60 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE 37 Un membre [Dubarran] du comité de Sûreté générale monte à la tribune pour faire un rapport sur l’assassinat de Tal-lien, et assure la Convention que toutes les mesures ont été prises pour découvrir et faire arrêter les scélérats qui avoient osé attenter aux jours d’un représentant du peuple (63). DUBARRAN est à la tribune. Il annonce qu’il est chargé par le comité de Sûreté générale de faire part à la Convention des renseignements déjà reçus sur l’assassinat de Tallien. [Le commissaire de police de la section nous a écrit à quatre heures du matin]. Il en résulte que ce représentant, en se retirant chez lui [rue de la Perle] (64), fut attaqué à minuit un quart, rue des Quatre-Fils (65), vis-à-vis l’entrée du ci-devant palais Cardinal, au Marais par un homme [scélérat](66) de la taille de cinq pieds, vêtu d’une redingote [fou-rée] (67) de couleur brune foncée, coiffé d’un chapeau rond. Cet homme lui dit, en se précipitant sur lui [l’a frappé d’abord sur la poitrine] : «Tiens, coquin, il y a long-temps que je t’attends »(68) et il le frappa à la poitrine d’un coup de pistolet [il lui a ensuite tiré un coup de pistolet qui l’a atteint à l’épaule gauche et l’a renversé], qui n’attaqua que [qui lui casse](69) l’épaule gauche. L’assassin s’est évadé sur le champs; et des citoyens venus au secours [l’ont trouvé baigné dans son sang] ont reconduit le représentant du peuple chez lui, où le citoyen Chabanon, officier de santé, lui a administré les secours les plus pressants. On a tout Heu d’espérer que la blessure de Tallien n’aura aucune suite fâcheuse. ( L’assemblée témoigne sa vive satisfaction de l’espoir que le rapporteur leur annonce) Ici Dubarran fait lecture de deux arrêtés du comité de Sûreté générale, par lesquels il intime aux autorités de la section de l’Indivisibilité, dans l’étendue de laquelle s’est passé le fait, de réunir tous les renseignements qui peuvent porter la lumière sur cet attentat horrible, et de multiplier les mesures qu’elles croiront propres à mettre le plutôt possible l’assassin de Tallien sous la main de la justice vengeresse. DUBARRAN annonce enfin que le comité de Sûreté générale a chargé Méaulle et Mon-mayou, représentants du peuple, de se transporter sur les lieux [chez Tallien pour prendre auprès de lui tous les renseignemens possi-(63) P.-V., XLV, 195-196. (64) J. Perlet, n° 718; Orateur P., n°l. indique « revenant de chez sa mère ». (65) M. U., XLIII, 391, donne comme lieu de l’attentat : rue Pavée, vis à vis de la maison Soubise. F. de la Républ., n° 431, situe l’attentat au même endroit. (66) J. Perlet, n° 718. (67) C. Eg., n° 753. (68) M. U., XLIII, 391 et Ann. R. F, n° 282 donnent comme variante : « Coquin, il y a longtems que je t’en veux ». (69) C. Eg., n° 753. blés] et d’y prendre tous les arrêtés utiles dans la circonstance. Reposez-vous sur le [zèle du] comité, dit en terminant Dubarran : il vengera [avec éclat] la Représentation nationale; que dis-je? le peuple lui-même [de ce forfait contre-révolutionnaire : car c’est préparer la contre-révolution que d’attenter à la vie des représentans]; car immoler ses représentants par le fer ou par la calomnie, c’est assassiner le peuple. Au reste, nous attendrons le retour des commissaires Méaulle et Monmayou, pour vous proposer les mesures qu’exigeront les circonstances (70). [Votre courage, votre énergie triomphera de ce nouvel attentat contre la Représentation nationale, et la rage impuissante de l’aristocratie, du modérantisme et de tous les ennemis de la liberté qui semblent se ranimer depuis quelques tems, échouera encore devant votre union et votre fermeté] (71). Un membre [Merlin (de Thionville)] a fait une motion d’ordre sur l’évènement de cet assassinat; il a terminé, après avoir parlé des séances des Jacobins antérieures à cet évènement, par demander que les membres de la Convention ne pussent plus assister aux séances de cette société : sur cette proposition et autres relatives qui lui ont succédé, la Convention a décrété le renvoi de toutes les propositions au comité de Salut public, de Sûreté générale et de Législation réunis (72). BENTABOLE (73) : Il est du devoir de la Convention de porter son attention sur les circonstances où elle se trouve. Depuis quelques jours on fait circuler autour d’elle mille bruits divers. Elle est incertaine sur ce qu’elle doit croire [on cherche à vous induire en erreur sur la situation de l’opinion publique] (74); les uns disent que les aristocrates et les modérés lè-(70) Nous suivons le récit de la tentative d’assassinat à travers le Moniteur, XXI, 724. Entre crochets les variantes apportées par le J. Perlet, n° 718. L’ensemble de la presse donne de cet événement un récit très détaillé. Débats, n° 720, 397. C. Eg., n° 753 \Ann. R. F., n° 282-283. J. Mont., en donne deux versions : une au n° 134 et une au np 137, qui donne un texte très proche de celui des Débats, car la séance « rapportée dans le n° 124 (sic pour 134) (l’a été) avec une partialité perfide de la part du preneur de notes ». F. de la Républ., n° 431; Rép., n° 265; J. Paris, n° 619; J. Fr., n° 716; Ann. Patr., n° 618; Mess. Soir, n° 753; M. U., XLIII, 391. Orateur P., n° 1. J. Univ., n°1751; Bull., 24 fruct. (71) Rép., n° 265. (72) P.-V., XLV, 196. (73) Moniteur, XXI, 719, 724-728, 731; L’ensemble de la presse donne de cet évènement un récit très détaillé. Débats n° 720, 398-405; J. Perlet, n° 718; C. Eg., n°753; Ann. R.F., n°282-283; J. Mont, en donne deux versions : une au n° 134, et une au n° 137, qui présente un texte très proche de celui des Débats car la séance « rapportée dans le n° 124 (sic pour 134) (l’a été) avec une partialité perfide de la part du preneur de notes». F. de la Républ., n° 431; J. Paris, n° 619; Rép., n° 265; J. Fr., n° 716; Gazette Fr., n° 985; M. U., XLIII, 391- 395; Orateur P., n° 1; Mess. Soir, n° 753; Ann. Patr., n° 618; J. Univ., n° 1751. (74) J. Perlet, n° 718. SÉANCE DU 24 FRUCTIDOR AN II (10 SEPTEMBRE 1794) - N° 37 61 vent la tête, les autres qu’il s’élève une nouvelle faction. Je ne veux donner aucune espérance aux modérés : je les regarde comme les ennemis de la Convention; [l’aristocratie et le modérantisme, nous repète-t-on de toutes parts, commencent à relever leurs têtes hideuses; craignez qu’ils n’anéantissent la liberté. Citoyens, mon intention n’est pas ici de donner le moindre espoir à l’aristocratie. Le modérantisme est l’ennemi naturel de la Convention nationale; elle l’anéantira, (oui, oui. On applaudit .)] (75) mais puisque Tallien a été attaqué du fer assassin, je crois qu’il est dans la conscience de tout honnête homme de lui rendre la justice qu’il lui est due. On l’a accusé dans le sein de la Convention et dans une société populaire fameuse d’avoir préché le modérantisme [Il en a été chassé (de cette société célèbre) d’après cette calomnie] (76); et je demande s’il est croyable que les modérés eussent assassiné celui qu’ils se seraient donné pour chef. Au moment où Le Peletier éprouva le même sort, on disait aussi que les royalistes levaient la tête, et cependant il fut frappé par un royaliste. La Convention doit être le centre de l’opinion publique. (On applaudit.) [Qu’elle flotte par-tout ailleurs, ici elle doit être fixée; et ici je ne parle pas seulement pour Tallien, mais pour tout ceux de mes collègues qui, comme lui, pourroient être calomniés dans l’opinion publique (77).] [s’il y a des modérés dans quelque endroit, punissez les; mais punissez aussi les assassins (78).] On a demandé hier et avant hier qu’il soit fait un rapport sur la situation de la République; je demande que ce rapport soit fait sous vingt-quatre heures. [On applaudit .] (79) MERLIN (de Thionville) : Il est temps de tout dire à la Convention; Il est temps qu’elle ouvre les yeux sur le précipice dans lequel on veut l’entraîner, et fasse un pas en arrière pour frapper plus sûrement les ennemis du peuple [ses véritables ennemis.] (80) (Vifs applaudissements.) Existe-t-il des continuateurs de Robespierre? (oui, oui ! s’écrie-t-on.) Voilà la question qu’il faut examiner, et le sang d’un patriote qui a coulé cette nuit me semble avoir résolu cette question, (oui, oui! s’écrie-t-on.) [Le sang des patriotes vient de tracer ce oui terrible] (81) [les amis de la justice, ceux qui veulent la substituer au règne affreux de la terreur, ceux qui les premiers ont menacé Robespierre du poignard de Brutus sont proscrits en ce moment] (82). Le peuple ne veut plus deux autorités... (Non, non! crie-t-on vivement.) Il veut que le règne des assassins finisse. (oui, oui! il est temps! s’écrie-ton de toutes parts au milieu des plus vifs applau-(75) Débats, n° 720, 398. (76) J. Perlet, n° 718. (77) Débats, n° 720, 398. (78) J. Perlet, n° 718. (79) Débats, n° 720, 398. (80) Débats, n° 720, 398. (81) Débats, n° 720, 399. (82) J. Perlet, n° 718. dissements.) [Il est temps que cette poignée d’hommes audacieux, émules et successeurs de Robespierre qui veulent lutter contre la Représentation nationale, soit réduite au silence] (83). Il ne pense pas que les amis de la justice, ceux qui les premiers osèrent la prêcher, ceux qui, armés du poignard de Brutus, traînèrent Robespierre à cette barre, il ne pense pas que ceux-là dis-je, aient jamais l’intention de le faire repasser sous le régime tyrannique? [Nous n’avons pas brisé un joug, pour en laisser peser un autre sur nos têtes] (84) (Non, non! crie-t-on de toutes parts.) Eh bien citoyens je vous dénonce ici les assassins de mon pays, ceux qui dans l’Assemblée Législative, ont voté à côté de moi pour les principes [contre le tyran Capet, (et qui), pa-roisSent regretter le tyran Robespierre] (85), et qui aujourd’hui à côté de moi votent dans le sens contraire. Je vous dénonce ces hommes qui ont eu l’impudeur de dire, dans une Société trop fameuse, dans une Société qui a aidé puissamment à renverser le trône, mais qui n’ayant plus de trône à renverser, veut renverser la Convention... (Oui, oui! Applaudissements.) [Je dénonce ceux qui ont été dans les départemens tremper leurs mains dans le sang des vieillards] (86). Je vous dénonce ces hommes qui, teints du sang des malheureux [des vieillards, des femmes et des enfans] (87) qu’ils ont sacrifiés à leurs vengeances personnelles, veulent aujourd’hui couvrir tant de forfaits en ramenant la terreur sur le tribunal qui doit les juger, en effrayant la Convention. Plusieurs voix : Ils n’y parviendront pas. MERLIN : Je prouverai ma dénonciation. Plusieurs voix : Et nous aussi ! GUYOMAR : On ne nous épouvantera jamais, nous savons mourir. [(On applaudit.)) (88) MERLIN : Ne nous y trompez pas citoyens; ceux qui comme je vous l’ai dit, sont couverts du sang des Français, ceux qui rappellent sans cesse ce gouvernement terrible dont tous les vrais amis du peuple voudraient ensevelir la mémoire, dont ils voudraient arracher le souvenir à l’histoire, [ces hommes sont les seuls qui aient voulu ce gouvernement terrible que votre sagesse et la vigueur du peuple ont fait disparoître, que les amis de la liberté voudraient pouvoir effacer de l’histoire, que nous voudrions tous oublier.](89) ces hommes n’ont d’autres intentions que d’opprimer la Convention pour parvenir à leurs fins. Lisez la séance qui eut lieu hier aux Jacobins; vous y verrez que les victimes sont indiquées, vous y verrez (83) J. Perlet, n° 718. (84) J. Perlet, n" 718. (85) J. Perlet, n° 718. (86) M.U., XLIII, 392. (87) J. Perlet, n“ 718. (88) Débats, n° 720, 399. (89) Débats, n° 720, 399. 62 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE que des représentants du peuple sont mis sous les poignards. Plusieurs voix : C’est vrai ! MERLIN : Voulez vous connaître les assassins de Tallien, et ceux qui dans leur âme perverse, méditent encore de nouveaux crimes? Entendez cette phrase prononcée hier aux Jacobins. «Des mesures de sûreté générale ont été prises; il s’en prépare encore d’autres dans le silence. » ( L’Assemblée fait un mouvement d’indignation.) Je vais vous dire quelles sont ces mesures de sûreté générale qui ont été prises. On a fait arrêter Réal et Dufoumy, connus tous deux pour être les premiers partisans de la révolution. Savez-vous quels sont les motifs de leur arrestation, motifs qui ne sont pas portés sur les registres du comité de Sûreté générale? [Un membre, montrant un papier : les voici, je vais les lire.] (90) MERLIN (de Thion ville) : On savait que Réal devait être le défenseur officieux des Nantais [envoyés à Paris par leur comité révolutionnaire] et on a voulu l’en empêcher, parce que l’on savait qu’il aurait indiqué les vrais [grands] (91) coupables, et qu’il aurait fait traîner à l’échafaud les vrais conspirateurs et leurs complices. ( Nouveau mouvement d’indignation.) Citoyens, gardez tout votre courage; vous en aurez besoin pour entendre ce que je vais vous dire. (Il se fait un grand silence.) Le comité révolutionnaire de Nantes a fait traduire à Paris cent trente-deux victimes; et, sans que ces infortunés aient subi aucun interrogatoire, sans qu’il ait été rempli aucune formalité, ce comité a ordonné à la force armée chargée de conduire ces malheureux à Paris de les fusiller en chemin. (Mouvement d’horreur.) Et voilà quels sont les hommes qu’on a voulu soustraire au glaive de la loi ! Voilà d’où partent ces cris atroces contre le tribunal révolutionnaire, qui, au dire de certaines gens, ne fait pas tomber assez de têtes! Voilà les motifs de l’arrestation de Réal! Quant à Dufoumy, on savait que c’était un vieil ami du peuple [Ils avoient été l’un et l’autre chassés des Jacobins par Robespierre et incarcérés par lui] (92), et les partisans, les propagateurs du système de terreur n’aiment pas la vertu des vieux amis du peuple; Ils veulent des patriotes à la Robespierre, [des égor-geurs] (93), des chevaliers de la Guillotine. Mais je déclare que je me percerai le sein à cette tribune plutôt que de les voir opprimer le peuple [si je croyois un moment que ce système pût avoir de la faveur. (L’Assemblée se (90) Débats, n° 720, 399. (91) J. Perlet, n° 718. (92) J. Perlet, n° 718. (93) Débats, n° 720, 400. lève de nouveau toute entière en s’écriant : non, non.)] (94) (Applaudissements). Grand nombre de voix : Non, non ! ils n’y parviendront pas. MERLIN : [Les assassins de Tallien sont ceux qui disoient : « Il est bon que les crapauds du marais lèvent la tête : Ils seront écrasés plutôt ». C’est par ces dénominations injurieuses qu’on veut avilir la Convention nationale; mais elle a prouvé par son énergie, et par l’unanimité avec laquelle elle s’est déclarée contre le tyran, qu’il n’y avait plus ici de marais et que la Convention étoit une et indivisible comme la République] (95). Si le sang des patriotes, si le sang de chacun de nous pouvait amener au port du bonheur le vaisseau de la République, il n’est pas un de nous qui ne le donnât avec plaisir. (Tous, tous! s’écrient les membres en se levant.) Mais nous sommes bien persuadés que si l’on dirige un instant les poignards contre une partie des membres de cette assemblée, c’est pour exterminer ensuite l’autre partie. Lisez dans la conscience de ces hommes que je vous dénonce; vous y verrez que ce sont là les véritables motifs de leurs criailleries, de leurs dénonciations, de leurs calomnies, de leurs motions sanguinaires. Un membre a proposé ensuite qu’il fût fait à la Convention une députation qui serait accompagnée des tribunes, et qui présenterait une adresse dont voici le sens : il est temps que la Convention dise si elle est déterminée à sauver le peuple. Beaucoup de voix : Oui, oui ! nous le sauverons malgré [sans] (96) eux. MERLIN : Répondons à l’insolent interrogateur que la Convention est déterminée, non à sauver le peuple, car il est prouvé qu’il saurait se sauver lui-même dans tous les temps... [mais la chose publique] (97) (applaudissements) et ce peuple généreux, qui abat les tyrans et donne des lois à l’Europe, n’ira pas pour cela chercher le bras des assassins. (Applaudissements.) Il sait, le peuple, que son centre est ici. (Oui, oui! s’écrie-t-on de toutes les parties de la salle et des tribunes.) Il sait que si on le sépare de ses fidèles représentants, on amène la guerre civile; il sait que, dans le choc des passions enflammées, les aristocrates, les patriotes, les modérés, les anarchistes s’entr’égorgeront. Le peuple veut que la justice dirige son bras; il ne veut pas que le glaive vacille; il ne veut pas intimider l’innocent; il ne menace que le coupable. ( Applaudissements .) On a arrêté aussi qu’on se rendrait en masse ici pour faire cette députation. Considérez, citoyens, quels sont ceux qu’on a nommés pour rédiger l’adresse; c’est Carrier [qui a porté la désolation à Nantes.] (98); c’est (94) Débats, n° 720, 400. (95) J. Perlet, n° 718. (96) Débats, n° 720, 400. (97) Débats, n° 720, 400. (98) J. Perlet, n° 718. SÉANCE DU 24 FRUCTIDOR AN II (10 SEPTEMBRE 1794) - N° 37 63 Royer, substitut de l’accusateur public; Fouquier-Tinville...(A/i. / ah!) c’est Billaud-Va-renne, ancien membre du comité de Salut public. Une voix : C’est faux ! MERLIN : On a ajouté qu’aujourd’hui le mot de Vive la Convention ! était le mot de ralliement des aristocrates. [ mouvement d’indignation. ] (99) Je crois en avoir dit assez pour déterminer la Convention, sinon à fermer la Société des Jacobins [à faire un hospice des Jacobins] (100), au moins à défendre à chacun de ses membres d’y assister. ( Vifs applaudissements. ) [. Plusieurs membres : Aux voix, aux voix] (101). DUHEM : Je demande la parole. MERLIN : Je ne crois pas que le tableau des horreurs que je viens de tracer s’efface dans vos âmes. Si l’on nie les faits, je demande à être mis en arrestation avec ceux que j’ai dénoncés; et si j’en ai imposé à la Convention, j’appelle sur ma tête toute la peine que je provoque sur la leur. ( Applaudissements .) BAUDIN : Je dépose le récit imprimé de la séance qui eut lieu hier aux Jacobins; il contient tout ce que Merlin a avancé. MERLIN : Je dois encore une réflexion au peuple et à la Convention. Et moi aussi j’ai été aux Jacobins, et moi aussi j’y ai appelé l’insurrection, et moi aussi j’y ai dit ces paroles que les Logographes et les Moniteurs du temps ont conservées [le 9 août 1792] (102) [en lui montrant le chateau des Tuileries] (103) : « Ce n’est pas avec des discours, c’est avec du canon qu’il faut attaquer le palais des rois; et le peuple sera libre. » Aujourd’hui je dis : Peuple, si tu veux conserver ta liberté, si tu veux conserver la Convention, seul centre autour duquel tu puisses te réunir, ce n’est pas par des discours qu’il faut terrasser tes ennemis; arme toi de ta puissance, et la loi à la main, fonds sur ce repaire de brigands ! ( Applaudissements . ) DUHEM : Si Merlin se fût trouvé au comité de Sûreté générale la nuit dernière, [lorsqu’on nous a appris l’assassinat de Tallien] (104) lorsque je fiis y expliquer les faits, il n’aurait pas occasionné la scène qui vient de se passer. Plusieurs voix : Les faits sont vrais ! [BENTABOLE : ce sont tes calomnies qui ont assassiné Tallien.] (105) DUHEM [que des huées avoient accompagné jusqu’à la tribune] (106) : Je voudrais que ceux qui me traitent d’assassin prouvent que (99) Débats, n° 720, 400. (100) J. Perlet, n° 718. (101) Débats, n° 720, 400. (102) J. Perlet, n° 718. M.U., XLIII, 393 donne le 10 août. (103) M. U., XLIII, 393. (104) J. Perlet, n° 718. (105) J. Perlet, n° 718. (106) Gazette Fr., n° 985. j’ai seulement contribué à faire la moindre injustice. N’ai-je pas été un des premiers à résister à Robespierre? Plusieurs voix : Non, Non ! DUHEM: Si la Convention ne veut entendre qu’un seul rapport, il n’est pas nécessaire de m’accorder la parole. DURAND-MAILLANE : Je demande que l’orateur parle décemment; qu’il ne dise pas qu’il s’est passé une scène... LOZEAU : Je demande qu’on désigne les scélérats, et qu’on ne divague pas. [GUFFROY : Duhem seul a appuyé l’infâme loi du 22 prairial.] (107) DUHEM : A la manière dont Merlin a rapporté la séance d’hier, il serait aisé de condamner et de détruire tout le monde. THIBAULT [ci-devant évêque du Cantal] (108) : Tous les Jacobins. [A ces mots qui sont un trait de lumière, l’indignation publique éclate; on s’écrie, voilà le mal, voilà le but où tendent tous les efforts nouveaux de l’aristocratie et du modérantisme.] (109) Plusieurs voix : A l’ordre, à l’ordre ! [ Des murmures mêlés de cris ont consumé beaucoup de tems\ (110) GUYOMAR : Nous demandons tous que Thibault soit rappelé à l’ordre. THIBAULT : Je demande la parole. [Le président lui dit au nom de l’Assemblée qu’il s’exprime avec impudence. THIBAULT s’élance à la tribune, il est interrompu par Barras] (111). BARRAS : Je demande que Duhem soit entendu avec calme; personne ici n’a le droit d’interrompre un membre à qui l’on a accordé la parole. ( Applaudissements .) DUHEM : Il est indispensable que je rende à la Convention ce qui s’est passé aux Jacobins, afin que les différentes manières de raconter la même chose prouvent qu’il faut entendre tout les partis. Plusieurs voix : Il n’y a point de partis ici. DUHEM : La séance qui eut lieu hier aux Jacobins a commemcé par la lecture de la correspondance, qui s’est prolongée pendant longtemps. Cette correspondance de toute la République... (Ah ah ah!) il résultait de cette correspondance très étendue, très motivée, et qui sera déposée dans les comités de gouvernement, si elle n’y est point encore, que partout les anciens patriotes sont persécutés, que partout les aristocrates lèvent la tête... Plusieurs voix : Cela n’est pas vrai. (107) J. Perlet, n° 718. (108) J. Paris, n° 619. (109) Rép., n° 265. (110) Gazette Fr, n° 985. (111) J. Paris, n° 619. 64 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE DUHEM : J’ai demandé la parole, et j’ai parlé parce que je crois, d’après la constitution, avoir le droit de parler dans une Société populaire. J’ai dit ce que j’avais dit au comité de Sûreté générale, qu’à Caen et à Saint-Omer notamment l’aristocratie lève la tête. J’ai dit que j’avais déposé entre les mains d’André Dumont une lettre de Caen, qui annonçait que deux [trois] (112) fédéralistes enragés, ceux qui, dans lés temps, avaient arrêté nos collègues Romme et Prieur, étaient en liberté. Voilà le fait que j’ai cité pour prouver que l’aristocratie levait la tête. J’ai dit que la société de Saint-Omer, qui, lorsqu’elle avait été régénérée, avait sauvé cette place à la barbe des anglais, et qui avait fait changer toutes les autorités aristocratiques qui pouvaient inspirer des craintes. J’ai dit que cette Société était persécutée par l’aristocratie, et pour le prouver j’ai déposé au comité de Sûreté générale une correspondance signée. J’ai dit qu’il fallait que les comités prissent des mesures pour arrêter les progrès [le torrent] (113) du modérantisme. [BENTABOLE interrompt l’orateur, les murmures couvrent sa voix] (114) ( Murmures ) Si les amis de la liberté des opinions ne veulent pas me laisser parler, je me retire. VILLERS : Il faut maintenir à tous les membres la liberté de parler. Ici, comme partout ailleurs, il ne doit pas y avoir de dénonciateur. Chacun doit ici apporter son contingent de bonne volonté et de lumières pour sauver la patrie. Plus le danger est grand, plus le calme doit l’être aussi. Si les passions s’entre-heurtent, l’intérêt national s’oublie. Le législateur doit écarter tout ce qui en lui tient de l’homme, pour ne se souvenir que des fonctions sublimes dont il est chargé. [N’être que législateur, et ne voir que son devoir et l’intérêt du peuple. On applaudit .] (115) DUHEM : J’ajoutai qu’il n’était pas étonnant qu’après un aussi grand orage politique que celui que nous venions d’essuyer les insectes, de l’aristocratie et du modérantisme se montrassent, mais que [il ne falloit pas s’en désoler, qu’ils seroient punis] (116) les bons patriotes ne devaient pas s’en embarrasser, et que si les crapauds levaient la tête ils seraient plus tôt connus. Je sais qu’on a tenu des notes mensongères de mon opinion; mais je ia rétablis, et je suis fait pour la soutenir. [Je n’y ai pas même conclu à une adresse; car il n’a été question d’une adresse que longtemps après. Plusieurs membres ont parlé après moi, ont résumé la détresse où étoient les patriotes, ont exposé qu’il étoit temps d’ar-(112) Débats, n° 720, 401. (113) Débats, n° 720, 402. (114) Rép., n° 265. (115) Débats, n° 720, 402. (116) Débats, n° 720, 402. rêter le modérantisme et demandé l’adresse dont on vient de parler] (117). Après cela, un membre demanda qu’en déposant les pièces de la correspondance aux comités de gouvernement il fût fait une adresse à la Convention pour arrêter le torrent du modérantisme. Un autre membre dit qu’il fallait aller en masse à la Convention, qu’il fallait aussi que les tribunes y vinssent. Billaud s’est élevé contre cette proposition; il a dit qu’il fallait seulement faire une adresse, comme la Société en avait le droit, et comme c’était souvent un devoir pour elle. Je sais quel est celui qui a donné de fausses notes à Merlin et qui l’a ainsi trompé, car il n’y était pas; c’est Garnier (de l’Aube). J’ai été m’expliquer sur tout cela avec le comité de Sûreté générale, où étaient Legendre, Monmayou et autres. Ensuite la Société, pour ne pas faire une démarche imprudente, a nommé des rédacteurs de l’adresse, et elle a indiqué une séance extraordinaire pour aujourd’hui, afin de continuer la discussion. A présent, si l’on voulait raisonner sur ce qui s’est passé, je dirais que la meilleure preuve qu’on puisse donner de la morgue insolente de l’aristocratie, c’est la motion qui a été faite de dissoudre les Jacobins. (Applaudissements.) Je suis sûr que, quand l’assassin de Tallien sera connu, on verra que c’est un homme [quelque noble] (118) nouvellement sorti des prisons. *** : Comme tous les discours prononcés à cette tribune retentissent dans toute la France, je demande que le président rappelle à l’ordre le membre qui a demandé la dissolution des Jacobins. ( Applaudissements .) Jamais cette idée n’entra dans l’esprit des représentants du peuple. [Personne n’ignore les importans services que cette Société a rendus à la révolution et à la liberté] (119). Les Jacobins ont fait et feront encore le bien de la patrie, et s’il s’est glissé parmi eux quelques agitateurs, quelques factieux, ce n’est pas la Société qu’il faut écraser, ce sont ces agitateurs. [S’il se trouve quelque mauvais citoyen dans son sein, il ne faut point proscrire la société entière.Je demande donc que ce membre soit nommément rappelé à l’ordre] (120). (Ap-pla udissements . ) BENTABOLE : J’appuie ce que vient de dire le préopinant; [Bentabole rend témoignage aux services rendus par la société des Jacobins] (121) mais j’ai quelques réflexions à faire. Ce n’est point à la Société entière qu’on peut reprocher les écarts... Plusieurs voix : On a dit tous ! (117) Débats, n° 720, 402. (118) Débats, n° 720, 402. (119) Débats, n° 720, 402. (120) Débats, n° 720, 402. (121) Débats, n° 720, 402. SÉANCE DU 24 FRUCTIDOR AN II (10 SEPTEMBRE 1794) - N° 37 65 BENTABOLE : Il est des faits sur lesquels la Convention ne doit pas hésiter un instant. Il y a quelques jours qu’on a rayé de la Société [Tallien et] (122) plusieurs représentants du peuple. {Murmures.) Je parle pour la Convention, et je demande du silence. Tout le monde sait que ces représentants ont été rayés des Jacobins pour avoir émis dans la Convention des opinions que la Société a jugées répréhensibles. Il s’agit de savoir si une Société populaire qui a pour ainsi dire, la haute main sur l’opinion publique... Quelques voix : Cela n’est pas vrai ! D’autres : Si, si ! BENTABOLE: Il s’agit de savoir si cette Société ne fait pas un acte qui met la patrie en danger lorsqu’elle entreprend de jeter un commencement de proscription sur des représentants du peuple. Je demande si, lorsque le peuple m’a envoyé ici, il a voulu que je fusse censuré par une corporation particulière pour l’opinion que j’aurais émise dans l’assemblée des représentants de la nation? Je n’accuse pas la Société des Jacobins, mais ceux qui ont entrepris de jouer dans son sein le même rôle que Robespierre. {Applaudissements.) L’arrêté qui ordonne la radiation de nos collègues a été enlevé par une cabale; il n’ a pas eu l’assentiment de la majorité. Plus de la moitié des membres ne se seront pas levés et c’est l’ouvrage d’un noyau de faction qui veut se servir de la Société pour dominer la Convention. Il faut que la Convention déclare si c’est la conscience des députés du peuple qui doit faire la loi et diriger le gouvernement, ou bien si ce sont quelques individus d’une société particulière. Lorsque le centre du gouvernement révolutionnaire est dans la Convention, je demande si ce n’est pas à elle plutôt qu’à une Société populaire à lui donner l’impulsion. Cependant le contraire se passe sous ses yeux. Des représentants [Tallien et Fréron] (123) ont émis des opinions que la Convention a respectées, et dont elle a ordonné l’impression afin de les méditer, et, pendant qu’elle rendait hommage aux grands principes de la liberté de la presse et des opinions, nos collègues ont été proscrits dans une Société pour ces mêmes opinions. On vous a présenté des adresses que vous avez renvoyées, comme celle de Dijon, à l’examen des comités, pour voir si elles ne contenaient pas des principes dangereux, et la Société a été entraînée par des hommes que je n’accuse pas de méchanceté, parce que je ne les connais pas, mais à qui je reproche au moins une imprudence coupable, la Société a été entraînée à envoyer cette adresse aux armées avant que la Convention ait statué sur le parti qu’elle devait prendre. L’Assemblée doit fixer son attention sur des choses aussi importantes. Une Société populaire n’a pas le droit de rien envoyer aux ar-(122) Débats, n° 720, 402. (123) J. Perlet, n° 718. mées avant que la Convention ait manifesté son opinion. {Applaudissements.) Il y a peut-être ici quatre-vingts membres qui sont aussi de la Société des Jacobins, et qui se trouvent dans la circonstance la plus malheureuse; ils n’osent pas émettre leur opinion parce que quelques hommes les proscrivent. Plusieurs voix : Ça n’est pas vrai ! D’autres : C’est vrai ! BENTABOLE : Je le répète, cette circonstance est très malheureuse; cependant elle ne doit pas empêcher les membres de la Convention d’être de telle ou telle Société; mais il me semble que le gouvernement révolutionnaire qui a pu suspendre l’exécution d’une partie de la constitution, a aussi le droit d’empêcher que cette société soit dominée par des intrigants; il a le droit d’empêcher qu’à l’exemple de Robespierre ils fassent rayer de cette société tous ceux dont les opinions contrarient leurs vues. [Que plus de quatre-vingts des membres qui la composent y sont réduits au silence par l’influence qui excercent quelques individus, qui cherchent à succéder à l’autorité que Robespierre avoit usurpée dans cette société, dont il étoit véritablement le roi. Le peuple a déclaré vingt fois ici, nous avons déclaré tous, ajoute Bentabole, que nous voulions, que nous maintiendrons le gouvernement révolutionnaire : mais c’est à la Convention, à la Convention seule, à en être le centre] (124). Je demande que les comités du gouvernement nous fassent un rapport sur la situation où nous nous trouvons, et sur les mesures qu’il est nécessaire de prendre. [Un membre demande l’ordre du jour sur toutes les propositions.] (125) REUBELL : Il ne faut pas que l’aristocratie puisse profiter des débats qui s’élèvent à l’occasion de ce qui s’est passé dans urne Société populaire; mais aussi il faut examiner sans partialité, sans chaleur, la position où nous nous trouvons vis-à-vis d’une Société justement célèbre. [Reubell demande le renvoi de toutes les propositions faites jusqu’après le rapport sur la situation de la République depuis le 9 thermidor] (126). J’ai entendu dire qu’en parlant contre cette société on parlait contre le peuple; si cela était, lors du 9 thermidor, le peuple aurait été en insurrection contre la représentation nationale. ( Applaudissements .) N’oubliez pas, citoyens, un fait bien précieux : c’est que dans la nuit du 9 thermidor, un représentant chassa du temple la horde impure qui le souillait alors, et vous en apporta les clefs. Veut-on des preuves de ce qui s’est passé postérieurement; qu’on se rappelle que des individus qui s’annonçaient comme composant la Société régénérée se présentèrent à votre (124) Débats, n° 720, 403. (125) Débats, n° 720, 403. (126) Débats, n° 720, 403. 66 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE barre; ce n’était donc plus celle du 9 thermidor; car si c’eût été la même vous ne l’auriez pas reçue, et vous auriez pris un parti à son égard. Je désirerais que tous les membres de la Convention suspendissent leur jugement sur la société actuelle jusqu’après le rapport qui doit nous être fait sur la situation de la République, parce que probablement ce rapport nous instruira du degré d’épuration de la Société des Jacobins. On nous dira sûrement que la société a fait mettre sous la main de la justice les [trente] (127) commissaires qui avaient été nommés dans la nuit du 9 thermidor pour aller fraterniser avec la commune rebelle contre la Convention; on nous dira sûrement que la Société a aussi fait mettre sous la main de la justice les commissaires envoyés dans les sections pour remplir la même mission, et ceux qui excitaient les tribunes à se porter à la Convention. Je ne doute pas que ce rapport ne nous donne des renseignements très précieux, qu’il ne nous fasse connaître l’esprit de la Société, et qu’il ne permettra pas aux aristocrates de dire qu’elle est encore inspirée par l’esprit d’Hébert et de Robespierre. Ce rapport nous dira aussi s’il est vrai que la Société prétende, ou non, rivaliser ou dominer la Convention; car il ne faut plus que la Convention soit influencée d’aucune manière; si la liberté la plus entière ne règne pas dans cette enceinte, il n’y a plus de République. Je pense que si les Jacobins ont des représentations à faire, ils les feront avec respect, avec décence, et sans espoir d’aucune influence quelconque; car ce serait attaquer la souveraineté nationale. Je demande l’ajournement jusqu’au rapport qui doit être fait sur la situation de la République (128). MERLIN (de Thionville) : Je demande le renvoi des propositions qui ont été faites aux deux comités. Les mesures qu’on doit prendre intéressent le gouvernement entier. Je demande que le rapport embrasse ces trois questions : D’où venons nous ? où sommes nous ? où allons nous? [On applaudit .] (129) DURAND-MAILLANE : J’adhère à la motion de Reubell, et j’y ajoute une autre proposition. Vous avez supprimé toutes les corporations, parce qu’elles étaient par leur nature opposées aux institutions républicaines; vous n’avez pas même épargné le corps de pharmacie et autres de cette espèce. (On rit.) Il y a quelques jours que j’ai réclamé la liberté des opinions; depuis ce temps j’ai parlé trois fois. Vous avez entendu ce qu’on a imputé à l’un de nos collègues : qu’il était bon que les crapauds du marais levassent la tête, parce qu’elle serait plus facile (127) Gazette Fr., n° 985. (128) Non mentionné au P.-V., le décret n° 10 837 charge les comités de Salut public, de Sûreté générale et de Législation de faire un rapport sur la situation de la République. Rapporteur : Reubell. (129) Débats, n° 720, 404. à couper... [parce qu’on les connoîtroit plus facilement.] (130) DUHEM parle dans le bruit. [Je n’ai pas dit cela, s’écrie Duhem] (131). Il termine par ces mots : Au reste, nous verrons! ( On murmure.) [Une vive agitation s’élève dans l’Assemblée .] (132) LANTHENAS : Je demande l’explication de ce que vient de dire Duhem. DUHEM : Je demande à m’expliquer; il ne faut pas s’insurger contre moi pour ne pas m’avoir entendu. LANTHENAS : Je demande que la Convention se déclare en permanence jusqu’à ce que le salut de la chose publique soit assuré. [Vio-lens murmures]. LANTHENAS : je demande à motiver mon opinion] (133). Quelques voix : oui, oui ! BARRAS.: Je demande la parole pour un mot qui conciliera la Convention. Il n’y a de division que parce que quelques membres ont cru qu’on voulait attaquer les Sociétés populaires, et que l’on demandait leur dissolution; aucun de nous n’a jamais eu cette idée. (Non, non! s’écrie-t-on de toutes parts.) J’espère que cette explication conciliera tout. LANTHENAS : Lorsque je vois que dans la représentation nationale on se permet non seulement des injures mais encore des menaces, et que l’on prête à la représentation des vues perverses pour la liberté, j’ai lieu de croire que la chose publique est en danger, et c’est pour cela que je demande que la Convention soit permanente. [Violens murmures]. On demande l’ordre du jour sur la proposition de Lanthenas. La Convention l’adopte. DURAND-MAILLANE : Puisque la Convention a aboli en France toutes les corporations. ..(Murmures.) Je commence par rendre hommage au grand principe constitutionnel qui ne permet pas plus de porter atteinte au droit qu’ont tous les citoyens de s’assembler paisiblement et sans armes qu’au droit de pétition. Après avoir posé ce principe conservateur de la liberté, je n’ajouterai rien aux éloges qui ont été donnés à la Société des Jacobins pour les grands services qu’elle a rendus à la chose publique; Société dont j’ai été moi même un des fondateurs à Versailles, rue de Saint-Cloud, n° 30; Société dans laquelle je restai, moi troisième, après l’assaut des Feuillants. Je continue. Ce n’est point aux Sociétés populaires à diriger l’opinion publique; voilà une grande vérité qui doit être mise en pratique dans les temps orageux où nous nous trouvons. C’est de l’opinion publique que dépend le salut de la patrie. Je demande si, dans les circonstances où nous sommes, nous ne devons (130) Débats, n° 720, 404. (131) Débats, n° 720, 404. (132) Débats, n° 720, 404. (133) Débats, n° 720, 404. SÉANCE DU 24 FRUCTIDOR AN II (10 SEPTEMBRE 1794) - N° 38 67 pas être effrayés des secousses que peut produire l’affiliation des Jacobins. Je demande que dans le rapport on examine s’il n’y a pas de danger pour la liberté à souffrir l’existence de la corporation de la Société populaire de Paris avec les quarante-quatre mille autres qui lui sont affiliées, et qui sont en correspondance avec elle. LEVASSEUR (de la Sarthe) : Si vous tuez la mère, vous tuez les enfants. DURAND-MAILLANE : Nous venons d’organiser nos comités dans une forme propre à assurer la liberté; les deux comités de gouvernement sont composés de membres qui ont notre confiance. Cette autorité suffit-elle ou ne suffit-elle pas? C’est une autre question que je soumets à l’examen de ceux qui doivent faire le rapport. Vous avez ordonné, citoyens, que tous ceux qui étaient à Paris sans mission en sortiraient; cette mesure est très sage, mais elle doit très sévèrement être exécutée. Personne n’ignore qu’il y a dans Paris une quantité innombrable de gens qui sont à la solde de je ne sais qui; de gens qui, plongés dans la misère dans leurs départements, vivent ici dans une sorte d’opulence, sont toujours bien mis, ne mangent que dans les meilleures auberges; ils se disent envoyés d’une Société populaire, d’une autorité constituée, etc. J’appelle la-dessus la vigilance de la Convention. Je demande le renvoi de mes deux propositions aux comités de gouvernement, et que la Convention décrète que tous ceux qui sont ici sans profession, sans domicile, seront tenus d’en sortir. [LE BLANC demande que le comité de Législation leur soit adjoint. Décrété.] (134) La Convention ferme la discussion, et renvoie toutes les propositions aux comités de gouvernement pour les joindre au rapport qu’ils doivent faire sur la situation de la République. FRÉRON : L’Assemblée est sans doute impatiente de connaître l’état d’un nouveau martyr de la liberté, qui après avoir été assassiné moralement parce qu’il avait eu le courage de défendre les principes étemels de la justice, est tombé sous le fer assassin. Je demande que le bulletin de santé de Tallien soit lu aujourd’hui, et qu’il le soit tous les jours jusqu’à ce qu’il soit rétabli. Plusieurs voix : L’insertion au Bulletin ! Ces deux propositions sont décrétées. Un secrétaire [Reynaud] donne lecture du bulletin des officiers de santé sur la situation de Tallien, représentant du peuple; sur la proposition d’un membre [Fré-ron], la Convention décrète que les bulletins sur la santé de Tallien seront lus (134) J. Paris, n° 619. chaque jour et insérés dans les bulletins de la Convention (135). Un secrétaire [Reynaud] (136) lit le bulletin d’aujourd’hui. Le voici : «Nous, officiers de santé, requis pour donner nos soins au citoyen Tallien, député à la Convention nationale, assassiné dans la nuit du 23 au 24, à minuit un quart, me des Qua-tre-Fils, en face de la porte du ci-devant Palais-Cardinal, l’avons trouvé couché dans son lit, me de la Perle, n° 460, ayant à la partie antérieure de l’épaule gauche, vis-à-vis l’articulation de l’humérus, une escarre d’environ un pouce de longueur sur six lignes de large, accompagnée d’une rougeur, engorgément et ecchymose, douleur vive et difficulté de respirer. Nous estimons que cette blessure a été faite par un coup de pistolet tiré à bout portant, et dont la balle après avoir déchiré son gilet, sa chemise, et traversé la doublure de son habit, a pu tomber entre cette doublure et l’habit, auquel elle n’était pas cousue en bas. A Paris, le 24 fructidor, l’an 2e de la République une et indivisible. Signé Desante, Fouque, Chabanon (137). THIRION : Je demande que ces officiers de santé soient changés; car, d’après le rapport qu’ils ont fait, il me parait qu’ils n’entendent rien à leur métier. DUHEM : J’appuie cette motion. FRÉRON : J’ai été à l’Hôtel-Dieu chercher le citoyen Desault, dont personne ne peut révoquer l’habileté en doute, et il est en ce moment auprès de Tallien. (On applaudit) (138). 38 Un secrétaire [Bentabole] donne lecture d’une lettre écrite de Bruxelles par les représentans Bellegarde, Briez et Hauss-mann; qui envoient une machine abominable avec laquelle Drouet, représentant du peuple, qui est au pouvoir des tyrans coalisés, a éprouvé toute espèce de cruauté (139). BENTABOLE : Voici une lettre de nos collègues près l’armée du Nord, dont l’Assemblée entendra la lecture avec intérêt, car il s’agit d’un de nos collègues qui est malheureux, de Drouet (140). (135) P.-V., XLV, 196. Décret n° 10 836. Rapporteur anonyme selon C* II 20, p. 292. (136) J. Perlet, n° 718; J. de Paris, n° 619 indique Clauzel. (137) C 318, pl. 1285, p. 23. Bull., 24 fruct. (138) Moniteur, XXI, 731. Débats, n° 720, 405; C. Eg., n° 753; Ann. R. F. n° 282-283; Rép., n° 265; Af. U., XLIII, 395 et 402; J. Paris, n° 619. J. Fr., n° 716; Gazette Fr., n° 985; Mess. Soir, n° 753; Ann. Patr., n° 618; J. Univ., n° 1751; J. Mont., n° 134. F. de la Républ., n° 431. (139) P.-V., XLV, 196. (140) Moniteur, XXI, 731-732. Mentionné dans Débats, n°720, 405-406.