400 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 août 17S9.J M. Mouiller propose par amendement d’ajouter à la lin de la rédaction ces mots: selon leur capacité ; un autre membre, de changer sus - ceptibles en admissibles; un troisième veut qu’on ajoute sans distinction ; un quatrième, de naissance. On commence par aller aux voix sur le mot admissibles; l’amendement passe à la majorité. On vient ensuite au second amendement, selon leur capacité; cet amendement passe encore à la majorité. Un membre s’écrie que la délibération a été enlevée sans discussion. Une partie de l’Assemblée, dont le mot capacité paraissait contrarier fortement le vœu, demande que le décret qui admet l’amendement de M. Mounier soit déclaré nul. M. de I,ally-T©llendal. Je m’oppose à ce que cette question (savoir s’il y a un décret ou non) soit proposée; je m’y oppose en mon nom, au nom de mes commettants, au nom de la liberté. Nous sommes ici pour établir la Constitution, pour affermir la liberté. 11 n’y aura plus l’ombre de liberté si, lorsqu’une Assemblée aussi respectable vient de rendre un décret, on peut revenir contre, sur le mécontentement de la minorité ; nos débats seraient interminables. Cette sortie a fait d’abord une sensation désagréable dans l’Assemblée, qui bientôt a été différemment affectée, lorsqu’on a entendu la lecture du sous-amendement de M. de Tollendal; le voici : au lieu de sans distinction de naissance , il propose de mettre: sans autre distinction que celle de leurs talents et de leurs vertus. Ce sous-amendement passe à la presque unanimité, après quoi l'on va enfin aux voix sur la rédaction de M. l’évêque d’Autun. Elle est admise à l’unanimité et avec les amendements, en ces termes : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les ci-tovens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. » La séance est levée à quatre heures et demie. M. de Clermont-Tonnerre en annonce la continuation pour sept heures du soir. Séance du soir. M. le Président annonce plusieurs adresses. Un de MM. les secrétaires rend compte de celle de Giô-sur-Seine, en date du 16 du courant, qui porte adhésion aux arrêtés de l’Assemblée nationale, et félicitation sur ses principes ; De celle de Briare, du même jour, portant félicitation et expressions les plus vives de l’allégresse publique, et communication des mesures de prudence prises par la ville pour l’exécution du décret de sûreté et de tranquillité du royaume; De celle de Milhau-en-Rouergue, en date du 8 août, contenue dans un procès-verbal d’assemblée de la municipalité et des habitants de cette ville" La délibération desdits habitants tend à assurer la paix publique, la perception des deniers royaux, l’exécution des lois, l’obéissance aux tribunaux existants, et à former une association pour le bien public avec les villes de Villefrancbe et de Rhodez, et toutes les autres communautés qui voudront y adhérer. L’Assemblée ordonne l’impression de la délibération de la commune de Milhau, et vote des' témoignages de satisfaction à lui donner en son nom par M. le président de l’Assemblée nationale. Extrait des registres des délibérations de la ville de Milhau en Rouergue ( 1). « Cejourd’hui huit août mil sept cent quatre vingt-neuf, les officiers municipaux et la commission extraordinaire de la ville de Milhau, assemblés dans l’hôtel de ville , M. de Bonald, maire, a dit: « La ville de Milhau a la première réclamé les droits ne sa province ; et dans un moment où l’extrême agitation des esprits semble faire oublier l’autorité des lois, relâcher les liens de la société et en altérer jusqu’aux principes, elle sera la première encore à réclamer les droits de l’homme et du citoyen, le respect des lois et de l’humanité. Lors des terreurs qui ont affligé cette contrée, elle a vu, avec autant d’intérêt" que de sensibilité, les différentes communautés s’unir pour le salut commun, les citoyens abandonner leurs foyers pour voler à la défense de leurs frères, partout les sentiments les plus affectueux d’accord et de fraternité ; elle a même vu cesser dans son sein les divisions qui depuis longtemps en troublaient l’harmonie: tous les ordres, tous les citoyens se sont rapprochés et réunis. Empressée de faire jouir ses frères des avantages inappréciables de la paix et de la tranquillité, certaine de retrouver dans toutes les communautés les mêmes dispositions à l’union et à la concorde dont elles viennent de donner un si touchant exemple, elle ose, au nom de la patrie, les appeler à une confédération plus noble et plus digne d’elles, à une confédération d’honneur, de vertu, de respect pour les lois. * Ce n’est plus l’étranger qu’il faut repousser ; ce sont nos frères, c’est nous-mêmes qu’il faut préserver des effets d’une fermentation dangereuse, qui écarterait loin de nous le calme et le bonheur, s’opposerait au succès des vues paternelles du souverain et de nos représentants, et nous rendrait indignes de la Constitution qu’ils nous préparent. « Que d’autres provinces l’emportent sur lanôlre par les progrès des arts et du commerce, par la fertilité de leur sol ou le nombre de leurs habitants ; assez riches, assez forts quand nous serons unis et vertueux, nous ferons envier aux autres contrées Je calme dont nous jouirons ; nous saurons, au milieu des circonstances les plus orageuses, conserver les vertus de nos ancêtres, le respect pour les lois et l’amour du souverain. «Sur quoi les officiers municipaux et la commission extraordinaire de la ville de Milhau, et tous ses habitants réunis dans les mêmes sentiments, considérant: « Que la nation nous appelle à la liberté et non à la licence ; que la liberté, ou le droit de faire (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 août 1789.] 467 tout ce que les lois ou l’honneur permettent, est le premier bien de l’homme et l’effet le plus précieux. de tout gouvernement modéré, tandis que la licence aveugle et féroce, fléau des bons et ressource des mechanis, anéantit toute société et ferait regretter, s’il était possible, jusqu’au despotisme ; «.Que tout excès, toute violation de l’ordre public est un attentat contre la société dont on est membre, un crime de lèse-patrie, qu’il tend à précipiter dans les horreurs de l’anarchie et de la discorde ; « Que l’Etat où des communautés , où des particuliers se croiraient en droit, au mépris des lois et des tribunaux, de se faire justice à eux-mêmes par le pillage, le meurtre, l’incendie, ou autres violences également répréhensibles, est un Etat de désordre et de férocité capable d’entraîner la subversion totale delà patrie; ont unanimement arrêté; « Que les villes de Rliodez et de Yillefranche, auxquelles la ville de Miliiau se fait gloire d’être unie par les liens les plus étroits qui puissent exister entre des compatriotes; que toutes les autres communautés de la province seront invitées de se joindre à elle, pour arrêter solennellement : « Que toutes communautés, tous particuliers qui se permettraient aucun excès, aucune infraction à l’ordre public, aucune entreprise sur la vie, l’honneur ou les propriétés des citoyens, qui refuseraient d’obéir à tous officiers investis d’une portion de l’autorité légitime, de payer les impôts existants, sanctionnés par l’Assemblée nationale dans ses arrêtés du 17 juin dernier, ou d’adhérer aux décrets des Etals généraux revêtus de la sanction du souverain ; qui donneraient enfin à la province le scandaleux exemple d’une conduite illégale ou séditieuse, seront dénoncés à la province et notamment aux prochains Etats provinciaux, flétris du sceau odieux de la révolte et du crime ; qu’aucune communauté ne pourra, dans aucun cas, se joindre à elles, ni les secourir; et que, frappés de cette excommunication civile, privées de tous leurs droits, séparées des autres communautés, elles ne seront comptées parmi elles que pour le payement des impôts, à l’octroi desquelles elles n’auront pas même concouru; « Que toutes les communautés quivoudront adhérer à cette résolution patriotique, seront tenues d’en instruire au plutôt les villes, chef-lieux de leur élection respective, au greffe desquels on tiendra à cet effet un registre où seront inscrits les noms des communautés adhérentes, et ledit registre sera présenté à la première Assemblée des Etats provinciaux comme un monument d’houneur et de patriotrisme. Et ont signé : de Bonald, maire; du Four, lieutenant de maire; Descuret, Paillories, Besset et Bors, consuls; Olier, vicaire perpétuel; Ouchesne, chanoine; l’abbé de Bonni-Fons, le vicomte de Vezins ; de Grandsacgnes, de Sapientis, la Fajole de Com-bettes; Richard, procureur du Roi; Despradels, Fabre, Mercier, Mazars, Tibaut, Fontaneilles, greffier ; et au-dessous est écrit : Collationné, signé: Fontaneilles, greffier, avec paraphe. » Un de MM. les Secrétaires donne ensuite lecture de la lettre suivante : Lettre de M. , évêque de Saint-Claude , à l’Assemblée nationale (1). « Messeigneurs, en proscrivant la mainmorte et tous les restes barbares de la féodalité, vous avez rempli mon vœu le plus cher, manifesté dès le moment de ma nominaüon à l’évêché de Saint-Claude, trop longtemps contrarié par mon impuissance personnefie et plus encore par l’indivision des biens de mou siège, d’avec ceux de mon chapitre. Daignez agréer avec bonté l’hommage de mou adhésion parfaite à votre mémorable décret. « Je m’estime heureux, Messeigneurs, de faire encore au bien général le sacriticede la plus belle prérogative de mon siège, d’une haute justice qui, par un privilège unique dans le royaume, connaît de tous les cas royaux, dans” un district beaucoup plus étendu que celui de la plupart des bailliages; mais je dois vous observer, Messeigneurs, que la suppression delà grande judica-ture de Saint-Claude, comprise dans celle de toutes les justices seigneuriales, entraîne, en ce moment, un inconvénient qui ne se trouve pas dans les terres moins étendues, et qui ressortissent toutes à quelques juges royaux : c’est la cessation actuelle de toute justice distributive à plus de quarante mille citoyens sur les frontières du royaume. Ils réclament l’érection instante d’un bailliage royal, à l’instar de ceux de la province, pour remplacer l’ancien tribunal. « Je suis, etc. « Votre, etc. « Signé f T.-J.-B., évêque de Saint-Claude. a St-Claude, le 13 août 1789. » L’Assemblée ordonne l’impression de la lettre, et charge M. le président d’écrire à ce digne évêque une lettre approbative de sa conduite et de ses sentiments. Un membre du comité des rapports rend compte d’une demande présentée à l’Assemblée nationale par les deux députés nobles de Villefrancbe de Rouergue, ainsi que des pièces qui étaient leur requête, et qui détaillent les violences exercées envers l’un d’eux, et les risques qu’ils avaient courus par l’effet des préventions de quelques personnes de la province. Conformément à cette demande, on donne acte aux deux députés des démarches instantes qu’ils ont faites vis-à-vis le juge-mage de Villefranche de Rouergue, pour obtenir une assemblée de la noblesse de leur sénéchaussée; assemblée qui avait pour objet l'extension de pouvoirs dont ils avaient besoin, et qu’ils auraient reçus beaucoup plus tôt sans les délais apportés à la convocation par eux provoquée dès le 2 juillet. L’Assemblée s’occupe du sort de quatre citoyens de Marien bourg, arrêtés chez eux la nuit du 13, et transférés à Avesnes. Il est décrété que M. le président s’informera auprès de M. le garde des sceaux des faits relatifs à leur emprisonnement, et demandera un sursis à tout jugement rendu ou à rendre dans leur affaire , jusqu’après la connaissance qui en aura été donnée à l’Assemblée, ainsi que des procédures sur lesquelles il serait appuyé. Enfin, sur le rapport fait par un membre du comité de subsistances, d’un attroupement qui a eu lieu aujourd’hui à Versailles, par suite duquel le prix du sel a été baissé à six sous, l’Assemblée continue la délibération, et charge M. le président de prendre les renseignements relatifs, et d’en communiquer avec le pouvoir exécutif. M. le Président lève la séance, qu’il remet à demain, à l’heure ordinaire. (I) Cette lettre n’a pas été insérée au Moniteur ,