[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [28 mai 1791.] (L’Assemblée, consultée, décrète l’impression du rapport de M. de Sillery.) M. Henry de Longnève, au nom des comités des recherches et des rapports réunis. Messieurs, par l’article 2 de votre décret du 4 avril dernier, vous avez autorisé les corps administratifs à dénoncer, et les tribunaux à poursuivre toutes les personnes ecclésiastiques ou laïques qui se trouveraient dans les cas indiqués par les articles 6, 7 et 8 de la loi du 26 décembre 1790 relativement à la prestation du serment. Ce décret, en redoublant d’une part par sa première disposition l’activité des corps administratifs, des municipalités et des tribunaux, a multiplié, dans toute l’étendue de l’Empire, les poursuiteset les procedures intentées contre les ecclésiastiques dissidents que la malveillance ou un fanastisme absurde ont rendus per turbateurs du repos public ; mais il a en même temps emravé, çar sa seconde disposition, la marche de ces procédures par la nécessité de les interrompre après le décret, etd’en envoyer des copies à l’Assemblée nationale pour être statué par elle sur les cas qui pourraient être de nature à être renvoyés au tribunal chargé de connaître des crimes de lèse-nalion. Ces cas seront rares sans doute, et cependant celle dernière disposition de l’article embras-e tout dans sa généralité. Il en pourrait résulter deux inconvénients très graves qui ne peuvent être dans l’esprit du décret que l’Assemblée nationale a precéd mrnent rendu, puisqu’ils sont également opposés aux vues de sagesse et d'humanité qui la dirigent. Le premier serait de favoriser par une interruption, par une suspension plus ou moins longue, mais qui le serait nécessairement, les manœuvres de ceux qui, quoique prévenus de délits graves, n’auraient été l'objet d’aucun décret, ou contre lesquels il n’en aurait été décerné que de trop peu rigoureux, qui leur laisseraient l’usage d’une liberté dont ils abusent, le second serait de faire languir dans les prisons des accusés plus malheureux que coupables, et dont la procédure, si elle était immédiatement suivie, se terminerait peut-être, en peu, par un jugement d’absolution. Vous sentez parfaitement la possibilité de ces deux inconvénients contraires, et qui méritent également de vous toucher; dans tous les cas d’ailleurs, ce n’est jamais sans inconvénient et sans danger qu’on interrompt et qu’on suspend l’activité de la justice, lorsque surtout les poursuites se dirigent contre les personnes ; aussi a-t-il déjà été adressé sur tout cela diverses considérations à vos deux comités. Cependant votre décret du 4 avril s’exécute dans tout le royaume, et les copies de procédures qui sont envoyées parles tribunaux en exécution de ce décret, s’accumulent dans vos comités; chaque jour eu accroît le nombre, il est évidemment impossible que vos comités vous rendent compte en particulier de chacune de ces procédures, et pourriez-vous vous-mêmes consacrer à les entendre un temps que tant d’o-péntious importantes réclament chaque jour plus impérieusement? Il est donc indispensable de chercher un autre moyen de prévenir les abus qui pourraient résulter dans l’Etat, de votre décret du 4 avril, et vos comités n’ont pu l’apercevoir que dans l’autorisatiou qu’ils vous dômand ni pour renvoyer immédiatement à la potli suite des tribunaux toutes les affaires qu’ils ne jugeront pas de nature à vous être rapportées. Ils vous proposent, en conséquence, le décret suivant ; « L’Assemblée nationale, sur les représentations qui lui ont été faites par ses deux comités des rapports et des recherches, relativement à l’exécution de ll'article 2 de son décret du 4 avril dernier, concernant les personnes ecclésiastiques ou laïques qui seraient dans le cas d’être poursuivies par-devant les tribunaux, en vertu des ar ides 6, 7 et 8 de la loi du 26 décembre dernier; « Décrète que, d’après l’examen que sesdits comités des rapports et des recherches auront fait, soit conjointement ou séparément, des dif-féi entes procédures dont copies leur sont adressées conformément à la seconde d sposiiion dudit arti le 2 du décret du 4 avril dernier, ils sont autorisés à renvoyer immédiatement au ministre de la justice, tontes celles dont le jugement ne pourrait être attribué à la haute cour nationale établie à Orléans, et gui ne seraient conséquemment pas de nature à être rapportées à l'Assemblée, atin que, sur le renvoi, le ministre de la justice prenne tontes les mesures nécessaires pour qu’à la diligence des commissaiies du roi près les tribunaux où. ces procédures auraient été introduites, les errements en soient incessamment repris, et qu’elles y soient définitivement jugées. » M. Regnaud {de Saint-Jean-d' Angêly) . Messieurs, il ne me paraît pas pos-ible que, par un déciet, l’Assemblée nationale donne à deux de ses comités, ni même à tel nombre qu’on voudra, une attribution telle que celle qu’on vous propose. Si ce décret était adopté, il serait possible que les comités s’érigeassent en juges des affaires les plus importantes et remplissent une fonction que l’Assemblée nationale ne doit pas déléguer; et en effet ce projet ne tend à rien moins qu’à mettre deux comités à la place de l’Assemblée nationale. Je demande donc que vous décrétiez l’ajournement et que vous passiez à la discussion sur les domaines congéabks. M. Le Chapelier. Rien ne me paraît plus sage à moi que le décret qu’on vous propose; car eu quoi coosiste-t-il ? Il consiste seulement à autoriser les comités à f.iire une séparation entre les délits qui peuvent être qualifiés de délits de lèse-nation et les délits ordinaires. Ce projet tend à autoriser vos comités à faire cette séparation, et à ne pas vous présenter les affaires qui u’ont aucun caractère de délit de lèse-nation, qui doivent être livrées alors à la poursuite des commissaires du roi, sous l’inspection du ministre de la justice. O", il n’y a dans cette proposition rien de contraire aux intérêts de la nation, parce que les délits seront poursuivis, et que la société sera par conséquent vengée. Le détail de toutes ces procédures absorberait d’ailleurs un temps infiniment pré nuxà l’Assemblée, et il n’y a, d’autre part, aucun inconvéni nt à laisser aux comités le soin de disposer de ces divers renvois qui n’influent en aucune maaière sur le jugement du fond. Il y a même dans cette mesure un grand avantage pour les particuliers qui, emprisonnés depuis longtemps, sons une inculpation qui peut-être ne sera pas justifié1, que la multiplicité et l’importance de vos affaires vous permettent d’examiner la nature de i’acôusatiou portée contre eux. 592 [Assemblée nationale.] Or, comme l’intérêt de la nation n’est pas ici compromis, je demande la question préalable pur l’ajournement, et que le projet de décret soit mis aux voix. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’ajournement et adopte le projet de décret des comités.) M. Bonnegens, au nom du comité des domaines , propose à l’Assemblée de faire un rapport sur l’échange de la forêt de Biix, en Normandie. (L’Assemblée décrète que ce rapport sera mis à l’ordre du jour au commencement de la séance de mardi prochain, au soir.) M. Achard de Bonvouloir demande la parole pour soumettre à l’Assemblée quelques observations relativement à l'état de l’armée. Plusieurs membres réclament l’ordre du jour et demandent qu’on passe à la discussion sur les domaines congéables. (L’Assemblée décrète qu’elle passe à l’ordre du jour.) V Assemblée passe à la suite de la discussion sur les domaines congéables. M. Lanjuinais lit une opinion sur celte matière et propose uu projet de décret. M. Tronchet combat le projet de décret présenté par M. Lanjuinais. La suite de la discussion est renvoyée à la séance de lundi soir. M. le Président lève la séance à 10 heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU SAMEDI 28 MAI 1791, AU SOIR. Observations sur l’état de l’armée, par M. Achard de Bonvouloir, député du département de la Manche, ci-devant Cotentin. J’ai demandé plusieurs fois la parole sans pouvoir l’obtenir, pour réveiller la sollicitude de l’Assemblée sur l'état de l’armée; elle me fut cependant accordée par M. de Puzy, président, dans la séance du 28 mai au soir ; mais, au moment où j’étais à la tribune pour en profiter, un opinant réclama l’ordre du jour. "Ur les domaines congéables, et quoique j’insistasse pour conserver la parole, en annonçant l’objet important et urgent de ma motion, elle me fut ôtée. Ne pouvant prévoir quand j’obtiendrai la faculté de parler pour remplir un devoir que je regarde comme très pressant, je me détermine à faire imprimer ce que j’eusse dit, et à le distribuer aux membres de l’Assemblée. Je crois devoir à mes collègues cet avertissement; à ma pairie, à mes commettants, au militaire dont je me glorifie d’avoir longtemps fait partie, à moi-même, cette exposition publique de mes sentiments. Dans un moment où tout annonce que nous allons avoir besoin de l’armée pour défendre les 128 mai 1791.] limites de l’Empire, tout nous invite à prendre, dans une sérieuse considération, le maintien de la discipline et la position affreuse où se trouvent les officiers qui en sont le nerf. Jamais peut-être la France n’a eu plus de besoin d’avoir de bonnes armées; et jamais ses armées, tant de terre que de mer, n’ont été dans un état plus critique. Une armée sans discipline n’est qu’un ramassis d'hommes incapables de résistance. Occupons-nous donc de cetie grande considération, afin que nos ennemis, voyant notre contenance, renoncent à des projets qu’ils n’ont p> ui-êire fondés que sur la supposition de notre faiblesse, dans un moment où les liens de la discipline paraissent avoir été brisés exprès pour nous livrer à leur discrétion. Empresson—nous de les rétablir. Si nous tardons, nous n’aurons réellement plus d’armée; nous l’aurons détruite nous-mêmes. Et si quelque partie de ce beau royaume devient la proie de nos voisins, nous devons eu être responsables. Nous pouvons avoir à combattre demain des armées aguerries et disciplinées. Il serait insensé de se flatter qu’il suffit du nombre, du courage des individus et de quelques séductions pour les vaincre. C’est l’ensemble, et non la multitude, c’est l’ordre et la tactique qui gngnent les batailles. Ce sont les batailles qui décident du sort des Empires. C’est la discipline qui conserve les armées. C’est la conduite des officiers et l’obéissance des soldats qui les rend victorieuses. Ceux qui vous diraient le contra re, ceux qui croiraient pouvoir impunément démonter tous les ressorts de la force publique et les rétablir à leur gré, ceux qui vanteraient des ressources justement suspectes, comme si elles étaient éprouvées; ceux qui hasarderaient de vous laisser ainsi à découvert devant un ennemi entreprenant et ne craindraient pas d’exposer d’aussi grands intérêts : ceux-là seraient les véritab es ennemis de la patrie, qu’ils compromettraient par malice ou par ignorance, mais toujours de fait. Ce seraient des traîtres ou des insensés également d’accord avec vos ennemis pour vous livrer sans défense. Cette discipline, qui fait la force des armées, n’est point le fruit d’un moment. Elle a pour base les mœurs; elle se mûrit par l’habitude; elle dépend beaucoup de l’upinion. Ce n’est qu’à la longue qu’un officier acquiert la confiance de sa troupe ; ce n’est qu'à la longue que l’esprit de corps se forme et qu’un régiment devient bon. Tous les jours, nous entendons le récit de nouveaux attentats. Tous les jours, on cite des soldats révoltés, des officiers massacrés. N’est-il pas temps d’arrêter le cours de tant de crimes? Tous ces excès dérivent de la même source et se perpétuent par la même cause. Des factieux les commandent, et notre indifférence les autorise. Les officiers du régiment de Beauvoisis, attaqués, blessés, mis en fuite par leurs soldats: M. de Macnemara, massacré par des grenadiers; Je brave Mauduit, coupé en morceaux par son propre régiment, dont les remords ne peuvent réparer la perte ; et cent autres traits pareils qui nous ont étédénoncés,dem< urent sans vengeance. On dirait que, dans ces temps malheureux, le crime seul trouve des défenseurs; il trouve au moins des apologistes qui savent le pallier ; et personne n’élève la voix pour l’ordre et la justice!... Faut-il le dire enfin? Les jurés militaires ne trouvent pas un coupable, surtout lorsque le crime est capital. ARCHIVES PARLEMENTAIRES.