier le plus légitime va périr de misère. Voulez-vous qu’on vous cite un autre exemple qui se présentera plus souvent peut-être ? Les débiteurs, devenus maîtres de la condition et du sort de tous leurs créanciers, les menaceront d’un prochain enrôlement pour obtenir des remises, et ce sera un nouveau genre d’agiotage qui couvrira la surface de la république. Croyez-vous enfin que ce sera toujours le débiteur obéré qui sera secouru ? Quand cela serait, la morale publique ne veut-elle pas, abstraction faite du plus ou du moins de fortune, que les biens de chacun répondent de ses obligations ? Mais un autre abus résulterait d’une telle institution. Certes, on ne suspendra pas dans les mains du soldat l’exercice de ses actions utiles; eh bien ! il toucherait ses rentes, et cependant il ne paierait point celles qu’il pourrait devoir; il aurait la faculté d’actionner tel citoyen qui lui devrait 100 écus, et il deviendrait inaccessible à tel autre à qui il en devrait lui-même 50. Dans �intervalle, et par l’effet même de l’équilibre rompu, les droits du créancier péricliteraient, et, suspendus quelque temps, ils finiraient souvent par devenir de nulle valeur. Ainsi, tous les ressorts sociaux seraient brisés, ainsi la foi des contrats serait sans garantie comme sans action; ainsi l’alarme se répandrait, et l’incertitude des recouvrements, en arrêtant toutes les transactions commerciales, paralyserait le corps politique. Sans doute, lorsqu’on a fait la proposition que votre comité vient de combattre, on n’avait pas assez aperçu de quelle manière elle se liait au système général de la société, et tendait à le détruire. L’on n’avait pas assez réfléchi que ce serait introduire un privilège plus anti-social que celui du Temple et des ci-devant maisons royales; car l’exception que le despote s’était réservée ne tendait, en ramenant les choses à l’état naturel, qu’à faire cesser l’action du créancier sur la personne de son débiteur, et non sur ses biens. Enfin, l’on n’avait pas assez senti que ce serait accorder des lettres de répit à qui en voudrait, et décréter ainsi la banqueroute universelle. L’on pourrait, citoyens, se dispenser de pousser la discussion plus loin ; car, dès là que le corps serait lésé, tout motif de faveur particulière cède et fléchit nécessairement. Mais, pour peu que l’on veuille y réfléchir, on se convaincra facilement qu’en adoptant l’exception proposée l’on ferait très-peu de chose en faveur de ceux qui aujourd’hui composent les armées de la république. Parlerons-nous d’abord de ceux qui, volontairement et avant toutes réquisitions légales, ont volé à la défense de la commune patrie ? Ils n’ont pas mis pour condition à leur généreux dévouement que toute action civile cesserait contre eux; ils savaient bien que les vertus publiques naissent des vertus privées, et que le héros qui se bat pour la liberté de son pays n’en doit pas moins payer ses dettes et remplir ses engagements particuliers; sans doute l’immense majorité ne laissait point d’affaires, ou y avait pourvu. Parlerons-nous ensuite de ces jeunes citoyens que la patrie a requis et appelés les premiers à la gloire de la défendre ? Très-peu sans doute profiteraient de l’exception, car ils n’étaient pas d’un âge auquel les transactions commerciales fussent fami-lères. Ainsi, et à un infiniment petit nombre près, la loi que vous porteriez sur ce point ne serait bienfaisante, et beaucoup trop bienfaisante, que pour cette partie inerte aujourd’hui, mais bientôt perfidement active, qui en ferait à l’avenir un objet de spéculation pour troubler et renverser la société. Des anciens et honorables défenseurs de la patrie y perdraient beaucoup plus qu’ils n’y gagneraient, du moins pour la très-grande majorité, car ces braves républicains n’ont point abjuré leurs familles; leurs pères sont dans la grande société, et leur ruine réfléchirait sur leurs enfants. Ainsi, et le plus souvent, ces derniers seraient eux-mêmes frappés par l’institution invoquée pour eux. Et que recevraient- SÉANCE DU 24 MESSIDOR AN II (12 JUILLET 1794) - Nos 42-43 101 ils en remplacement ? des compagnons qui ne seraient pas guidés comme eux par l’amour pur de la gloire et de la patrie. Ah ! gardons-nous de donner à nos armées pures et invincibles un tel point de contact ; si la pureté se trouve dans l’extrême médiocrité, dans la pauvreté même, c’est dans celle que l’on tient de ses pères et non de soi-même. L’inconduite préside plus souvent que le malheur au dérangement des fortunes et à l’amas des dettes. Laissons, laissons aux despotes l’appel aux gens obérés et à ceux qui, sans l’être, voudraient, par raffinement d’immoralité, établir leur fortune sur de sordides spéculations. N’allons pas, dans des jours de triomphe, faire croire à l’univers que nous en soyons réduits à cette honteuse ressource, que la république n’adopta point aux époques les plus critiques de la Révolution. Nous ne dirons pas à nos frères d’armes que c’est pour leur propre gloire que nous décidons ainsi; ils le sentiront bien : nous ne leur dirons pas que c’est pour l’intérêt du plus grand nombre; ils savent bien que le leur est inséparable de celui de leurs pères : enfin, nous ne leur dirons pas que la proposition que nous venons de discuter est anti-sociale et indigne d’eux; en la condamnant à un éternel oubli, vous préviendrez leurs vœux et mériterez leur reconnaissance. Oui, leur reconnaissance ; car il en est sans doute beaucoup plus à qui la loi proposée serait funeste qu’il n’en est à qui elle profiterait. C’est un point que je crois démontré; et d’ailleurs tous n’avaient-ils pas, tous n’ont-ils pas encore la faculté du mandat et la garantie des tribunaux, qui sans doute n’adjugeront rien contre eux sans vérification ? Et si l’on ne s’arrêtait pas à ces principes, où en serait-on ? Ne faudrait-il pas bientôt accorder le même avantage à tous ceux que la patrie tient hors de leurs foyers; car où il y a parité de raison et égalité, il ne peut y avoir disparité de législation, sans établir un privilège en faveur des uns et commettre une injustice envers les autres. Gardons-nous, citoyens, d’ouvrir la porte aux privilèges; toujours, et dans tous les gouvernements, ils ne s’introduisirent d’abord que sous le prétexte de l’exacte justice, mais bientôt ils s’accrurent à ses dépens. Sans doute, nous devons honorer nos braves défenseurs; mais la démocratie serait blessée là où l’on pourrait dire : « Voilà le droit commun des citoyens, et voilà celui des soldats ». Loin de nous toute tendance à l’établissement d’une caste militaire par des attributions spéciales. Si d’ailleurs quelques défenseurs de la patrie recevaient un préjudice réel, qui plus qu’eux auraient droit, en connaissance de cause, aux secours de la république ? Ils ont sur ce point la garantie résultant et de leurs services et de la gratitude nationale ; mais au-delà le principe essentiel de notre gouvernement serait blessé, l’ordre social compromis, et la gloire même de nos armées atteinte et offensée. Il me reste, citoyens, à vous faire une dernière observation : la proposition que nous venons de discuter n’est point nouvelle; déjà elle a été produite dans cette assemblée sans qu’il y ait été statué. Sans doute, le danger en fut senti alors; il n’est pas moindre aujourd’hui, et ce n’est pas sous le règne de la probité qu’une source aussi féconde de combinaisons immorales et désastreuses sera consacrée. Telles ont été les réflexions de votre comité sur cette importante question; la résolution, contraire, beaucoup plus populaire en apparence, aurait sans doute trouvé beaucoup plus de faveur dans les premiers moments; mais les applaudissements de l’enthousiasme ne valent pas l’assentiment sage et réfléchi de la raison et de la justice, ces deux grandes bases de tout bon gouvernement. Voici le projet de décret : [adopté au milieu des applaudissements] (l). « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [BERLIER, au nom de] son comité de législation sur la proposition de suspendre l’effet de toutes créances et actions civiles contre les défenseurs de la patrie; « Décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer. « Sur la proposition d’un membre, il a été décrété que le rapport seroit imprimé et inséré au bulletin » (2). 42 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition de Jean-Noël Amant, volontaire au 4e bataillon du Loiret, blessé à Fontenay -le -Peuple d’un coup de feu qui l’a traversé du flanc gauche à l’intestin colon, et ne lui permet plus de continuer son service, ayant en conséquence été renvoyé de l’hôpital ambulant de Niort chez lui, décrète ce qui suit : « La trésorerie nationale paiera, sur la présentation du présent décret, audit Amant, une somme de 600 liv., à titre de secours; et renvoie sa pétition au comité de liquidation, pour le règlement de la pension. « Le présent décret ne sera imprimé que dans le bulletin de correspondance » (3). 43 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation sur la pétition du citoyen Laurent Leroy, demeurant à Bazailles, fl) Mon., XXI, 203-205. (2) P.V., XLI, 212. Minute de la main de Berlier. Décret n° 9912. Reproduit dans Bm, 25 mess. (ler suppl1) ; Débats, n° 660 ; J. Univ., n° 1694 ; J. Mont., n° 77 ; J. Paris, n° 559 ; J. Sablier, n° 1432 ; J. Fr., n° 656 ; Ann. R.F., n° 224 ; M.U., XLI, 393 ; Rép., n° 205 ; Mess, soir, n° 692 ; Audit, nat., n° 657 ; J. Matin, n° 716 ; C. Univ., n° 924 ; Ann. patr., n° DLVIII ; J. S. Culottes, n° 513 ; C. Eg. n° 693 ; J. Perlet, n° 658. Voir ci-dessus, séance du 17 mess., n° 48. (3) P.V., XLI, 213. Minute de la main de Roger-Ducos. Décret n° 9909. Reproduit dans Bm, 28 mess. (ler suppl1); J. Univ., n° 1694. SÉANCE DU 24 MESSIDOR AN II (12 JUILLET 1794) - Nos 42-43 101 ils en remplacement ? des compagnons qui ne seraient pas guidés comme eux par l’amour pur de la gloire et de la patrie. Ah ! gardons-nous de donner à nos armées pures et invincibles un tel point de contact ; si la pureté se trouve dans l’extrême médiocrité, dans la pauvreté même, c’est dans celle que l’on tient de ses pères et non de soi-même. L’inconduite préside plus souvent que le malheur au dérangement des fortunes et à l’amas des dettes. Laissons, laissons aux despotes l’appel aux gens obérés et à ceux qui, sans l’être, voudraient, par raffinement d’immoralité, établir leur fortune sur de sordides spéculations. N’allons pas, dans des jours de triomphe, faire croire à l’univers que nous en soyons réduits à cette honteuse ressource, que la république n’adopta point aux époques les plus critiques de la Révolution. Nous ne dirons pas à nos frères d’armes que c’est pour leur propre gloire que nous décidons ainsi; ils le sentiront bien : nous ne leur dirons pas que c’est pour l’intérêt du plus grand nombre; ils savent bien que le leur est inséparable de celui de leurs pères : enfin, nous ne leur dirons pas que la proposition que nous venons de discuter est anti-sociale et indigne d’eux; en la condamnant à un éternel oubli, vous préviendrez leurs vœux et mériterez leur reconnaissance. Oui, leur reconnaissance ; car il en est sans doute beaucoup plus à qui la loi proposée serait funeste qu’il n’en est à qui elle profiterait. C’est un point que je crois démontré; et d’ailleurs tous n’avaient-ils pas, tous n’ont-ils pas encore la faculté du mandat et la garantie des tribunaux, qui sans doute n’adjugeront rien contre eux sans vérification ? Et si l’on ne s’arrêtait pas à ces principes, où en serait-on ? Ne faudrait-il pas bientôt accorder le même avantage à tous ceux que la patrie tient hors de leurs foyers; car où il y a parité de raison et égalité, il ne peut y avoir disparité de législation, sans établir un privilège en faveur des uns et commettre une injustice envers les autres. Gardons-nous, citoyens, d’ouvrir la porte aux privilèges; toujours, et dans tous les gouvernements, ils ne s’introduisirent d’abord que sous le prétexte de l’exacte justice, mais bientôt ils s’accrurent à ses dépens. Sans doute, nous devons honorer nos braves défenseurs; mais la démocratie serait blessée là où l’on pourrait dire : « Voilà le droit commun des citoyens, et voilà celui des soldats ». Loin de nous toute tendance à l’établissement d’une caste militaire par des attributions spéciales. Si d’ailleurs quelques défenseurs de la patrie recevaient un préjudice réel, qui plus qu’eux auraient droit, en connaissance de cause, aux secours de la république ? Ils ont sur ce point la garantie résultant et de leurs services et de la gratitude nationale ; mais au-delà le principe essentiel de notre gouvernement serait blessé, l’ordre social compromis, et la gloire même de nos armées atteinte et offensée. Il me reste, citoyens, à vous faire une dernière observation : la proposition que nous venons de discuter n’est point nouvelle; déjà elle a été produite dans cette assemblée sans qu’il y ait été statué. Sans doute, le danger en fut senti alors; il n’est pas moindre aujourd’hui, et ce n’est pas sous le règne de la probité qu’une source aussi féconde de combinaisons immorales et désastreuses sera consacrée. Telles ont été les réflexions de votre comité sur cette importante question; la résolution, contraire, beaucoup plus populaire en apparence, aurait sans doute trouvé beaucoup plus de faveur dans les premiers moments; mais les applaudissements de l’enthousiasme ne valent pas l’assentiment sage et réfléchi de la raison et de la justice, ces deux grandes bases de tout bon gouvernement. Voici le projet de décret : [adopté au milieu des applaudissements] (l). « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de [BERLIER, au nom de] son comité de législation sur la proposition de suspendre l’effet de toutes créances et actions civiles contre les défenseurs de la patrie; « Décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer. « Sur la proposition d’un membre, il a été décrété que le rapport seroit imprimé et inséré au bulletin » (2). 42 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des secours publics sur la pétition de Jean-Noël Amant, volontaire au 4e bataillon du Loiret, blessé à Fontenay -le -Peuple d’un coup de feu qui l’a traversé du flanc gauche à l’intestin colon, et ne lui permet plus de continuer son service, ayant en conséquence été renvoyé de l’hôpital ambulant de Niort chez lui, décrète ce qui suit : « La trésorerie nationale paiera, sur la présentation du présent décret, audit Amant, une somme de 600 liv., à titre de secours; et renvoie sa pétition au comité de liquidation, pour le règlement de la pension. « Le présent décret ne sera imprimé que dans le bulletin de correspondance » (3). 43 « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation sur la pétition du citoyen Laurent Leroy, demeurant à Bazailles, fl) Mon., XXI, 203-205. (2) P.V., XLI, 212. Minute de la main de Berlier. Décret n° 9912. Reproduit dans Bm, 25 mess. (ler suppl1) ; Débats, n° 660 ; J. Univ., n° 1694 ; J. Mont., n° 77 ; J. Paris, n° 559 ; J. Sablier, n° 1432 ; J. Fr., n° 656 ; Ann. R.F., n° 224 ; M.U., XLI, 393 ; Rép., n° 205 ; Mess, soir, n° 692 ; Audit, nat., n° 657 ; J. Matin, n° 716 ; C. Univ., n° 924 ; Ann. patr., n° DLVIII ; J. S. Culottes, n° 513 ; C. Eg. n° 693 ; J. Perlet, n° 658. Voir ci-dessus, séance du 17 mess., n° 48. (3) P.V., XLI, 213. Minute de la main de Roger-Ducos. Décret n° 9909. Reproduit dans Bm, 28 mess. (ler suppl1); J. Univ., n° 1694.