ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |2 novembre 1790-1 216 IA �semblée nationale.] Art. 2. Que le poids de marc, déposé à la cour des monnaies, continuera à servir à déterminer le poids de toutes les divisions des monnnaies. Art. 3. Le poids et le titre de la monnaie d’argent, tels qu'ils sont réglés aujourd’hui, seront invariablement fixés. Le poids et le titre de la monnaie d’or, tels qu’ils ont été ordonnés, ne pourront être changés qu’en vertu d’un décret de l’Assemblée nationale. Art. 4. La fabrication de l’or de 1785, ayant porté la valeur des louis d’or au delà de leur valeur intrinsèque, et proportionnelle au cours des marchés de l’Europe ; ce qui a favorisé des spéculations dangereuses sur l’extraction des monnaies d’argent hors du royaume, l’Assemblée nationale décrète qu’à l’avenir il sera assigné en France aux espèces d’or un prix au-dessous duquel le créancier ne pourra refuser de les recevoir, mais qui pourra être augmenté de gré à gré seulement, suivant les besoins du commerce. Art. 5. Qu’il sera procédé à la fabrication d’une monnaie en argent bas, qui contienne au moins en fin la moitié de son poids, telle qu’il en résulte des pièces de monnaie d’une taille commode pour le public et contenant rigoureusement une quantité de grains pesant d’argent fin, correspondante à la division qu’elles représenteront dans l’écu ; que la dénomination et les divisions seront établies d’après celles de la livre de vingt sous. Art. 6. Qu’il sera fabriqué de la monnaie de cuivre pur avec l’empreinte et la fabrication la plus belle et la plus régulière possible. Art. 7. Qu’il ne. sera pris désormais aucuns frais ni impôts sur la fabrication des monnaies aux nouveaux coins qui seront ordonnés par l’Assemblée nationale ; que son comité des monnaies sera tenu de lui proposer incessamment un projet de coins nouveaux, et qu’aussitôt qu’ils auront été faits, la fabrication sur les coins anciens cessera absolument dans toutes les monnaies. Art. 8. Que sur toutes les pièces de monnaie, l’empreinte portera l’expression de la quantité de matière fine qu’elle contient. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 2 NOVEMBRE 1790. De LA CONSTITUTION monétaire, précédé _ d'observations sur le premier rapport du comité des monnaies et suivi d’un projet de lois monétaires , présenté à l’Assemblée nationale, par M.de Mirabeau l’ainé (1). OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES sur le premier rapport du comité des monnaies. Le comité des monnaies de l’Assemblée nationale vient de publier un premier rapport et il en annonce un second. Si son travail repose sur des bases fausses, sur M) On a placé en notes, à la suite de cet ouvrage, ce qui doit servir de preuve, donner plus de développement, ou exiger plus d’attention. {Note de l’auteur.) de mauvais calculs, sur des notions inexactes et incomplètes, il importe de mettre en garde l’Assemblée contre les erreurs qu’il contient, et surtout de lui offrir un autre ouvrage. Triompher dans une controverse doit être d’un bien petit intérêt pour un représentant de la nation, si l’amour-propre trouve seul son compte à ce succès, et qu’il n’en résulte pas une bonne loi. J’ai cru devoir publier mon travail sur les monnaies et le faire précéder d’un petit nombre d’observations sur le premier rapport. Ce que le comité a dédaigné, je l’ai soigneusement recherché moi, je veux dire, les secours et la censure des hommes de l’art. Parmi les coopérateurs que le comité des monnaies a consultés, je m’étonne de ne point trouver ceux d’entre les anciens directeurs des monnaies que la voix publique place au-dessus de tout soupçon, ou des hommes connus pour être profondément versés dans la science monétaire : M. Du-perron père, par exemple, et son fils, que n’ont jamais oublié de consulter nos administrateurs des finances dans les circonstances délicates, et qu’ils se sont toujours repentis de n’avoir point écoutés; M. Bi-yerlé qui a répandu sur la refonte de 1785, de vives lumières, et qui dans un essai sur les monnaies , dont il a fait hommage à l’Assemblée, a non seulement développé une grande profondeur de doctrine, mais démontré l'absurdité de ces observations de M. des Rotours, sur la déclaration du 30 octobre 1785, que le comité des monnaies rajeunit en ce moment avec beaucoup d’éloges. Je ne comprends pas d’avantage pourquoi MM. du comité ont excessivement loué M. de Solignac sans le défendre contre moi, qui n’ai voulu avoir raison contre ce prétendu monétaire qu’avec et selon Barême, et qui, à l’aide d’un si fidèle auxiliaire, ai démontré que les sublimes conceptions de cet adepte auquel le comité accorde à un degré éminent, la science abstraite et difficile des changes et des calculs monétaires , se réduisaient à voler 30 ou 35 sols par louis dans la poche des propriétaires de louis; à faire faire banqueroute à la nation, sans qu’elle y gagne en aucun sens, puisque cette opération diminuerait en même temps le numéraire d’or du royaume d’un sixième et plus; qu’enlin, et pour tout résumer en un mot, les fameuses connaissances manifestées, quant à présent, par M. Solignac, consistent dans cette précieuse découverte : que nous pouvons tellement faire la loi à l’Espagne et au Portugal, ces riches propriétaires de mines, qu’ils vont être contraints, grâce apparemment à son pamphlet de baisser le prix de l’or de 47 livres et plus par marc. Encore une fois, je ne comprends pas le silence de MM. du comité, sur ma controverse avec ce M. Solignac qu’ils vantent extaliquement ; mais j’espère qu’ils ne dédaigneront pas de défendre du moins leur propre système contre un de -leurs collègues, et que de nos dissentiments naîtra la vérité. J’attendais, et l’Assemblée avait droit d’attendre du comité un travail constitutionnel, un travail digne des législateurs d’une grande nation; le comité semblait vous l’annoncer lorsqu’il promettait de lever l'appareil de la plaie monétaire et d'en sonder la profondeur et les sinus; il n’a pas vu que la plaie, dont il vous entretient, est une légère égratignure, et que la véritable guérisou qu’on attend de lui, c’est celle du corps monétaire qui pêche par sa constitutiou. {2 novembre 1790. J [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 217 Le résultat du travail du comité n’est qu’un résultat de fabrication; il consiste à vous proposer : 1° de décider la question de la proportion entre l’or et l’argent; 2° de conserver à vos espèces le titre actuel ; 3° de supprimer le droit de seigneuriage; 4° de faire supporter les frais de brassage par la nation; 5° de fabriquer des pièces de 20 sols, au titre de six deniers. Ce sont là autant de questions subsidiaires qui méritent aujourd’hui peu d’attention, et qui ne devraient trouver leur place que lorsque les bases du régime monétaire seront établies. Un architecte pose le3 fondements de son édifice, il en élève les murs principaux, mais l’on ne voit pas amonceler les ferrures et les ouvrages de menuiserie sur la place d’un bâtiment non construit. Le travail du comité me paraît non seulement très inutile dans sa plus grande partie, mais encore un tissu de contradictions, de définitions inexactes et d’assertions fausses; en sorte que pour r.ndre clair ce qu’il voulait nous apprendre, le comité l’a obscurci davantage. En effet, et d’abord en vous remettant ce premier rapport, on y a joint un imprimé intitulé: Notions succinctes , pour l’intelligence des discussions monétaires. Or, ces notions sont fausses, et je le prouverai, en ne relevant même que quelques-unes des erreurs les plus grossières. On y définit la monnaie: Une portion de métal à laquelle le législateur donne une forme , un poids , une empreinte et une dénonÀnation. Le rédacteur de cette définition n’est pas assez instruit. 11 y avait autrefois des monnaies de cuir, de pâti*, d’écorces d’arbres ; on se sert encore en quelques pays, de coquilles pour monnaie; enfin, la véritable définition de la monnaie, est dans les luis romaines, et surtout dans Aristote, l’un de3 plus profonds politiques qui ait instruit le genre humain. Ce n’est pas la peine de chercher une définition nouvelle pour introduire dans le monde une erreur de plus. On nous apprend ensuite, en parlant de la division du poids de marc, que le gros se divise en 72 grains. Mais le gros se divise en 3 deniers, le denier en 24 grains ; et l’on n’aurait pas du oublier la division la plus commune et la plus simple du marc monétaire en 8 onces, de l’once en 24 deniers, du denier en 24 grains. Puis revenant aux définitions, on dit que la valeur intrinsèque est la quantité en poids de matière d’or pur ou d'argent pur qui domine dans la proportion de métal appelée monnaie. Mais la valeur intrinsèque est plus; elle est l’estimation de cette quantité etil importe peu pour la déterminer que l’or ou l’argent domine; dans votre monnaie de billon le cuivre domine, et beaucoup; cependant, sa valeur intrinsèque est déterminée sur la quantité de la matière qui ne domine pas. Veut-on nous apprendre ce qu’on entend par le mot titre ? on dit que c’est l'expression obligée et conventionnelle dont on se sert pour annoncer, en peu de mots, en peu de chiffres, la valeur intrinsèque d’une pièce de monnaie ou d’un marc monnayé. Voilà du galimatias double dans lequel je trouve trois notions fausses. Le titre exprime non la valeur intrinsèque d'une pièce, mais la quantité de matière fine qu’elle contient, abstraction faite de la valeur. Ce mot titre indique cette quantité de fin, non seulement pour une pièce ou un marc monnayé, mais encore pour les ouvrages de bijouterie, d’orfèvrerie, et même pour les morceaux d’or et d’argent qui ne sont ni monnayés ni ouvrés. Enfin, ce n’est pas pour énoncer cette valeur, en peu de mots et en peu de chiffres, qu’on se sert du mot titre; car, lorsque je dis qu’un morceau de métal contient vingt-deux parties d’or, je n’ai besoin ni d’un crayon, ni d’une plume, ni de chiffres pour faire comprendre ma pensée. Le rédacteur de ces notions dit : Un marc d’or à 24 karats ou 4608 grains pesants d’or pur, sont une seule et même chose. Ce qui manque aux 24 degrés de la plus grande pureté de l'or, s'appelle alliage. Quoi, si dans l’intérieur du marc d’or à 24 karats, il se trouve du sable ou une pierre, on dira que l’or est allié, parce que le marc d’or ne contiendra pas 4,608 grains d’or fin I L’alliage ne serait-il doncpas défini d’une manièreplu-* simple et plus vraie, en disant : C'est l’adjontion d'un métal à un autre métal ; et en fait de monnaie , c’est l’adjonction d'un métal commun à un métal précieux ? Je dois observer qu’il s’est glissé dans ces notions succinctes, page 2, second alinéa, une faute typograugique qui pourrait induire en erreur; on lit : L'or à 23 Karats 16 trente-deuxièmes, au lieu de 24 karais 16 trente-deuxièmes : ce qui causerait une erreur très grave. Peut-être est-ce encore par une erreur typographique, bien que cela soit moins vraisemblable, qu’au sixième alinéa de la même page, on trouve que l’argent à 10 déni rs 21 grains de fin, contient un douzième d’alliage, plus trois vingt-quatrièmes de deniers de fin. Effacez Les mots de fin, si vous ne voulez pas tomber dans une erreur grossière, car ce n'est point un douzième et 3 vingt-quatrièmes de denier de fin, mais un denier et trois vingt-quatrièmes de denier d’alliage, ou de cuivre que contient l’argent à 10 deniers 21 grains. On pourrait faire beaucoup d’antres observations sur ces notions succinctes ; mais il vaut mieux jeter un coup d’œil rapide sur le rapport même. Quand j’entends notre comité soutenir que c’est l’inexécution des lois sacrifiées à la cupidité, aux erreurs populaires, et l’inexactitude de quelq ies manipulateurs qui, depuis plusieurs années, ont plongé les monnaies dans le désordre, je n’ai pas besoin que l’on m'apprenne que parmi les consultés il se trouve des membres de la cour des monnaies. A ce seul mot, je reconnais l’auteur et les approbateurs de certaines remontrances de cette cour où régnait tout le fiel de la haine, et toute l’ignorance du plus inutile et du plus dangereux des tribunaux d’attribution. L’Assemblée nationale l’a anéanti, et voilà un grand pas pour l’amélioration du régime monétaire ; car c’est véritablement à la création de ce tribunal qu’il faut attribuer une partie des désordres qui s’y sont introduits. Le comité parle avec regret de l'inexécution des lois monétaires ; mais les connaît-il ces lois? Et, s’il les connaît, comment n’en a-t-il pas apprécié tous les vices ? Il parle de l’inexactitude de quelques manipulateurs ; admettons l’existence de cette inexactitude ; c’est un mal ai cidentel qui tient à l’imbécillité de nos lois; mais quand on parle de l’inexactitude depuis quelques années; je ne vois dans cette assertion qu’une malignité, et je dis : on a trompé votre comité. J’ai et j’offre de produire la preuve que la masse de nos nouvelles espèces d’or est au titre commun de 21 karats 20 trente-deuxièmes forts. Espérons que ces calomnies seront les derniers soupirs de l’agonisante cour des monnaies. La partie monétaire , dit votre comité, se divise [Assemblée ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [s poyembre 1790.] naturellement en deux branches l'une politique, l'autre, mécanique i mais il oublie qqie l'administration monétaire est chargée de la conservation des lois. Lorsqu’il s’agit de déterminer l’étendue des travaux politiques de cette administration, iJ ne lui donne d’autres fonctions que de prescrire les principes sous les lois rigoureuses du calcul. Quoi ! rien que des calculs ? Je l’ai dit dan? ma réponse à % Solignac, et je le répète ici, il m’est impossible de faire descendre mes idées au niveau d’une politique aussi mesquine. L’administrateur des monnaies peut sans doute et doit connaître ces calculs rigoureux, mais ils composent la partie la moins importante des connaissances d’un monétaire véritable. L’arithméticien le plus vulgaire peut devenir en un demi-quapt d’heure professeur en chiffres monétaires. Lg comité ne parle pas même de la science des monnaies; il s’est borné à diviser sou travail en plusieurs questions qu’il considère comme devant servir de base et de principes ; pour moi, je n’y vois que des questions subsidiaires. La première roule sur la qualité intrinsèque des ■métaux qu’il convient d'employer dans les monnaies. Question prématurée; on ne peut fajre de monnaies sans fabricateur ; le fabricateur est lui-même astreinte des lois constitutionnelles ; il faut des conservateurs de ces lois ; les lois doivent être fondées sur des principes premiers; ainsi avant de parler du degré de pureté du métal des monnaies, il fallait établir les principes fondamentaux etconstitutionnels du système mopétaire; il fallait, en secoqd lieu, ordonner l’administration, et c’était ensuite, et seulement en réglant la partie fa-hripative, que l’pn aurait dû parler de la qualité intrinsèque de la monnaie. Le comité propose d’admettre l’or, l'argent et le cuivre pour monnaie. Gela seul prouve qu’il n’a pas réfléchi un instant sur la doctrine monétaire, ou qu’il est dans les langes d’une très pusillanime timidité. Je le prie de lire mieux qu’il n’a fait, bien qu’il les cite, Locke, Harries, et les théoriciens profonds en cette partie; il verra que je ne vogue point ici dans des idées systématiques, et que je me range à l’opinion unanime de tous les penseurs. Mais comme cet objet entre dans mon travail, je n’en dirai pas davantage ici. Quant aux espèces appelées billon noir, je déclare avec le comité que c’est une détestable monnaie, et qu’il importe de la supprimer; j’en déduirai, s’il te faut, des raisons bien plus fortes que celles qu’il allègue; mais, lorsque le comité pense qu’il faut attendre pour cette suppression que la fabrication d’une monnaie à argent bas soit exécutée, il a tort, parce que notre billon servira avep une double économie à l’alliage de notre monnaie à bas argent. Le comité s’est encqre trompé lorsqu’il évalue à six "millions au moins la perte que le public éprouvera' du retrait du billon. Je soutiens, moi, qu’il n’y aura aucune perte injuste, parce que ronrendraaupublic2fraucspoqr 2francs,61iards, pour 6 liards;mais, conformément à toutes les lois, on refusera le? pièces tellement rouges qu’elles sont évidemment fausses ; on refusera de même les pièces étrangères; c’est aux transgresseurs des lois à s’imputer le tort qui leur arrive. Ce n’est donc pas lorsque l’argent à bas titre sera monnayé qu’il faudra retirer le billon noir, mais à fur et mesure de la fabrication du cuivre et de la nouvelle fabrication de l’argent à 6 deniers. Une des questions du comité tend à déterminer lé BQids qui géra adopté pour les monnaies, et il est d’avis de continuer û se servir du poids de marc. Cette question n’a pas acquis assez de maturité pour être décidée aussi légèrement; mais en attendant qu’elle soit parfaitement connue, i| est indispensable de suivre les anciens errements, Vient ensuite la fameuse qupstjon sur la pro-porlion entre les métaux ; question très inutile quant à présent et qui le sera plus epeofe quand ou aura statué que nous n’aurons qu’qne seule monnaie constitutionnelle. Mais remarquez combien votre comité était près de la vérité ; il l’avait sous la main, et il de l’a pas saisie. Il transcrit des observations sur l’opération monétaire du 3Ô octobre 1785, et il y trouve ces ptofs ; v Dans « tout pays l’abondance des métaux ou leur ra-« reté procède d’une cause fort supérieure à celle « des proportions entre l’or et l’argent, c’est-à-« dire de la balance du commerce, ha proportion « peut bien donner lieu à un agio mercantile pas-« sager, et dent l’excès se corrige de lui-même , « qui peut même atténuer quelquefois le profit de « cette balance, mais jamais anéantir son influence « prépondérante. » Quoi! cette vérité est apparue au comité, et il n’en a pas tiré la conséquence qu’il ne fallait pas s’occuper de la proportion entre l'or et l'argent ; qu’il fallait laisser eu ce genre, comme en tant d’autres, les oscillations aux changes du commerce? Il n’a pas remonté de là au principe fondamental, savoir : qu’il ne faut qu’une seule monnaie CONSTITUTIONNELLE, parce QUE LA MONNAIR ÉTANT UNE MESURE DOIT ÊTRE ÉGALE DANS TOUTES SES PARTIES ET INVARIABLE, CE QUI NE PEUT PAS ÊTRE SI VOUS ADMETTEZ DEUX MÉTAUX POUR CETTE MESURE. On lit dans le rapport du comité, ces étranges paroles : « Deux peuples récoltent inégalement « l’or et l’argent; le Portugal n’a que de j’or, l’Es-» pagne récolte dix à douze fois plus d’prgenf « que d’or, et la somme de la récolte en argent « excède la somme de la récolte du Portugal « en or. » Qu’enlend-on par ces mots excède la somme de la récolte? Est-ce la somme-quotité, est-ce la somme-valeur? Poursuivons et cpmparons les membres de cette période. L’Espagne récolte dix à douze fois plus d’argent que dsor : donc la proportion ne devrait y être que de 1 à 10 ou 12, et cependant elle y est de 1 à 16. Me dira-t-pn que cela provient des travaux, de l industrie et des chances du commerce ? Eh bien I répqndrai-je pour la seconde fois, laissez donc à votre industrie, à votre commerce la tâche de maintenir la proportion qui lui sera le plus avantageuse. Mais continuons. Nous venons de voir qu’eu Espagne l’or devrait être à l’argent comme l à 1Û où 12. Qn fait ensuite dire au comité que la répolte d’or du Portugal est inférieure â la récolte émargent de l’Espagne et la phrase semble indiquer que la différence n’est pas grande. Donc entre l’Espagne et le Portugal le rapport des mines d’or sera à peu près le même que celui des mines d’argent. Mais si cet apport est le même, ce? deux métaux y sont aussi communs I’ud que l’autre. Qonp la proportion doit être égale et cependant la proportion est dans l’un comme dan? l’autre de ces pays de 1 à 16. Concluons qu’il est faux que le produit des mines d’argent ne soit que de 10 à 12 fois plus considérable, puisqu’il établit entre l’Espagne et le Portugal cette haute proportion de 1 à 16. Que si l’on a entendu par le ipot somme la valeur numéraire, comme la proportion dans les pays qui nous fournissent des métaux, est de 1 à 16, il ne faut pas blâmer ceux qui ont préféré ppe pFpportjqn qui §’en [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1790. J approchât, à celle qu’ils auraient; trquvée chez les peuples qui, recevant de nous l’or et l’argent, sont obligés de subir notre loi comme nous subissions celle des propriétaires des mines. Le comité, si enthousiasmé de la brochure de M. Solignac, n’est cependant pas d’accord avec cet écrivain, qui veut repousser l’or pour attirer l’argent, et convient qu’il faut attirer l’argent saps repousser l’or-Qui des deux a raison ? Est-ce le comité? Pourquoi loue-t-il M. Solignac? Est-ce M. Solignac ? Pourquoi la contradiction entre le louangeur et le loué ? J’ai pesé bien attentivement la proposition de rendre invariable la proportion, et j’ai cherché, mais en vain, dans le travail du comité, la méthode qu’on nous offre pour y parvenir. Je vois qu’on avoue qu’il y a une impossibilité physique et une contradiction perpétuelle entre le fait et la loi qui fixe également à la fois le prix de ces deuçp pqétaux monnayés d'une manière invariable. Et cependant on nous donne pour moyen d’y arriver l’expédient d’assigner aux pièces d’or un prix qui pourra être augmenté de gré à gré suivant les besoins du commerce. Voilà donc ce qu’on appelle une proportion invariable ! Une proportion que dépend de la valeur de l’or, laquelle variera sans cesse 1 Je ne sais pas de quel pays est cette logique, mais je la reconnais pour appartenir au système monétaire qu’il faut réformer. C’est une chose bien digne de remarque que le comité cite Locke, Newton, Law, Magens, Dutot (1) et d’autres hommes profonds de tous les pays pour avoir unanimeut pensé qu’il suffisait que le prix d’une des deux monnaies fût fixé invariablement. S’il avait bien entendu Locke, il aurait ajouté que ce profond analyseur des procédés de l’esprit humain, et les autres penseurs avec lui, n’ont pas révoqué en doute qu’on ne dût instituer une seule monnaie pour mesure constitutionnelle ; mais comment le comité n’a-f-il pas tiré cette induction de ce que lui-même fait dire à Locke, etc. ? Quoi I le comité avoue cette doctrine, et il adopte trois monnaies, c’est-à-dire trois mesures constitutionnelles ! Voilà d’étranges inconséquences. Mais les erreurs pratiques sont d’une importance tout autrement immédiate. Or, le projet de décret que vous propose le comité tend à son insu, sans doute, mais très directement au même but que celui du vol et de la banqueroute que vous a proposé M. Solignac. A la vérité, on prétend que le vol du comité ne sera que de 20 francs par louis, et alors l’effet n’en diminuera que d’un vingt-quatrième de numéraire d’or. Ce sont là les rêves de l’ignorance, ou, ce qui est bien plus dangereux, de la demi-science; et certes vous devez vouloir que ni les Français, ni les étrangers ne perdent sur vos espèces. Que si vous désirez, en supprimant le droit de sei-gneuriage, comme on vous le propose, redescendre vos louis à leur valeur intrinsèque, reti-rez-les du commerce, pavez-les 24 livres, et soit que vous les refondiez du non, vous pourrez les remettre dans le commerce sous leur nouvelle valeur. Quant à la critique de la fabrication de 1785 que l’on nous propose de décréter, elle serait complètement inutile, quand l'acharnement le (1) Je voudrais que le comité indiquât la page où se trouva, dans Rqtqt, cette assertion, à la vérité très juste. plus ipjuste ne l'aurait pas dictée (1). Q’pst ug piège que l’on a tendu au cqmité. Pour ce qui est de la fabrication d’une mon-r naie d’argent bas dans les divisions de la livre de2Q francs, d’une autre monnaie de cuivre avec l’empreinte la plus bielle et la plps régpljère qui sera possible, je suis parfaitement d’accord sur l’uo et l’autre de ces objets, qui sont très ips-tants pi qui, depuis plus d’une année, ont été présentés à votre comité des finances dans un travail où ces dopnées semblent avoir été puisées. Tel est trop souvept le sort des hommes labo-r rieqx qui désirent d’être utiles ; on s’enrichit de leurs idées, et l’on se fait une réputation à leurs dépens ; heureux encore si l’on ne mutilait pas leurs conceptions, et si l’on ne décriait pas leurs travaux, précisément en raison de ce qu’on Ipur doit davantage ! Mais il est temps de terminer cette polémique désormais inutile, puisqu'il est bien évident giie votre comité ne vous a parlé que d’une fabrication de monnaie, et que vous avez tout autre chose à décréter. Ce que votre comité n’a pas osé faire, je vais le hasarder ; je prendrai un chemin directement opposé : ce qu’il n’a pas été [enté de aire, parce qu il ayait appelé à sou aide et le comité royal des monnaies, et le premier commis des monnaies, et un détachement de la coqr des monnaies, je le dirai, et je prouverai que les vices de votre régime monétaire, proviennent en très grande partie de ce tronc et des branches gourmandes du système monétaire actuel, N. B. — Je ne parlerai pas dans ce travail de l'arrondisseineut de chaque hôtel des monnaies, et je ne parlerai pas de la perfection de nos monnaies, en ce qui concerne la nouvelle forme à donner aux carrés pour, autant qu’il est possible, garantir de Vusement l’empreinte de nos espèces. Je ne parlerai pas non plus ni de la pesanteur et de la dimension des pièces, ni d’un nouveau genre de gravure pour rendre nos espèces plus parfaites, ni des types et légendes monétaires à adopter. Mais lorsque la constitution monétaire sera dér terminée, je présenterai ces différente pbjets à l’examen de l’Assemblée nationale. De la constitution monétaire. Messieurs, je vais exposer la doctrine monétaire telle que je l’ai conçue. Cette matière est extrêmement importante. Non seulement la théorie de l’art monétaire est une des premières bases de la science des finances, ce ressort principal de la prospérité des empires ; mais elle a des rapports intimes avec la politique de toutes les nations qui semblent unies par ce lien commun, pour montrer que les peuplades éparses sur le globe ne peuvent jamais cesser d’être une famille de frères destinés à s’entr’aimer, à s’aider mutuellement dans la jouissance de droits imprescriptibles de leur nature. La véritable doctrine monétaire unit toutes les nations. Une monnaie loyale est le signe de tout ce qui (1) Il est temps de faire cesser les clameurs ; voyez l’histoire de cette refonte, note A. à la suite de eet ouvrage . 220 [Assemblée nationale.] peut se vendre; mais tout ce qui peut se vendre ne croît pas, n’est pas produit aux mêmes lieux. Dans les admirables combinaisons de son système, l’auteur de tout ce qui existe a permis que des mers pussent séparer les nations; mais il a défendu à ces mers de les désunir. Les hommes ont des besoins si variés, qu’ils ne peuvent les satisfaire sans communiquer ensemble, et sans être obligés de chercher, même au loin, des secours mutuels. Là, où dans les entrailles de la terre mûrit l’amalgame de l’or et de l’argent, là, un sol stérile se refuse à la production végétale; là, où les mines d’or et d’argent sont en abondance, là, un soleil dévorant seconde la paresse, appelle le sommeil, affaisse les facultés morales et physiques, chasse l'industrie et l'activité; tandis que sous une zone plus tempérée, tout ce qui est mcus-aire à la vie, croit avec profusion ; et l’esprit reçoit de la nature cette intelligence exquise, et surtout cette puissance de méditation qui lui dérobe des secrets dont l’homme enrichit l’œuvre de ses mains. De ces diverses productions de la tprre et du génie, résulte le commerce le plus varié, qui ne peut s’effectuer qu’avec le signe commun, le signe représentatif de tout ce qui peut être vendu, supplément universel de l’échange, cette source intarissable de discordes. Et ce signe n’est pas seulement un signe commercial, il facilite encore les moyens de maintenir la balance entre les nations; il les contient chacune dans les limites que le droit politique a posées; il arrête ou repousse le bras sanguinaire des princes que tourmente l’amour d’une fau se gloire; il aiguise l’industrie, il féconde la richesse, il centuple le travail; avec ce signe, les forces, le temps, les lieux, le nombre, tout se compense. Attendez de la saine doctrine monétaire un bien d’une plus grande importance, lorsque unie à la liberté, ce double flambeau éclairera toutes les nations snr leurs véritables intérêts: alors' elles reconnaîtront la possibilité d’une monnaie universelle et commune, qui ne dépendra ni de la fécondité des mines, ni de l’avaiice, ni du caprice de leurs possesseurs : alors la confraternité, trop oubliée de l’espèce humaine, s’entrelacera par une circulation plus aimatde et plus active dans tous les rapports politiques et commerciaux. Alors on pourra dire de la doctrine monétaire, ce que l’orateur de Rom� disait de la loi : « Elle est une, elle est universelle ; elle est « la même pour Rome et pour Athènes; il n’y « a rien à y ajouter, rien à y retramher, elle « n’a besoin d’aucun commentaire. » Puis-ions-nous voir cette heureuse époque! et s’il faut on exemple, que ce soit l’empire des Français qui le donne I Mais poory parvenir, commençons par simplifier notre légime monétaire. Cette tâche est plus longue que difficile: car, Messieurs, en examinant sa dégénération, vous verrez se développer naturellement les vices innombrables qui s’y sont introduits, et le remède se présentera de loi-même. Il est tout entier dans le retour aux idées naturelles. Je tâcherai de découvrir les principaux abus de l’administration et de la manipulation des monnaies. J’espère que l’on m’entendra; car je substituerai un idiome intelligible à celte langue technique que l’on n’avait hérissée de mots barbares et inusités que pour donner une teinte scientifique à une doctrine très simple. Et dans ce mot doctrine , je comprends la suris novembre 1190.] veillance autant que la fabrication des monnaies; car je ne confonds pas avec ees deux genres d’opération, les connaissances historiques, métallurgiques, physiques, et moins encore les connaissances politiques qui constituent le véritable monétaire. .Je ne jetterai qu’un coup d’œil rapide sur l’origine et les progrès des monnaies, parce que, s’il est nécessaire d’en esquisser 1 histoire pour faciliter les déductions élémentaires, c’est l’examen du régime actuel qui nous importe; et certes, il ne présente que trop d’observations et de détails pour fatiguer votre attention. J’indiquerai les principaux traits de la législation monétaire de Rome, mais de Rome dans la vigueur de sa toute-puissance. Ce sont les lois de cette époque qu’il faut admirer, et non celles qu’ont promulguées les despotes de Rome asservie et dégénérée. Dans ce développement sommaire, on verra le principe fondamental des monnaies assis sur une base immuable; et il naîtra de lui plusieurs vérités secondaires qui deviendront autant de principes. J’ai fouillé dans nos décombres scientifiques pour y trouver quelques lambeaux relatifs à mon sujet; et je dois avouer qu’en vous soumettant ce fruit de mes recherches, je ne vous ferai pas un magnifique présent. Je vous dirai ensuite comment la cupidité, l’orgueil, l’ignorance et le démon de la fiscalité ont renversé le principe fondamental et déguisé les vérités secondaires; comment une des branches les plus importantes de notre administration a été viciée, ce qui s’en est suivi; et j’établirai la possibilité de rendre au système monétaire son lustre primitif, en le ramenant à la simplicité inhérente à son essence. J’ess.iyerai enfin d’en déterminer les moyens de détail. L’examen de notre système monétaire, entrepris avec une attention scrupuleuse, a dû produire le projet d’un régime entièrement neuf, ainsi qu’un nouveau code; j’aurai l’honneur de vous les soumettre. Tel est, Messieurs, le plan du travail ingrat, pénible, mais utile, pour lequel je demande votre attention. Ire Partie. — De l'origine et du progrès des monnaies. Je ne vous promènerai pas dans cette région de fables qu’ont parcourue Joseph, Albéric, Bout-teroue, et tant d’autres, pour déterminer l'époque fixe de l’invention de la mon aie et le nom de son inventeur. Je dirai simplement avec Aristote et les lois de Rome, que la monnaie a été inventée pour subvenir aux difficultés inséparables de l’échange (l). Avant la conception de ['idée propriété, avant que ces mots tien et mien eussent tracé des limites sur la possession commune, on n’avait pas besoin d’échange�; mais dès qu’on a pu comparer sa force avec la faiblesse des autres, son génie avec la torpeur des autres; dès que l’activité de l’esprit eut inventé des besoins factices, et surtout dès qu’ils furent devenus aussi impérieux que les besoins lus plus réels: alors naquit l’échange, simple d’abord, puis compliqué eu raison de la diversité des besoins. (1) Inventa est pecunia ut difjtcultatibus permutatio-num subvenir et. (Aristot., Polit., lib. I, cap. vi.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1790.J Je ne pouvais pas échanger avec vous contre des productions de la terre, qui me manquaient, l’arc et le carquois que j’avais à vendre, parce que vous n’en aviez pas besoin, je ne pouvais pas les échanger avec .votre voisin, parce qu’il ne possédait pas ce que je cherchais Les échanges éprouvaient donc une foule de difficultés, mais les plus grandes étaient celles que suscitait la mauvaise foi, abusant du besoin. De là est née l’invention d’une mesure commune propre à l’achat de tout ce qui pouvait se vendre. Définition de la monnaie. Celte mesure a été appelée monnaie et elle a été définie (1). un moyen quelconque qui donne la mesure de tout ce qui entre dans le commerce. Principe fondamental. La monnaie n’est un moyen quelconque , que parce qu’elle est un signe de confiance; et pour le dire en passant, cette expression quelconque s’opposait à toute idée d’une matière exclusiv - ment propre à la fabrication de la monnaie. Là vient échouer l’ignorance des docteurs qui n’admettent que l’or et l’argent pour monnaie, ils n’ont pas porté loin leurs regards. A Sparte, ils eussent trouvé une monnaie de fer. A Rome, on n’a connu pendant 484 ans qu’une monnaie de cuivre. Qui ne sait qu’alors que la séductrice monnaie d’argent et d’or put acheter le consulat et la pré-ture, la prévarication et l’ignorance se sont assises dunt la chah e curule; que la corruption a gangrené les membres du corps administratif, et que Rome < st disparue pour ne plus laisser que le souvenir de son ancienne grandeur? Les premières monnaies de nos ancêtres les Gaulois, furent de cuir i�2); et c’est une étymologie curieuse que celle du mot latin pecunia (monnaie) puisqu’il dérive très probablement de pecu, mot celtique équivalent de bétail, et qu’il est singulièrement a proprié à la nature de la monnaie faite avec la peau du bétail (3). On trouve ailleurs des monnaies de pâte cuite , de coquilles, d’écorces d’arbres ; et tous ces signes monétaires viennent à l’appui de ce principe immuable : « que la monnaie est un signe de « confiance publique, une matière quelconque qui « sert de mesure à tout ce qui peut se « vendre ». Quant au progrès de cette invention, les détails que l’on nous a conservés sur les monnaies romaines, peuvent donner une idée de ce qui s’est pratiqué ailleurs. Les premières monnaies romaines consistaient en masses de cuivres gue l'on pesait. L’embarras de cette pesée fit naître l’idée de donner des masses de matière d’un poids déterminé, et d’assurer la vérité de ce poids par l’empreinte des caractères qu’apposait un officier public : à rne-(1) Medium quoddam per quod metimur omnia quœ in commercio cadunt. (Aristot., ibid.) (2) Bouteroue, Isidore, Cassiodore. (3) Pecunia a pecudis tergo. (Cassiod.) Pecunia prius de pecudibus et proprietatem habebat et nomen ; de corio enim pecudum nummi incidebantur et signabantur. �Isidore. 221 sure que le génie des arts a embelli les choses humaines, on a donné à la monnaie |a beauté dont elle est susceptible ; et bientôt employée à conserver le souvenir des grands événements et des lois importantes, la monnaie est devenue une collection de monuments historiques et politiques. Le principe fondamental des monnaies une fois posé, considérons la monnaie dans son influence politique. Il est impossible que l’on se passe de monnaie; sans elle, l’agriculture, cette inépuisable nourrice des sociétés humaines, languirait, et l’on ne pourrait obtenir ces expériences qui ne s’acquièrent qu’à l’aide d’ouvriers qu’il faut salarier, de machines qu’il faut faire construire, de procédés qui résultent de mélanges d’ingrédients qu’il faut acheter. Les manufactures, les arts mécaniques ne peuvent triompher des difficultés et rivaliser avec la nature, qu’avec des milliers de moyens et de liras. La stagnation de nos ateliers, provenant de la disette du numéraire, est la preuve la plus récente et la moins équivoque de cette incontestable vérité. L’or, l’argent et le cuivre sont les métaux le plus universellement adoptés de nos jours pour monnaie, quoiqu’il y ait des pays où l’on se serve encore de coquilles. Une erreur presque universelle et très importante dans ses conséquences, a placé sur la même ligne ces trois métaux, pour en faire concurremment de la monnaie. Principe corollaire ou première vérité secondaire. Les plus savants monétaires, les raisonneurs les plus exacts (1) conviennent qu'il ne faut se servir que d’un seul métal pour signe monétaire; et cela est évident, puisque la monnaie est une mesure, et qu'une mesure doit avoir les mêmes rapports dans toutes ses parties (2). Or, il est impossible de trouver dans l'or et dans le cuivre les mêmes rapports que dans l’argent. C’est cette confusion purement artificielle qui a introduit l’étude de la proportion entre l’or et l’argent. Mais, comme cette proportion varie sans cesse, parce que l’or, devenant plus ou moins rare, devient plus ou moins cher, on a profité de cette vacillation pour rendre la doctrine monétaire de plus eu plus inintelligible, et, de cette obscurité, pour faire des opérations ministérielles, très lucratives, ou plutôt des manipulations très frauduleuses. Que l’on n’induise pas de ces mots,quej’entends critiquer, comme ou l’a déjà fait dans cette Assemblée, la refonte de 1785, en ce qui concerne la fabrication et le titre de nos louis. J’ai sous les yeux la pièce la plus authentique qui puisse exister en pareille matière ; elle m’a confirmé dans l’opinion que les anciens louis n’étaient pas au titre, à 3 et 4 trente-deuxièmes près, et je crois à cette vérité, parce que des expériences multipliées faites chez nos voisins, et les irré-plicables arguments de nos plus habiles monétaires, me l’avaient annoncée (3). J’ai dit qu’il ne devait y avoir qu’une matière pour la monnaie ; en concmrons-nous qu’il faille (1) Locke, Stewart, Harris, etc. (2) Voyez la note B, à la suite do cet ouvrage, sur la proportion. (3) Voyez, à la suite de cet ouvrage, note C, le tableau des expériences faites, en 1788, sur les vieux louis. 222 |A s semblée aationalé.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (2 novembre 17âüJ rejeter de la fabrication dès espèces les autres métaux f Deuxième principe corollaire . Non, sans doute : on peut choisir l’argent pour mesure monétaire, parce que les inines d’argent sont plus abondantes que celles d’or : mais on peut faire usage d'autres matières pour la facilité du commerce, du cuivre, par exemple, pour descendre le signe monétaire au prix de la marchandise qui ne pourrait atteindre l’argent, lequel, étant d’une valeur trop élevée, n’est pas susceptible d’être divisé en parties du prix le plus bas, et de conserver en même temps un volume suffisant pour envelopper ces parties. On pourra se servir d’or pour élever le signe monétaire à l’acquisition des objets de grande valeur et pour la commodité des voyages; mais ces espèces d’or varieront de prix en raison de i’a-bondance ou de fa rareté de l’or; elles seront plutôt une marchandise qu’une monnaie; et l’empreinte servira à rendre authentique la vérité du titre et du poids, et non à assurer la valeur fixe et invariable de l’espèce. L'argent peut donc devenir et être appelé mon~ naie constitutionnelle, tandis que l’or et le cuivre ne donneront qu’une monnaie qu’on peut appeler signe (1) secondaire ou additionnel. 11 est possible enfin d’imaginer tel signe monétaire qui, sans renfermer une valeur variable, une valeur intrinsèque, inhérente à sa matière, aura* au contraire, une valeur fixe, immuable, et réellement adhérente au moyen du gage extérieur qui lui sera hypothéqué. Et voilà comment le papier peut devenir une monnaie, si on lui donne pour sûreté une hypothèque territoriale. De là naît un troisième principe. Troisième principe corollaire. La monnaie est non seulement une mesure, elle est encore un gage , une sûreté. Par une bizarrerie singulière, les auteurs se sont attachés à considérer la monnaie daus sa forme, sa matière, son empreinte, sa valeur, son titre et son poids ; et croyant avoir tout dit, ils ont oublié de rapprocher ce qu’ils avaient jeté d’une manière vague sur les caractères constitutifs de la monnaie; je suppléerai à cet oubli. Quatrième principe corollaire, Six caractères essentiels constituent la monnaie : 1° Il faut qu’elle soit fabriquée et mise en circulation par la souveraineté; 2° Qu’elle porte l’empreinte déterminée par la souveraineté; 3° Qu'elle ait une valeur fixée par la souveraineté; 4° Qu’elle ait un gage pour sûreté de cette valeur ; 5° Qu’elle soit garantie par la souveraineté; 6° Que personne dans l’Empire ne puisse la refuser. Cinquième principe corollaire t De ces six caractères dépend la con fiancé qu’on doit avoir dans une monnaie; et j’obsérve à ce propos qu’il faut distinguer entre la Confiance qu’une chose doit inspirer, et la confiance qu’ellè inspire. En matière législative, on doit croire que tout ce qui est digne de confiance l'obtient; et si le public semble refuser la confiance à ce qui en est digne, ce ne peut être que par une de ces manœuvres contre lesquelles le pouvoir .législatif doit provoquer le pouvoir exécutif. Toutes les fois qu’on pourra appliquer à une matière quelconque, les six caractères qui constituent la Véritable monnaie, celte matière Sera propre à devenir monnaie ; et comme ils sont applicables à d’autres matières qu’à l’or et à l’argent, on pourra faire d’autres monnaies que d’or et d’argent ; ainsi nous pourrions, on toute rigueur, nous soustraire au joug tributaire de l’Espagne et du Portugal, qui seuls possèdent les grandes richesses en mines d’or et d’argent. Mais l’or et l’argënt sont des métaux encore moins précieux, comme métaux destinés auid monnaies, que parce qu’ils sont les maliétes premières de plusieurs branches d’industrie qui fait vivre des milliers de familles : il faut conséqilem-ment faire en sorte de maintenir ces métdux au plus bas prix possible. Sixième principe corollaire. Et comme on les a choisis pour matières monétaires, il est important de veiller tellement à leur prix, qu’il n’en résulte aucune variation brusque dans la valeur de nos espèces ; car c’est un axiome que la monnaie devrait être invariable. Septième principe corollaire. Ici s’offre un des plus singuliers problèmes de l’économie politique ; problème peut-être insoluble, mais certainement digne d’être médité. Pour que la valeur de nos espèces ainsi que celte de leur matière ne varient pas, pour qu'elle descende et reste au plus bas prix possible, ne faudrait-il pas se rendre maître de cette valeur ? Quelques observateurs croient que l’on s*en rendrait maître, et contre, les propriétaires des mines, et contre les manœuvres de la cupidité, si la nation se réservait la vente exclusive de Vor et de l'argent. Lorsque l’on s’apercevrait que l’uq des deux métaux tend à s’élever, ce qui ne petit provenir que de sa rareté, on en ferait une plus grande émission. On en arrêterait la vente, lorsqu’une trop grande abondance menacerait d’une diminution de valeur. A supposer qu’une administration de ce genre, autrefois adoptée par plusieurs gouvernements (1) pût atteindre son but, elle serait évidemment favorable aux ateliers d’industrie sûrs de trouver sans cesse, et toujours au même prix dans un dépôtpublic, les matières dont ils auraient besoin. Leurs entrepreneurs n’en feraient point de provisions qui exigent des fonds considérables; cèux (1) ôâiraüt, page 12. (1) Èouteroue, Ælhaffen, Boraitius, etc. Voyei la note D à la suite de cet ouvrage. [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [S novembre 1790.] 223 qui n’ont pas de grands capitaux ne passeraient plus par la filière de l’astuce mercantile. Le commerce y gagnerait d’assez grandes facilités : le Trésor national servirait de lieu de sûreté, pour le dépôt des métaux précieux que les commerçants ne voudraient pas conserver chez eux en grande masse : sous la modique redevance de 1 0/0, on leur remettrait des reçus com-merçables, et ces papiers vaudraient des effets payables à vue, que les négociants pourraient diviser dans leurs payements, moyennant une lettre de change eil valeur de matières. Le gouvernement, disent les partisans de ce système, ne pourrait pas abuser d’un tel monopole; et comme le commerçant particulier se trouverait dans l’impossibilité de lutter avec avantage contre un établissement qui, par sa nature, déjouerait la contrebande, cet établissement remplirait son but. Du moins s’il est une nation qui pût se flatter de le faire réussir par la prépondérance que lui donnent ses productions naturelles et sesrichessesrelatives, surtout dans ses rapports avec les principaux propriétaires des mines, c’est la nôtre; car si l’Espagne essayait de hausser ou de baisser le prix des métaux précieux au gré de son caprice, on peut soutenir, le bordereau de la balance de notre commerce à la main, que notre indm-drie ayant repris sa vigueur, que notre commerce rendu à son ancienne activité, nous aurions annuellement 8ü à 100 millions à opposer aux efforts impolitiques de l’Espagne, puisque dans l’ancien régime même, avant la langueur désastreuse qu’a causée l’ineptie de notre ministère, tel a toujours été notre état de situation. Huitième principe corollaire. Ehl qui peut douter que notre richesse métallique ne dépende de notre industrie? C’est un Véritable axiome que les richesses des mines sont moins pour leurs propriétaires que pour ceux qui ont de l'industrie, de l'ordre , de la prudence et de l'activité. En un mot, ne manquant jamais de matières, nous en fabriquerions, en raison du besoin ; et ce besoin est facile à calculer, car c’est encore un axiume que la quantité d'argent nécessaire au commerce ne se mesure que par la vivacité de sa circulation (1), et comme il est constant que trop de numéraire produit l'effet d'en laisser une partie dans l'inaction, tandis que trop peu de numéraire engourdit l'agriculture, les arts et le commerce (1), et hausse le taux de l'intérêt; comme il est constant que la rareté des espèces cause une inquiétude qui fait resserrer le numéraire et augmente d'autant cette rareté , oh pourrait croire qu'il importe pour lé bien de tous, que la nation ait seule le droit de la vente de l’or et de l’argent, de même que pour le bien de tous, elle a seule droit sur les mines de ces métaux (sauf les plus généreuses indemnités) ; car la matière du signe commun doit être une propriété commune. La liberté, et surtout la liberté du commerce, voilà le grand argument contre cette proposition. Si l’on réfléchit qu’il n’y a peut-être pas cent personnes en France assez riches pour faire ce commerce, qui deviendrait une source d’agiotage; on pourrait demander, l’intérêt de 100 combattant Contre l’intérêt de 25 millions de Français, lequel doit l’emporter ? (1) Voyez Locke, sur les rentes et l’augmentation de la valeur des espèces. (i) Locke, ibia. Cette théorie vaut certainement d’être approfondie, et c’est à l’analyse la plus exacte qu’il faut en confier l’examen. Mais son application n’étant qu’une mesure administrative, il n’est pas nécessaire d’avoir pris un parti à cet égard, pour fixer les bases constitutionnelles dé la législation des monnaies, qui doit être uniquement fondée sur le petit nombre de principes qUeüOus avons établis. Les appliquer à chacune des parties du régime monétaire, est maintenant le travail facile d’un jugement simple et droit. IIe Partie. — Régime monétaire ancien et moderne. En convenant d’un signe qui représentât tôüf ce qui peut se vendre, on a senti d’abord la nécessité de lui imprimer un caractère qui le Tendit sacré pour toute la famille des homtneS. Ensuite s’est présentée une seconde nécessité, celle d’attribuer à quelqu’un le droit de faire apposer sür ce signe la marque qui devait constater son authenticité. Graduellement ou a compris qu’il était impossible de se dispenser de surveiller ceux auxquels on en confierait la manipulation, de leur prescrire la manière dont ils opéreraient, de les astreindre à une comptabilité; et voilà, Messieurs, comment se développe la nécessité d’un régime monétaire ; mais aussi dans ces trois mots, surveillance, manipulation, comptabilité, consiste tout ce régime relativement à la fabrication; et vous concevez qu’il n’est pas besoin de trois Corps, tant administratifs que judiciaires, et moins encore, de plus de douze cents personnes pour un genre d’opération qui n’eu exige pas tfenté-siX, comme je vous le démontrerai bientôt. Nous n’avons aucun renseignement sür lé Régime monétaire des Gaulois : nous savons seules ment que lorsque les Français ont repoussé l’Aigiô de Rome au-delà des Alpes, ils ont conservé lé régime des monnaies romaines ; ce qui m’a déterminé à jeter un coup d’oeil, non sur ce régime surchargé d’inutilités par Constantin, mais sur le mode simple qui était en usage dans les six premiers siècles de Rome. Régime monétaire des Romains t Nous avons vu que pendant quatre-centquatre-vingt-quatre ans, Rome n’a eu qu’une monnaie de cuivre; nous savons que, dans l’origine, elle était coulée, et nous ignorons quand on a commencé à la frapper. Nous ne connaissons pas davantage lé régime administratif de ces premiers temps; ce n’est que près dequatre-ceflt-soixante-trois années après la fondation de Rome qu’on trouve trois magistrats chargés de la fabrication des monnaies (on les appelait Triumvirs pour la fonte et le monnayage du cuivre). On trouve sur les monnaies d’alors cette désignation en abréviation: III. V. A. FF., ce qui veut dire Triumviri œre flando feriando. Lorsqu’tm 484 ils firent fabriquer des monnaies d’argent, et soixante-deux ans après, des monnaies d’or, ces triumvirs ajoutèrent d’abord un second A, puis un troisième à la légende des monnaies (1), pour indiquer qu ils étaient aussi les magistrats chargés de veiller à la fabrication de ces deux métaux précieux. Voilà la simplicité (I) III. V. A. A. FF; III. V. à. A. fil Fi • 224 [Assemblée nationale.] de l’administration des Romains pendant plus de cinq siècles, et c’est ce régime que nous avons d’abord adopté. Notre ancien régime monétaire. Ensuite, et sous les deux premières races de nos rois, nous trouvons deux officiers monétaires; savoir : le garde des trésoriers du roi, qui correspond au compte des dépenses impériales (1), officier créé-par Constantin ; et le monétaire qui travaillait sous l’inspection des comptes des villes. Boizard prétend qu’il y avait, en outre, des procureurs et maîtres des monnaies; mais c’est qu'il n’a pas lu une ordonnance de 1339; il y aurait vu qu’on désignait la même personne sous les trois qualifications. On pouvait être garde du trésor du roi en même temps que monétaire : saint Eloi était l’un et l’autre. C’est sous la troisième race de nos rois qu’on trouve les administrateurs du régime monétaire avec la désignation de généraux-maîtres des monnaies, et il n’y en avait que truis; on en porta le nombre à quatre, puis à sept; on en a réformé deux : on les a recréés : de telles variations tenaient à la protection plus qu’au besoin. Dans le quatorzième siècle, on réunit en un seul corps les trésoriers des finances, les maîtres des comptes et les généraux des monnaies; mais comme leurs fonctions étaient très distinctes, ils travaillaient dans des chambres différentes. Dans la suite, ces géuéraux-maîtres ont été séparés des maîtres des comptes et des trésoriers des finances, et ils ont formé un tribunal sous la dénomination de Chambre des monnaies. En 1359, on fixa leur nombre à huit, et on leur adjoignit un clerc. Deux de ces généraux, en qualité de commissaires, faisaient leurs tournées dans les provinces et rendaient compte à la Chambre de leurs inspections. Charles Vil créa un office de procureur du roi, et douze années après un de greffier. François Ier ajouta à ce tribunal deux conseillers de robe longue et un président. Soit esprit de fiscalité, soit pour établir une balance entre les généraux de robe courte et longue, on augmenta, en 1551, la compagnie de trois généraux de robe longue. Enfin, on supprima les généraux de robe courte, et un édit transforma la Chambre des monnaies en cour souveraine. Notre régime moderne. Si l’on fait attention, d’une part, au peu de fonctions que l’on donnait à cette cour des monnaies, et au nombre excessif de quarante-sept magistrats dont on composait un tribunal inoccupé; si, d’un autre côte, l’on considère la nature des privilèges lucratifs qu’on lui a accordés, et singulièrement celui de la noblesse au premier degré, on sera convaincu que la création d’un semblable tribunal n’était qu'une opération fiscale, dictée par le besoin d’argeut, que l’on ne pouvait soutenir qu’autaut qu’on présenterait des appas séduisants pour des gens riches et assez forts pour croire qu’une charge de conseiller d’inutile cour des monuaies, pouvait être une illustration. Alors, comme aujourd’hui, on croyait qu’il était de la plus grande importance que tout ce qui concernait l’administration des monnaies fût un {S novembre 1790.] secret impénétrable, parce qu’on regardait les opérations de Philippe le Bel et de Valois comme d’heureuses ressources dans des temps de crise : cependant on comprit qu’il était impossible qu’une compagnie de quarante-sept magistrats, auxquels on pouvait ajouter quinze ou vingt honoraires ayant droit de séance, pût garder le silence sur des opérations secrètes; aussi ne lui donna-t-on aucune part au régime administratif qui fut concentré dans le département du ministre des finances. Nous connaissons la tactique de ce département, toute réduite en bureaucratie. Jamais ministre des finances n’a eu la moindre notion de la science et du véritable régime monétaire. Jamais premier commis des finances n’a instruit sur celte matière le ministre, qu’en répétant la leçon trouvée dans le papier que lui avait remis le chef de bureau chargé de cette partie ; et ce chef de bureau, qui visait à une place plus lucrative, répétait la leçon d’un de ces travailleurs routiniers, qui eux-mêmes ne voyaient dans la science des monnaies, que l’art d’élever, au plus haut rapport, le bénéfice du droit de seigneu-riage, et les émoluments accidentels résultant des remèdes d'aloi et de poids ; ce sont, Messieurs, deux mots sacramentaux, ou plutôt barbares, dont j’aurai soin de vous expliquer, dans son temps, la valeur. La science des bureaux ne devrait consister que dans un grand ordre de cartons, afin de pouvoir trouver les pièces au moment où l’on en a besoin; ajoutez-y le talent de rédiger avec précision un ordre, une lettre, une instruction, et vous aurez l’art d’un commis de bureau : pour peu qu’il s’élève au-dessus de cette routiue, soit audace, soit véritables talents, on le place dans le poste auquel il semble le plus propre; mais le poste de chef de la partie des monnaies était une de ces issues obscures, où l’on ne s’arrêtait jamais, tant était invétérée l’ignorance des grands principes monétaires. Il ne fallait que du bon sens pour entrevoir beaucoup de vices à corriger dans le régime de la fabrication ; mais n’ayant pas ass> z de connaissances pour trouver le remède, l’administration faisait des tâtonnements aussi absurdes les uns que les autres. Tantôt on abandonnait le vice de l’affermage des monnaies lait en détail, pour une ferme générale : bientôt après les inconvénients de la ferme générale se faisant sentir, on cassait le bail, et l’on revenait à l’affermage en détail : mais presque aussitôt on résiliait les baux particuliers et l’on recréait un fermier général des monnaies; l’ignorance était telle que le dernier fermier général des monnaies les avait avec une convention tacite, mais formelle, d’une remise de toutes les amendes ou condamnations à restitution qu’il pourrait encourir. Colbert lui-même fut entaché de celte ignorance; il donna les mains à ces variations multipliées. Enfin, l’on parvint à concevoir qu’une monnaie portant l’empreinte de la souveraineté, ou du chef de la nation, devait être frappée par des préposés de confiance, et non par des fermiers avides de gain; et, comme il y avait une vingtaine d’ateliers monétaires à chacun desquels un directeur était préposé, on comprit qu’il fallait un point de ralliement, un directeur général , avec lequel tous les directeurs particuliers correspondissent. Ou se détermina d’autant plus aisément à ce parti, que l’on ne put se dissimuler que cet offre de directeur général, une fois établi, celui qui en serait revêtu, s’occuperait plus sérieuse-ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (1) Cornes sacrarum largitionum. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1790.] 225 ment d’améliorer cette administration. Ces premiers aperçus répandirent un plus grand jour sur l’importance de la partie monétaire. On entrevit ses liaisons avec le commerce, et le directeur général des monnaies devint membre du conseil royal des finances et du commerce pour y être appelé, dès qu’il s’agirait de questions de monnaies. On ne tarda pas à éprouver quelque bien de cette innovation ; mais, comme toujours les intérêts particuliers sont en contradiction avec le bien général, et que, dans l’ancien, régime, le bien général était constamment sacrifié au bien particulier. A la mort de M. Guyon, la fameuse Mme de Pompadour fit supprimer la charge de directeur général, pour donner plus de lustre et plus d’émoluments à celle de trésorier général, qu’avait le sieur Deschamps, son protégé, qu’elle n’osait pas faire directeur général, parce qu’alors le préjugé s’opposait à ce qu’un enfant naturel obtînt le poste éminent auquel l’avait appelé son génie. Depuis l’époque de cette suppression, une croûte d’ignorance et d’avarice a tellement recouvert les principes invariables de ta doctrine monétaire, qu’entre autres absurdités et sous l’administration de M. Necker, de ce directeur général des finances si vanté, il a paru, le 22 août 1779, des lettres patentes qui ont ordonné la.fabrication de pièces de 6 sols, en employant les poinçons à V effigie du feu roi, concurremment avec le millésime de l’année 1779; et ces pièces ont été monnayées; c’est-à-dire que l’on a commis un faux, et compromis la tranquillité du public qui, heureusement, n’a pas pris garde à ce millésime. Je dis qu’on a commis un faux, et en effet, une monnaie étant un billet dont l’effigie du prince est une signature, comme ce ne peut être que par un faux que fou mettra sur un billet la signature d’une personne morte, ce ne peut être que par un faux que l’on mettra sur une monnaie l’effigie d’un prince mort depuis cinq ans. On sait que fréquemment un ministre ignorait ce qu’on lui faisait proposer au conseil du roi; il resterait donc à connaître si l’on doit imputer ces absurdes Jettres patentes à M. Necker, ou à celui (1) qui était alors à la têie de l’administration des monnaies. Gela est d’autant plus incertain, que l’on trouve d’autres monuments signés de ce chef des monnaies, qui feraient foi qu’il ignorait les premiers éléments de la doctrine monétaire, ou qu’il en bravait les principes. Je citerai, entre autres, une lettre circulaire du 2 avril 1779, par laquelle il se plaint de ce que les espèces d’or et d’argent sont trop bien faites, c’est-à-dire de ce qu’on ne fabrique pas les pièces assez faibles pour qu'il en puisse résulter un plus grand bénéfice pour le roi. CJn administrateur pouvait-il donc ignorer que le faible est un remède et non un bénéfice monétaire; que si l’on tolère que les pièces soient un peu plus faibles que ne le prescrit la loi, c’est parce qu’il est physiquement impossible d’approcher, à l’aide des balances ordinaires, du point mathématique déterminé par les édits (2) ? (1) M. do Lessart que M. Necker a reporté à la tête des monnaies depuis qu’on lui a confié de nouveau les rênes de la finance. (2) Cette lettre est d’autant plus précieuse qu’elle prouve jusqu’à l’cvidencc que nos administrateurs signaient aveuglément ce que leur présentait le commis de confiance. Jïl. de Lessart l’avait signée au bas de la lre Série. T. XX. Je pourrais produire la preuve de plusieurs autres bévues de ce genre et peut-être d’une plus grande ignorance; mais il ne faut pas les imputer à M. Necker ou à l’administration des monnaies comme auteurs directs; ils n’y ont d’autre part que l’approbation et l’apposition des signatures. Ehl qui donc ignore aujourd’hui comment était dirigé le gouvernement que regrettent tant d’imbéciles docteurs ou de prétendus bons citoyens. Des commis importants faisaient tantôt un édit, tantôt un arrêt du conseil; ils en disaient deux mots au chef qui n’y entendait presque rien; le chef en disait deux mots au ministre qui n’y entendait guère plus; le ministre faisait son rapport au conseil par-devant les conseillers d’Etat qui n’y entendaient pas davantage; et voilà la loi faite. D’autres fois ces commis, ne sachant quel parti prendre, écrivaient des lettres qui n’avaient pas le sens commun ; ils les faisaient signer par les ministres qui souvent ne connaissaient de la lettre que ce qu’en avait voulu dire un commis. La manière des ministres était singée par tous les chefs que le crédit et non le talent avait mis à la tete de quelque partie de l’administration ; en dernière analyse, c’était un commis subalterne qui faisait la besogne. C’est ainsi que la partie des monnaies a été dirigée dans le temps qu’il n’y avait qu’un commissaire du conseil pour la législation et le contentieux. C’est encore ainsi qu’elle est dirigée depuis qu’on a créé un comité des monnaies; car il existe un comité de trois personnes quoiqu’on ne voie que la signature de M. de Lessart; et c’est aujourd’hui comme c’était en 1779, un protégé de M. Necker et de M. de Lessart, qui, en qualité de premier commis des monnaies, conduit la barque monétaire. On peut juger des lumières de ce commis par l’arrêt du conseil qu’il a fabriqué très récemment, relativement au titre auquel les directeurs sont obligés de recevoir au change les anciens louis; arrêt que les directeurs sont obligés d’éluder d’une manière préjudiciable à la chose publique, s’ils veulent se mettre à couvert des pertes auxquelles ils sont inévitablement exposés par l’ignorance du gouvernement (1). Vous n’imaginez pas, Messieurs, combien j’aurais encore à vous révéler de turpitudes sur la partie administrative des monnaies : je pourrais vous parler de ces offices créés pour avoir droit d’accorder des logements et des appointements, tels que les inspecteurs généraux, qui n’inspectaient pas, auxquels on donnait 9,000 livres; un contrôleur général qui ne contrôlait rien, et qui pour cela avait 12,000 livres; un contrôleur des bâtiments, avec un traitement de 8,000 livres et le logement ; un inspecteur des bâtiments, auquel on donne 1,200 livres; un trésorier général de la plus parfaite inutilité; un premier commis, avec des gages exorbitants; enfin, je. pourrais faire le tableau le plus vrai du plus grand gaspillage; mais j’ai tant d’autres vices à relever daqs la partie de la fabrication, que je me borne à cette esquisse : elle doit vous faire désirer de voir à la tête du régime monétaire des chefs qui ne soient pas des mannequins tournant au gré de tous les vices, mais des hommes utiles, des hommes instruits. IIIe Partie. — Fabrication des monnaies. Je considérerai dans la partie fabricative des première page, et la signature n’a pas été tellement grattée qu’en n’en aperçoive encore lies traces lisibles. (t) Voyez noie E à la suite de ce mémoire. 15 526 [Assemblée nationale»] ARCHIVES PARLEMENTAIRES* |2 novembre 1790.] monnaies, et les personnes et la chose : je parlerai d’abord des personnes. Je trouve dans un hôtel des monnaies uu directeur, un général provincial, deux juges gardes, un contrôleur contre-garde, un procureur du roi, un greffier et quelquefois plusieurs, des huissiers, un essayeur, un graveur, des ajusteurs et des mon-nayeurs. je ne trouve à Paris ni général provincial, ni procureur du roi; mais je vois à leur place deux commissaires du roi en l’hôtel des monnaies, et un greffier en chef. J’y trouve un contrôleur au change, un inspecteur au monnayage, et comme succurtal un alfineur et un caissier des affinages. Si je cherche à connaître les fonctions de tant de personnes différentes, je ne suis pas étonné de voir que le général provincial, les juges gardes, le contrôleur contre-garde, le procureur du roi, les greffiers et les huissiers composent un tribunal d’attribution, dont le général provincial est le chef; mais je ne conçois pas par quelle bizarrerie les juges gardes et le contrôleur contre-garde étant officiers de fabrication, leur président, ainsi que le procureur du roi, n’ont pas la plus légère inspection sur cette fabrication. Au reste, je ne fais cette observation que pour montrer combien l’administration monétaire est incohérente. Vous avez supprimé les tribunaux d’attribution, etcon-séquemmeut la juridiction des monnaies. Je ne vous parierai pas davantage des inutiles commissaires du roi en l’hôtel des monnaies de Paris, qui n’occupaient cette commission qu’en qualité de premier président et de procureur général de la cour des monnaies, dont la suppression entraîne celle de ce très inutile commissariat à finance. Officiers de fabrication. Le principal officier des monnaies, celui qui mérite véritablement votre attention, c’est le directeur ; et comme il est en rapport avec les autres officiers, il me restera peu de chose à noter sur ses coopérateurs. Autrefois, comme je l’ai dit, les. monnaies étaient affermées. Les rois en faisaient un objet de spéculation. Les baux portaient que les fermiers feraient une quantité déterminée de monnaies, et peu importait qu’ils ne l’eussent pas faite, parce que, quoiqu’ils payassent à raison de tant par marc, ils n’en payaient pas moins le trop , ou le trop peu fait , comme avant vous, Messieurs, on payait dans les pays d’aides l’horrible droit du trop et du trop peu bu. On conçoit les manœuvres que devaient se permettre ces fermiers : fabrications secrètes pour ne pas payer le trop fait; fabrications faibles en titre et en poids pour payer moins .-‘delà des lois sévères, d’autres ridicules, d’autres barbares. Mais plus une loi est absurde et féroce, plus il est facile de l’éluder. Je n’ai parlé de ces fermiers que pour rappeler des lois contre eux; et je ne rappelle ces lois, que parce qu’en supprimant le mode de l’affermage, on ne les a pas abrogées; que parce qu’on juge encore d’après elles, quoiqu’il n’y ait plus de fermiers des monnaies, et que les ateliers des monnaies soient sous la direction d’un officier qui subit examen, prête serment, après avoir obtenu des provisions, lesquelles sembleraient devoir être des titres de la confiance du prince, et qui le deviendront dans la suite, si l’on prend la précaution si simple et si sage du concours. Directeur. Dans l’état actuel, le 'directeur est non seulement un régisseur, en titre d’office, mais encore un trésorier, un acheteur, d’où résulte dans ses fonctions et ses droits un mélange vicieux. Le directeur, comme gérant au nom du prince, recevait des ordres de l’administration; comme fabricant, il était soumis à la censure de la cour des monnaies; comme acheteur, receveur et dispensiez il passait par là vérification de la chambre des comptes : pressé entre ces trois autorités, qui très souvent s’entrechoquaient, il n’avait d’autre ressource que le recours à l’autorité suprême ; mais il en résultait des réminiscences dont il était presque toujours victime: je pourrais vous en citer des exemples très récents. Le directeur n’est pas seulement soumis à ces trois genres d’autorités: on lui a donné en outre des surveillants; et vous verrez que la négligence ou la méchanceté de ces surveillants peuvent le tracasser et même le ruiner. 1° Le directeur ne peut pas acheter de matières sans l’assistance du contrôleur contre-garde, qui de plus inspecte et censure ses registres. 2° Il ne dépend pas de lui d’acheter ces matières à un autre prix que celui annoncé dans la loi, et ce prix dépend du tiire des matières; le directeur est obligé de souscrire au jugement que peuvent dicter l’ignorance, l’imprudence ou la méchanceté d’un essayeur auquel on le force de se soumettre. 3° La fonte des matières est surveillée par les juges gardes et censurée par l’essayeur. 4° Le directeur est obligé de se servir de graveurs, d’ajusteurs et de monnayeurs qui ne sont pas de son choix, et dont dépend la perfection de la fabrication. 5» Les juges gardes vérifient si les pièces sont au poids, si elles sont bien monnayées; et ils font remettre en fonte celles qui pèchent par la légèreté et par tout autre vice de fabrication . 6° Un directeur ne peut mettre dans le commerce que les pièces que les juges gardes ont déclarées, par un procès-verbal bien autenthique, être au titre, au poids, et bien monnayées. Vous croyez, sans doute, Messieurs, d’après ces précautions, un directeur à l’abri de toutes recherches ? Vous seriez dans l’erreur. Voici la barbarie de vos lois monétaires. Une cour des monnaies censurait à son tour le travail de ce directeur, et cela souvent deux et trois années après que la fabrication avait été mise en circulation ; d’où il arrivait que, si pendant cet intervalle, on avait fabriqué de la fausse monnaie au coin de ce directeur, on ne le condamnait pas moins, si cette fausse monnaie était jugée par des experts devoir être de sa fabrication, parce qu’elle avait été parfaitement imitée. Ce n’est pas tout ; ne supposons pas de contrefaçon; supposons que les pièces d’après lesquelles la cour des monnaies jugeait, péchassent par le titre, par le poids ou par un vice du graveur. Vous avez vu que le directeur était, par rapport au titre, obligé de s’en référer aux lumières et à la probité de l’essayeur, officier royal, et qu’il était de plus obligé de mettre ses pièces dans le commerce, dès que les juges gardes avaient prononcé ce jugement de délivrance: cependant on condamnait ce directeur à des peines pécuniaires très considérables si ces pièces s’éloignaient d’un infiniment petit du titre légal, quoique ce vice ne fût pas de son fait, et [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |2 novembre 1790.| qu’il n’eût pas dépendu de lui de le prévenir. Vous avez vu, en second lieu, que les juges gardes vérifiaient si les pièces étaient au poids; que le directeur était encore obligé de mettre dans le commerce toutes celles jugées telles par ces officiers. Néanmoins, si la cour des monnaies trouvait des pièces trop faibles, elle condamnait le directeur à une restitution et à de très fortes amendes. Vous avez vu, en troisième lieu, que le graveur n’était pas du choix du directeur, et que les juges gardes étaient tenus de veiller à la perfection de la fabrication. Eh bien, Messieurs, on a fait, il y a quelques années, le procès à un directeur, parce que Je graveur avait oublié un V sur des écus de 6 livres (ce qui faisait Louis XI au lieu de Louis XVI) et l’on a ordonné la refonte de ces écus aux frais de ce directeur; et ce fait est arrivé sous l’administration de M. Necker. Ainsi le ministre qui, onze mois auparavant, avait fait rendre une loi pour frapper des monnaies à l’effigie d'un roi mort, laissait pour l’omission dû V, punir un innocent, de l’étourderie d’un graveur, de l'inattention des monnayeurs, et de la faute de surveillance des juges gardes. J’ai dit que l’on condamnait un directeur à des fortes amendes, et voici encore une barbarie de la loi; quand même on ne trouverait qu’une pièce au-dessous du titre, que le surplus de la fabrication de toute l’année serait au titre, et même supérieur n’importe à quel degré, le directeur n’en serait pas moins condamné, comme si la fabrication de toute l’année péchait par le titre. Ainsi, un louis se trouvant au-dessus du titre à un trente-deuxième, qui ne vaut que sept deniers pour ce louis, un directeur, en raison de son travail, pourrait être condamné à 80 ou 100 mille livres, et il n’en aurait pas gagné le dixième. Voilà comment la fortune d’un directeur peut être compromise par l’impéritie ou la négligence de 1 essayeur et des juges gardes: et pour peu que des juges gardes et surtout un essayeur aient une vengeance à exercer contre un directeur, croyez-vous, Messieurs, qu’ils en laisseront échapper l’occasion? S’il était nécessaire de Vous donner des preuves d’une atrocité pareille, j’en connais deux exemples très récents. Je vous ai parlé des risques qu’avaient à courir les directeurs des monnaies; je vais vous indiquer les manœuvres d’un directeur qui serait fripon. Il aurait l’adresse de gagner l’amitié, la Confiance des juges gardes, de l’essayeur et des monnayeurs; il dirigerait ses fontes à son gré; il ferait monnayer clandestinenent et ferait passer à l’étranger des espèces faibles en titre et en poids qui ne retourneraient en France qu’après le jugement du travail de l’année. Ou a vu des directeurs, reconnus pour très honnêtes, avoir tellement la confiance des autres officiers d’une monnaie, que non seulement, jamais les officiers ne paraissaient dans les laboratoires, mais que les directeurs rédigeaient, eux-mêmes, les procès-verbaux de délivrance auxquels les juges gardes n’avaient d’autre part que la signature qu’ils apposaient. Dès lors, quelle facilité pour fabriquer à titre et poids au-dessous de la loi! Et, dans un cas pareil, n’y avait-il pas moyen de tromper, de séduire ou de corrompre l’officier chargé de procurer les pièces pour le jugement du travail? Gomme je ne me suis pas imposé la tâche de tout dire, mais seulement d’en dire assez, pour faire sentir les vices du régime monétaire et la nécessité de les réformer, je me bornerai à ce m simple aperçu, relativement aux directeurs et aux lois qui les concernent. Juges gardes. Quant aux juges gardes, vous en connaissez déjà les fonctions : et certes vous y remarquerez cette bizarrerie qui accumule le travail de You-vrier , l’opération de l’ expert et les devoirs du juge. Le même homme qui, assis devant un établi la balance à la main, pèse toutes les pièces d’une fabrication et les examine ensuite l’une après l’autre pour dresser un procès-verbal, ne doit certainement pas être celui qui prononce le jugement. Le procès-verbal des juges gardes équivaut à un jugement de première instance : il n’y en a aucun autre en cette partie. Je passe sous silence la négligence que se permettent les officiers et coopérateurs du travail monétaire dans la tenue des registres. Il y a peu d’hôtels dés monnaies auxquels on lie puisse reprocher un vice qui n’existerait pas, si, comme il y a deux siècles, on inspectait régulièrement tous les ateliers. Monnayeurs * Autrefois, on considérait tellement les personnes chargées de metire l’empreinte sur les monnaies, que les lois les plus anciennes leur avaient accordé de grands privilèges, et entre autres celui de transmettre à leurs seuls descendants le droit de mettre cette empreinte. Convenons que c’est porter un peu loin le respect du à la marque de la souveraineté ; un mon-nayeur inhabile pouvant porter préjudice au directeur, ou ne doit pas tolérer un droit qui peut nuire à un tiers. Le monnayeur ne doit être qu’un ouvrier de monnaie, comme celui qui fdnd, comme celui qui coupe la pièce en rond, celui qui met la marque sur l’épaisseur; ainsi le directeur doit être maître de choisir à son gré. Essayeurs. Si l’on fait des lois sages sur l’orfèvrerie, et accessoirement sur l’art des essais, on ordonnera qu’il y ait des essayeurs, mais des essayeurs instruits dans toutes les villes, où se trouveront des ouvriers dont la profession exigera l’emploi de l’or ou de l’argent. Mais ces essayeurs ne seront admis qu’au concours : alors l’office si dangereux d’essayeur de la monnaie sera inutile: on le supprimera comme pouvant nuire également à la chose publique et à l’intérêt particulier. Mais en voilà assez sur les personnes ; j’en viens à la chose, et je distingue dans la fabrication monétaire les ateliers et la monnaie. Ateliers monétaires. 1° Je vois à Paris un hôtel bâti avec toute la profusion du luxe extérieur et intérieur, et l’ignorance la plus stupide des principes de l’art et des simples notions d’un jugement droit. Au lieu de tout sacrifier à des écuries et à des remises ; au lieu d’une mauvaise distribution de bureaux, pourquoi n’avoir pas donné plus de soin aux laboratoires? Les ateliers pour l’or et 228 |Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |2 novembre 1790.] et pour l’argent sont confondus ; les laboratoires pour les fontes, placés ridiculement au-dessus du rez-de-chaussée, sont si petits, qu’il peut arriver journellement des accidents. Enfin, l’on a construit un palais, tandis qu’il ne fallait qu’une manufacture. Les autres hôtels des monnaies du royaume ont, du plus au moins, les mêmes défauts ; et cela, parce que des architectes présomptueux ne veulent pas consulter les directeurs des monnaies, qui seuls pourraient leur donner de sages conseils. 2° Pourquoi notre fabrication se fait-elle avec le plus grand secret? C’est dans le temple de Junon et en présence du peuple, qu’à Rome on fabriquait la monnaie. Celui pour qui la monnaie est faite n’a-t-il pas le droit de voir si on ne le trompe pas ? 3° Lorsque je calcule la quantité de monnaie qu’un atelier bien dirigé peut fabriquer dans le cours d’une année ; lorsque je réfléchis qu’une fois l’organisation monétaire bien réglée, on ne se permettra plus de refonte générale ; lorsqu’enlin je compte dix-sept hôtels des monnaies en France : je demande à quoi servent tant de rouages inutiles, si ce n’est à augmenter la dépense, à nuire à la bonté, à la sûreté de la machine? Nous aurions dix milliards de numéraire, que dix-sept hôtels des monnaies ne seraient pas nécessaires pour maintenir cetie proportion des signes. Soit que l’on supprime, soit que l’on continue à percevoir les bénéfices sur les monnaies, l’intérêt public exige la réforme de tout ce qui est inutile, et l’allègement des charges. Passons des ateliers, aux monnaies. Espèces monétaires. Nous avons des monnaies d’or, d'argent, de bil-lon et de cuivre. 1° Ces monnaies sont vicieuses dans leurs empreintes, dans leurs valeurs réelles, dans leurs valeurs numériques, dans les rapports de titre et de poids ; 2° La fabrication des monnaies est très simple; on en a rendu la théorie obscure; c’est ce que Garrault (1) appelait il y a vingt ans, la science secrète qui ne s’apprend d'ailleurs que chez les généraux-maîtres des monnaies , avec serment de ne pas la révéler. Révélons, au contraire, celte science dont on n’a pas plutôt fait un secret, que la confiance qui doit régner entre les nations, a été détruite. Espèces de cuivre. Vos espèces de cuivre ne sont pas rigoureusement une véritable monnaie; mais, comme je l’ai déjà dit, un signe pour descendre, de la véritable monnaie, au dernier degré d’échange des choses du plus bas prix. Je ne parlerai de ces signes que pour vous représenter qu’ils sont fabriqués avec trop de négligence et que leurs empreintes devraient avoir le plus haut degré de perfection ; parce que cette perfection fait partie du luxe digne d’une grande nation, et que ce luxe est utile, en ce que cette perfection fait le désespoir du faux-monnayeur. J’ajoute qu’ayant une masse considérable de matière dans vos cloches, vous devez en employer une partie en fabrication d’espèces: et si (1) Recherches sur les monnaies. l’on nous dit que nos basses espèces devant être de cuivre, le métal des cloches composé de cuivre et d’étain ne pourrait pas leur convenir : nous répondrons qu’il n’est pas nécessaire que cette sorte de signe soit de cuivre pur. S’il faut à l’évidence le secours de l’autorité, nous citerons pour modèle une monnaie de la Chine qui est d’un métal composé de six parties de cuivre et de quatre parties de plomb. Monnaie de billon. Vous avez un second signe monétaire, le billon. C’est la monnaie la plus impolitique en ce que : 1° elle cause une grande déperdition d’argent ; en ce que 2° un faux-monnayeur, avec moins de 20 francs, contrefera ce que vous mettez dans le commerce pour 12 livres. Or, c’est un bénéfice de plus de 11 livres par marc, c’est-à-dire 1100 0/0. Cette vérité vous sera prouvée dans un autre discours que j’ai préparé à propos de l’inconcevable proposition de fabriquer 24 millions de billon. Espèces d’or et monnaie d'argent. Nous avons enfin des espèces d’un métal précieux. Quoique je ne considère l’argent que comme mesure monétaire, et que je ne regarde l’or que comme un signe représentatif de cette seule monnaie, lequel par sa valeur doit produire sur les marchandises d’un grand prix, l’effet en sens contraire que produit l’espèce de cuivre sur les objets de vil prix ; néanmoins, je ne séparerai pas dans ma discussion les espèces de ces deux métaux, parce que leur fabrication est iufectée des mêmes vices. Vice d'empreinte. Et d’abord vice d’empreinte ! Quoi ! la France, cet Empire auquel le génie des arts semble avoir donné une préférence marquée, la France a des monnaies de la plus pitoyable empreinte, de la plus détestable exécution ! Telle a été depuis longtemps la destinée de la France, que les administrateurs ne pouvant suivre les élans du talent n’ont su employer, en tout genre, que des artistes médiocres et qui plus souvent encore se sont laissé commander par l’intrigue et les sollicitations de ces protecteurs si bêtes pour ces protégés si bas. Aussi, l’empreinte de nos espèces est mauvaise, parce que les graveurs les plus médiocres ont été employés. Viennent ensuite, les fautes des ajusteurs qui, afin d’accélérer leur travail, se servent de trop grosses limes pour rapprocher les pièces au poids voulu par la loi; ce qui est une cause de l’imperfection de nos monnaies : car le balancier ne peut pas vaincre les sillons qu’a tracés la lime. L’ignorance des monnayeurs ajoute encore aux vices de ces empreintes ; car le ridicule droit exclusif de pouvoir travailler ne donne ni l’art ni le goût. Que dirai-je du sujet de nos empreintes? D’un côté la tête du prince, de l’autre les fleurs de lis; ensuite des l,égend» s dans la langue des Romains ! Nous Français, nous ne nous servons pas de notre langue pour nos monnaies ! Nous Français, �Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 12 novembre 1790.J 229 nous ne savons mettre sur nos monnaies que trois fleurs de lis, une couronne et des branches d’arbre 1 Nous avons opéré une glorieuse révolution, et nous ne saurions pas faire une monnaie nationale ! J’ouvre nos savants monétaires, et je vois que la monnaie n’était pas seulement autrefois la mesure de tout ce qui peut se vendre, mais qu’elle servait encore de recueil historique, depuis qu’on avait fait choix, pour les espèces monétaires, de métaux dont la matière susceptible d’empreinte pouvait devenir monument. Je considère nos anciennes monnaies; et je vois que Théodeberg, Clotaire, Gunthram, Dagobert, Charlemagne ont fait frapper des monnaies historiques. Je consulte nos annales : je vois une foule de faits dignes d’être transmis à la postérité par des monuments métalliques ! Et l’on a préféré à l’honneur national la perpétuelle et chétive image de trois fleurs de lis ! Voilà pour la forme, voici pour le fond. Nos monnaies ne pèchent pas seulement par l’empreinte, elles sont encore incommodes dans leurs valeurs numériques. Vice de la valeur numérique. Sans contredit, une addition, une multiplication, une division sont les opérations de calcul les plus ordinaires dans le commerce: sans contredit aussi, l’addition, la multiplication et la division, par le calcul décimal, sont les règles les plus faciles à exécuter. Les Chinois ont st-n ti cette vérité, car ils ont divisé leur lyang en dix mas, le mas en dix condorines, la condorine en dix caches ; et ils ont choisi le nombre cent pour base du calcul qui doit faire connaître le degré de lin de l’argent ou de l’or. Il est d’autres pays où la division de la toise est en dix pieds, le pied en dix pouces, le pouce en dix lignes, et la ligne en dix points. La nature semble nous avoir indiqué ce nombre décimal; en effet, si jeveuxdonner l’idéedu nombre cinquante à un sourd ou à un homme trop éloigné pour qu’ils puissent m’entendre, les dix doigts de mes mains eu feront l’office : en sorte qu’on peutdire que nos mains sont les types de l’arithmétique naturelle. Cette idée n’est pas nouvelle, car je viens de trouver dans Garrault l’explication d’une arithmétique manuelle; et l’abbé de l’Epée, en composant sa grammaire manuelle pour les sourds et les muets, s’est servi d’une arithmétique du même genre. Il parait qu’on est d’accord qu’une monnaie de 10, 20 et 50 livres, que des monnaies de 6, 12, 24, 48 livres; que même des monnaies de 10 et 20 ms seraient plus commodes que nos pièces de 12 et 24 sols. Au reste, ce n’est pas là le seule bizarrerie de nos calculs monétaires. Comment, par exemple, le commerce se fait-il, en Frauce, par livre, sol et denier, sans que nous ayons aucune monnaie d’une livre et d’un denier? Il faut une opération combinée pour payer 7, 8, 10, 11, 13, 14 livres, tandis qu’avec des monnaies d’une livre, le payement se ferait sans le plus petit embarras. Si l’on est d’accord sur le nombre décimal , on le sera sur la monnaie d’une livre, nos pièces de 20 sois seront alors des pièces d’une livre. Vice de la valeur réelle. Un vice qui n’est pas d’une moindre importance, m'est celui de la valeur de nos espèces. Nos lois monétaires sur la fabrication veulent que nos espèces aient une valeur coursable supérieure à celle de la matière; aussi les étrangers ne les reçoivent-elles que sur le pied de leur valeur intrinsèque, de sorte que l’étranger qui a fait perdre aux Français ur nos espèces, y gagne lorsqu’il les renvoie eh France; ainsi nos monnaies sont désavantageuses aux Français pour lesqu-els elles sont spécialement faites, et elles &ont avantageuses à l’étranger qui ne les possède qu’accidentellement et momentanément. Qu’on ne dise pas que je suis en contradiction avec moi-même, puisque j’ai soutenu, il n’y a pas longtemps, que nos écus ont une valeur intrinsèque supérieure à leur valeur légale. Cette vérité de fait dépend des circonstances et demande une explication. Depuis l’édit de janvier de l’année 1726, qui a fixé les degrés de fin et de pesanteur auxquels nos écus doivent être fabriqués, l’argent, comme matière, s’est insensiblement élevé de prix : nos habiles administrateurs des finances n’ont pas même pensé qu’il fûten leur pouvoir d’y remédier ; ils ont encore moins songé à proportionner la valeur légale avec la valeur commerciale, et ce n’est que par les sacrifices qu’ils ont faits, tantôt aux banquiers, tantôt au public, qu’ils sont parvenus à fournir des matières aux hôtels des monnaies. On a même eu recours, en 1759, à l’impolitique remède de la fonte des vaisselles : le prix de l’argent s’est tout à coup élevé à une telle hauteur, que, réellement, nos écus aujourd'hui ont plus de valeur intrinsèque que de valeur légale. Je sais que Messieurs les entendus de l’administration des monnaies ont été pétrifiés, puis indignés de mon assertion, et qu’ils eu ont osé nier la vérité. Je sais que quelques orfèvres ignorants, ou fripons, ont tenu le même langage. On assure même qu’un journal contient leur dénégation. Je dis aux administrateurs et commis des monnaies, aux orfèvres et aux journalistes : Messieurs, j’ai en main le dernier tarif de ta valeur des espèces et matières d’argent : il a été arrêté au conseil le le 15 mai 1771 : les piastres à l’effigie de la fabrication de 1772 y sont annoncées au titre de dix deniers dix-sept grains, et leur valeur fixée à quarante-sept liv. quatorze sols un denier le mare. Or, notre grand approvisionnement d’argent nous venant d’Espagne, et en piastres, j’offre de payer à ma charge, si l’on veut, ces piastres à cinquante livres le marc. Et voilà que j’ouvre une spéculation bien avantageuse à mes contradicteurs, puisque, s’ils ont raison, je leur ménage un bénéfice de 45 sols et 11 deniers par marc. La vérité est qu’ils perdront 45 sols; car il est hor3 de doute que les piastres se vendent au delà de 52 livres le marc. Au reste, lorque je dis que nos espèces d’or et d’argent ont une valeur coursable supérieure à leur valeur intrinsèque, je parle et dois parler d’après nos lois. Nos lois monétaires veulent : 1° qu’il soit retenu sur la fabrication un droit de seigneuriage que le compte rendu en 1788, porte à 18 liv. 3 deniers par marc sur les espèces d’or, et à 10 sols 6 deniers par marc sur les espèces d’argent; et ce calcul doit être d’autant plus exact, qu’il a été vérifié et attesté véritable par MM. Saint Amand, Baron, de Satverte et Didelot, commissaires nommés à la vérification de ce compte, par arrêt ducouseildu 16 février 1788. 2° Que les frais de fabrication soient de même retenus sur la valeur des espèces; et ces frais se portent, en vertu d’un édit de novembre 1785 à 230 [Assemblée nationale.] 19 sols 3 deniers pour l’or, et à 13 sols 6 deniers et demi pour l’argent (1). 3° Nos instituteurs monétaires, instruits qu’il était impossible au fabricateur le plus intelligent de porter les espèces à tel degré de fin prescrit, et de leur donner une exacte pesanteur, ont arrêté que les pièces d’or seraient réputées avoir le degré de fin ordonné par la loi, si elles n’étaient pas à plus de douze trente-deuxièmes de karat (2) au-dessous de ce degré, et que tes pièces d’argent seraient réputées avoir leur quantité de fin, quoiqu’elles en eussent trois grains de moins : c’est ce qu’ils ont appelé remède d’alloi ou d’alliage. lis ont statué que le marc de pièces d’or serait réputé peserun marc, quoiqu'il en manquâtquinze grains, et de même que le marc des espèces d’argent serait censé peser le marc, s’il n’y avait pas trente-six grains de moins, et c’est ce qu’ils ont appelé remède de poids , Examinons le mérite des règlements sur chacune de ces trois causes, dont il est important de calculer les effets. Droit de seigneuriage. Le droit de seigneuriage, ou le revenu fondé sur la fabrication des monnaies est-il nécessaire? est-il raisonnable? C’est une question qui mérite d’être examinée, et je ne puis que répéter à cet égard, ce que j’ai dit dans mon ouvrage sur la monarchie prussienne. Doit-on, ou plutôt, peut-on gagner sur la monnaie? « Nous répondrons nettement queeetteques-tion est absurde, et que l’on ne saurait gagner sur la monnaie quoique assurémenton puisse voler sur elle. Le seul moyen de gagner sur la mesure, c’est de tromper sur sa contenance, sur son exactitude. Que les princes chargés de faire pendre les faux-monnayeurs, et qui s’en acquittent très religieusement, disent comment il faut appeler cette opération. « Pour rendre cette espèce de paradoxe plus sensible, posons trois cas : Ou le pays du prince dont il est question, produit de l’or et de l’argent, ou il n’en produit pas ; et, dans ce dernier cas, ce prince en achète et il paye ces métaux avec des productions ou avec delà monnaie de son pays. « Si le pays produit des métaux précieux, le prince, direz-vous, peut assurément gagner sur les monnaies : c’est-à-dire, apparemment, que tous les propriétaires des mines seront obligés de lui donner l’argent ou l’or qui en sort, et que le prince leur rendra, par exemple, pour chaque marc au titre de 11 deniers, uu marc au titre de 10. Mais ne voyez-vous donc pas que ceci n’est pas un gain que le prince fait sur les monnaies? C’est un impôt qu’il asseoit sur les productions des mines. « Si son pays ne produit aucun de ces métaux qui servent à la fabrication des monnaies, et que le prince en achète, en payant avec des productions, quel que soit son calcul, il ne pourra pas gagner sur la monnaie: ce sera sur les productions qu’il gagnera, supposé qu’elles vaillent plus d’ar-(1) Pour les pièces fabriquées à Paris, cet édit accorde en outre à l’essayeur général des monnaies neuf deniers par marc pour l’or, et quatre deniers et demi pour l’argent. (2) On a divisé l’or en vingt-quatre karats, et le karat en vingt-trois trente-deuxièmes, pour pouvoir déterminer la quantité de fin que contient une masse d’or. On a, et dans le même objet, divisé l’argent en douze deniers, et le denier en vingt-quatre grains. [2 novembre 1790.) gent dans le pays où il les vend que dans le sien propre. « Enfin, s’il les paye avec sa monnaie, comment veut-on qu’il y gagne? Les étrangers lui céderont-ils donc un écu d’argent fin de plus qu’ils n’en retireront de lui? Il ne gagnera pas même sur ses sujets, pas même en les trompant, au moins à la longue, puisqu’il estobligéde reprendre d’eux le même argent qu’il leur donne. « Cesprincipes sont bien simples ; ils conduisent à une vérité qui ne l’est pas moins, mais qui, dans ces circonstances, est fort importante : c’est que le pied des monnaies est parfaitement indifférent pourvu qu’il soit constant et invariable; et que le souverain gagne le plus, qui bat la monnaie la plus line; parce qu’il n’a pas besoin d’en frapper une si grande quantité. Mais on échangera la bonne monnaie pour en frapper de plus chétive? Certes, nous n’avons pas de peine à le croire : partout où il y a des ignorants, il est des fripons et le monde fourmille d’ignorants. Mais cette opération qui vous fait tant de peur, peut-elle donc être une perte pour votre pays? Sa monnaie, dans le cas que vous supposez, est une marchandise, et si elle est recherchée, elle croît en valeur ; de sorte que c’est précisément le seul moyen par lequel elle poisse procurer un gain (1). » A Rome, où la fabrication était faite aux dépens de la République, on ne connaissait pas le droit de seigneuriage. L’Angleterre imite les Romains; ses guidées ne valent pas plus que le morceau d’or du même titre et du même poids; mais chez toutes les autres nations dont la monnaie est le métal, on prélève sur la matière un droit de seigneuriage, et les frais de brassage. C’est un de ces impôts insensibles qui ne paraît frapper sur personne, et qui, dit-on, frappe plus sur le riche que sur le pauvre : cette distinction métaphysique n’est pas exacte, car cet impôt frappe sur le Français obligé de voyager chez l’étranger, il frappe sur le commerce d’importation, c’est-à-dire sur le consommateur de ce genre de commerce. XVIe principe corollaire. On a beaucoup parlé contre ce droil, on a beaucoup parlé en sa faveur ; mais ce qu’on n’a pas dit, et cependant ce qui tient intimement aux principes monétaires, c’est : 1° que la monnaie étant la mesure de tout ce qui est à vendre, il faut que cette mesure soit la même pour tous les acheteurs et tous les vendeurs. Or, elle ne sera pas la même pour tous, si, par un vice de proportion, elle présente plus de valeur qu’elle n’en a réellement. Dans ce cas, l’étranger que la loi ne peut pas forcer à recevoir pour 10 ce qui ne vaut que 9, ne les prenant que pour leur valeur, il résulte que la même mesure a une étendue dans un pays qu’elle n’a pas dans un autre, et conséquemment, elle n’est pas la même pour tous les acheteurs et tous les vendeurs. XVIIe principe corollaire. 2° Il est d’une exacte justice, que celui qui reçoit une monnaie pour une valeur légale ne perde rien sur cette valeur. Le Français qui reçoit votre. louis pour 24 livres doit pouvoir le donner à toute personne pour 24 livres. Cependant l’étranger ne prendra cette monnaie que pour sa valeur intrinsèque ; il n’en donnera pas 24 livres. (1) De la monarchie prussienne, t, II, in-4°, p. 351. ARCHIVES PARLEMENTAIRES [2 novembre 1790.) 231 [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Conséquemment, votre monnaie, à double mesure, est uni? monnaie contraire aux principes de l’exacte justice. XVIIIe principe corollaire. 3 °La dignité de la nation française ne doit pas souffrir que sa monnaie soit chez l'étranger une ■marchandise au-dessous de la valeur qu’elle a cru lui donner par une loi. Le mot loi est synonyme de raison et de justice. Or, l’éiranger prouve que votre loi n’est ni raisonnable ni juste, lorsqu’il démontre que vos espèces n’ont pas la valeur indiquée par la loi, et que ce n’est pas le caprice, mais la justice qui les lui fait prendre au-dessous de cette valeur légale. Nous en conclurons qu’il faut que la nation renonce au droit de seigneuriage. Ce que je viens de dire pourrait autant s’appliquer aux frais de brassage qu’aux droits de seigneuriage ; mais ces frais, y compris les déchets de fonte, sont si peu considérables, qu’ils ne se portent qu’à 18 deniers par louis (1) ; et comme je crois qu’il est d’une sage politique que l’on ne trouve pas indifférent de fondre les espèces au lieu d’un lingot, je crois aussi qu’il faut que les frais de fabrication soient pris sur la fabrication même, nos espèces n’en seront pas moins reçues par l’étranger sur le pied de leurs valeurs légales. La troisième cause de la différence de la valeur intrinsèque et de la valeur légale, provient des remèdes d’alloi et de poids. Qu’entend-on par ces remèdes (2)? Il n’y a personne qui ne sache que l’on ne fabrique pas nos espèces d’or et d’argent, sans y ajouter du cuivre ; c’est ce qu’on appelait autrefois alloi, et ce qu’on nomme aujourd’hui alliage. Du remède d’alloi. La quantité de cet alliage est déterminée par la loi, qui veut qu’on ajoute un douzième de cuivre. Cependant il est physiquement impossible d’opérer avec assez de précision, pour que le cuivre soit parfaitement mélangé avec l’or ou l’argent; d’où il résulterait qu’en faisant l’essai des espèces, on pourrait tomber sur celles qui ont un peu plus de cuivre, et qu’on pourrait en conclure, quoique faussement, que toute la fabrication pèche en proportion. Ce n’est pas tout : l’expérience ne donne que des résultats d’approximation, et la moindre distraction de l’es-saveur peut donner un résultat inexact. J’ai sous les' yeux la preuve de cette vérité, consignée dans le procès-verbal dressé sur plus de deux cent trente-six expériences d’essais exécutés par douze des plus habiles manipulateurs de la capitale. 11 y a plus : comme le cuivre se consume par le feu, il est impossible de calculer la quantité qui en sera consumée, parce que cela dépend de l’action du feu, dont l’atmosphère excite ou ralentit l'activité; ainsi, l’on n’est jamais assuré (1) Les droits de fabrication se portent à sept deniers et demi, l’indemnité du déchet à dix deniers et demi. (2) Ce mot remède indique que ce n’est point un bénéfice, mais une marge salutaire et de justice qu’on accorde au fabricateur; et afin que le fabricateur no puisse pas en abuser pour s’en faire un objet de lucre, la loi ne veut pas qu’il en profite, et elle fait retourner tout le produit à l’avantage du souverain. On conçoit qu’un bénéfice de celte nature, absolument accidentel, doit stimuler la cupidité fiscale, et que de sages administrateurs devraient veiller à ce que les fabricateurs n’usassent que le moins possible de tout ce remède. parfaitement d’avoir mis dans une fonte la quantité de cuivre nécessaire. Et, cependant, si la fabrication ne met pas assez d’alliage, il entrera plus d’or ou d’argent dans les espèces; et comme on ne lui tient compte que de onze douzièmes par marc, il supportera une perte qui souvent absorberait tout son bénéfice et au delà. Telles sont les raisons pour lesquelles la loi a accordé au fabricateur la permission de mettre un peu plus d’alliage, et c’est ce qu’elle a appelé remède d’alloi. Le remède de poids a été accordé par la même loi pour raison de la difficulté d’approcher du point mathématique de pesanteur qu’elle détermine. Ce n’est donc pas un vice, c’est même un acle de justice, d’avoir accordé ces deux sortes de remèdes; mais c’est un vice sorti de l’antre de la fiscalité, au mépris de tous les principes monétaires, que de les regarder comme un bénéfice, c’est un vice d’avoir accordé pour les louis un remède de 12 trente-deuxièmes par marc, tandis qu’il n’en fallait accorder au plus que 4; et remarquez que 12 trente-deuxièmes valent près de 12 livres 19 sols. C’est un vice d’avoir accordé 15 grains par marc pour remède de poids; ce qui fait près d’un demi-grain sur un double louis ; c’est un plus grand vice d’avoir accordé 36 grains par marc pour des écus ; ce qui fait 4 grains un tiers par écu de 6 livres. On approche du poids à moins d’un quatrième de grains près : et croyez, Messieurs, que si les directeurs des monnaies n’étaient pas obligés de se servir des ajusteurs d'estoc et ligne , s’ils avaient la liberté de choisir leurs ouvriers, vos espèces seraient presque au point mathématique du point prescrit par la loi, croyez que si vous ne réformez pas cette hérédité privilégiaire, il sera impossible de perfectionner vos espèces quant au remède de poids. Après avoir renoncé au droit de seigneuriage, vous ajouterez encore à la perfection de vos monnaies, et vous approcherez leur valeur légale de leur valeur réelle : 1° si vous réduisez à 4 trente-deuxièmes les 12 trente-deuxièmes de remède accordés pour l’or ; 2° si vous réduisez à 6 grains au plus le remède de poids; 3° si vous réduisez à 12 grains au plus le remède de poids pour l’argen t ; 4° si au lieu de prendre ces remèdes en dedans , c’est-à-dire sur la valeur de la monnaie comme la loi l’accorde, ce qui tend à donner aux espèces plus de valeur légale que de valeur réelle ; si, au lieu de prendre en dehors , comme d’autres le conseillent, c’est-à-dire d’indemniser le fabricateur de l’excédent du fin et de poids, ce qui tendrait aussi à donner à vos espèces plus de valeur réelle que de valeur légale, et deviendrait à charge à l’Etat; si, dis-je, vous adoptiez lp terme moyen, c’est-à-dire moitié du remède en dedans et moitié du remède en dehors; ce qui forcerait à ne pas faire payer par le directeur la portion du remède qui manquerait au titre ou au poids; mais aussi à ne pas lui tenir compte de la portion qui serait au delà ; d’où suivrait pour lui un intérêt à approcher tellement de la lettre de la loi, qu’il serait plutôt un peu au-dessous qu’un peu au-dessus : alors la différence du titre et du poids sera réellement insensible ; alors aussi, vous aurez nécessairement des monnaies dont la valeur réelle sera, autant qu’il est possible d’v atteindre, la même que la valeur légale; alors votre monnaie sera une mesure égale pour ife Français et pour l’étranger; alors le Français, re-Icevant une monnaie pour 20 ou 50 livres, ne perdra rien sur cette valeur, quelle que soit la personne à qui il la donne ; alors aussi la monnaie de la 232 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1790. J nation française, conforme à la loi, c’est-à-dire à la raison, à la justice, sera reçue avec confiance et sans diminution par l'étranger. J'ai parié des vices de la fabrication des monnaies, relativement à leurs empreintes, à leurs valeurs numériques et réelles : il me reste à vous entretenir de celui qui existe dans les rapports des titres et poids. Vice du rapport entre le titre et le poids. Le vice du rapport entre le titre et le poids est de nature à être examiné dans le silence du cabinet. Presque toutes les nations ont des modes différents dans la division du titre de leurs métaux et dans celle de leurs poids : ces variations sont une œuvre de ténèbres qui n'a pu être introduite que par la cupidité des marchands d’or et la coupable industrie des princes faux-mon-nayeurs. Sans doute, il ne sera pas difficile de remédier à ce vice quand on le voudra fortement : mais peut-être serons-nous obligés d’attendre que la philosophie et le temps, qui travaillent avec lenteur, aient porté la conviction partout où il sera nécessaire qu’il y ait de l’accord et de l’harmonie pour faire un travail commun, et ce sera là le chef-d’œuvre de la Révolution; ce sera la pierre angulaire du temple que le commerce élèvera à la bonne foi. Je ne m’étendrai point sur cette partie, quelque importante qu’elle soit ; ce serait m’engager dans des longueurs inutiles aujourd’hui (1). Je me résume, et je dis : Votre administration des monnaies est dangereuse par son ignorance : votre régime monétaire est monstrueux par ses abus et par ses vices, vos monnaies pèchent, sous quelques points qu’on les examine : il faut donc réformer et votre administration et le régime de vos monnaies, et vos monnaies. Il faut de la science dans l’administration ; il faut de la simplicité dans le régime; il faut de la perfection dans les monnaies. Cette tâche est-elle si difficile qu’on ne puisse la remplir? J’ai entrepris, Messieurs, au moins d’y concourir, et, si votre comité des monnaies n’entrevoit pas encore le moment où il pourra finir son travail, auquel plusieurs de ses membres ont l’honorable bonne foi de convenir qu’ils ne sauraient contribuer assez utilement, je présenterai le mien. En voici l’esquisse : Lorsqu’un bâtiment menace ruine de toute part, il faut le jeter bas, mais conserver les pierres qui pourront servir à la reconstruction. Tel est le parti qu’il faut prendre sur votre régime monétaire : supprimer tout ce qui a rapport à l’ancien régime ; en recréer un nouveau dans lequel vous conserverez de l’ancien ce qui est utile. Déjà vous avez supprimé la cour des monnaies et la chambre des comptes : il reste encore à prononcer sur le comité, sur les officiers et les hôtels des monnaies, sur les monuaies elles-mêmes, sur les lois monétaires et sur le code pénal des monnaies. Vous statuerez d’abord les principes constitutionnels de la législation monétaire. Administration générale. Passant ensuite au régime vous adopterez, à l’instar de l’ancienne Rome, un comité des monnaies, composé d’un directeur général et de trois (1) Voyez la note F à la fin de cet ouvrage. commissaires-inspecteurs des monnaies, dont le plus ancien, présent, exercera les fonctions du ministère public, tandis qu’un second fera la visite et l’inspection-de tous les hôtels des monnaies, inspection annuelle que chaque commissaire fera à son tour. Alors elles seront réelles les fonctions des administrateurs des monnaies ; car, non seulement ils auront la direction de tout ce qui a rapport aux monnaies et aux métaux destinés à leur fabrication ; mais encore une correspondance suivie avec nos ministres étrangers, leur donnera des renseignements utiles sur la science, l’art, les valeurs des monnaies, et la richesse numéraire des nations avec lesquelles nous avons des relations de commerce. C’est ainsi, qu’instruits à temps de la tendance des métaux précieux à s'élever ou à baisser de valeur, des causes physiques et politiques de cette tendance, il leur sera possible d’apporter au mal bien connu un remède prompt, ou de tempérer son influence. Par la même raison, le comité des monnaies, par un de ses membres, doit être uni au conseil des finances et du commerce, toutes les fois qu’on y agitera une question ayant quelque relation avec les monnaies. Les commissaires des monnaies instruiront la nation de leurs opérations, dans un rapport annuel, qu’ils feront de notre situation monétaire, soit en lui-même, comme administration et fabrication, soit dans ses résultats avec le commerce intérieur et extérieur. Direction 'particulière. Tel est l’aperçu de votre administration générale, dont ila fallu étendre les devoirs, tandis que votre régie particulière doit être simplifiée dans son mode. Nombre des hôtels des monnaies. 1° Sept ateliers suffiront pour la fabrication de vos monnaies. Celui de Paris, pour le Centre. Le second sera placé au Nord, à cause des relations avec le Pays-Bas et la Hollande. Deux ateliers sur les bords de l’Océan, dont un près de l’Espagne. Un cinquième, sur les bords de la Méditerranée. Le sixième, avoisinant l’Italie et la Suisse. Le septième enfin, sur les confins de l’Allemagne. Le choix des vides dépendra de l’état des établissements et de la force du commerce. Ainsi, dix hôtels des monnaies, désormais inutiles, augmenteront les biens nationaux en même temps que vou3 éprouverez, par cette réduction, une diminution dans les dépenses. Officiers des monnaies. 2° Vous n’avez besoin dans vos ateliers monétaires, que d’un directeur, d’un commissaire du roi, chef de police, d’un receveur au change et d’un graveur. Le directeur ne payera pas de finance pour un office qu’il n’aura qu’à vie, et qu’il n'obtiendra que par la voie du concours. Ses fonctions ne consisteront pas dans la seule fabrication, mais dans la connaissance de toutes les parties de la science monétaire, afin que par lasuiteon netrouve aucune difficulté à remplacer les membres du comité des monnaies. Votre directeur n’étant plus gêné dans sa fabrication par tant d’êtres inutiles, embarrassants et souvent dangereux, vos monnaies seront mieux [2 novembre 1790.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 233 [Assemblée nationale. | fabriquées, et l’on sera plus assuré de la fidélité du titre et du poids. Il sera maître de son mode d’opérer ; il choisira les coopérateurs en qui il aura le plus de confiance; et s’il s’est trompé, ou s’il a été trompé, s’il est obligé de remettre ses matières en fonte, .c’est à lui seul qu’il pourra imputer la faute; les délégués de la nation ne commenceront la censure de son travail qu’au moment où il s’agira de placer l’empreinte sur l’espèce. C’est dans cet instant que l’on préviendra le directoire du département ou du district, qu’il y a des matières prêtes à être monnayées. Le directoire déléguera un commissaire qui, conjointement avec le commissaire du roi en l’ hôtel de la monnaie, nommera un ou plusieurs essayeurs, un ou plusieurs experts pour l’examen du titre et du poids des pièces ; ces experts, après avoir prêté serment, s’acquitteront de leurs fonctions, sur leur rapport, les commissaires ordonneront qu’en leur présence, les pièces seront marquées du sceau français, et ce sera encore une personne du choix du directeur, qui monnayera les pièces, afin qu’il ne puisse pas se plaindre de l’inexpérience des monnayeurs en titre d’office, car les pièces mal frappées seront aussi mises au rebut par les commissaires, et ciselées en leur présence. Vous voyez dans ce mode le concoui'3 des pouvoirs, l’impossibilité de la fraude, et la certitude d’une monnaie loyale. Les comptes du directeur, arrêtés tous les mois par le directoire du département, sur le rapport du délégué, seront arrêtés tous les ans par le comité des monnaies. Je pense qu’il faut supprimer votre régie des affinages, et laisser aux directeurs des monnaies le soin d’affiner les matières, ainsi que cela se pratiquait autrefois. Des essayeurs. 3° Pour que les essais du travail d’un directeur soient faits avec intelligence, il est important que l’essayeur soit instruit; et comme tous les ouvrages d’orfèvrerie sont soumis à l’essai, il faut que, dans toutes les villes où il y a des orfèvres, il y ait un nombre d’essayeurs proportionné à l’étendue de cette branche d’industrie; maison ne sera assuré de ia probité et de l’intelligence des aspirants à l’office d’essayeur, qu’autant qu’ils auront subi l’épreuve du concours, qu’autant qu’ils auront suivi, pendant au moins une année, un cours public de chimie -métallurgique, et de do-ciuiasie. C’est pourquoi, la chaire établie à Paris eu 1778, sera conservée, et il y faudra nommer deux professeurs choisis au concours. Inspecteur général des essais. Ces professeurs seront sous l’inspection et la surveillance de l’inspecteur général des essais, dont il faut conserver l’office (1). Des graveurs. Il n’y a aura plus de graveur général des monnaies; mais, dans chaque monnaie, il y aura un (1) On pourrait aussi établir des chaires de chimie dans les villes où il y aura hôtel des monnaies, ces villes étant nécessairement villes de grand commerce; mais ces détails tiennent à l’organisation du corps enseignant, concernant lequel je soumettrai un travail à l’Assemblée. graveur particulier qui obtiendra cette place au concours, et non par une finance qui ne donne aucun talent. Les graveurs qui exécuteront de nouveaux coins avec le plus de perfection, auront une récompense proportionnée à leur mérite; elle sera indépendante de l’honneur et du profit qu’ils retireront de la préférence donnée à leurs matrices. Gardons-nous bien d’exclure de nos concours les artistes étrangers. Que la France soit la patrie des arts; que tous les grands artistes deviennent français. Système des monnaies. 1° Vous n’aurez dorénavant qu’un métal pour mesure et pour base monétaire. — L’argent. — Vous ne rejetterez cependant pas des espèces nécessaires pour les appoints, ou pour l’achat des marchandises du plus bas prix ; mais la mesure de ces espèces ne sera pas liée à la valeur de la matière, elle sera proportionnée à la commodité du consommateur; leur valeur ne sera que légale et leur prix tiendra à leur perfection. Vous aurez aussi des pièces d’or à un titre et à poids déterminé, mais sans aucun rapport essentiel avec votre mesure d’argent, et leur valeur dépen ira du prix de l’or dans le commerce, quoique vous fixiez préliminairement leur valeur. C’est ainsi que la guinée des Anglaisa son poids et son titre invariables ; mais sa valeur suit l’on-dulatiou du change. 2° Votre véritable monnaie, vos espèces d’argent seront au moins à onze deniers de lin; toutefois, vous aurez une basse monnaie, qui, quoique fabriquée avec l’argent et le enivre par égale partie, n’en contiendra pas moins la quantité d’argent qu’indiquera sa valeur. 3° Vous n’aurez plus de ces remèdes d’alloi qui tendent à diminuer la valeur intrinsèque de l’espèce, parce qu’on prend ce remède dans la matière fabriquée. Vous diviserez ce remède en deux ; et si le directeur fabrique à la moitié de ce remède au-dessus du titre, il ne lui sera accordé aucune indemnité; de même que si les accidents de la, fabrication font trouver l’espèce au-dessous du titre, à celte même quantité, il ne sera rien répété au directeur ; mais s’il outrepassait ces limites, les pièces destinées au balancier seraient condamnées à la refonte. 4° Vos espèces d’or seront à vingt-deux karats précis; et pour que vos directeurs travaillent à ce titre absolu, il ne leur sera accordé que quatre trente-deuxièmes de remède d’alloi, lesquels seront pris pour moitié en dedans et pour l’autre moitié en d< hors de la pièce; mais soi t qu’ils travaillent en dessus ou en-dessous du titre, il n’y aura également, indemnité ni répétition. 5° Toutes vos espèces auront le degré de perfection dont elles seront susceptibles, et votre monnaie alors sera considérée par l’étranger, autant par la beauté que par la fidélité delà fabrication. 6° Votre monnaie sera plus commode pour le commerce, parce que vous quitterez cette proportion vétilleuse de 12 et 24, pour prendre la division plus facile de 10, 20 et 50, avec la sous-division de 5. Ainsi, vous aurez des monnaies de 5 et 10 sots; de 1, 2 et 5 livres d’argent. Vous aurez des pièces d’or de 20, 50 et 100 livres. 7° En arrêtant le mode de vos espèces monétaires, en ordonnant une fabrication aux titres, poids et empreintes nouvellement déterminés, Vousdécré- ARCHIVES PARLEMENTAIRES (2 novembre 1790.) 234 [Assemblée nationale.) terez aussi, comme article constitutionnel, qu’il ne sera plus ordonné de refontes générales ; que les seules fabrications courantes alimenteront le commerce. « 8° Pour rendre votre science monétaire plus intelligible, vous décréterez d’abord que la division du titre et sa dénomination seront les mêmes pour l’or et pour l’argent; et moyennant un léger changement, vous diviserez l’un et l’autre de ces métaux en douze karats, et chaque karat en 24 vingt-quatrièmes. On vous proposera peut-être, ensuivant l’exemple des Anglais, mais en perfectionnant leur sous-division, et en adoptant celles de Rome et de Gênes, de nommer once au lieu de karat Indivision de titre ; et l’once serait divisée en 24 deniers. Cette division vous déterminerait alors à composer votre livre, de 12 onces; l’once aurait toujours 24 deniers, et le denier 24 grains. Ne serait-il pas à souhaiter qu’on admît une parfaite conformité de division dans les poids et mesures et qu’en suivant la méthode des Chinois, on décrétât la division décimale ? Alors votre livre ou votre marc serait de lü onces, l’once serait divisée en 10 gros, le gros en 10 deniers, le denier en 5 grains. Vous suivriez la même mesure pour la division du titre, et vous auriez le rapport le plus absolu entre vos dénominations et divisions de titre et de poids. Ce changement exige une méditation sérieuse; et l’on peut, avant de s’y déterminer, arrêter les autres lois. (1). Voilà le canevas du système monétaire que j’ai l’honneur de vous proposer quant à la matière. J’ai rapproché les lois dont peut être formée votre législation monétaire ; il ne reste plus que deux mots à dire sur le code pénal qui se divise naturellement en peines de police et en peines résultantes de crimes. Quant à la police, comme le directeur fait choix de ses collaborateurs et qu’il les paye, il doit avoir sur eux une telle autorité, qu’il puisse les renvoyer, s’il n’en est pas content ; qu’il puisse même les faire punir pour cause d’insubordination, et en conséquence tes dénoncer au chef de police de l’hôtel qui, dans les cas urgents, pourra les faire conduire en prison, en en prévenant le commissaire du roi du district. Le directeur doit avoir pareillement le droit de faire sortir de l’hôtel les personnes suspectes et celles qui y porteraient du trouble; en conséquence, le chef de police doit se réunir à lui, et demander main forte, laquelle doit être accordée à sa première réquisition. Le code pénal, en ce qui concerne les crimes capitaux, fera partie du code pénal général; mais je demande qu’on ne condamne plus à la mort, comme autrefois , ruais aux galères pour uu nombre d’années proportionné" aux crimes, les faux montiaveurs, les fauteurs de l’émission de fausses monnaies, les auteurs des vols des espèces ou de matières, commis dans les monnaies; soit que le voleur ait été pris en llagrant délit ou seulement nanti du vol, sans pouvoir expliquer de qui et comment il s’en trouve nanti ; de même que le commis infidèle qui ne rendra pas compte des matières qui lui auront été confiées. G’est à votre comité, Messieurs, à vous présenter un autre plan, si celui-ci ne satisfait pas aux véritables intérêts de la nation; mais s’il est con-(1) Si l’on consulte les arpenteurs et les toiseurs, ils vous diront combien sont faciles les opérations de la toise divisée en dix pieds, du pied en dix ponces, du pouce en dix. lignes. forme aux principes, et si vous en adoptez les hases, il vous proposera sans doute un projet de décret qui lui sera concordant : je lui demande d’agréer que je le seconde, et j’ai L’honneur, en conséquence, de vous soumettre le projet suivant : Projet de décret sur les monnaies. L’Assemblée nationale, considérant que c’est à la mauvaise organisation de l'administration des monnaies, que l’on doit attribuer l’oubli des principes, l’obscurité de la théorie monétaire, et, par une conséquence immédiate, les vices de nos espèces ; Que la monnaie étant la mesure de tout ce qui peut se vendre, cette mesure doit, non seulement être invariable, mais encore avoir les mêmes rapports dans toutes ses parties, ce qui ne se peut, si l’on emploie conjointement l’or et l’argent comme mesures constitutionnelles, parce que la proportion entre ces métaux est trop susceptible de variation ; et qu’ainsi un seul métal doitservir de mesure ou de monnaie constitutionnelle; Qu’un seul métal ne pouvant ni se diviser assez pour donner la mesure des choses du plus bas prix, ni devenir commodément la mesure des objets d’une grande valeur, il est nécessaire d’adopter d’autres signes numéraires, qui toutefois ne seront que des signes additionnels ; Considérant enfin, qu’il est de la dignité nationale que l’empreinte des monnaies françaises soit l’assurance légale et sacrée de leur valeur dans leurs rapports de titre et de poids ; A décrété ; Titre Ier. Lois constitutionnelles des monnaies. Art. 1er. Il y aura deux sortes de signes moné-■aires, en France : ia monnaie constitutionnelle et les signes additionnels. Art. 2. On emploiera l’argent pour la fabrication delà monnaie constitutionnelle, sans néanmoins qu’on en puisse induire qu’il soit interdit de choisir une autre matière plus susceptible de division et d’extension. Art. 3. On emploiera l’or et le cuivre pour la fabrication des signes additionnels. Art. 4. Il ne sera perçu aucun droit de seigneu-riage pour la fabrication des monnaies. Art. 5. Les frais de fabrication connus sous le nom de brassage seront pris sur la matière ouvrée, dont ils diminueront la valeur réelle. Art. 6. La division de l’or et de l’argent, pour connaître le degré de fin que contient une masse, sera la même pour l’un et pour l’autre de ces métaux; et ils seront divisés en douze karats, et le karat en 24 vingt-quatrièmes. (1) (1) L’Espagne, l’Angleterre, la Turquie divisent l’or en 24 karats; mais ils ne divisent le karat qu’en quatre grains, ce qui ne donne que 96 grains. L’Allemagne, le Danemarck, la Suède, la Pologne, la Prusse, la Hollande, l’Autriche divisent l’or en vingt-quatre karats, et le karat en douze grains; ce qui donne 288 grains, et conséquemment plus d’extension pour faire des expériences. On divise, au contraire, l’argent, assez généralement, en douze parties ou deniers, et le denier en vingt-quatre grains, ce qui donne aussi 288 grains. Pourquoi ne pas prendre un mode uniforme, dès que le dernier résultat donne 288 grains ? Quant au karat, c’est un poids, et à Malte on divise l’argent comme l’or, en karats.