[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ["2 septembre 1789.] 543 Le même secrétaires fait lecture d’une lettre adressée à l'Assemblée parle sieur Miger, graveur, et destinée à accompagner l’envoi qu’il lui fait du portrait gravé de M. Bailly. L’Assemblée a ordonné que l’ouvrage du sieur Rougan, et le portrait de M. Bailly, offerts par le sieur Miger, seraient déposés dans ses archives. Le comité des linances a rapporté la liste des douze de ses membres qu’il a choisis hier au scrutin pour le comité particulier de correspondance avec le ministre des linances. Cette liste a été à l’instant proclamée ainsi qu’il suit : MM. MM. D’Ailly. Le Couteulx de Canteleu. Ile Boisgelin, évêque d’Aix. L’abbé de Villaret. Lebrun. Le marquis de Montesquiou. Naurissart. Anson. Le comte de La Blache. Le duc d’ Aiguillon. Dulau, archevêque d’Arles. Mathieu de Rondeville. M. le Président fait donner lecture d’un arrêté de la commune de Paris destiné à rassurer l’Assemblée sur les troubles qui ont eu lieu dans la capitale, le 30 août. La discussion est ensuite reprise sur la question de la sanction royale. M. le comte d’Antraigues (1), Messieurs, avant de fixer quelle doit être l’influence du pouvoir exécutif dans la législation, il m’a paru nécessaire de définir ce que je crois qu’on doit entendre par le mot de sanction royale. La sanction royale, telle que je la conçois, est le pouvoir accordé au Roi par la nation, d’intervenir comme partie essentielle et intégrante dans l’exercice du pouvoir législatif, de telle manière que son consentement aux actes du pouvoir législatif convertisse ces actes en lois, et que son opposition rende ces actes de nulle valeur. Telle est, suivant moi, l’acception qu’on doit donner à la sanction royale. Ce principe exposé, je me con forme à l’ordre dû jour, et je cherche 'si cette sanction royale peut être ravie au pouvoir exécutif, ou si la liberté du peuple, son intérêt, exigent qu’elle lui soit conservée. 11 est un principe essentiel qui doit servir de guide dans toutes les discussions de ce genre. Ce principe existait avant vos décrets; mais vos décrets ont rendu un hommage solennel à ce principe. Toute autorité réside dans le peuple ; toute autorité vient du peuple; tout pouvoir légitime émane du peuple : voilà le principe. Il dépend du peuple de faire la distribution des différents pouvoirs qui constituent et maintiennent la société, ainsi qu’il le juge utile à ses intérêts; mais celte répartition des pouvoirs opérée, il ne dépend d’aucun de ces pouvoirs d’eu-vahir les droits d’un autre pouvoir, de se les attribuer; et à l’instant qu’un des pouvoirs émanés du peuple envahit, sans son aveu, l’autorité d’un autre genre de pouvoir, il n’existe plus, au milieu de la nation, de pouvoir légitime; il n’existe plus d’obligation d’obéir aux actes d’un pouvoir que son infraction aux volontés du peuple a rendu tyrannique. C’est donc du peuple qu’émanent tous les pouvoirs légitimes, ceux aux actes desquels l’obéissance est due. (1) Le Moniteur reproduit incomplètement les deux premiers alinéas du discours de M. Je comte d’Antrai-gues. La manière dont le peuple distribue tous les pouvoirs constitue les diverses sortes de gouvernement. Si l’étendue de la société permet au peuple de retenir et d’exercer tous les genres de pouvoirs, s’il fait ses lois, s’il les fait exécuter, s’il juge ceux qui les enfreignent, alors le peuple a constitué le gouvernement démocratique. Et sans entrer dans la manière dont il peut établir toutes les Constitutions, je me borne à dire que, lorsque l’étendue de l’empire et son immense population nécessitent que le peuple donne au pouvoir exécutif toute l’énergie dont il peut être susceptible, alors sa volonté élève des trônes; alors sa volonté confie à celui qu’il plaît au peuple d’v faire asseoir la plénitude du pouvoir exécutif, sans partage et sans autre limite que celle dont la loi elle-même doit l’environner. Mais au moment où le peuple n’exerce plus par lui-même immédiatement tous les genres de pouvoirs, il est obligé de répartir et de distribuer séparément tous les genres de pouvoirs. Leur réunion dans le peuple constitue la démocratie. Leur réunion partout ailleurs constitue la tyrannie. Aussi il remet le pouvoir exécutif à un roi. Mais dans quelque Etat que les hommes vivent, il est un droit dont ils ne peuvent se dépouiller, celui de faire des lois; la loi n’étant que l’expression de la volonté de tous, on ne peut s’assurer qu’un homme ou qu’une réunion d’hommes voudra toujours ce que tous auraient voulu. De cette nécessité de réserver au peuple le pouvoir législatif, et de l’impossibilité d’exercer ce pouvoir, parla réunion d’un peuple immense, est née la représentation du peuple, et ce droit inaliénable qu’il a conservé, d’élire ceux qui doivent le représenter, de les guider, de les instruire, de les juger, de les mettre à même enfin d’étre les organes de la volonté publique, et dans l’impossibilité de jamais dominer cette volonté. Au moment où un pouvoir que nous ne pouvons exercer par nous-mêmes nous échappe, à l’instant où nous sommes forcés de le confier, une salutaire défiance se place à côté de la confiance, et la surveillance du peuple se partage entre les divers genres de pouvoirs émanés de lui. IL n’oublie jamais cette terrible vérité : Que la liberté de tout peuple qui n’exerce pas par lui-même tous les pouvoirs n’existe que par la séparation des pouvoirs. Le souvenir de cette vérité l’oblige à se rappeler qu’il est de la nature des pouvoirs d’aimer à s’accroître, comme il est de la nature de l’homme d’aimer la puissance. Dans les Etats monarchiques, il sait qu’il a deux risques à courir. Réunion des pouvoirs dans le Corps législatif, qui constitue la tyrannie de plusieurs. Réunion des pouvoirs dans le pouvoir exécutif, qui constitue la tyrannie d’un seul. Pour conserver sa liberté entre ces deux écueils, il voulut les armer l’un contre l’autre d’une égale surveillance, et faire tourner au profit de tous ce même sentiment de jalousie et de pouvoir qui semblait les rendre rivaux. C'est du résultat de ces sages, idées qu’est née la sanction royale; c’est en elle que le peuple trouve le rempart de la liberté publique et l’assurance que nous, qui sommes ses représentants nous ne deviendrons jamais ses maîtres. Si le peuple réuni faisait la loi, nul doute que [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 septembre 1789.] sa volonté connue ne constituât la loi; et dans cet état de choses, à qui que tut confié le pouvoir exécutif, il ne lui serait accordé, après avoir reçu la loi du peuple que l’honneur d’obéir et celui de veiller à son exécution. Mais agir par ses représentants, ou agir par soi-même, sont des choses bien différentes. Quand le peuple lui-même fait la loi, et qu’il fait exécuter la loi, il y a unité de vues et unité d’action ; et il est hors' de doute que le peuple ne fasse rigoureusement exécuter ce qu’il était libre de vouloir, comme il est sûr que ce qu il fera exécuter sera la volonté générale. Quand le peuple confie le pouvoir législatif à des représentants, son premier soin est de s’assurer qu’ils ne voudront jamais que ce que veut la volonté générale. Pour s’assurer qu’ils ne voudront jamais que ce que veut la volonté générale, il prend des moyens de les surveiller, et des moyens de leur résister. Le moyen de les surveiller, le plus puissant et le plus utile, fut de confier au pouvoir exécutif la sanction royale. Jaloux de sa prérogative et du pouvoir qui lui est confié, son intérêt l’attache à résister à toute usurpation du Corps législatif qui tenterait de s’attribuer une portion de la puissance exécutive. En cela, ce moyen est puissant pour conserver la liberté. 11 est utile, en ce que l’on ne peut espérer que le pouvoir exécutif emploie avec zèle tous ses efforts pour faire exécuter des lois qu’il désapprouverait, et dont quelques-unes même pourraient diminuer sa prérogative. C’est donc avec sagesse que le peuple a voulu, quand il n’a pas exercé lui-même la plénitude de la souveraineté, que les deux pouvoirs qui constituent essentiellement le gouvernement, et qui émanent de lui, s’accordassent pour établir la loi; et quand il voulut que la loi ne fut établie que par cet accord, il prit le moyen le plus sûr pour maintenir chaque pouvoir dans ses limites, et s’assurer de la bonté des lois qui seraient promulguées; car il est utile de le répéter sans cesse: aussitôt que la moindre partie du pouvoir exécutif se trouve réunie au pouvoir législatif, à l’instant la légitime représentation du peuple n’existe plus, et il est menacé par la tyrannie. Mais quels sont donc les inconvénients de la sauctiou royale? Ceux qui veulent la détruire craignent que le refus du Roi de sanctionner telle ou telle loi ne rende cette loi inutile; et que, s’armant sans cesse de ce refus, il ne domine en maître absolu le Corps législatif. Ils craignent que cette faculté de s’opposer aux décrets du Corps législatif ne devienne un moyen entre les mains du Roi pour usurper sans cesse sur le pouvoir législatif. Je ne trouve aucun fondement réel à ces craintes. Le roi n’a intérêt de s’opposer constamment qu’aux lois qui tendraient à diminuer sa prérogative, cette prérogative que la volonté du peuple lui accorde, et que la Constitution doit garantir; et en cela l’intérêt du roi se trouve constamment réuni à l’intérêt du peuple. 11 serait coupable envers le peuple s’il cédait jamais la plus légère portion du pouvoir exécutif; il le serait même à présent que la volonté du peuple lui est manifestée dans les cahiers des représentants de la nation, s’il ne préférait de descendre du trône, plutôt que de renoncer à la sanction royale, que le peuple a déclaré vouloir lui conserver. Mais, en laissant au roi une si grande, une si glorieuse prérogative, celle d’être partie nécessaire et iutégrante du pouvoir législatif, le peuple a intéressé le roi, par tous tes moyens qui ont de l’empire sur les cœurs généreux, à la conservation de la Constitution; il n’a d’existence légale qu’autant que la Constitution existe: ainsi il ne peut être intéressé à ce qu’une bonne loi ne soit pas faite, et il est très-intéressé à ce qu’il ne soit promulgué que de bonnes lois. Mais enfin, je suppose que des vues différentes les lui faisant envisager sous divers aspects, il refuse sa sanction à quelques-uns des décrets de l’Assemblée. Eh bien ! ces décrets deviendront de simples projets. Le peuple aura le temps de les juger, le roi celui d’ètre instruit de la volonté du peuple, et si ces lois sont réellement sages, utiles, nécessaires, elles seront établies, mais elles le seront par le peuple lui-même, après un examen réfléchi, nécessité par le refus de la sanction royale; et je suis loin de regarder cet obstacle comme un mal, car le pire de tous les maux, à mes yeux, est la précipitation réunie au pouvoir; et c’est un objet de terreur bien légitime, qu’un corps à chaque, instant peut créer, anéantir, réduire sa volonté en loi, et les lois existantes au néant. Mais j’admets encore qu’il se trouve un roi assez aveuglé sur ses plus chers intérêts pour refuser sa sanction à une loi nécessaire et juste, et dont l’établissement instant importe à la sûreté de l’empire ; en ce cas, très-hypothétique, n’avons-nous aucun moyen de lui résister? Mais si son refus peut mettre l’Etat en péril, il dépend de vous de le réduire lui-même à l’impuissance la plus absolue, en tarissant à l’instant le trésor public. Je sais que ce moyen violent est très-alarmant, qu’il est même très-dangereux; mais c’est précisément parce qu’il est alarmant et dangereux, que le Corps législatif se trouve dans l’impossibilité de l’employer légèrement. Mais quand une loi à laquelle est attachée le salut de l’Etat est rejetée, alors ce moyen alarmant pourrait être employé; il avertit les peuples, il avertit le monarque, et aussitôt l’ordre est rétabli ; mais en même temps l’assurance que le peuple improu-verait fortement qu’un pareil moyen fût mis souvent en usage, garantit le pouvoir exécutif de la force d’empire que le Corps législatif, armé de ce puissant moyen, pourrait exercer sans cesse sur lui. Mais quels sont les moyens de suppléer à la sanction royale? Car on sent bien qu’il faut un frein pour arrêter le pouvoir législatif; on sent bien que le Roi, privé du pouvoir de s’opposer à aucune des lois du pouvoir législatif, ce pouvoir, pour devenir tyrannique, n’a que deux lois à faire : se déclarer permanent, et rendre ses membres inamovibles; on sent bien que le pouvoir exécutif, dans la dépendance la plus absolue, perd toute son énergie, et qu’il sera réduit à servir le Corps législatif et à lui obéir, ou à être anéanti. Pour éviter ce danger imminent, on ne trouve que deux moyens. Le premier, de laisser au peuple le droit d’examiner les actes du pouvoir législatif, et celui de les réformer. Le second de limiter, dans la Constitution, les pouvoirs du Corps législatif, de manière qu’il ne puisse altérer la Constitution, et qu’il faille, pour changer la Constitution, une assemblée élue pour cet unique objet, n’ayant que ce seul objet [Semblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 septembre 1789.] 545 en vue, et dont l’existence, limitée et annoncée par la Constitution, laisserait l’espoir de voir changer ce qu’elle aurait de vicieux, et rassurerait contre la crainte des changements perpétuels. Mais le premier inconvénient de placer le droit de consentir à toutes les lois dans le peuple est le même qui a empêché le peuple d’exercer lui-même la puissance législative. On sent bien que si un peuple n’a pu se réunir pour former ses lois, il ne pourra se réunir pour recevoir les décrets de ses réprésentants, les examiner et y consentir. Alors on est forcé de prendre le silence du peuple pour un consentement; et de ce que, après l’Assemblée nationale, le peuple se taira, son consentement sera présumé : mais s’il se déclare par une insurrection, alors cette opposition infirmera vos décrets. Cela se comprend aisément. Mais ce moyen de résister par une insurrection est laissé au peuple, quelle que soit la nature de son gouvernement. Partout quand un mécontentement universel tourmente le peuple, il se réunit pour résister ; mais c’est à rendre ce terrible moyen inutile, c’est à eu prévenir la nécessité, que doivent tendre tous les efforts d’un gouvernement sage; et ce serait une singulière constitution que celle qui ferait un moyen ordinaire de résistance de ce moyen terrible qui peut sauver la liberté en péril, comme il peut la détruire, de ce moyen souvent favorable à la tyrannie, et toujours effrayant par les dangers que court la chose publique et les périls qui menacent les citoyens. Quand le peuple a voulu répartir le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, et les séparer, il a voulu également éloigner la tyrannie de tous et celle d’un seul. Quand il voulut leur accord pour la création des lois, il voulut, satisfait de ce seul témoignage de l’accord des pouvoirs qui émanent de lui, s’éviter ces moyens effrayants d’insurrection et ces résistances dont on voudrait, malgré lui, lui rendre l’usage. L’espoir qu’il sera possible de suppléer à la vigilance du pouvoir exécutif, en traçant dans la Constitution les limites du pouvoir législatif de telle manière qu’il ne puisse les enfreindre, est à mes yeux une chimère, mais une chimère très-dangereuse. Car enfin, quel sera donc le surveillant du pouvoir législatif ? Qui avertira le peuple qu’il est sorti des limites de la Constitution, si l’on dépouille le roi de la sanction royale? De quelque manière qu’on s'y prenne pour réprimer le Corps législatif, en ôtant au roi la sanction, il ne reste que le pouvoir du peuple agissant par lui-même. Jlais on a senti les inconvénients de pareilles insurrections, qui pourraient ramener, a chaque crise, la guerre civile. D’ailleurs, il est mille moyens de renverser des limites de pouvoir dont le peuple ne peut pas s’apercevoir, mais qui ne peuvent échapper à la jalousie salutaire d’un pouvoir qui en surveille un autre. Ainsi la sanction royale a le mérite de s’opposer aux plus petites entreprises ; elle réprime sans tumulte et sans effort le pouvoir législatif, tandis que le peuple, privé de la surveillance du roi, ne peut le réprimer que quand le mal est extrême, et par des moyens si terribles, que ces moyens, mis en usage, semblent être le comble du malheur. Permettez-moi encore une réflexion sur ledan-V* Série, T. VIIL ger des moyens de résistance confiés au peuple. L’effet de ces moyens serait la dissolution de la monarchie, et l’issue la plus probable, sa conversion eu républiques fédératives. Je ne me permettrai pas assurément de dire un seul mot sur l’existence hypothétique de cette espèce de gouvernement ; vous ne le souffririez pas : le peuple français l’a réprouvé ; il veut une monarchie, et nul de nous n’a conçu la eôupable idée d’autoriser aucune institution qui tendrait à altérer sou existence et sou unité (1). Quant à cette assemblée chargée de revoir la Constitution, de la changer à sou gré par l’effet de sa seule volonté, je crois que l’approche de la tenue d’une telle convention inspirerait de terribles frayeurs, et qu’il paraîtrait alors fort dur de n’avoir évité le danger de la sanction royale qu’en créant une pareille puissance ; et je crois d’ailleurs que ce sera un mauvais moyeu de faire aimer la Constitution que de l’exposer à être anéantie périodiquement par une assemblée revêtue de tous les genres de pouvoirs. Il résulte de tout ce que je viens de vous exposer : Que, de ce premier principe que tout pouvoir émane du peuple, il s’ensuit qu’il a dû séparer tous les pouvoirs, pour conserver sa liberté et sa puissance ; Qu’il a dû les empêcher d’usurper les uns sur les autres; Qu’il a dû, pour éviter de grands malheurs, exiger que le pouvoir exécutif s’accordât avec le pouvoir législatif, pour établir la loi ; Que de cette nécessité est née la sanction royale ; Que cette sanction est utile et conservatrice de la souveraineté du peuple ; Que les périls qu’elle offre sont nuis; Que les dangers de l’anéantir sont réels ; Et que les moyens de la remplacer ne peuvent être qu’insuffisants ou dangereux. J e n’ai plus qu un mot à ajouter. Nul de vous, sans doute, n’a pu oublier, en verlu de quel titre il a l’honneur de siéger dans cette auguste Assemblée. Représentants du peuple, organes du peuple, c’est vous qu’il a chargés du soin de manifester sa souveraine volonté. Quand le peuple n’a pas prononcé, sa confiance vous a autorisés à parler en son nom. Quand le peuple a parlé, c’est à vous à donner le premier exemple de la soumission due à la volonté connue du peuple. En cette occasion, le peuple a parlé. Le soin d’établir la sanction royale n’est pas confié à votre zèle; il ne vous est permis que d’annoncer que le peuple veut qu’elle soit établie ; et votre conscience, ainsi que vos mandats, vous prescrivent de fléchir devant cette suprême autorité, d’où émane celle dont vous êtes revêtus. (1) Comme particulier, j’ai pensé aussi, et je crois encore, que la pleine et entière liberté n’existe que dans les républiques confédérées, parce que le peuple sans représentants y constitue sa volonté en loi, et que la vraie liberté consiste à agir par soi-même, et non par l’organe d’autrui. Mais ces opinions, qui m’attachaient à l’existence hypothétique de cette sorte de gouvernement, n’ont pas dû influer sur mes opinions comme représentant de la nation, ni m’empêcher de regarder comme coupable du crime irrémissible de lése-nation quiconque, contre la volonté souveraine du peuple, oserait tenter de substituer à la monarchie que le peuple a ordonné de maintenir et detablir, une autre sorte de gouvernement quel qu’il pût être, {Note de l’orateur .) 35 o46 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENT AIRES . [2 septembre 1789.} Vainement d’ailleurs raviriez-vous au trône cette prérogative conservatrice. Le peuple ne croirait pas à un pareil décret ; et j’ose ajouter que son incrédulité serait une preuve de la bienveillance dont il honore ses représentants. Jamais il ne croira qu'ayant ordonné que le pouvoir exécutif pourrait autoriser ou infirmer les actes du pouvoir législatif, le pouvoir législatif a déclaré que l’intervention du pouvoir exécutif était inutile. S’il était quelqu’un, dans cette auguste Assemblée, qui désirât qu’un pareil décret fût prononcé, je le supplie d’examiner quelles en seraient les conséquences. Le Roi, peut-être, cédant aux circonstances, à l’amour de la paix, à l’amour de son peuple, lui ferait ce dentier abandon. Son cœur est capable de consommer ce dernier sacrifice. Oui, en l’état actuel, le Roi, je le crois, cédera sa prérogative ; mais le peuple ne la cédera pas ; il la réclamera pour lui. Dans le cœur du peuple se réunira au besoin qu’il a de cette prérogative pour le maintien de sa liberté et de sa souveraineté un sentiment de générosité et d’amour qui le rallierait au pied du trône que vos décrets auraient dépouillé. Il respectera le malheur d’un Roi vertueux et bon, que la volonté de ses pères y a placé ; il ne soutiendra jamais le spectacle de ce Roi, naguère trop puissant sans doute, aujourd’hui dénué de foute puissance. La raison sévère guide seule les représentants d’un peuple; mais le sentiment entraîne le peuple, et dans lejusle enthousiasme que les vertus du Roi lui inspireront, dans la juste confiance qu’il prendra en ses qualités personnelles, le peuple se dira qu’il n’a pas voulu lui ravir sa prérogative; et craignez qu’alorsil ne lui rende plus de pouvoir qu’il ne doit en conserver pour le maintien de la liberté publique. Appelés pour établir la Constitution, nous avons dû. détruire tout ce qui lui faisait obstacle ; mais ce doit être un bonheur pour nous de trouver enfin que le maintien de la Constitution et de la liberté nous commande de laisser au Roi la plus belle de ses prérogatives. Quand nos travaux seront consommés, il se demandera à lui-même s’il avait eu raison de concevoir de cette auguste Assemblée les craintes dont peut-être on avait cherché à l’environner; et dans ces jours de paix, de bonheur et de confiance qui vont succéder à ces temps d’orage et de troubles, alors, se rappelant les jours de chagrin et d’inquiétude qui se sont si péniblement écoulés, il se convaincra que la liberté, qui fait le bonheur des peuples, assure la stabilité des trônes, la puissance des monarques, et la félicité des bons rois. M Uelandiue. L’on nous a donné jusqu’ici des définitions très-compliquées de la sanction royale. 11 convient d’en donner une qui soit la véritable, et qui se rapproche davantage de son origine et de son étymologie ; sanction ne signifie rien autre que saint: le peuple romain, autrefois, avait confié la promulgation de toutes les lois relatives au culte et à la police, au pontife ; et c’est cette promulgation que l’on appelait sanction. Dans le berceau de notre gouvernement, ce même mot a conservé la même signification ; toute loi doit paraître sous les auspices du prince; c’est lui qui en fait la promulgation, et c’est son nom qui y met le dernier sceau: voilà à quoi se borne celte sanction ; elle n’est rien autre chose. Mais loin du cœur du monarque et de son esprit que la volonté d’un seul puisse enchaîner la volonté de tous ! Aussi est-ce dans ce sens que nous devons entendre le mot sanction. Pour la réfuter, cette sanction, je ne dirai pas qu’elle peut être funeste au peuple, qu’elle peut fiatter la vanité du prince, et ce ne sont pas là les objections que je réfuterai. L’on dit que la sanction royale tire son origine de nos lois mêmes, de cette loi qui se trouve dans tous les capituliares de Charlemagne : lex fit consensupopuli et constitutione regià ; c’est le cri de tous ces auteurs modernes dont l’éloquence est intéressée à si bien flatter les princes; c’est le cri de tous nos publicistes, et il faut y répondre. Il ne s’agit que de savoir ce que c’est que cette Constitution; croit-on que c’est le consentement du prince? croit-on nue sans ce consentement la loi n’est rien? Non, cette constitution n’est a.utre chose que la promulgation faite par le prince; c’est le sentiment du célèbre Ducange; c’est ce qui est prouvé encore par les ordonnances recueillies par deux auteurs, et connues sous le nom d’Ordonnances du Louvre: c’est ce qui est prouvé par l’histoire. Au Champ de Mai, il prononçait la loi, et il y concourait par son suffrage. La loi, c’est l’ouvrage de tous les représentants de la nation; le roi les présidait, et le roi n’avait aucune influence plus marquée. De là cette formule si dénaturée depuis, mais toujours expressive : nous voulons, nous ordonnons. Au surplus, dira-t-on, il faut circonscrire le pouvoir législatif. L’on aime mieux gémir sous le despotisme d’un seul que sur le despotisme de plusieurs; sous le premier, la faveur des grands vous console; sous l’autre, l’injustice vous tourmente sans cesse. Si vous établissez un Sénat, je penserai alors comme ceux qui craignent ces malheurs. Mais avec les représentants de la nation, jamais je ne craindrai l’oppression. Comment en effet penser que des députés qui arrivent du fond de leur province, apportent un système de persécution? comment croire que des hommes qui sortent pour un moment delà classe ordinaire, voudraient la trahir, et se trahir eux-mêmes, puisqu'ils doivent y redescendre? S’il est un pouvoir à craindre, c’est celui qui réside dans un seul, parce qu’il est dans la nature de l’homme d’ctendre sa puissance; c’est la confusion du pouvoir qui a fait naître la tyrannie; c’est la division qui fait fleurir la liberté. Pense-t-on que la flatterie cessera de dire au roi : opprimez les peuples, parce qu’ils veulent envahir le trône? L’on vous a dit que toutes les fois que les pouvoirs étaient divisés, l’on a fait une distinction des trois pouvoirs. Eh bien, ces républiques célèbres que l’on nous a citées pour exemple n’outpéri que par ces pouvoirs. Carthage, toujours fatiguée’ des querelles du sénat, exile et rappelle Amilcar et ses fils, pour les expatrier encore. Carthage succombe, et Rome, sa rivale, résiste aux factions intérieures, parce que le pouvoir était un dans la main du peuple. Je vous opposerai le marquis d’Argenson, homme vertueux et homme d’Etat tout à la fois. Le marquis d’Argenson demande-t-il cette division dans les pouvoirs? non, il en est bien éloigné. La monarchie , dit-il, resterapaisible si on la rapproche des formes démocratiques. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 septembre 1789.] 547 Uneopinion aussi respectable doit bien l’emporter sur celle de nos modernes législateurs. L’on cite l’Angleterre et l’exemple de son gouvernement. Les uns le louent, les autres le blâment. Je pense que tous ont raison. Le gouvernement anglais est rempli d’abus; et si cette nation était au moment de faire une Constitution, elle n’établirait certainement pas une Chambre haute ; cette Chambre haute, si utile au roi et si funeste au peuple. Mais, pour balancer l’exemple de l’Angleterre que l’on nous oppose, j’en citerai un autre ; c’est celui de la Virginie: dans sa Constitution de 1776, elle a refusé la sanction royale. Faisons autant qu’elle, et faisons plus que l’Angleterre ne fait pour elle-même. L’on me parle des cahiers ; tous veulent, prescrivent et demandent la sanction royale. Je doute d’abord qu'il y ait des cahiers impératifs sur ce point ; et s’il en existait, ils seraient abrogés. Je demande si tout ce que nous avons fait jusqu’ici a été prescrit dans nos cahiers ; et cependant les provinces n’y ont-elles pas adhéré? Que le veto soit suspensif ou absolu, je pense qu’il n’en est pas moins dangereux. Sera-t-il absolu? il terrassera le pouvoir législatif. Sera-t-il suspensif? il suscitera des querelles; il réveillera l’esprit de faction ; le roi se fera des partisans dans l’espace d’une session à l’autre ; nous aurons les royalistes et les anti-royalistes. Cette sanction sera inutile au prince; si le monarque est instruit et éclairé, il saura que l’intérêt du plus grand nombre est le sien, et que son opinion ne doit pas être séparée de l’opinion générale. Je me résume. La séparation des pouvoirs est la sauvegarde de la liberté publique. La sanction peut être très-utile si son opinion est celle de l’opinion générale, et elle sera dangereuse si elle est contraire au bien de l’Etat. JN’élevons pas de barrières entre le prince et ses peuples. Que nos descendants ne s’accoutumentpas à voir le trône avec indifférence. Le roi veut sanctionner une loi ? Qu’il vienne, comme venaient nos premiers rois dans l’Assemblée nationale, et il prononcera vos décrets. Le roi est un bon père, et il ne sera jamais mieux qu’au milieu de ses enfants. M. ***. Je crois devoir réfuter quelques objections faites en faveur de la sanction. En l’admettant, on détruit ladéclaration des droits de l’homme; toute souveraineté réside dans le peuple, et le veto absolu en serait l’anéantissement; la nation seule doit être juge entre les représentants et le roi, qui ne doit point avoir la liberté de faire des lois. Un honorable membre a objecté que le roi pourrait dissoudre l’Assemblée nationale et la reconvoquer. La dissoudre, c'est donner au roi la faculté de rompre toutes celles qui lui seront contraires. La convoquer, c’est contrarier le vœu de la nation, qui doit se convoquer elle-même par le seul effet de la loi. M. Treilliard parle en faveur du veto; il s’explique nettement sur la nature duuefo; il parait rejeter le veto absolu, c’est la conséquence de son raisonnement ; il ne veut qu’une seule chambre, et il incline pour le veto suspensif. M. «le Beaumetz appuie le veto suspensif; il répond à M. le comte d’Antraigues. D’abord il fait voir la confiance que l’on doit avoir dans l’Assemblée* nationale. Pourquoi attribuer plus de confiance à un délégué du hasard qu’aux délégués par le choix libre de leurs concitoyens, à un délégué séparé do la vérité qu’à des délégués placés au milieu des intérêts et des besoins? En un mot, faut-il plutôt croire à la sagesse d’un seul qu’à celle de plusieurs? Il réfute les deux moyens proposés par M. le comte d’Àntraigues pour forcer le Roi à donner sa sanction: l’insurrection et la cessation des impôts. t L’un, dit-il, est le signal de la guerre civile; l’autre celui d’un bouleversement dans l’Etat. Ce n’est pas au prince que l’on paye les impôts, mais c’est à la nation. Sans les impôts, les troupes se licencieront, les charges ne seront plus acquittées, et l’on sera bientôt dans les horreurs de l’anarchie. Je propose donc un moyen qui repousserait toute entreprise de la législature sur le pouvoir exécutif, qui, sans secousse, sans commotion, empêcherait qu’aucune loi ne fût exécutée sans la sanction du Roi. Toute loi ne pourra être présentée au Roi deux fois à la sanction pendant la même session. Le roi sera obligé, en refusant la sanction, de dire s’il argue la loi d’erreur, ou si elle est contraire à son autorité. Dans le premier cas, il suffira qu’elle soit représentée à la seconde session, pour que le Roi ne puisse la refuser. Dans le second cas, les mandataires auront des pouvoirs exprès, pour en demander la sanction ; et alors, si c'est la volonté générale, le souverain la sanctionnera; mais, dans aucun cas, le Roi ne pourra amender une loi qui aura été présentée. M. Barnave parle avec l’énergie que toute la France lui connaît. H démontre la nécessité de la sanction suspensive, avec une évidence qui ne laisse aucun nuage. M. Target s’exprime aussi avec éloquence, il réfute M. de Mirabeau sur les assemblées annuelles. Eh quoi! dit-il, pour le moindre acte que le Roi voudra faire, faudra-t-il que cette Assemblée soit rompue, faudra-t-il qu’elle craigne à chaque instant d’entamer telle question, parce qu’elle saura que le Roi emploiera le moyen de sa rupture? Il développe les raisons qui doivent faire regarder la sanction supérieure comme un appel au peuple. Séance du soir. M. le Président a fait faire lecture, par l’un de MM. les secrétaires, d’une lettre des officiers de la commune de Paris, par laquelle ils adressent à l’Assemblée un nombre d’exemplaires imprimés de l’arrêté dont ils ont or lonné la publication et commencé l’exécution le mardi premier de ce mois, concernant le trouble apporté à l’ordre public dans la capitale, le dimanche trente août dernier. L’Assemblée, après avoir entendu la lecture de cette lettre, et celle qu’elle a désiré lui être faite de nouveau de l’arrêté qui y était joint, a autorisé son président à répondre à MM. les officiers de la commune de Paris, pour leur témoigner sa satisfaction, et la confiance que lui inspire leur