744 [Il novembre 1789.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. passe-port illimité, au moyen de ce que son suppléant était présent. Il a été décrété que le passeport ne serait accordé qu’après la vérification des pouvoirs du suppléant. M. le Président a dit ensuite qu’il avait mis sous les yeux du Roi le décret rendu la veille, relativement à la chambre des vacations du parlement de Rouen ; que Sa Majesté, satisfaite des remerciements contenus dans la première partie de ce décret, avait promis de prendre en considération la demande de l’Assemblée nationale, relative à la formation d’une nouvelle chambre des vacations, composée d’autres magistrats du même parlement. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur le projet concernant la division du royaume en départements. M. Target (1). Messieurs, après avoir entendu une discussion longue, où chacun s’est occupé d’une partie d’un plan qui a quelque étendue, et s’est moins attaché à répondre au préopinant qu’à établir son propre système, l’esprit est souvent plus embarrassé qu’éclairé ; on se représente tout à la fois une foule d’avantages et d’inconvénients; on se retrace une multitude d’objections et de réponses ; on perd l’idée de l’ensemble, et l’on s’éloigne de la décision plus qu’on ne s’en rapproche. C’est alors que se fait sentir le besoin d’un résumé, et surtout d’une comparaison des différents projets, considérés sous toutes leurs faces, pour se recomposer à soi-même des principes qui puissent nous fixer. Je viens donc moins ici pour défendre le plan de votre comité que pour vous mettre à portée de l’apprécier, en le plaçant sous vos regards à côté de tous les autres. Une première idée qui me saisit, et qui certainement doit vous frapper, c’est que les difficultés qui sont communes à tous les systèmes de division du royaume ne peuvent être alléguées contre aucun,' et ne présentent pas de motifs pour se déterminer. Je m’explique. Presque personne, ce me semble, n’a cru pouvoir vous proposer de laisser le royaume dans l’état actuel de ses divisions par provinces, et de donner, par exemple, une seule administration supérieure à toute la Champagne, une seule à toute la Lorraine, et une administration pareille au pays d’Aunis ou aux Quatre-Vallées. Nous nous accordons tous à sentir la nécessité d’une division nouvelle. Si l’on voulait suivre les divisions actuellement subsistantes, pourquoi prendrait-on pour règle les provinces, et non pas les généralités, qui étaient des départements administratifs ? Nous placerions alors une seule administration en Poitou, une seule en Guyenne, une seule en Bourgogne, et trois en Normandie ; et le Roussillon et l’Aunis, avec la Saintonge et le Berry, en auraient une toute semblable. Nous comprenons encore que cela ne peut pus être; un tel plan serait de l’inégalité la plus vicieuse. Nous ne nous trouverions pas mieux si nous voulions adopter la circonscription des gouvernements ou celle des diocèses, ou celle des bailliages et juridictions. Il faut donc créer un nouvel ordre, puisque au-(1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours do M. Target. cun de ceux que nous avons ne peut convenir à la France régénérée. Cela posé, je vous prie d’observer qu’un des honorables membres propose d’abord 203 divisions, ensuite 125 ; qu’un autre vous en conseille 120, un autre 70, un autre 80, plus ou moins ; un autre en demande 40. M. Pison du Galand en demande 36 ; je crois que le Dauphiné serait dans son plan à peu près le 36* du royaume. Le nombre 80 est celui que votre comité a trouvé le plus raisonnable. Je vous prie encore de remarquer qu’aucun de ces nombres ne s’accorde ni avec 35 provinces, ni avec 33 généralités, ni avec 175 grands bailliages, ni avec 13 parlements, ni avec 38 gouvernements, ni avec 142 diocèses. S’il est avoué qu’une répartition nouvelle est indispensable, il faut écarter, dès le commencement, les objections qu’on tire de l’inconvénient de subdiviser les provinces : car, dans tous les systèmes, elles seront subdivisées. “Je crois que je répondrai raisonnablement à ces inconvénients. En ce moment il suffit que, tout le monde apportant un plan de subdivision, personne n’ait le droit de dire qu’on ne doit pas subdiviser. Est-ce arbitrairement que votre comité croit que la division en 80 parties est la meilleure? Et quand je dis 80 parties, je crois n’avoir pas besoin de répéter ce qu’on vous a déjà fait observer tant de fois, et ce que le tracé de la carte vous a démontré, qu’il ne s’agit pas de cette absurde idée, que des personnes nous ont prêtée, de tirer sur la France des lignes bien droites qui la partagent en carrés géométriques. On ne le croit plus ; et cependant quelques opinants ont apporté dans leurs discours des restes de cette idée, parce que l’esprit, une fois frappé, a peine à cesser de l’être, et qu’il est commode de pouvoir avec le mot d 'échiquier jeter du ridicule sur un projet dont on ne veut pas. Cette division en 80 parties est-elle donc arbitraire? Non, Messieurs, elle n’est pas arbitraire de la part de votre comité, quoiqu’il ne puisse pas être rigoureusement démontré qu’elle soit la seule qu’ori doive admettre. Voici ce que nous avons voulu : c’est que de tous les points d’un département, on puisse arriver au centre de l’administration en une journée de voyage. Or, tel est l’avantage que cette division nous procure le plus généralement. Nous avons calculé que si la ligure du département pouvait être régulière, la demi-diagonale jusqu’au centre serait de onze à douze lieues. Si l'on m’oppose les départements qui seront plus longs que larges, les départements dont le chef-lieu ne sera pas au centre, je répondrai que, pour juger d’une vue politique, il s’agit de savoir, non si son exécution est infaillible, mais si le plus souvent elle est utile, et si le grand nombre y trouve sa commodité ou son bonheur. Il est commun à tous les systèmes d’administration, que les règles soient heurtées par les circonstances ; et cependant tous les systèmes d’administration doivent poser sur des règles. Tel citoyen ne jouira pas du bien qu’on a voulu lui faire"; mais la masse des citoyens en sera plus heureuse, et chacun sait que c’est là le seul succès auquel il soit permis d’aspirer. Ici s’élève une grande opposition entre les différents projets de partage. Plusieurs des préopinants veulent que les divisions qu’ils proposent soient réglées, non sur l’étendue du territoire, mais sur celle delà population. Plusieurs autres, en proposant plus ou moins