[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. trouble, et le désordre dans cette importante cité, et présente un projet de décret qui est adopté ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale décrète que les faubourgs de Rouen sont réunis à la ville, pour ne composer avec elle qu’une seule et même municipalité, et qu’ils continueront de faire partie des vingt-six sections qui forment la division actuelle de la commune de la ville et des faubourgs de Rouen, pour l’élection de ses officiers municipaux M. le Président. M. de Castellane demande à faire un rapport au nom du comité des lettres de cachet (1). M. le comte de Castellane. Messieurs, c’est avec une grande répugnance que nous nous sommes vus forcés de retarder si longtemps à vous proposer de rendre la liberté aux victimes du pouvoir arbitraire, qui gémissent encore dans les fers; mais telles étaient les funestes conséquences du despotisme ministériel, qu’une partie des maux qu’il avait produits devait se faire sentir dans les premiers jours de la liberté. Les innocents et les coupables, ceux qni ont conservé l’usage de la raison, et ceux qui l’ont perdue, se trouvant confondus ensemble dans les lieux de douleur que vous allez détruire; la sûreté que vous devez à la nation entière, vous a fait une loi d’apporter quelques précautions à l’entière suppression des prisons illégales. Vous avez remarqué que, parmi ceux qu’elles renfermaient, quelques-uns étaient déjà condamnés, que d’autres étaient prévenus de crimes, et vous avez reconnu l’impuissance où vous étiez de vous livrer à l’instant même aux sentiments d’humanité qui vous pressaient de ne point retarder un jour à faire jouir ceux qui avaient le plus souffert de l’ancien ordre de choses de tous les droits dont la constitution nouvelle doit leur assurer l’exercice. Guidé par les mêmes motifs, votre comité a pensé qu’il fallait diviser en quatre classes les prisonniers illégalement détenus. Il a placé dans la première ceux qui, n’étant juridiquement accusés d’aucun crime, doivent être rendus à la société ; dans la seconde, ceux qui ont perdu l’usage de la raison. La troisième est composée des individus condamnés en der--nier ressort, et enfermés par commutation de peine. La quatrième eu tin comprend ceux qui sont décrétés. La justice rigoureuse semblerait exiger que ceux qui composent la première classe fussent incontinent remis en liberté; cependant, Messieurs, leur propre intérêt et celui de l’ordre public nous ont semblé se réunir pour commander à votre prudence un délai fixe, mais suffisant, soit pour laisser à leurs parents les moyens d’assurer leur subsistance, soit pour ne pas faire sortir en ce moment des maisons de force ceux qui, ayant été enfermés pour cause de police, privés, dans une saison morte, de la ressource d’un travail assuré, se livreraient peut-être à des excès qui obligeraient à sévir contre eux d’une manière plus vigoureuse. C’est avec peine que nous avons adopté cette mesure, et nos regrets, à cet égard, sont loin d’être écartés par les soins que nous avons pris de nous concerter avec les ministres du Roi, afin de délivrer d’avance tous ceux qui, ayant réclamé, nous ont paru susceptibles d’être (1) Le Moniteur se borne à mentionner ce document. 20 février 1790.] §0[ élargis sans danger. Leur nombre est considérable, nous ne le dissimulerons pas; cependant, Messieurs, une disposition générale peut seule rendre à tous les innocents que renferment les prisons d’Etat la justice qui leur est due ; puissent-ils attendre avec patience l’époque que vous jugerez à propos de fixer! puisse leur captivité être adoucie par l’espoir certain d’une délivrance prochaine ! Parmi ceux qui sont enfermés pour cause de démence, il en est certainement plusieurs qui ne sont pas fous; les personnes qui sollicitaient autrefois des lettres de cachet appuyaient souvent leurs requêtes de motifs qui n’étaient pas conformes à la vérité ; mais comme les particuliers qui se trouvaient sacrifiés ou à leurs intérêts, ou à leurs passions, n’avaient aucun moyen de réclamation; comme on interceptait habituellement les lettres qu’ils écrivaient au secrétaire d’Etat, par qui l’ordre du Roi avait été expédié, ainsi que le prouve la quantité de papiers de cette espèce trouvés dans les archives de la Bastille, il était impossible alors, il est encore difficile à présent, de connaître avec exactitude le véritable état de chacun des individus détenus pour cause de folie. Cette connaissance préliminaire est cependant indispensable, avant de prendre un parti à leur égard. 11 nous a donc paru, Messieurs, que vous deviez charger Jes assemblées de districts du soin de faire visiter par des médecins ceux qui sont privés de leur liberté sous prétexte de folie ; mais comme il en est plusieurs qui, malgré des intervalles lucides, sont hors d’état d'être livrés à eux-mêmes, nous avons cru nécessaire de fixer une espace de temps assez considérable, pour donner les moyens de constater, par des visites multipliées, la véritable situation des personnes soumises à cet examen. Vous aurez encore, Messieurs, à vous occuper d’améliorer le sort des malheureux qui, ayant besoin d’une surveillance journalière, ne sauraient jouir de la liberté. Ils ont presque toujours jusqu’à présent été traités, dans les différentes maisons de force du royaume, avec une inhumanité qui, loin de guérir leur mal, n’était propre qu’à l’aggraver. Persuadés que c’est par la douceur, et non par la férocité d’un régime barbare, qu’il est possible de guérir ces infortunés, vous vous déterminerez probablement à assigner, soit sur les fonds des maisons de force, déjà subsistantes, soit sur les biens ecclésiastiques, une portion de revenus suffisante pour assurer aux insensés les secours que leur état exige de la bienfaisance publique. Eh! combien cette disposition, si nécessaire dans tous les temps, n’est-elle pas encore une obligation plus sacrée pour nous, au moment où nous savons qu’une partie des fous, actuellement existants dans les maisons de force, ne le sont devenus que par la longue captivité et parles tourments qu’ils y ont soufferts, lorsque les lois étaient muettes et les ministres tout-puissants? Nous croyons donc, Messieurs, que les mesures à prendre pour la garde et le soulagement des fous doivent être l’objet d’un rapport particulier. Nous soumettrons aussi à votre discussion l’exposé d’un régime pour les maisons de correction, qui, nécessaires, même chez un peuple libre, ne peuvent cependant ressembler à celles qui ont été établies sous un système d’oppression. Jusqu’à présent, Messieurs, ce que nous avons eu l’honneur de vous proposer nous a paru d’ac-| cord avec les principes et les décrets de l’As- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 février 1790.] 662 semblée nationale; mais en ce moment les difficultés augmentent, ce n'est plus l’innocence qu’il faut délivrer, ce ne sont plus des malades qu’il s’agit de faire examiner, pour déterminer s’ils sont en état de recevoir de vous le bienfait de la liberté, ou si votre humanité doit se contenter de leur procurer des secours qui puissent ou les guérir, ou du moins rendre leur position supportable. Nous avons à remplir une tâche plus difficile : il s’agit de porter vos regards sur la troisième et la quatrième classe des prisonniers d’Etat ; il s’agit de vous intéresser pour ceux mêmes qu’une accusation ou une condamnation légale ont déjà placés sous la main de la loi. L’Assemblée voudra sans doute tenir compte aux uns et aux autres de la punition irrégulière à laquelle ils ont été soumis; cependant nous n’avons pas cru qu’elle pût interdire aux premiers le recours à leurs juges naturels. S’ils sont innocents, ils ont droit à être publiquement déclarés tels; mais s’ils étaient coupables, aurions-nous celui de les exempter de la réparation qu’ils pourraient devoir encore à la société? Quel parti l’Assemblée prendra-t-elle donc à l’égard de ceux qui sont déjà, ou qui seront par la suite juridiquement convaincus de crimes? quel guide la conduira entre une indulgence injuste et une sévérité déplacée? C’est ici que le désordre du gouvernement ancien pèse sur nous et semble ne nous présenter que des écueils. Quelque parti que nous prenions, nous nous écarterons plus ou moins de la sévérité des principes; aussi n'est-ce qu’avec une extrême défiance de nous-mêmes que nous nous sommes déterminés à vous soumettre l’opinion à laquelle le comité s’est arrêté. Sûrs que vous n’aviez à prononcer que sur un fait particulier, sûrs qu’une pareille circonstance, dont les inconvénients ne sauraient assurément vous être reprochés, ne pourra se reproduire dans la suite, nous avons raisonné ainsi. L’intention de l’Assemblée nationale n’est pas de priver la société de la réparation qui lui est due; cependant voudrait-elle envoyer à l’échafaud des misérables, qui regrettent depuis vingt ans dans des cachots le supplice qu’ils avaient mérité peut-être, mais qui leur aurait été moins cruel ? Elle ne dira pas à ces malheureux, qu’un ministre avait sauvés par égard pour leurs familles, Après les tourments que le despotisme vous a fait souffrir , la nation va replacer vos têtes sous le laive des lois, la liberté vous restitue à la mort. ette idée révolterait l’humanité; vous vous contenterez donc de légitimer la commutation de peine de ceux qui étaient légalement condamnés aune peine afflictive et jugés en dernier ressort, en leur laissant cependant la faculté qui leur appartient, de préférer la soumission au jugement qui avait été porté contre eux à la prison qui leur a été accordée comme un adoucissement, et qu’ils pourraient considérer sous un aspect différent. Quant à ceux qui sont simplement décrétés, nous avons pensé que vous ne pourriez leur refuser les moyens de constater leur innocence; mais les forcerez-vous à s’exposer au danger d’un jugement dont ils craindraient le résultat ? Nous aurions bien voulu pouvoir les en dispenser, nous aurions désiré les soustraire entièrement aux atteintes des lois qui ont été insuffisantes pour les protéger; mais nous avons pensé qu’il était important à l’ordre public de faire prononcer sur l’innocence ou le crime de tous les décrétés, en même temps qu’il était juste d’user d’indulgence envers ceux qui seraient jugés coupables. D’après cela, nous nous sommes déterminés à vous proposer de statuer que les juges devant lesquels s’instruiront les causes des prisonniers d’Etat, préalablement décrétés, se borneront à déclarer ou leur innocence, ou le crime dont ils sont coupables; afin que, sur le compte qui lui en sera rendu, l'Assemblée nationale, de concert avec Sa Majesté, porte une loi qui réglera la peine à laquelle ils pourront être condamnés, ayant égard à la nature du délit, sans que cette peine puisse jamais excéder celle d’une détention de douze ans, en y comprenant le temps qu’ils ont déjà passé dans des prisons illégales. En adoptant les dispositions que nous allons lui proposer, l’Assemblée va faire disparaître les restes odieux de la tyrannie ministérielle; elle va réparer, autant qu’il est en elle, les malheurs qui en ont été la suite : encore quelques semaines, et aucun Français ne se plaindra plus qu’il existe des contradictions entre notre déclaration des droits, entre les principes de notre constitution et sa position personnelle. Nul ne pourra plus dire : je suis libre de droit, et je languis dans les fers, et l’Assemblée nationale oublie de prononcer ma délivrance. Votre comité a l’honneur de vous proposer le décret suivant : L’Assemblée nationale, étant enfin arrivée au moment heureux de détruire les prisons illégales et de déterminer une époque fixe pour l’élargissement des prisonniers qui s’y trouvent encore: renfermés; Considérant la nécessité de donner le temps aux parents, ou aux amis de ceux qui sont encore détenus, de prendre les arrangements qu’ils jugeront convenables pour assurer leur tranquillité et pourvoir à leur subsistance; Qu’il est nécessaire de prolonger la détention de ceux qui sont enfermés, sous prétexte de folie, assez longtemps pour connaître s’ils doivent être mis en liberté, ou soignés dans les hôpitaux qui seront établis à cet effet ; Considérant que, parmi ceux qui sont prisonniers en vertu d’ordres arbitraires, il en est qui ont été préalablement jugés, d’autres qui sont décrétés de prise de corps, et doivent être renvoyés devant leurs juges naturels, et désirant cependant avoir égard au châtiment illégal auquel ils ont été soumis, a décrété et décrète ce qui suit: ■ Art. Ier. Dans l’espace de six semaines, après-la publication du présent décret, toutes les personnes détenues dans les châteaux, maisons religieuses, maisons de force, maisons de police ou autres prisons quelconques, par lettre de cachet, ou par ordre des agents du pouvoir exécutif, à moins qu’elles ne soient légalement condamnées, décrétées de prise de corps, ou renfermées pour cause de folie, seront remises en liberté. Art. 2. Les personnes détenues, pour cause de démence, seront, pendant IVspace de trois mois, aussi à compter du jour de ladite publication, visitées par des médecins, qui, sous la surveillance' des directoires de district, constateront le véritable état des malades, ahn qu’à l’époque fixée, et après que les procès-verbaux de cet examen auront été envoyés à l’Assemblée nationale et au ministre de la province, ils soient élargis, ou soignés dans les hôpitaux qui seront indiqués à cet effet. Art. 3. Les prisonniers, détenus par ordre illégal, qui auraient été préalablement jugés et léga~