926 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Ie* octobre 1789.] Dans ce moment, Messieurs, il ne s’agit que de régler les questions principales qui peuvent s’élever sur la formation des assemblées provinciales, et dont les solutions doivent précéder leur établissement ; et c’est peut-être à la résolution de tenir promptement des assemblées provinciales, au moment où les rôles vont se faire, où le rassemblement est rendu facile par la saison et la marche des occupations rurales, que le salut de la France est attaché. La première question paraît devoir être le nombre même des assemblées. Deux idées également extrêmes doivent être évitées dans cette formation. La première serait une trop grande multiplicité, qui compliquerait les ressorts de l’administration, avec laquelle on ne peut jamais voir que des détails, ni former ces vues générales et d’ensemble, qui seules peuvent servir de base. aux délibérations législatives. La seconde, j’ai déjà eu l’honneur de vous l’exposer, Messieurs, ce serait d’établir des assemblées provinciales trop considérables, qui, concentrant les intérêts d’un grand nombre d’individus, pourraient opposer quelque résistance aux décrets de l’Assemblée nationale. En portant à soixante-dix environ le nombre de ces assemblées, il semble que l’on évite les deux excès. La division de la France en carrés à peu près égaux, serait la plus belle et la plus utile des opérations à cet égard. Au-dessous de ces assemblées, vous jugerez convenable, Messieurs, de former des districts qui soient entre le peuple et ceux qui sont chargés du soin d’administrer leurs intérêts ; enfin vous formerez des municipalités de villes et de campagnes ; et, pour ces dernières, il serait peut-être utile de réunir plusieurs villages ou hameaux, soit pour leur donner plus de consistance, soit pour fortifier les liens de la fraternité et de l’union entre eux. Vous fixerez sûrement les conditions qui devront régler les élections de toutes ces assemblées. Vous penserez peut-être qu’une propriété quelconque doit être nécessaire pour ceux qui seront élus. La propriété est la seule chose qui fixe et attache un homme à une province plutôt qu’à une autre ; elle l’attache encore d’une manière certaine à la chose publique. Quant au mode d’élection, il me paraît que les propriétaires de chaque ville ou village doivent choisir les municipalités, celles-ci les districts, et les districts des assemblées provinciales, en yjoignant un doublement de simples électeurs. Peut-être est-ce la seule manière d’unir la liberté des élections, et les motifs de liaison qui doivent exister entre des assemblées qui ont des fonctions correspondantes. Quant aux fonctions de ces assemblées, elles peuvent être déterminées par leur titre même, si vous arrêtiez qu’elles s’appelleront dorénavant assemblées administratives. Quant aux détails, ils seraient réglés par le comité que vous nommerez, ou pourraient être déterminés par la suite. Vous aurez aussi à fixer les rapports entre les villes et les campagnes, et l’intérêt si grand, si recommandable, et si oublié des dernières, vous portera sans doute à leur donner une proportion qui, pour être juste, doit sûrement être plus forte que celle des villes. En conséquence, je propose qu’il soit au plus tôt nommé un comité pour rédiger un plan pour les assemblées provinciales qui seront arrêtées promptement par l’Assemblée nationale, et établies tout de suite dans tout le royaume. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRESIDENCE DE M. MOUNIER. Séance du jeudi 1er octobre 1789, au matin (1). M. le Président a ouvert la séance par là lecture d’une lettre, datée de ce jour, de M. le premier ministre des finances ; elle est conçue en ces termes : « Monsieur le Président, je vous prie de vouloir . bien me faire donner le moment où l’Assemblée nationale permettrait que j’eusse l’honneur de l’entretenir d’objets relatifs à sa dernière délibération sur les finances. « Je suis avec respect, Monsieur le Président, votre très-humble et très-obéissant serviteur, « Signé : Necker. » L’Assemblée décide que le ministre sera admis à midi. M. de Wîrieuj l'un des trésoriers de la caisse patriotique , annonce à l’Assemblée un don en diamants et argenterie fait par madame la marquise de Massol, lequel don a été apporté par la demoiselle Thierry, sa femme de chambre ; il f annonce ensuite un don patriotique de 20,000 livres fait par le corps de la librairie et imprimerie de la ville de Paris ; il demande que la demoiselle Thierry et les syndics de la librairie soient introduits à la barre, ce qui est accordé. M. Knapen, syndic, portant la parole, dit: Nosseigneurs, venir au secours de la patrie est le devoir de tous les citoyens. Le corps de la A librairie et imprimerie de Paris s’empresse de donner des preuves de son zèle aux dignes représentants de la nation, dont les exemples excitent si puissamment au patriotisme. Nous venons déposer entre les mains de votre auguste Assemblée 20,000 livres, avec le regret de ne pouvoir offrir à la nation une somme plus considérable. M. le Président. L’Assemblée nationale, t voulant vous témoigner sa satisfaction pour les 1 sacrifices que vous faites à la patrie, vous invite à assister à la séance. M. le Président annonce que le Roi a sanctionné le décret sur les gabelles, et que Sa Majesté examinera incessamment ceux sur l’im-positioD des privilégiés et sur l’abolition des droits de franc-fief. � M. le Président. L’Assemblée reprend son ordre du jour qui appelle la discussion de l'article L du projet du nouveau comité de Constitution concernant le Corps législatif. Cet article est ainsi conçu : « Art. 4. Aucun impôt ou contribution en nature ou en argent ne peut être levé, aucun emprunt manifesté ou déguisé ne peut être fait sans le consentement exprès des représentants de la nation. » Cinq amendements sont proposés sur cet article. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [1er octobre 1789.] [Assemblée nationale.] M. Martineau propose de remplacer les mots : sans le consentement par ceux-ci : autrement qu'en vertu d'un décret exprès: Il fait remarquer que le ministère pourrait, dans la suite, s’arroger le droit de fixer l’impôt par un simple consentement, tandis qu’il ne doit avoir lieu que par un décret. M. Martineau, par un second amendement, propose de supprimer le motimpôten. se bornant à celui de contribution. M. Démeunier substitue aux mots manifesté ■■■ ou déguisé , ceux-ci: direct ou indirect. M. Barnave dit qu’il faudrait remplacer les mots, des représentants de la nation , par ceux-ci: de l’Assemblée des représentants de la nation. M. Morin, s’appuyant sur les dispositions de son cahier, propose d’ajouter qu’aucun papier-■ monnaie ne peut, être mis en circulation sans un décret exprès de l’Assemblée des représentants de la nation. Les quatre premiers amendements sont successivement mis aux voix et adoptés. Le cinquième amendement donne lieu à une discussion. > M. le duc de la Rochefoucauld. Je considère comme aussi important d’empêcher un ministre de mettre du papier-monnaie en circulation que de lui ôter la faculté d’emprunter. M. Andrieu demande que l’amendement soit complété par cette phrase : ni le titre des monnaies changé. k M. le comte de Mirabeau. Toute objection contre cet amendement impliquerait absurdité; je m’offre à le prouver, si l’on en fait quelqu’une. M. Target. Le comité de Constitution se propose de présenter, par la suite, un article séparé sur cet objet; l’Assemblée peut donc différer de s’en occuper dans ce moment. M. le comte de Mirabeau. Les comités sont •* très-certainement l’élite de l’univers; mais l’Assemblée n’a pas encore dit qu’elle voulût leur décerner le privilège exclusif d’éclaircir et de débattre les questions. Un comité n’est pas tellement préparateur, qu’il puisse empêcher la discussion d’un objet de nécessité prochaine, et qui importe infiniment au crédit public. Lorsqu’il s’élève dans l’Assemblée une question dont le t renvoi pourrait compromettre, dans l’opinion publique, la doctrine des représentants de la nation, il faut qu’elle soit immédiatement débattue et vidée. Au reste, je dirai, sur les murmures qui s’élèvent contre l’amendement que je défends, qu’une confusion de mots, fondée sur une confusion d’idées, entraîne hors des principes ceux qui montrent de la tolérance pour le papier-monnaie; il faut bien distinguer le papier de * confiance, que l’on est toujours maître de refuser, du papier-monnaie que l'on est forcé d’accepter. La caisse d’escompte par exemple, avant d’avoir recours au vil expédient des arrêts de surséance, mettait en circulation du papier de confiance, et non du papier-monnaie; et l’on voudrait aujourd’hui conserver à son papier le honteux privilège du papier-monnaie ! — Messieurs, quoi qu’én 227 veuille dire le comité, je soutiens que le papier-monnaie* appartient à la théorie de l’emprunt et de l’impôt, et que l’amendement est inattaquable et nécessaire. M. Anson. Le papier-monnaie n’est ni emprunt ni impôt; je réclame la division. M. le comte de Mirabeau. Je ne sais dans quel sens M. Anson soutient que la théorie du papier-monnaie n’appartient ni à celle de l’emprunt ni à ceüe de l’impôt. Mais je consens, si l’on veut, qu’on l’appelle un vol, ou un emprunt le sabre à la main; non que je ne sache que, dans des occasions extrêmement critiques, une nation peut être forcée de recourir à des billets d’Etat (il faut bannir de la langue cet infâme mot de papier-monnaie), et qu’elle le fera sans de grands inconvénients, si ces billets ont une hypothèque, une représentation libre et disponible, si leur remboursement est aperçu et certain dans un avenir déterminé. Mais qui osera nier que, sous ce rapport, la nation seule ait le droit de créer des billets d’Etat, un papier quelconque, qu’il ne soit pas libre de refuser? Sous tout autre rapport, tout papier-monnaie attente à la bonne foi et à la liberté nationale; c’est la peste circulante: je conclus à ce que l’amendement soit discuté, ensemble ou séparément de l’article, comme on voudra ; mais j’opine pour qu’il ne puisse être ajourné plus tard qu’à demain. M. Fermond. Je ne crois pas que l’Assemblée veuille s’occuper dans la Constitution du papier de confiance; il s’agit du numéraire réel ou fictif ui ne peut être mis en circulation sans un écret national. M. Regnaud de Saint-Jean d’Angely est du même avis, et présente une rédaction de l’article en ces termes: « Aucune altération dans les monnaies, aucupe refonte, aucun papier-monnaie, aucuns effets royaux ne pourront être établis sans le consentement exprès des représentants de la nation. » M. le comte de Mirabeau. Les deux préopinants sont hors de la question. Il s’agit seulement de savoir aujourd’hui si l’on peut, sans un décret de l’Assemblée nationale, établir un papier qu’on ne pourrait refuser. La partie de l’amendement concernant les monnaies sera remise sans inconvénient à une autre époque. M. de Boisgelin, archevêque d’Aix. Il n’appartient pas au gouvernement d’ordonner au peuple de prendre des valeurs fictives pour des valeurs réelles. L’établissement d’un papier-monnaie est presque une banqueroute; c’est au moins un impôt ou un emprunt ; les principes répugnent dès lors à ce que le pouvoir exécutif puisse le créer. L’amendement doit être simple et dans la forme suivante : au pouvoir exécutif n’ appartient pas d’établir un papier-monnaie. M. le comte de Mirabeau. Cette Assemblée est le sanctuaire des principes. La division demandée est juste peut-être; les principes sur lesquels cette demande est établiç ne le sont pas ; je demande que la seconde partie soit immédiatement discutée. Plusieurs membres demandent la division, c’est-ARCHIVES PARLEMENTAIRES.