194 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE d’autres bornes que celles que prescrit le maintien du gouvernement révolutionnaire et des lois sociales. Représentans, il est temps que la France ne soit plus dominée que par le règne des lois, et, pour l’assurer, elle doit être libre de dire la vérité : ainsi décréter la liberté de la presse, c’est la loi la plus sage que vous puissiez rendre pour le salut du peuple. Mention honorable, insertion au bulletin (18). [La société populaire et républicaine de Bourg à la Convention nationale, le 5 vendémiaire an III] (19) Citoyens représentans, En 1788, le français vit l’abime qui s’ouvrait sous ses pas, la tirannie l’avait creusé, l’état touchait à sa désorganisation, et le remède était dans une autre forme de gouvernement. Le peuple demanda-t-il alors à Capet et à ses suppôts la permission d’user de la liberté de la presse? non : le peuple connut le droit naturel, il s’en servit pour éviter les maux de l’anarchie. Quel est l’état actuel de la République. Et quelle a été sa position pendant deux ans. Les armées se battent avec courage et triomphent partout, les enfans même qui ont perdu sur l’échaffaut père, parans et amis, adoptent la patrie pour mère, veulent vaincre ou s’ensevelir avec elle : la liberté seule peut prescrire les efforts généreux. Pendant ces victoires, quelle était la situation de l’intérieur? Hébert, Robespierre et leurs partisans déclaraient la guerre à l’humanité, fondaient leur puissance en abbattant d’autres factions, supposaient des conspirations qu’ils savaient adroitement préparer, prêchaient une morale destructive de toute société politique, entassaient victimes sur victimes et jouissaient des délices de Néron en faisant égorger les français. D’où peut venir un contraste si frappant de félicité et de malheur, il a été créé par Hébert et Robespierre, les seuls monstres dignes de surpasser ceux de l’antiquité, mais il a eu pour principe la déffense ou le danger de dire la vérité par le moyen de la presse. S’il est réservé à une portion du peuple d’émettre sa pensée, si la grande partie n’en a pas le droit, si des ennemis de la patrie veulent rivaliser les autoritées légitimes, les mêmes meaux que nous avons souffert sont prêts à reparaître, le factieux habile projette d’usurper le pouvoir, il médite le crime, prêche la vertu, agit dans l’ombre et parvient bientôt à son but. L’homme libre ne connaît dans la faculté d’énoncer sa pensée d’autres bornes, que celles que le maintient du gouvernement révolution-(18) P.-V., XL VI, 203-204. Bull., 15 vend.; Mess. Soir, n 774. (19) C 321, pl. 1350, p. 19. naire et des loix sociales prescrit, pourquoi donc serait-il privé d’écrire ce qu’il pense, ce qu’il dit et lequel peut être utile à sa patrie. Le principe de toute société n’est-il pas dans la volonté, dans l’expression et dans le contrat de bonne foi qui unit les hommes. Il est donc du droit naturel, du droit politique de décréter la liberté de la presse, aussi la Constitution française en a consacré le principe, il n’appartient plus qu’à la Convention d’en assurer l’exécution, et c’est la loi la plus sage qu’elle puisse prendre pour le salut du peuple. Salut et fraternité. Les membres composant le comité de correspondance, Chambre, Brangier, Charramin, Bergier. 11 La société populaire de Saint-Sympho-rien, département de la Haute-Vienne, félicite la Convention nationale sur la punition du traître Robespierre et de ses complices; l’invite à rester à son poste, et lui annonce qu’elle a établi un atelier de salpêtre qui est en pleine activité, qu’elle a fait don à la patrie de vingt paires de bas, un habit uniforme, un fusil, trois sabres et tout l’équipage d’un cavalier; que neuf citoyennes ont fait l’offrande de chacune une croix, dont huit sont d’argent et une d’or : elle termine par demander que la commune soit autorisée à changer le nom de Saint-Symphorien en celui de Marat. Mention honorable, insertion au bulletin, et renvoi pour le changement de nom au comité de Division (20). 12 La société populaire de Pont-d’Ain, département de l’Ain, informe la Convention nationale de l’oppression sous laquelle des scélérats, qui se disoient patriotes et qui s’étoient érigés en tyrans, ont fait gémir ce département. Elle annonce que le représentant du peuple Boisset a frappé les intrigans, et rendu la sécurité aux bons citoyens. Insertion au bulletin, renvoi aux comités de Salut public et de Sûreté générale (21). La société populaire de Pont-d’Ain, département de l’Ain, écrit à la Convention nationale (20) P.-V., XLVT, 204. Bull., 17 vend, (suppl.); Bull., 24 vend, (suppl.). (21) P.-V., XLVI, 204. Ann. R. F., n” 11; J. Fr., n" 736; M. U., XLIV, 153. SÉANCE DU 10 VENDÉMIAIRE AN III (1er OCTOBRE 1794) - N08 13-14 195 que depuis longtemps le département de l’Ain étoit en proie à tous les genres de vexations; que les scélérats qui se disoient patriotes, mais dont toutes les démarches tendoient à opérer une contre-révolution, s’y étoient érigés en tyrans et en maîtres; que l’opinion publique les accuse de tous les crimes; qu’il n’est point d’abus d’autorité qu’ils ne se soient permis, et qu’ils ont poussé la scélératesse jusqu’à avilir la représentation nationale. Il étoit temps, dit-elle, que le représentant du peuple Boisset parût parmi nous. Lorsqu’il a vu le peuple en masse accuser ses oppresseurs, il les a fait incarcérer. Nous venons d’apprendre qu’ils faisoient intriguer jusque dans le sein de la Convention, et que le comité de Sûreté générale avoit envoyé à l’accusateur public à Bourg ordre de suspendre toute poursuite contre eux. Ce comité a été trompé sans doute ; ce n’a été que sur des exposés calomnieux qu’il aura regardé les tyrans du département de l’Ain comme des patriotes. Représentans, ne vous y trompez pas : ces individus sont proscrits par l’opinion publique ; nous ne pensons pas qu’ils trouvent jamais de protecteur dans la Convention nationale qu’ils ont avilie en plusieurs circonstances, et dont ils vouloient la dissolution. Nous vous en conjurons suspendez toute mesure relative au département de l’Ain, jusqu’à ce que vous ayez reçu les preuves des délits dont ils sont coupables : vous serez convaincus alors que ce département a gémi sous la plus affreuse tyrannie, sans cesser d’être fidèle à la Convention (22). 13 La société populaire de Dol, département d’Ille-et-Vilaine, écrit à la Convention nationale qu’elle a éprouvé, comme plusieurs sociétés, des craintes sur quelques élargissemens de détenus : mais que bientôt jetant ses regards sur la vigueur des lois répressives qui n’ont pas été abolies, elle s’est rassurée, et que sa tranquillité repose sur le règne de ces mêmes lois. Elle a vu, dit-elle, avec plaisir, la mise en liberté des patriotes et de l’homme de bien, de l’homme simple qui n’étoit qu’égaré. Elle demande que le gouvernement révolutionnaire qui doit subsister jusqu’à la paix, soit inséparable de la justice, de l’humanité et de la sagesse qui présidèrent à sa création, de manière qu’il ne puisse devenir l’arme terrible de l’ambition d’aucun individu. Insertion au bulletin, et renvoi au comité de Sûreté générale (23). (22) Bull., 25 vend, (suppl.). (23) P.-V., XL VI, 204-205. Bull., 15 vend.; C. Eg., n° 780. 14 [La société populaire de Richelieu, département d’Indre-et-Loire, à la Convention nationale, s. d.] (24) Citoyens législateurs, Nous voyons certainement avec une satisfaction vraiment fraternelle, que les représentans du peuple en mission dans les départemens donnent la bberté aux détenus, et les rendent à leurs familes éplorées; mais nous ne voyons pas sans surprise que ces mises en liberté se font sans consulter les comités de surveillance, sans le concours et l’avis des sociétés populaires, qui doivent être regardées comme l’œil toujours clairvoyant d’une surveillance aussi active que permanente. Sans doute, et nous en sommes persuadés, que les représentans du peuple en mission ne sont animés que de l’amour du bien public et du salut de la patrie ; cependant nous vous observons que, malgré leur sollicitude paternelle, il échappe à leur connoissance nombre de faits qui pourraient retenir les uns dans les fers, et renvoyer les autres dans leurs foyers. Nous ne devons pas laisser ignorer que la république nourrit encore dans son sein nombre de factions, une multitude de malveillans ; craignez d’augmenter les forces de cette classe malfaisante, cherchez plutôt à les atténuer en les divisant; surveillons-la si nous voulons que la liberté triomphe. Punissons le coupable, rendons justice à l’innocence. Les sociétés populaires sont les seules qui peuvent éclairer sur la conduite des détenus et de ceux mis en liberté, et déterminer votre jugement sur le sort qu’ils doivent éprouver. Sans leur secours, vos collègues n’opéreront jamais tout le bien que leurs âmes bienfaisantes ont pour objet, et nous nous verrons continuellement environnés d’ennemis de la révolution. CLAUZEL : Je demande l’improbation formelle de cette adresse; écouter la prétention des sociétés populaires, ce serait élever à côté de l’autorité nationale des autorités rivales, et organiser l’anarchie (25). La société populaire de Richelieu, département d’Indre-et-Loire, se plaint à la Convention nationale de ce que les représentans du peuple en mission dans les divers départemens, mettent les détenus en liberté sans consulter les comités de surveillance, et sans le concours et l’avis des sociétés populaires : il s’élève une discussion et, sur la proposition d’un membre, la Convention nationale décrète ce qui suit : La Convention l’improuve formellement comme attentatoire aux droits de la représentation nationale, qui est seule investie du pouvoir de maintenir les droits du peuple; décrète qu’elle sera insérée (24) Débats, n" 740, 129-130. (25) Moniteur, XXII, 127; Ann. R. F., n’ 11.