BAILLIAGE DE BEAUVAIS CAHIER Des plaintes , doléances et remontrances du clergé du bailliage de Beauvais (1). SECTION PREMIÈRE. De la Religion , de l’Église et de ses ministres. Le vœu unanime du clergé du bailliage de Beauvais, en commençant la rédaction de son cahier, est d’exprimer à Sa Majesté les sentiments d’amour de fidélité et de respect dont il est pénétré. La plus belle de ses prérogatives est de porter librement au pied du trône les vérités qui doivent éclairer la justice d’un monarque qui ne veut que le bonheur de ses sujets. Plein de confiance dans la personne sacrée de Sa Majesté et dans les plans de bienfaisance qu’elle a conçus, il réclame la convocation des conciles provinciaux de trois ans en trois ans, selon la forme des saints décrets adoptés dans le royaume, assemblées si utiles pour arrêter le relâchement de la discipline ecclésiastique, pour maintenir Puniformité du culte et pour remédier efficacement à cette diversité de livres liturgiques qui jettent une ombre sur l’Eglise de France. 11 réclame aussi la convocation des synodes diocésains, comme un moyen puissant de réformer les abus que la faiblesse humaine qui se met à tout, introduit insensiblement; de soutenir et de ranimer le zèle des ecclésiastiques et de resserrer les liens de concorde qui doivent unir les premiers pasteurs et les coopérateurs que la Providence leur a associés. L’Eglise a des jours spécialement consacrés à un saint repos et au culte divin ; elle ne voit qu’en gémissant combien ses lois à cet égard sont méprisées. La profanation est à son comble. Cependant ses lois, sanctionnées par celles de l’Etat, méritent le plus grand respect aux yeux de la religion et même de tonte saine politique. Le clergé demande que les anciennes déclarations et ordonnances concernant cet article soient remises en vigueur et que les boutiques soient fermées, tous travaux suspendus, toutes fréquentations de cabarets et autres lieux prohibés, surtout pendant le temps des offices, et qu’il soit enjoint aux officiers de police d’y tenir la main avec la plus grande exactitude. 11 serait peut-être convenable de rendre au travail certains jours de fêtes peu respectées par le peuple et dont les besoins semblent provoquer la suppression. Le clergé demande en même temps l’observance des anciens règlements de discipline relatifs au jeûne et à l’abstinence du Carême, règlements consacrés par les lois de l’Eglise et par celles de l’Etat. Il se fait dans la plupart des églises de la ville et de la campagne des quêtes qui paraissent contraires au bon ordre ; elles sont d’une faible ressource pour les fabriques, interrompent les fidèles, (1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire . nuisent au recueillement et à la majesté du culte. Le vœu général du clergé est qu’elles soient supprimées. Nous rendons hommaoe aux vues d’ordre et de justice exprimées dans le préambule de l’édit du mois de novembre 1787, concernant les non catholiques; nous sommes bien loin de méconnaître les droits imprescriptibles de la nature dans la personne de nos frères errants ; il ne nous vient pas en pensée d’élever la voix contre les formes nécessaires dans toute institution sociale pour assurer l’état des familles; mais il y a dans la nouvelle loi concernant les non catholiques des dispositions qui n’ont pas été combinées avec assez d’attention. Le clergé de France a fait à ce sujet des remontrances sages et respectueuses; le clergé du bailliage les a adoptées dans toute leur étendue. Il appartient au clergé de donner l’exemple, d’ouvrir toutes les portes au mérite, qui lui sont malheureusement trop fermées en France. 11 serait du bien de l’Etat, de la bonté du Roi et conforme à la Pragmatique-Sanction, de rendre aux églises la liberté des élections pour la nomination aux évêchés et autres prélatures qui donnent quelque autorité et juridiction, élections qui ne pourraient cependant être valides qu’autant qu’elles seraient confirmées par Sa Majesté. 11 est de bon ordre que les collateurs ne puissent être prévenus qu’un mois après la vacance des bénéfices ; cette loi ne laisserait pas les églises sans titulaires, et cependant elle détruirait une avidité qui, n’offrant d’autres titres aux choses saintes qu’une course plus ou moins rapide, dégénère souvent en procès, et ruine par avance un grand nombre de bénéficiers. Le clergé est touché de la situation des curés et vicaires à portion congrue, et, pénétré de la nécessité de venir à leur secours, et surtout au secours des curés des villes qui n’ont pas même la ressource des portions congrues, ainsi qu’à celui des prêtres et habitués des paroisses des villes. Mais comme le sort des curés à portion congrue ne peut être amélioré d’une manière sensible qu’il n’en résulte une surcharge qu’il est impossible défaire supporter par les décimateurs, il est indispensable de rejeter cette surcharge sur d’autres revenus ecclésiastiques ; il est essentiel de connaître les différentes sources où un supplément si nécessaire peut être trouvé. C’est, dans cette vue qu’on demande qu’il soit suppléé par voie d’union de bénéfices simples à l’amélioration convenable du sort des curés et des vicaires à portion congrue ; même dans le cas où les dîmes d’une paroisse seraient insuffisantes pour l’acquit de la portion congrue, les évêques seront invités d’adresser un état des cures à portion congrue qui ont besoin de supplément, ainsi qu’un état des bénéfices simples et moins importants où l’on pourra trouver ce supplément. Les bénéfices à nomination royale ne doivent pas être exceptés , le Roi jouit plus qu’aucun de ses sujets de toutes les opérations utiles et l’on ne saurait croire que des commendes sans fonctions puis- 288 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Beauvais.] sent mériter une préférence qu’on n’accorderait pas aux autres bénéfices. 11 faut demander tout ce qui paraîtra juste, et ne pas oublier que les besoins des curés, ministres si utiles, sont plus impérieux que les faveurs accordées aux différentes nominations. Mais le projet de doter les cures par la voie d’union de bénéfices simples ne présente malheureusement qu’uu secours trop éloigné. Les Etats généraux seront priés de considérer que les besoins des curés sont urgents et d’aviser à quelques moyens justes et faciles de les soulager promptement. La dotation des vicaires et habitués devra être (fixée et augmentée en proportion de l’accroissement justement demandé pour les curés. La dotation des curés doit être telle que les titulaires jouissent d’une aisance honnête qui leur permette la représentation décente qu’exige leur état, qui leur donne la facilité de soulager l’indigence spécialement confiée à leur sollicitude, de joindre aux consolations de la religion les utiles secours de la charité. Ces besoins n’ont pas la même étendue dans tous les lieux ; nous croyons pouvoir assurer que la somme de 1,500 livres serait à peine suffisante dans ces provinces, laquelle somme serait augmentée tous les vingt ans si la progression du prix des denrées était devenue notable pendant ledit intervalle. L’amélioration des cures amène avec elle la suppression du casuel forcé. L’ordre du clergé la demande avec empressement, comme ta réforme d’un abus qui blesse le désintéressement qui doit caractériser le saint ministère. Il est juste qu’il soit érigé des vicariats dans toutes les paroisses trop nombreuses, à la desserte desquelles ne peuvent suffire les soins d’une seule personne, par exemple, à celles qui ont quatre cents communiants avec des hameaux ou cinq cents communiants sans hameau. Il paraît juste que des curés qui n’ont qu’une partie de dîmes dans leurs paroisses et qui ont des vicaires, ne soient tenus de payer la portion congrue des vicaires qu’au prorata de la part et portion qu’ils ont dans la dîme, quels que soient à ce sujet les transactions, arrêts et déclarations. Par suite des mêmes motifs, en cas d’option de la portion congrue de la part des curés, lesdits curés demandent à n’être obligés de renoncer aux biens-fonds et terres affectés à la cure que lorsque les gros décimateurs auront fait preuve que lesdits biens-fonds ont été donnés par eux autrefois. Imposer aux curés l’obligation de prouver que lesdits biens sont chargés d’obits ou fondations, c’est leur imposer une obligation presque impossible à remplir. Un autre objet intéressant est l’assurance des secours pour les ecclésiastiques que leur âge et leurs infirmités empêchent de remplir leurs fonctions. Ce projet est une suite nécessaire de l’amélioration des cures, puisqu’il est également convenable de pourvoir au sort des curés dans le temps de leur santé et dans celui où elle leur échappe par la vieillesse ou par la maladie. Il serait à désirer qu’un certain nombre de prébendes des églises cathédrales et collégiales fût uniquement affecté aux curés et autres ecclésiastiques qui auraient travaillé dans le ministère pendant un espace de temps déterminé. Ils trouveraient dans ces retraites un asile honorable, la récompense de leurs travaux, l’occasion d’être toujours utiles, et ils ajouteraient un nouveau degré de considération aux chapitres qui les recevraient dans leur sein. Les évêques trouve-, raient ainsi sous leurs mains des hommes respectables, propres à rendre aux diocèses des services importants, principalement dans les places de supérieurs de maisons religieuses , officiaux , promoteurs, et vicaires généraux, tous emplois qui demandent, ouire des talents et des connaissances, un esprit formé par quelques années d’expérience. Le ministère des curés est un ministère de charité ; il semble appelé d’une manière particulière à surveiller l’éducation chrétienne, à secourir le pauvre, à consoler le malade. Ces motifs portent à désirer qu’ils soient admis dans l’administration des collèges, Hôtels-Dieu et bureaux de bienfaisance. On ne saurait donner trop de considération au corps des pasteurs. Plus ils paraîtrontestimés, plus ils deviendront estimables, et ce motif fait désirer qu’il leur soit donné dans les cérémonies publiques un rang convenable à l’importance et à la dignité de leur état. Il existe une déclaration obtenue en 1698 qui autorise nosseigneurs les évêques, dans leur visite, à envoyer un curé au séminaire pour trois mois, sur un simple procès-verbal. Cette déclaration est contraire aux vrais principes. La liberté d’un curé doit, ainsi que celle d’un citoyen, être sous la sauvegarde de la loi, et les mêmes motifs qui doivent faire réprouver les lettres de cachet, les décrets prononcés par un seul juge contre un domicilié, militent pour que la liberté d’un curé. sa réputation ne soient plus livrées à la volonté arbitraire d’une seule personne. Tous les corps qui composent l’ordre du clergé ont la faculté de se réunir quand la défense de leurs droits et intérêts exige une délibération commune; les curés forment dans l’Église un� classe nombreuse ; ils ont des intérêts et droits particuliers. Ils demandent donc à jouir de Ja même faculté que les autres corps et à s’assembler suivant les arrondissements adoptés dans chaque diocèse pour l’ordre ecclésiastique, et Sa Majesté sera suppliée de retirer la déclaration, rendue en 1782, qui leur défend toute association sans lettres patentes. Dans un siècle de bienfaisance où on ne s’occupe que des moyens de supprimer la mendicité, le clergé croit devoir solliciter en faveur des religieux mendiants une pension par tète qui puisse soustraire un prêtre à la dure nécessité de mendier et accroître par là le fardeau des peuples. SECTION II. Du temporel et des dettes du cierge. Le clergé ne peut se dispenser de représenter que le plus grand nombre et le plus précieux des biens temporels de l’Eglise est la jouissance des dîmes ; que ce revenu a par lui-même des charges très-considérables , telles que sont les portions congrues des curés et vicaires, l’entretien des chœurs et casuel des églises ; que cependant, dans la plupart des provinces, le produit des dîmes est diminué presque insensiblement ; il s’introduit dans les cours de judicature des principes nouveaux sur la nature delà dîme qui tendent presque à l’anéantir ; que depuis quelques années et d’après un règlement du parlement de Normandie, tout à coup et sans qu’on s’y attendît, toutes les paroisses ont refusé de payer aux décimateurs la dîme verte ou des prairies artificielles, contre l’usage général et constant; ce refus a donné lie» à Une multitude innombrable de procès qui n’ont pas été suivis parce que les décimateurs comptaient [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Beauvais. 1 sur la promulgation d’une loi qui devait fixer toutes les incertitudes et les maintenir dans leurs droits. Il est de toute justice de ne pas les en priver, dans un moment surtout où le clergé annonce les plus grands sacrifices à l’amour du bien de la patrie. Peut-être que la seule manière de terminer ces débats désastreux à la religion par la division qu’ils portent entre les fidèles et ses ministres serait de combiner dans les trois ordres une loi qui posât de nouvelles bases et dans laquelle le clergé ne regretterait pas des sacrifices qui lui rendraient la paix si précieuse à son ministère. En attendant, les décimateurs demandent que, pour parer à une infinité de contestations et aux pertes énormes qu’ils éprouvent, il soit ordonné que lorque les propriétaires jugeront à propos de changer la culture de leurs terres et de substituer des fruits non décimables, les bois même compris, à des fruits sujets à la dîme selon l’usage des lieux, la dîme continuera d’y être payée quel que soit le genre de ces productions. L’aliénation des biens ecclésiastiques est un des abus qui, dans ces derniers temps, ont le plus excité les plaintes du clergé dans tous les diocèses ; la dotation des églises diminue, tous se plaignent des moyens sans cesse imaginés d’échapper à la surveillance du clergé et aux lois qui veillent à la conservation de ces biens; les baux emphytéotiques , les baux à cens, les échanges, les ventes mêmes semblent pour ainsi dire tolérées. Les titulaires savent l’art de les faire adopter, et, toujours colorées des avantages apparents des bénéfices , elles reçoivent partout la sanction des tribunaux. Il faut demander une loi générale qui soumette à un examen toutes les aliénations sous quelque forme qu’elles puissent se présenter. La régie dés économats, telle qu’elle existe, est infiniment à charge au clergé en ce qu’elle ruine les successions des bénéficiers par les droits exorbitants de retenue qu’elle s’attribue, par les frais immenses qu’elle occasionne, par les formalités sans nombre auxquelles elle assujettit, par les longueurs et les difficultés qu’on éprouve en traitant avec ses préposés. Le séquestre des économats est inquiétant pour le clergé par le droit de retenir à volonté tous les bénéfices et de les priver ainsi de titulaires par de simples arrêts du conseil. Il est juste de remontrer au Roi combien ce dépôt extraordinaire contrarie le respect dû aux vrais principes, combien sa progression est alarmante pour le clergé, combien son établissement diffère de la garde des églises sur laquelle il a voulu s’établir, combien enfin les grâces publiques sont plus dignes de la majesté royale que les bienfaits obscurs que l’on craindrait de publier. La position actuelle du clergé mérite qu’on parle ici de ses dettes; elles doivent être mises au nombre de celles de l’Etat. Il n’a fait que prêter son nom et son crédit au Roi dans les moments les plus pressants, et comme ont fait toutes les provinces et pays d’Etats; s’il a épuisé ses forces, c’est à la prodigalité des ministres qu’on en doit demander compte ; toutes ses opérations ont été publiques, toutes ont été faites de l’aveu du gouvernement et toutes pour lui plaire ; ses emprunts se sont élevés rapidement à une somme énorme. Il lui était impossible d’associer ses dîmes de manière b pourvoir au remboursement des capitaux en même temps qu’au payement des arrérages ; cependant chaque bénéfice paye à ce titre ce qu’il aurait dû fournir dans la contribution générale lre Série, T. II. en proportion de la valeur de ses biens. On blesserait évidemment la justice si on voulait l’obliger de payer en même temps les impositions et les rentes dues pour ses dettes ou l’obliger à une aliénation pour les acquitter. SECTION III. Des mœurs et de Véducation publique. Les meilleures lois ne peuvent rien sans les mœurs; c’est sur elles que les anciens gouvernements, plus habiles que les nôtres, ont appuyé toutes leurs institutions. Nous avons cru toutf aire en regardant l’or, le numéraire, le commerce, l’industrie, les arts comme la base unique de la prospérité publique. L’expérience doit nous avoir détrompés de cette erreur. Il est temps que notre gouvernement s’occupe des moyens de faire revivre, s’il est possible, l’amour de la patrie, du travail, de la frugalité, de la simplicité dans les dépenses, le respect pour la religion, pour la morale, l’exacte probité dans le commerce, le désintéressement et toutes ces vertus auxquelles la Providence a attaché par une loi invariable la félicité du genre humain. On ferait un très-grand pas vers l’amélioration des mœurs, si les règlements veillaient davantage au maintien de l’honnêteté publique, si les asiles de la débauche étaient fermés soigneusement, si on ôtait au vice la liberté de marcher à visage découvert : il se propage beaucoup moins quand il est forcé de se cacher ; si on empêchait le débit et la vente de tous ces livres pervers qui sapent le fondement du trône, de l’autel et de toutes les vertus, portent la corruption jusque dans le sein de ces hommes grossiers que la simplicité de leur séjour et de leurs mœurs semblaient défendre de la contagion. On doit sentir tout le danger de la décadence où est tombée l’éducation publique depuis un certain nombre d’années ; on oublie trop quelle est l’influence ' des premières années de la vie dans tout ce qui tient au bonheur et à l’avantage de la société; la plupart des collèges de provinces sont mal organisés, il n’y a presque dans aucun un plan fixe et arrêté d’éducation; les professeurs y sont souvent des hommes qui semblent assem-blés au hasard. Il serait à souhaiter que le gouvernement des collèges pût être confié à des corps consacrés uniquement à cette destination : on ne peut espérer que par ce régime un plan d’éducation qui ait de l’ensemble, de l’unité et des principes constants. A cette occasion, le clergé demande avec la plus vive instance que le collège de la ville de Reauvais, qui renferme toute l’espérance des trois Etats des bailliages, soit doté convenablement.On trouvera dans l’union de quelques bénéfices les fonds suffisants pour cet objet. Le clergé doit également fixer son attention sur les séminaires; ils lui sont trop chers pour n’être pas sans cesse l’objet de sa sollicitude. Tous les diocèses sentent la nécessité de faciliter aux jeunes ecclésiastiques leurs longues études en multipliant les pensions gratuites, et de confier l’espoir du sanctuaire aux ministres les plus dignes de perpétuer le respect de la religion et l’empire de la vertu. Les détails de l’éducation des enfants de la campagne méritent tout l’intérêt du clergé. Il serait bien à désirer que dans chaque paroisse il y eût un maître d’école éclairé et honnête, propre à donner à la jeunesse des leçons sages, une instruction gratuite; dans les paroisses un peu nombreuses il faudrait y ajouter une maîtresse d’école; la réunion des deux sexes, quoique dans 19 290 [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Beauvais. l’enfance, est trop souvent une source de vices et de désordre. Mais où trouver des fonds pour toutes ces institutions si utiles et si nombreuses? Le clergé du bailliage, en montrant l’ardeur de ses vues pour tout ce qui peut contribuer à perfectionner les hommes, à les rendre plus heureux, s’en rapporte avec confiance à la sagesse des Etats généraux pour trouver les ressources convenables. Un moyen certain d’accélérer Cette régénération dans les mœurs publiques, serait d’adopter de meilleurs principes dans la distribution des places et des dignités, soit ecclésiastiques, soit civiles ; qu’elles ne soient pas exclusivement le partage de la naissance, que ce titre n’obtienne la référence que quand il est réuni aü mérite, à la onne renommée, aux vertus et aüx talents. section iv. De l'assemblée des Etats généraux et provinciaux. Toutes les parties du royaume doivent contracter entre elles et avec ie monarque une alliance éternelle, afin de n’avoir plus qu’un intérêt commun. L’assemblée des Etats généraux ayant été jusqu’ici accompagnée d’une forme dont l’imperfection a toujours fait méconnaître les droits de l’Assemblée nationale, le clergé espère qu’on s’occupera de la forme que doit avoir rassemblée pour être légale et représenter avec la plus grande étendue possible toute la nation. On doit y arrêter : 1° Qu’àucune loi ne sera reconnue eh France qu’autant qu’elle aura été ou proposée par la nation et consentie par le Roi, ou proposée par le Roi et consentie par la nation, et que toutes les lois arrêtées dans l’assemblée nationale soient obligatoires pour toutes les provinces. 2° Qu’aucun citoyen ne pourra jamais être privé de sa liberté que par la loi et d’après le jugement des tribunaux reconnus par la nation. Que, d'après ce principe, tes lettres de cachet soient proscrites à jamais, et que si pour quelque prétexte que ce puisse être un ministre en avait expédié ou signé une seule, il puisse être pris à partie et poursuivi comme infracteur des droits les plus sacrés delà nation. 3° Qu’aux Etats généraux seuls appartient le droit d’établir, ou de proroger les impôts, ou d’ouvrir des emprunts sous quelque forme ou dénomination que ce puisse être"; que ces impôts ne seront jamais accordés ou prorogés que pour un temps fixe et limité. 4° Que les Etats généraux seront périodiques et qu’il sera pris par eux des mesures de précaution pour qu’en aucun cas leur retour à l’époque déterminée ne puisse rencontrer aucun obstacle, et que si, malgré tous les moyens pris, les Etats généraux n étaient pas assemblés au temps désigné, les impôts cesseront de droit à l’instant dans tout le royaume. 5° Qu’il sera créé, au sein des Etats généraux, des Etats provinciaux, afin de former un lien durable entre l’administration particulière de chaque province et l’administration générale. Ces Etats provinciaux seront chargés de l’assiette, perception et recouvrement des impôts, ainsi que de toute la partie d’administration dont étaient ci-devant chargés les intendants. 6° Que les Etats [généraux ne se sépareront pas sans avoir assuré, par toutes les formalités qu’ils jugeront nécessaires, l’exécution des lois qui y auront été arrêtées, de manière qu’avant la séparation, il ne puisse rester aucun doute sur la sanction et promulgation desdites lois et que l’obéissance qui leur est due ne souffre aucun retard, aucun obstacle, aucune réclamation de la part de qui que ce soit. Ces maximes paraissent si essentielles au clergé pour assurer à jamais à la monarchie une constitution inébranlable, qu’il enjoint à son député, au nom de la confiance qu’il met en lui et de l’autorité dont il le rend dépositaire, d’employer tous les efforts que le zèle et l’amour de là patrie peuvent inspirer pour les faire ériger en lois avant qu’il soit procédé à toute autre délibération et notamment à ce qui concerne les subsides. Il doit être arrêté par les Etats généraux que rien de ce qui sera proposé n’aüra force de loi que quand les trois ordres l’accepteront et qu’il sera sanctionné par l’autorité du prince ; que la voix de deux ordres n’entraînera pas et n’obligera pas celle du troisième. Cette décision empêchera que deux ordres se réunissent pour ett opprimer Un, elle exigera une volonté générale, elle donnera de la force aux décisions de l’assemblée. Tous les bénéficiers ont, par le seul titre de leurs bénéfices� quelque modique qu’en soit le revenu, le droit de donner ou d’envoyer leurs suffrages pour la députation aux Etats généraux. Cependant le règlement n’àccorde aux chapitres qu’une seule voix pour dix chanoirtës présents ; mais les prébendes canonicales sont de véritables titres, elles sont soumises à la résignation, à la prévention, a l’institution canonique. Les chapitres demandent donc qu’on leur assure* dans les assemblées du clergé des bailliages, les mêmes droits, la même influence qu’aux bénéfices moins considérables et souvent bien plus étrangers aux provinces qui députent. Les communautés régu-ières font aussi les mêmes réclamations et méritent lés mêmes égards. La distinction faite par le règlement entre les ecclésiastiques qui habitent les campagnes et qui résident dans les villes bous paraît exciter les mêmes plaintes; si c’est comme ecclésiastiques qu’ils sont convoqués, qu’importe le lieu de leur résidence, et si c’est à causé de leur titre, qu’importe le lieu où il est placé! Il est intéressant pour la nation que le droit de suffrage ne puisse pas ainsi être accordé ou refusé à volonté, et c’est pour tous les ordres un juste sujet de remontrances. On ne doute pas que les agents généraux du clergé h’aient dans l’assemblée nationale la séance et la voix délibérative dont ils ont joui aux derniers Etats généraux. SECTION V. Des impositions et de leur régime. Le clergé imitera l’empressement avec lequel les archevêques et évêques présents dans l’assemblée des notables ont déclaré ne prétendre aucune exemption pour leur contribution aux charges publiques, et voulant donnera ses concitoyens du tiers-état une preuve du désir qu’il a de cimenter l’union entre tous les ordres, fait par acclamation le vœu de supporter dans une parfaite égalité, et chacun à proportion de sa fortune, les impôts et contributions générales du royaume, ne prétendant se réserver que les droits’ sacrés de la propriété et les distinctions personnelles nécessaires dans une monarchie, pour être plus à même de soutenir les droits et la liberté du peuple, le respect dû au souverain et l’autorité des lois. Mais, après l’émission de ce vœu, il demande comme une justice que, dans les impositions sur tous les biens ecclésiastiques, avant de fixer leur masse imposable, on ait égard à 1 énormité des charges dont ils sont grevés, et que la déduction [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Beauvais.] 291 sur tous ces biens soit plus forte que celle qui est à faire sur les biens laïques et proportionnelle à leurs charges vicariales. Il observe que cette déduction doit être encore plus forte sur les biens appartenant.aux églises cathédrales et collégiales, parce que, outre les charges qui leur sont communes avec tous les biens ecclésiastiques, il en est qui leur sont particulières et qu’entraînent nécessairement la célébration et la solennité du service divin, comme Tentretien des gagistes, chantres, enfants de chœur, musique, lumières, sacristie, bedeaux, les réparations d’une église immense, etc., etc. Une seconde observation à faire d’après la supposition que les biens du clergé seront assujettis à toutes les impositions, c’est qu’il n’est pas juste qu’il reste assujetti à d’autres contributions et aux entraves qui frappent sur l’administration de ses biens. Ainsi il doit être affranchi de toutes les . gènes qu’a inventées le génie fiscal, notamment des obligations imposées par l’arrêt du conseil qui les oblige, sous des peines pécuniaires, à faire faire à l’issue dès messes paroissiales la publication qu’ils entendent jouir eux-mêmes des dîmes et autres biens dans l’étendue desdites paroisses. Us seront également affranchis, dans tous les cas, du droit d’amortissement qu’on leur impose sous différents prétextes. La justice exige aussi qu’il soit délivré des frais énormes que lui occasionnent les maîtrises des eaux et forêts, ainsi que les retenues qu’on fait sur les deniers qui proviennent de la vente de ses bois. Le clergé ne demande pas qu’on supprime les réglements qui empêchent les bénéficiers de porter l’abus dans l’administration de ses bois, mais il demande que les règlements ne soient pas une occasion et un prétexte de lui faire supporter un second impôt. Mais dans la supposition où le régime actuel de l’imposition du clergé subsisterait, le clergé demande une représentation plus étendue dans là composition des bureaux diocésains. La justice exige que les curés y aient deux députés nommés par eux et dont les pouvoirs seront renouvelés tous les trois ans. Que le chapitre de la cathédrale y ait aussi un représentant de son choix, que les collégiales et les communautés régulières jouissent du même droit et que tous concourent à la nomination du syndic du diocèse, ainsi qu’à celle du receveur des décimes. Il est juste encore que cette administration soit gratuite et que chaque année le tableau des impositions soit affiché au greffe du bureau diocésain. SECTION VI. Des lois et de l’ administration de la justice. 11 est important aux droits de l’humanité et à la liberté individuelle des citoyens que le Code criminel soit réformé; les lois pénales ne portent point le caractère de douceur et d’impartialité qui doit distinguer tout peuple libre. Il ne doit pas être permis à un seul juge de décerner un décret de prisé de corps ou d’ajournement personnel contre un domicilié. On doit sentir le danger et l’injustice de laisser à un seul juge tant de facilités, dont le moindre vice est d’attenter à la liberté naturelle. Le Gode civil demande aussi une réforme très-étendue, surtout dans la partie qui sert d’aliment à la chicane ; le plus grand des impôts est celui crui résulte des frais de justice. Il doit être pris des mesures et fait des lois pour l’abréviation des procédures, pour parvenir à l’abolition de la vénalité des charges, pour rapprocher les justiciables de leurs juges, pour augmenter la compétence des bailliages et présidiaux, pour que les tribunaux et les juges ne puissent jamais s’écarter du texte des lois et se permettre d’en introduire de nouvelles sous prétexte de les interpréter. Les officiers et les suppôts de la justice sont en trop grand nombre; ce sera un grand avantage de les diminuer et de les réduire à ce qui est uniquement nécessaire, étant de notoriété et d’expérience que plus ils sont multipliés dans un pays, plus les procès s’y multiplient. On observera en passant que les papiers et parchemins timbrés destinés aux actes publics sont de la plus mauvaise qualité, ce qui en rend l’écriture illisible dès le principe et nécessairement indéchiffrable au bout de quelques années. La multiplicité des monitoires occasionne des plaintes dans presque tous les diocèses. On les demande pour des faits presque ridicules. La réforme de cet abus paraît nécessaire et désirée. Le moyen le plus sûr de concilier tous les principes, serait d’abolir toutes sortes de monitoires, ou si l’on pense devoir les conserver, ils ne devraient être du moins réservés que pour les meurtres et les crimes d’Etat. Dans tous les cas on devrait laisser à l’officiai le droit de les refuser sans qu’il pût être pris à partie, car enfin l’Eglise doit pouvoir connaître les crimes qu’on veut lui faire punir, et juger s’ils lui paraissent dignes de ses plus grands châtiments. Beaucoup d’argent sort tous les ans des campagnes pour se perdre dans les gouffres ténébreux de la chicane; des rixes particulières, des bagatelles, quelques paroles d’injures donnent lieu à des procès qui font perdre au malheureux agriculteur un temps considérable et sa tranquillité. On pourrait remédier à ces maux en établissant dans chaque paroisse un tribunal de paix qui serait à l’agriculture ce que le consulat est au commerce, où toutes les difficultés pour objets légers seraient portées sans frais et sans appel. Ces tribunaux même présenteraient encore aux habitants des campagnes la facilité de trouver des arbitres jouissant de la considération publique, qui pourraient dans l’occasion régler entre eux et à l’amiable des intérêts d’une importance plus grande. On réclamerait aussi la suppression de l’office des huissiers-priseurs nouvellement créés par le Roi. Ces offices oppriment singulièrement la veuve et l’orphelin, et généralement les gens de la campagne, eh assujettissant leurs sucessionsà des frais énormes qu’elles ne sont pas en état de supporter, et dans le cas où cette suppression n’aurait pas lieu, nous réclamons au moins la concurrence accordée par l’article 10 de l’édit de 1771, telle qu’elle a toujours été demandée par les seigneurs et officiers des hautes justices, et telle qu’elle a toujours été jugée par la cour du parlement de Paris. Les arrêts d’évocation au conseil, les droits de committimus et autres semblables présentent au crédit et à la faveur une arme puissante pour écraser le faible et le pauvre. Il est conforme à l’équité que les justiciables soient jugés graduellement par les tribunaux ordinaires et que tous ces privilèges oppressifs soient révoqués. Le clergé doit insister pour qu’on rétablisse dans les bailliages les charges de conseillers-clercs. Le clergé "doit avoir part à l’administration de la justice comme à toutes les administrations. ; Il doit l’avoir aussi à celles des municipalités, et 292 [Élats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Beauvais.] il doit être appelé dans les hôtels de ville comme les autres ordres. SECTION VII. De la taille , de la gabelle, des aides , de la milice et autres impôts. Les sollicitudes paternelles de Sa Majesté ont appris à la nation que le vœu le plus pressant de son cœur sera toujours celui qui tendra au soulagement et au bonheur de ses peuples. Le clergé doit donc, sans autre mission que celle que lui donne son dévouement au bien public, se permettre d’exposer l’affligeante situation des tail-lables de toutes les provinces. Ils sont extrêmement surchargés, indépendamment du défaut de proportion dans les départements des généralités, d’élection, de paroisses. L’aperçu général des déboursés indispensables présenteune preuve morale que ce qui reste au peuple du produit de ses biens, ne peut fournir à son nécessaire le plus pressant. Le tirage de la milice est pour lui un impôt accablant. Il est bien à souhaiter qu’on puisse convertir un jour ce tirage en une contribution pécuniaire, ainsi que l’a déjà été la corvée, qui devrait être répartie d’une manière plus équitable en lui donnant pour base toutes les impositions, sous quelques dénominations qu’elles existent. Exemption de la milice en faveur des colleges de plein exercice. Mais à la fois le clergé du bailliage demande exemption absolue du tirage de la milice pour les écoliers étudiant dans un collège de plein exercice, et pour toutes personnes attachées à l’Eglise en qualité de chantres, gagistes, et maîtres d’école dans les campagnes. Diminution du droit de gabelle si on ne peut en prononcer la suppression. S’il est impossible de faire le sacrifice de la gabelle quant à présent, les Etats généraux doivent se hâter d’alléger le poids de l’impôt dont le nom seul inspire l’effroi, qui frappe si fortement sur une denrée de première nécessité, qui enlève à l’agriculture un moyen salutaire de conserver les bestiaux, un impôfqui, par l’attrait violent qu’il offre à la contrebande, fait condamner tous les ans à la chaîne ou à la prison tant de chefs de famille et occasionne tant de saisies. Droits d'aides à supprimer. Une autre sorte d’impôt non moins abusif, non moins vexatoire, ce sont les droits d’aides. Que de genres d’oppression, quelle inquisition criante ne font-ils pas exercer dans tous les lieux qui leur sont soumis ! La variété seule de ces droits est un piège continuellement tendu à la simplicité des peuples, leurs noms mettent en défaut la mémoire la plus fidèle. Gros à l’arrivée, gros à la vente, gros de revente, droits de quatrième, droits de huitième, droils de Picardie, droits d’annuel, droits de contrôle, droit de refuge, ancien cinq sols, nouveau cinq sols, inspecteurs aux boissons, jauge, courtage, courtier, courtier jaugeur, subvention, augmentation, le parisis, droit de quittance, etc., etc., etc. ; qui n’est pas exposé innocemment par toute cette nomenclature de droits à des ignorances, à des saisies, à des emprisonnements, à des amendes qui sucent le plus pur sang du peuple ? Ces droits expansifs et que les préposés interprètent à leur gré, ont porté leur voracité sur tous les objets : vin, cidre, bière, piquette, eau-de-vie, liqueur, viande, cuir, charbon, papier, huile, suif, poudre, amidon, bois, fourrage, marée, argent, or, tout est du domaine de la régie générale. Cette harpie a toujours fait de nouvelles conquêtes, elle n’en a point relâché une de ses anciennes. Et les préposés au recouvrement de ces droits, que sont-ils? des jeunes gens inappliqués, livrés à la fougue des passions, qu’on reçoit à serment, sans information de vie et de mœurs, sans s’assurer s’ils ont une religion, à qui on met le fer en main dès qu’ils entrent dans le corps et qui peuvent tuer tous ceux qui se défendent contre leurs injustes entreprises, sans que les tribunaux civils et criminels puissent en connaître, que tout juge au contraire, maire et habitants doivent protéger contre leurs propres concitoyens, qui sont juges et témoins de la rébellion, qui peuvent enfin emprisonner sans qu’aucun juge puisse élargir ou modérer l’amende. Le clergé de ce bailliage se joindra donc à toute la France réunie au pied du trône pour l’extinction de droits aussi onéreux, aussi tyranniques extorqués dans des temps barbares par le génie fiscal, et qui�déshonorent une nation libre sous un monarque bienfaisant qui veut faire le bonheur de ses peuples. Suppression du trop bu ou gros manquant. Si, contre toute attente, ce bienfait était retardé, on réclamera surtout contre le plus inique et le plus révoltant de ces droits : le gros manquant, vulgairement appelé trop bu. N’est-il pas affreux, en effet qu’un laboureur économe à qui la loi accorde une certaine quantité de boissons, ne puisse dans une année d’abondance conserver quelque partie de sa récolte pour la consommation des années suivantes souvent stériles ? N’est-il pas affreux aussi qu’un bourgeois, ayant une nombreuse famille, soil imposé pour avoir, d’après l’arbitraire des préposés, consommé une plus grande quantité de boissons que son état ou sa fortune ne lui permettent, et cela sous prétexte qu’il a vendu partie de ces mêmes boissons et n’a pas payé les droits comme débitant ? N’est-il pas encore absurde et contraire au droit naturel qu’un marchand de vin paye également et sans aucune modération le débit de la boisson qu’il vend et celui de la boisson qu’il ne vend pas, mais qui est consommée par lui, sa famille et ses domestiques, et autres vexations inouïes? Le clergé sera encore l’organe du peuple en demandant qu’on modifie la déclaration du Roi, du mois d’août 1786, qui fixe les frais des terriers et passations d’aveux ; les archivistes des seigneurs s’en autorisent pour les porter à des frais énormes ; ils en sont si effrayés eux-mêmes qu’ils composent avec les vassaux. vm section. Bien public , commerce. Trois branches principales de commerce floris-saient autrefois dans ce bailliage ; elles sont aujourd’hui ruinées. La fabrique de petites draperies occupait en 1786, dans la seule ville de Beauvais, trois mille cent quarante ouvriers. Au mois de juin 1788, on ne comptait plus que mille quatre cent vingt-deux ouvriers employés. Le mal a suivi la même progression dans les campagnes où l’on est assuré par les recherches les plus exactes que le nombre des métiers et des ouvriers a toujours été à celui de la ville comme de quatre à un. Dans cette stagnation du premier et plus ancien commerce de ce bailliage, les manufactures de [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Beauvais.] ç>qq toiles peintes, qui y ont été introduites depuis à peu près trente ans, semblaient pouvoir offrir des ressources infinies ; mais la protection spéciale que l’on paraît vouloir accorder à ces mêmes fabriques multipliées en Alsace, c’est-à-dire sous ce nom, et l’introduction des indiennes suisses, ont jeté nos établissements en ce genre dans la langueur et presque dans l’inertie. Il nous restait enfin quelque objet de travail et surtout de commerce dans les toiles dites demi-Hollande qui se fabriquent dans nos environs, et le libre cours que les toiles de Silésie ont su se procurer contre toutes les défenses, nous enlève cette dernière ressource. Nous devons la ruine de la première de ces branches au traité fait avec l’Angleterre, au trop grand rapprochement des barrières, à la rareté et à la cherté des matières premières, les laines, les colles, les huiles, etc., etc., à des arrêts du conseil qui ont triplé des droits de marque déjà onéreux, droits qui cependant n’ont ôté imposés que sous la promesse de les faire tourner à l’avantage du commerce, et dont celui de Beauvais ne connaît autre chose que la perception qui se fait avec toute la rigueur et la dureté que les préposés et les sous-ordres mettent dans ces sortes de recouvrements. La perte de la seconde branche sera absolument inévitable lorsque les indiennes suisses auront un libre cours parmi nous, et c’est un succès qu’elles ne peuvent manquer d’obtenir si nos manufactures de l’intérieur ne parviennent pas à arrêter les entreprises et à faire tomber les prétentions de l’Alsace. Enfin, la troisième branche, déjà considérablement altérée par la destruction des linières de Bulles, ne peut se soutenir, si les toiles de Silésie, quoique prohibées par des lois sanctionnées, continuent à l’insu du gouvernement, ou pour mieux dire contre ses intentions, à pénétrer partout en France sans obstacles, à l’abri d’un droit modique que les fermes générales perçoivent indûment à leur passage. Nous nous bornons à indiquer les causes du mal; elles semblent offrir les moyens d’y remédier, Nous en laissons le choix à la sagessè des Etats, et nous nous contenterons de renouveler le vœu que bien des citoyens ont émis pour que le gouvernement ait un' ministre uniquement occupé de cet objet important. On ne peut s’empêcher d’être frappé de la réunion singulière des événements qui depuis deux ans ont concouru au dépérissement de toutes sortes de commerce en ce royaume. Tout semble dire que cette partie, mêlée à d’autres d’un intérêt journellement plus pressant, est nécessairement négligée ou abandonnée à des personnes sans expérience et faciles à séduire par la théorie brillante de quelque système dont les événements font voir trop tard le faux et les erreurs. GRAINS. Fixation du prix des grains demandée. On juge qu’il serait très-facile et très-important à la fois de trouver des moyens propres à fixer le prix des grains ou du moins à le contenir dans les bornes d’une taxe modérée; les variations subites dans le prix de cette denrée, quelquefois excessif, ont répandu la misère parmi le peuple. HARAS. Leur suppression est désirée. Le régime actuel des haras excite chaque jour les plus vives réclamations. Stérilité de la plupart des étalons, productions faibles, inquiétudes perpétuelles du fermier sur ses juments, rareté des élèves, railleries mortifiantes de la part des préposés et perte de temps pour l’inspection, voilà tout le bien que la campagne assure avoir retiré de l’introduction du nouveau régime, que nous sommes fondés à croire très-onéreux à l’Etat. PIGEONS. Défense des colombiers à ceux qui n'en ont pas le droit. Les pigeons sont pour les campagnes un fléau dévorant. Les colombiers et volières devraient être sévèrement interdits à tous ceux qui n’ont pas le droit d’en avoir, et quant aux seigneurs et fieffés, il serait juste qu’il y ait une proportion entre les grandeurs de leurs colombiers et l’étendue ou l’importance de leurs fiefs et possessions. CAPITAINERIE EN CHASSE. Suppression du Code des chasses des capitaineries , etc. , et règles à observer pour n'êlre pas vexé par le gibier. On n’achèverait pas de peindre toutes les vexations que la tyrannie subalterne des capitaineries exerce avec l’empire le plus absolu, et les pertes immenses causées par la trop grande abondance du gibier et des animaux de toute espèce. Une des premières opérations doit être de demander et d’obtenir la suppression de celles qui sont absolument inutiles aux plaisirs de Sa Majesté. On a les mêmes plaintes à former contre les grands seigneurs propriétaires qui exercent dans leurs terres les droits attribués aux capitaineries. Les chasses des seigneurs particuliers semblent présenter un tableau moins effrayant et n’en sont pas moins onéreuses aux campagnes par les règlements même faits pour en restreindre les abus. Dans tout gouvernement bien ordonné, trois choses paraissent incontestables : 1° Que les amusements de la chasse 11e sont pas à préférer aux avantages de l’agriculture. 2° Que les plaisirs d’un seul homme ne doivent pas l’emporter sur la subsistance d’une centaine d’autres et plus; 3° Qu’il est plus nécessaire d’avoir du blé, de l’orge, etc. que des lapins, des lièvres, etc. De ces trois vérités, qui n’en sont à proprement parler qu’une, suit une conséquence qu’on peut regarder elle-même comme un principe : c’est que dans un règlement à faire sur la chasse et l’agriculture prises ensemble, et l’une relativement à l’autre, la faveur doit toujours être pour le laboureur contre le chasseur. D’après ces observations on demande que dans les lois à intervenir pour les chasses particulières ou non royales, on évite tous les inconvénients que présentent et qu’ont occasionnés deux arrêts de règlement du parlement de Paris de 1778 et 15 mai 1779. Ce règlement, dont on demande la suppression, est également ruineux pour le seigneur et le laboureur : 1° Par l’obligation de deux ou trois visites sur toutes les terres, suivant la qualité du grain qui y aura été semé ; 2° Par l’assignation à domicile ; 3° Par la manière d’estimer le dégât causé par le gibier proportionnellement à Détendue de la seigneurie et à celle du dommage ; 4° Par le droit donné au seigneur de choisir lui-même les experts quand il est question du gibier de l’espèce dite la moins nuisible, tel que les lièvres, etc. ; 294 [Étals gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Bailliage de Beauvais.] 5° Par la défense des associations prises dans le sens qu’on ne fournit aucuns moyens sages de les remplacer lorsqu’elles devraient avoir lieu. 6° Enfin par la nécessité indispensable de prendre des experts à une distance aussi éloignée que celle de trois lieues. Augmentation des maréchaussées. Les maréchaussées sont évidemment, insuffisantes pour le service que l’intérêt public exige. Le clergé demande que ce corps soit augmenté en France et qu’il soit établi des brigades dans les gros lieux. Le vœu de tous les ordres des citoyens est encore d’extirper en France la mendicité ; les ressources sont immenses chez un peuple humain et chrétien. Il ne s’agit que de les bien diriger. Les Etats généraux prendront en considération les moyens présentés jusqu’à ce jour. Les ateliers de charité ont porté en partie remède à ce fléau trop répandu en France. L’ouvrage sera achevé lorsqu’une fois on aura proportionné les secours à l’étendue du besoin. Uniformité des poids et mesures. La diversité des poids et mesures entraîne de si grands inconvénients qu’il est très à désirer pour le commerce qu’ils soient réduits à une même dénomination et aux mêmes dimensions. Suppression des loteries. La loterie, de tous les impôts le plus immoral, est la source de tant de désordres que le clergé ne doute pas que les Etats généraux ne s’empressent d’y remédier. Réforme des statuts des chirurgiens. Tant que les chirurgiens des provinces seront régis par les statuts actuels, les peuples auront raison de s’en plaindre ; le vice et le remède résident dans les réceptions. M. le premier chirurgien du Roi vend à vie les charges de lieutenant et de greffier; cette vente arme l’intérêt particur lier d un titre ennemi du bien général; les acquéreurs, forts de l’appui du vendeur, tirent avantage et s’accommodent très-bien de la faiblesse des candidats. Ceux-ci trouvent en outre le moyen de triompher des refus les plus justes. La vie des hommes réclame que les charges de lieutenant et greffier soient des places d’honneur et de confiance ; qu’elles ne soient décernées qu’à la probité et au mérite, soit par MM. les officiers municipaux, soit par MM. les officiers du bailliage; M. le lieutenant général, M. le procureur du Roi ou M. le juge de police assisteraient à tous les actes probatoires des récipiendaires, y feraient régner le bon ordre et l’équité en écartant la jalousie et l’avarice. Etablir des sages-femmes instruites. L’humanité exige également que les sages-femmes ne puissent être admises en aucuns lieux en cette qualité qu’elles n’aient suivi avec fruit des cours publics d’accouchement. Laisser le cours des baux des gens de mainmorte. Les baux des bénéfices isolés finissent par la démission des titulaires. Cet abus ruine de bons cultivateurs qui se sont quelquefois épuisés pour payer de forts pots-de-vin et les empêche même de faire les améliorations convenables. Il est juste que le député sollicite un règlement qui concilie les intérêts du fermier et ceux du titulaire successeur. Telles sont les réclamations que l’amour du bien public a dictées à l’ordre du clergé de ce bailliage. Admis à l’honorable fonction d’éclairer son souverain sur les grands objets de la prospérité publique, il n’a fait entendre que les nobles conseils de la vérité, et il ne s’est point livré au découragement en contemplant les maux del’Etat. La crise qui l’afflige peut devenir l’époque d’une heureuse révolution. Du sein d’un désordre passager naîtra la stabilité des principes fondamentaux de la monarchie , l’établissement d’institutions utiles qui répareront les malheurs et les feront oublier. Fait, lu et approuvé dans l’assemblée du clergé du bailliage de Beauvais, au palais épiscopal, en présence de tous messieurs de cet ordre. A Beauvais, le dix-septmars mil sept cent quatre-vingt-neuf. Signés à la minute des présents : de Lannery de Prouleroy. Daubancourt, curé de Saint-Just. Pre-veres, curé de Saint-Pierre-Motte. Danse, chanoine. Clément , chanoine. Sallentiu. Taillon , chanoine. Thiery, chanoine. Redon. Villain. Payen. Poney, chanoine régulier. De La Motte. L’abbé de Comeiras. Pignon, Lozières. F. -P. -F. Bazonne. F.-M. Enjubault, prieur de Saint-Germer. Regnier, curé de la Versines, Pillon, curé de Saint-Jacques. Beauchin, prieur-curé d’Ozembray. François-Joseph, évêque comte de Beauvais, et Fouenet du Bourg, secrétaire. Collationné et certifié véritable par moi, greffier en chef du bailliage et siège présidial de Beauvais, soussigné. Signé Pigory, avec paraphe. CAHIER DE L’ORDRE DE LA NOBLESSE DU BAILLIAGE DE BEAUVAIS, ET EXTRAIT DU PROCÈS-VERBAL DES SÉANCES DE L’ASSEMBLÉE DUDIT ORDRE (1). CONSTITUTION. La noblesse regarde comme base première du salut de la patrie, qu’avant de consentir à aucune prorogation ou établissement d’impôts, les Etats généraux statuent par une loi sanctionnée par le Roi, et enregistrée dans toutes les cours : 1° Que les Etats généraux représentent [la nation, ont la puissance législative conjointement avec le Roi. 2° Qu’aucun citoyen ne peut jamais être privé de sa liberté que par la loi, et d’après le jugement des tribunaux reconnus par 1a. nation. 3° Qu’aux Etats généraux seuls appartient le droit d’établir ou de proroger les impôts, et d’ouvrir des emprunts, sous quelque forme et dénomination que ce puisse être. 4° Que les Etats généraux seront périodiques ; que la forme de leur convocation et leur composition seront déterminées par eux-mêmes; et que si, à l’époque qu’ils aurontfixée, ils n’étaient pas rassemblés, les impôts cesseraient de droit à l’instant même dans tout le royaume. 5° Que dans toutes les provinces du royaume, il sera établi des Etats provinciaux, dont la forme e£ le pouvoir seront déterminés par les Etats généraux. L’établissement des cinq articles, avant le consentement aux impôts, paraît si essentiel à l’ordre de la noblesse, qu’elle en fait une condition expresse à son député, et déclare qu’elle le désavouera, s’il vote pour aucun établissement ou (1) Nous publions ce cahier d'après un imprimé de la Bibliothèque du Sénat.