78 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 février 1791.] L’ariicle est ensuite décrété dans les termes suivants : « V Assemblée nationale décrète que, dans l’article 1er du titre \I du dé ret sur la gendarmerie nationale, il sera ajouté après ces mots : celle de la connétablie , ces mots-ci : et celle des voyages et chasses du roi; et après ces mots-ci : sont également supprimés, ces mots-ci : et elles continueront à faire partie delà gendarmerie nationale , dans laquelle elles restent et demeurent incorporées, pour, les officiers, sous-officiers et cavaliers, être placés chacun dans son grade et selon son rang. » M. Rabaud-Saint-Elienne, rapporteur. Les comités jjroposeni enfin la disposition additionnelle suivante : « Et seront les susdits changements et additions présentés à la sanction du roi, pour être insérés dans le présent démet. » (Adopté.) M. Moreau de Saint-Méry. J’ai l’honneur d’annoncer à l’Assemblée que l’escadre chargée de transporter à la Martinique les quatre commissaires civils, le gouverneur général et les troupes qui sont l’objet du décret du 29 décembre dernier, a fait voile de Brest le 5 de ce mois. (Applaudissements.) L’ordre du jour est un rapport des comités d’ agriculture , de commerce et de la marine sur la recherche à faire de M. de La Pérouse. M. Delattre, rapporteur (1). Messieurs, depuis longtemps nos vœux appellent M. de La Pérouse et lus compagnons de son glorieux, trop vraisemblablement aussi, d1 son iniortu é voyage. Vous n’osiez int rroger la renommée, vous cherchiez à égarer voire sensibilité dans tes illusions de l’inceriitude et de l’espérance; mais la société des naturalisas de cette capitale est venue déctiirer le voile que vous n’osiez soulever; elle a fait retentir cette enceinte du cri de sa douleur; le deuil qu’elle vous a annoncé est devenu universel, et vous avez paru accueillir avec transport l’idée qu’elle est venue vous offrir, d’envoyer à la recherche de M. de La Pérouse. (2) Vous avez ordonné à vos comités d’agriculture, de commerce et de la marine de \ous présenter leurs vues sur un objet si intéiessant. Le senii-mem qui a semblé vous déterminer, Messieurs, leur a commané aussi d’être de l’avis d’uue expédition. Il nous reste à peine la consolation d’en douter : M. de La Pérouse a subi un grand malheur. Ou ce navigateur et ses < ompagnons ne sont plus, ou jetés sur quelque plage déserte, perdus dans l’immensité des mers innaviguées, relégués vers les contins du m nde, lutiant peut-être contre le clima et t us les besoins, contre les animaux, les hommes et la nature, ils implorent un secours qu’ils n’oœnt pas même espérer, ils étendent en vain les bras vers la patrie qui ne peut que deviner leur malheur. Réduits à embrasser cette dernière idée, et peut être cette consolante erreur, nuus ne vous offrirons pas en vain, Messieurs, le tableau de - (1) Ce document n'est pas inséré au Moniteur. (2) Voyez Archives parlementaires , tome XXII, page 457, séance du 22 janvier, la pétition de la so-ciélé d’histoire naturelle de Paris à l’Assemblée nationale. tant d’infortunés. Ainsi ne pouvant plus raisonnablement espérer que les vaisseaux de M. de La Perouse sillonnent en ce moment le sein des mers, si les flots ne les ont point engloutis, vous croirez, comme nous, que M. de La Pérouse et ses compagnons, peuvent avoir fait naufrage sur quelque côte inconnue, sur quelque île orageuse, sur quelque rocher stérile. Là, s’ils ont pu trouver un peuple hospitalier, ils respirent et vous implorent cependant; là, s’ils n’ont rencontré qu’une solitude sauvage, peut-ê're que l’amour de la patrie soutient leur tspoir: peut-êire des fruits, des coquillages enireiiennent leur existence : fixés sur le rivage, leurs jours se consument dans un long désespoir, 1 ur vue s’égare sur l’immensité des mers, pour y découvrir la voile heureuse qui pourrait les rendre à la France, à leurs amis. C’est cependant ce? te conjecture, quelque désespérante qu’elle soit, que nous sommes,' en quelque sorte, réduits à préférer ; c’est celle qu’est venue vous présenter la société des naturalistes de Paris; c’est celle que, longtemps auparavant, M. de La Borde avait offerte à tous les cœurs sensibles, dans un mémoire lu à l’Académie des sciences. Mais alors, Messieurs, si vous saisissez aussi cette déchirante idée; si elle vous touche, vous alfecie et vous frappe, vous ne pouvez plus vous livrer à d’impuissanls regrets, à des vœux stériles; l’humanité vous commande; le sentiment vous entraîne; il faut voler au secours de nos frères. Voler à leur secours! Un saint enthousiasme peut bien prononcer un tel vœu, mais comment l’accomplir? Où le chercher? Gomment suivre leurs traces? Qui interroger sur leur surt? Peut-on explorer tous les-grands continents d’une mer en quelque sorte inconnue? Peut-on toucher à toutes les îles de ces archipels immenses qui offrent tant de dangers aux navigateurs? Peut-on visiter tous les golfes, pénétrer dans loutes les baies? Ne peut-on point, même en attérissant à i’île qui les recèlerait, aborder dans un point, et cependant les laisser dans l’autre? Sans doute les difficultés sont grandes, le succès est plus qu’inespéré, mais que le motif de l’entreprise est puisr-ant! Il est possible que nos frères malheureux appellent un libérateur; il n’est pas impossible que nous les rendions à leur patrie, et dès lors il ne nous est plus permis de nous refuser à des tentatives qui ne peuvent qu’honorer l’humanité des Français. Nous devons cet intérêt à des hommes qui se sont dévoués ; nous le devons aux sciences qui attendent le fruit de leurs recherches. Et ce qui doit encore augmenter cet intérêt, Messieurs, c’est que M. de La Pérouse n’était pas un de ces aventuriers qui provoquent de graudes entreprises, soit pour se faire un nom fameux, soit pour les faire servir à leur fortune; il n’avait pas même ambitionné de commander l’expédition qui lui fut confiée; il eût voulu pouvoir refuser; et, lorsqu’il en accepta le commandement, ses amis savent qu’il ne fit que se résigner. Ce qui doit augmenter cet intérêt, c’est qu’il avait heureusement, et même glorieusement rempli une partie de sa mission ; c’est ce que ce navigateur philosophe, cet homme modeste, écrivait deMaeao, que l’on serait content de son voyage, et que s’il s’en rendait un pareil compte, c’est qu’il avait de précieux tributs à vous offrir. Les dernières lettres de M. de La Pérouse sont de Botany-Bay, le 7 février 1788. D’après ces lettres adressées au ministre de la marine, en quittant i jAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 février 1791.] ce port, il devait remonter aux îles des Amis, i parcourir la côte méridionale de la Nouvelle-| Calédonie, celle de S-mia-Cruz, de Mendona, ou île d'Egmont, de Carteret, des Arsacid.s-de-Sur-ville,et de la Louisiade-de-Bougainville.il devait, après avoir tout tenté pour reconnaître les partit s encore inconnues de ces différents archipels, chercher, au mois de juillet 1788, un nouveau détroit entre la Nouvelle-Guinée et la Nouvelle-Hollande, visiter le golfe de la Carpemarie, sur lequel les Hollandais ne nous ont donné que des notions imparfaites. Il devait longer la côte occidentale de la No ivelle-HoLande, que nous ne connaissons que par les dangers qu’< lie offre aux navigateurs. Enfin en quittant la Nouvelle-Hollande, il devait remonter au nord, pour être rendu à l’Ile de France, dans le mois de décembre 1788. Voilà, Messieurs, le plan de la route tel qu’il l’avait tracé lui-même, voilà les points qu’il faudrait parcourir pour espérer de recueillir M. de La Pérouse, ou s’en procurer des nouvelles. Vous avez vu, Messieurs, que cet officier général devait être rendu à Pile de France vers la fin de 1788; cependant il n’y a point paru, et un trop long intervalle s’est écoulé, pour qu’à cet égard il puisse nous rester beaucoup d’espérances. Gomme tout est relatif, et quoique la distance de i’Ile de France soit pour nous considérable, néanmoins, si M. de La Pérouse y eût touché, il se serait regardé comme au terme de son voyage; il est donc plus douloureux pour nous d’avoir à vous présager que peut-être ce navigateur est venu périr au port. G’est en décembre 1788 qu’il devait arrivera l’Ile de France, et c’est à la même époque et dans les mêmes parages qu’a éclaté le furieux ouragan qui a été si funeste à la frégate la Vénus, dont jamais depuis l’on n’a entendu parler, et qui a démâté de tous ses mâts la frégate la Résolution. Il y a donc quelque lieu de croire que le même malheur peut avoir enveloppé les vaisseaux de M. de La Pérouse et ia frégate la Vénus, que le même coup de vent peut leur avoir été fatal; et que c’est dans les même mers que ces navigateurs ont trouvé leur tombeau. Cependant, Messieurs, ne renonçons pas à l’idée consolante que M. de La Pérouse et ses compagnons existent encore, et que nous pouvons les sauver. Nous l’avons déjà dit, il suffit que cela soit possible pour que nous devions le tenter. Heureuseme t encore nous savons la route qu’il faut suivre dans une aussi douloureuse recherche; heureusement, nous pouvons remettre à ceux qui seront chargés de cette touchante mission le iil conducteur du périlleux labyrinthe qu’ils auront à parcourir. L’expédition qu’il s’agit d’ordonner, Messieurs, a le motif le plus saint et le plus respectable ; mais vous pouvez lui donner aussi l’accessoire le plus important, vous pouvez servir en même temps les sciences et l’humanité. Messieurs de la société d’histoire naturelle, dont la pétition a provoqué le rapport qui vous occupe en ce moment, fondent sur cette expédition des espérances qui ne sont pas chimériques, et ils concourront par leurs indications, leur zélé et leurs efforts, à réaliser celles que vous pourriez concevoir aussi. Ils s’occupent déjà, Messieurs, et avec une émulation que nous ne saurions assez louer ici, de vous présenter les moyens de la rendre utile de plusieurs manières à la science si vaste dont ils cultivent le domaine. G’est dans 79 cette vue qu’ils ont déjà rédigé des observations générales sur tout ce que pourrait embrasser un voyage de la nature de celui qu’il s’agit d’entreprendre, et ils nous promettent encore de nouveaux tributs, dont nous sommes à mène de vous garantir l’importance, en les appréciant d’après ce qui nous a déjà été fourni. En sui vant donc l’objet principal que nous avons en vue, en chéri liant M. de La Pérouse, les navigateurs, chargés de cette pieuse perquisition, feraient des découvertes nautiques et astronomiques qui ne sont pas sans intérêt, puisque M. de La Perouse lui-même devait s’y livrer. Les savants, les naturalistes, les dessinateurs que vous leur adjoindriez ajouteraient encore un grand motif d’utilité à cette expédition. Et, par un co i cours aussi heureux que respectable, les recherches de l’humanité seconderaient celles des sciences, et les recherches des sciences serviraient l’humanité. En effet, Messieurs, et peignez à vos âmes combien un pareil moment serait délicieux; ne pourrait-il pas arriver que le naturaliste que les recherches particulières à ses études aurait égaré sur les aspérités des montagnes, dans les halliers et les broussailles des forêts, y trouvât inopinément les traces et ia retraite de ceux dont, en ce moment, nous déplorons le malheur véritable ou supposé! Nous avons eu l’honneur, Messieurs, de vous exposer un grand motif, quelque espoir, tout ce qui peut justifier et peut-être commander une tentative : pour que vous soyez en état de tout juger et de tout apprécier, il nous reste à vous mettre sous les yeux sinon l’état, du moins l’aperçu de la dépense qu’il s’agit de faire pour aller à la recherche de M. de La Pérouse. Nous ne nous humilierons pas, Messieurs, au point de vous proposer de calculer si le succès était certain; mais quand il est en quelque sorte hors des espérances de beaucoup d’esprits, et dans un moment aussi difficile pour les finances de l’Etat, nous sentons que vous désirerez savoir à quelle dépense peut vous entraîner l’élan de votre sensibilité, parce que, pères du peuple, vous sauriez même renoncer à l’honneur d’une grande et belle action, s’il en devait trop coûter au peuple. Nous croyons donc, Messieurs, que l’armement qu’il faudrait faire pour exécuter la sainte entreprise à laquelle vous êtes si puissamment provoqués pourrait être bornée à deux bâtiments. Le ministre de la marine estime que la dépense de leur équipement peut être évaluée à 300,000 livres par chaque année du voyage, qu’on peut estimer devoir être de deux ans, et dans cette somme sont comprises les dépenses extraordinaires, relatives à une expédition de cette nature : cependant il convient d’y ajouter encore un déboursé préalable de 60 à 80,000 livres, pour pourvoir les bâtiments d’instruments d’astronomie, de livres, de présents de différentes espèces, dont il est à propos que nos navigateurs soient pourvus pour se concilier les peuples qu’ils seraient dans le cas de visiter. Ainsi il est raisonnable de statuer sur une dépense d’environ 300,000 à 400,000 livres la pre nière année, et de 300,000 pour celles qui suivraient. Vous êtes, Messieurs, en état de juger ; nous, nous avons suffisamment annoncé que nous sommes de l’avis d’une expédition; il nous reste à vous exposer le projet de décret que vos comités réunis du commerce et de la marine ont I rédigé, et que je suis chargé de vous proposer. 80 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 février 1791.] Avant de vous le soumettre, cepeodant, nous devons vous observer que les dispositions du premier article de ce projet de décret sont déjà remplies en partie, mais que nous avons cru devoir le laisser subsister pour constater aussi le vœu national, et que son expression prêtât encore plus d’énergie au vœu du roi. L’expédition de M. de La Pérouse a toujours inspiré au roi le plus grand intérêt. Il a depuis longtemps manifesté ses inquiétudes sur cet officier général, et c’est d’après ses ordres que ses ministres ont invité l’Angleterre à faire connaître à ses navigateurs les parages où il se pourrait que M. de La Pérouse et ses compagnons attendissent les secours de l’Europe. Vous sentez, et le ministre, qui nous a fait part de la tendre sollicitude du roi, nous assure que l’on doit mettre quelque confiance dans Pattenlion qu’une nation généreuse, et pour ainsi dire toute maritime, aura donnée à une pareille invitation. Nous pouvons donc espérer beaucoup des Anglais. En effet, si M. de La Pérouse avait échoué à la côte des Arsacides ou à celle de la Louisiane, depuis que le lieutenant Shortland a' reconnu qu’en venant de Botany-Bay pour rentrer dans le grand archipel d’Asie, la ro