[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 juillet 1791.] 73 L’ordre du jour est un projet de décret des comités réunis sur les émigrants. M. Vernier , rapporteur. Souvent les vérités les plus lumineuses ont, je ne sais par quelle fatalité des circonstances, la plus grande peine à s’accréditer; mais vous avez enfin reconnu, Messieurs, dans les dernières séances, le principe incontestable que la liberté indéfinie, qui appartient essentiellement à tout citoyen, d’aller, de venir, de s’établir comme bon lui semble, est limitée et peut être suspendue lorsque la patrie est en danger. En conséquence, Messieurs, non contents du projet de loi qui avait été formé dans d’autres moments, vous avez renvoyé à vos comités, pour vous en présenter un nouveau : c’est ce projet que je viens vous soumettre; vous le trouverez, Messieurs, rigoureusement conforme à l’esprit qui adirigé les ordres que vous nousavez donnés. Notre projeta pour but, comme vous le désiriez, Messieurs, de forcer les absents de rentrer dans le royaume ou de voir leurs biens séquestrés au profit de la nation, pour n’en jouir que lorsqu’ils paraîtront et qu’ils voudront enfin se soumettre a la loi à laquelle ils sont tenuscomme citoyens; nous avons toutefois réservé les droits des créanciers et des parents. Voici notre projet de décret : « Art. 1er. Jusqu’à ce qu’il en ait été autrement ordonné, les Français absents du royaume seront tenus de rentrer en France dans un mois, à dater de ce jour. » Le délai, Messieurs, est assez long. « Art. 2. Sont exceptés des dispositions ci-dessus, ceux qui ont une mission du gouvernement, les gens de mer, les négociants ou leurs fadeurs, notoirement connus pour faire des voyages chez l’étranger. « Art. 3. Ceux qui rentreront en exécution du présent décret sont mis sous la sauvegarde spéciale de la loi. Les municipalités, les corps administratifs et les gardes nationales devront veiller à leurjjsûreté. «Art. 4. Les biens de ceux qui ne rentreront pas dans le délai prescrit, sont néanmoins mis sous la sauvegarde de la nation ; et le délai expiré, lesdits biens, meubles et immeubles, seront séquestrés et administrés au profit delà nation, de la manière qui suit : « Art. 5. A l’expiration du délai porlé par l’article premier, les directoires de district nommeront des commissaires pour se transporter dans l’étendue de leur ressort, y prendre connaissance, sur l’indication des municipalités, de l’habitation des émigrants et des biens dont ils jouissaient. « Art. 6. Lesdits commissaires me'tront les scellés sur le-portes desdites maisons et appartements occupés ci-devant par lesdits émigrants. Ils établiront aussi un gardien bon et so'vable. Ils appelleront les fermiers, locataires, régisseurs et autres préposés; ils prendront, sous la foi du serment, la déclaration des loyers et fermages dont ils sont débiteurs; ils se feront présenter les quittances desdits payements; recevront pareillement les déclarations desdits biens et régies, dont ils se feront exhiber les comptes; ils donneront auxdits fermiers et locataires lecture du présent décret; ils leur enjoindront de payer les sommes dont ils seraient débiteurs, aux receveurs de district, et recevront la soumission des régisseurs à cet effet, et dans le cas où les lits régisseurs refuseraient de souscrire ladite soumission, et où lesdits biens ne seraient ni en ferme ni en régie, lesdits commissaires procéderont de la manière ci-après ; « Ils feront annoncer publiquement l’adjudication des récoltes pendantes par racines sur les domaines régis. Ladite adjudication sera faite au plus offrant, après un intervalle de vingt-quatre heures au moins depuis l’annonce. Dans le cas où l’absence des émigrants subsisterait encore au premier novembre prochain, les biens à eux appartenant seront régis conformément aux décrets portés, excepté les biens destinés à leur habitation, à l’égard desquels il ne sera fait aucune disposition nouvelle, jusqu’à ce qu’il y ait été pourvu par le Corps législatif. « Art. 7. Les débiteurs desdits émigrants seront tenus de payer entre les mains du receveur de district, en leur domicile, les sommes qu’ils pourraient leur devoir tant en principaux qu’en intérêts. « Art. 8. Sur les revenus qui proviendront des biens séquestrés, seront pris d’abord les frais des commissaires à l’apposition des scellés, visites et autres, suivant le règlement qui en sera fait par le département; le surplus sera versé à la Caisse de l’extraordinaire. « Art. 9. Les droits des créanciers, des femmes et enfants d sdits émigrants et de tous autres qui prétendraient avoir des actions à exercer contre e ux, leur demeurent réservés pour les faire valoir ainsi qu’il appartiendra. « Art. 10. Lorsque les absents rentreront, ils seront réintégrés dans la jouissance de leurs biens sur la demande qui en sera par eux faite par-devant le directoire de district. « Art. 11. Toutes dispositions et conventions faiies en fraude du présent décret seront regardées comme nulles et non-avenues, et seront réputées telles toutes aliénations ou payements d’avance qui n’auraient pas une date certaine, antérieure au présent décret. » M. de Castellane. La question préalable. (Murmures.) M. llalouet. Si quelqu’un se charge de mani-f ster l’indignation que mérite le décret, je ne parlerai pas. M. Rewbell. Je manifesterai mon indignation contre ceux qui parleront contre le décret. M. Malonet. Je la manifesterai contre vous. M. l