[Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 avril 1791.] monnaies sur l'empreinte et la légende que doivent porter les monnaies de France. _ M. Belzais-Courmenil, rapporteur ( 1). Messieurs, par l’article 5 de votre décret du 11 janvier, sur rémission d’uue nouvelle monnaie, vous avez invité les artistes à proposer le modèle de l’empreinte qui doit servir à sa fabrication, et vous avez ordonné à votre comité de vous rendre compte de leurs travaux. Je viens en son nom vous apprendre que les hommes les plus célèbres dans l’art de la gravure vous ont offert, avec l’empressement du patriotisme, le tribut de leurs talents. Tous sont connus par des productions savantes qui fixeront les regards de la postérité; et il suffira de les nommer pour vous faire partager cette opinion. Ce sont principalement MM. Duvivier, graveur général des monnaies de France; Bernier, graveur particulier de celle de Paris; Gatteau, Du-pré, Lorthior, graveurs; Dehuez, sculpteur du roi, et, en dernier lieu, M. de Rotz. Avant de vous rendre compte de leur travail, je dois vous soumettre une réflexion générale, qui paraît devoir influer sur votre détermination. Le style qui convient aux monnaies n’est pas le même que celui des médailles. Celles-ri, destinées à transmettre à la postérité des faits mémorables, exigent une composition plus variée. L’artiste peut orner son sujet par des détails, embellir l’idée principale par des idées accessoires ; il est à cet égard d’autant plus à son aise, que, si un seul coup de balancier ne suffit pas à l’exécution, il peut les multiplier à volonté. La monnaie, au contraire, exige une fabrication rapide. L’empreinte est mal choisie si un seul coup ne suffit, pas pour l’exécuter. On est parvenu à frapper 60 pièces par minute, et le bien du service et l’économie exigent qu’il en soit ainsi. Mais, pour cela, il faut s’éloigner du genre des médailles et éviter une trop grande complication dans le sujet. Plus l’idée est" simple et mieux elle convient; et si elle est grande, si elle sait suppléer les détails par la pensée, l’objet est rempli, et l’inventeur mérite des éloges. C’est sous ce point de vue, Messieurs, que nous vous proposons l’examen des divers sujets qui vous sont offerts. Peut-être penserez-vous que la plupart d’entre eux joignent à un grand mérite le défaut d’être trop recherchés pour la monnaie; mais vous ne refuserez pas vos éloges à ceux-mêmes que vous ne croirez pas devoir adopter. Notre premier désir a été de vous rendre un compte détaillé de ces divers projets; tous mériteraient ici une mention honorable, et nous aimerions à rendre cette justice à leurs auteurs; mais vos travaux sont si importants, que nous mettons au nombre de nos devoirs d’être, si je peux m’exprimer ainsi, avares de votre temps. Ainsi, si vous ne l’ordonnez pas autrement, nous ne vous entretiendrons que de ceux qui semblent devoir fixer plus particulièrement votre attention. M. Duvivier a offert différents projets pour la tête du roi, et personne ne l’a jamais rendue avec plus de ressemblance et de vérité. Il a proposé pour le revers l’empreinte suivante : La France représentée par une femme debout, elle tient de la main droite une pique surmontée (1) Le Moniteur no donne que des extraits de ce rapport. 677 du bonnet de la liberté; elle s’appuie de la main gauche sur l’écusson de la France. M. Bernier a proposé entre autres sujets : Une femme debout représentant l’amour de la patrie, prête à défendre la liberté : sa tête est couverte d’un casque; elle tient de la tnain droite une épée, la gauche est armée d’un bouclier; auprès d’elle est un canon, et des boulets sont répandus à ses pieds. On distingue parmi les nombreux sujets fournis par M. Gatteau : 1° Un globe brisé; sur les débris on voit trois fleurs de lis; du centre s’élance la liberté, tenant d’une main la pique surmontée du bonnet, de l’autre une branche d’olivier; 2° La France représentée par une femme, soutenant de la main droite l’écusson aux fleurs de lis sur un autel, sur le devant duquel est gravé le faisceau national ; elle tient de la main gauche une pique surmontée du bonnet de la liberté ; 3° La France représentée aussi par une femme, tenant de sa main droite la pique surmontée du bonnet de la liberté, s’appuyant de l’autre sur un bouclier aux armes de Ja"France. Plusieurs autres dessins très estimables font honneur aux talents de M. Gatteau. M. Dupré en a fourni aussi un nombre considérable. On remarque surtout le génie de la nation traçant, avec le sceptre de la raison, la Constitution des Français sur une table posée sur un autel, orné des symboles de la concorde et de l’amitié; 2° La conquête de la liberté représentée par une femme d'une contenance assurée, et appuyée sur un type, orné d’un faisceau ; d’une main elle soutient le bonnet de la liberté ; de l’autre elle tient une massue. A ses pieds on voit des débris du despotisme. Ce type est accompagné d’une branche d’olivier et de la corne d’abondance; 3° Le génie de la nation exposant sur l’autel de la liberté les tables de la Constitution des Français. L’œil rayonnant qui orne la partie supérieure, indique la sagesse et la prudence; 4° Hercule, désignant la force et le pouvoir de la nation, après avoir terrassé les monstres du despotisme, pose les tables de la Constitution contre une pyramide, symbole de la durée ; la corne d’abondance, appuyée sur une ancre, annonce que l’abondance doit être un de ses bienfaits. Parmi beaucoup d’autres dessins estimables, on remarque le projet suivant pour le revers de la monnaie de cuivre. Une couronne de chêne, au milieu de laquelle un faisceau debout, traversé d’une pique surmontée du bonnet de la liberté. M. Lorthior a proposé la France représentée par une femme assise, mettant une couronne civique sur le faisceau posé sur une base triangulaire; près d’elle un jeune enfant fait le serment civique ; 2° Un triangle dont la base est formée par le faisceau; un des côtés par la main de justice, l’autre par le bâton royal ; au-dessous sont écrits ces mots : la nation; d’un côté : la loi; de l’autre : le roi. Dans le triangle une couronne civique. M. de Rotz, dont les grands talents justifient la célébrité, a proposé : 1° La France debout, tenant de la main gauche une table posée sur l'autel de la patrie, sur laquelle est écrit le mot Constitution; de l’autre côté le roi prêtant serment sur l’autel. 678 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 2° Le génie de la France assis sur un cube portant tr ois tleurs de lis, soutenant un faisceau surmonté du bonnet de la liberté et écrivant sur une table le mot Constitution. La table est appuyée sur des livres, au dos desquels pourront être indiqués les noms des meilleurs publicistes. Au haut de la table est posé un coq, qui désigne la nation française, se reposant sur la Constitution. MM. de Huez, Chateau, Charpentier, Levesque, Marin, Chipart et Pouraux, ont présenté quelques sujets moins importants et cependant dignes d’éloges. Tel est, Messieurs, le tribut que vous offrent des artistes citoyens. Ils ont concouru à l’exécution de votre décret avec un zèle qui honore les arts et qui ne permet pas de douter que la liberté ne soit le premier besoin de ceux qui les cultivent. Aussitôt que votre comité a pu rassembler les divers sujets que je viens de mettre sous vos yeux, il s’est livré à leur examen. Mais, avant de se déterminer, il a cru que l’Académie des inscriptions, dont un des membres avait concouru avec beaucoup de zèle et de savoir à ses premiers travaux, ne lui refuserait pas le secours de ses lumières, dans une matière qui paraissait particulièrement de son ressort. Je dois dire ici que cette compagnie savante a justifié toutes les espérances de votre comité; voici, Messieurs, le résultat de son travail: Monnaie d'or de 24 et de 48 livres. Type : La tête du roi, par M. Duvivier, n° 3. Légende: Louis XVI, roi des Français ; à la suite ou à l’exergue, le millésime en chiffres arabes. Revers : La Justice assise sur le trône. Légende : Règne de la loi. Exergue : Valeur de la monnaie en chiffres arabes. Ecus de 6 et de 3 livres. La tête et la légende comme ci-dessus. Revers: la France debout, tenant de la main gauche une tablette posée sur l’autel de la patrie, et sur laquelle il est écrit le mot Constitution; de l’autre côté, le roi prêtant serment sur cet autel. Légende : La nation , la loi, le roi. Exergue : Valeur de la monnaie. Pièces d'argent de 15 et de 30 .vous. La tète comme ci-dessus. Revers : La liberté s’appuyant sur la justice. Légende : Liberté fondée sur les lois. Exergue ; Valeur. Monnaies de cuivre. Pour toutes les têtes et les légendes comme ci-dessus. Revers pour les sous : La France debout, reconnaissable à son manteau semé de fleurs de Iis, tenant d’une main le bonnet de la liberté, et de l’autre la balance de la justice. Légende : La nation, la loi, le roi. Exergue : Valeur. Revers des pièces de 2 liards; un bouclier chargé de 3 fleurs de lis, au milieu desquels est le bonnet de la liberté. (9 avril 1791.] Même légende qu’aux sous. Exergue : Valeur. Revers pour les liards; une couronne civique dans laquelle est écrite la même légende que ci-dessus. Votre comité pensa d’abord qu’il ne lui restait qu’à vous soumettre ce rapport; mais, se déliant de ses propres lumières, il craignit que la complication de quelques-uns des sujets, adoptés par l’Académie, ne pût se concilier avec la célérité nécessaire à la fabrication des monnaies. C’était aux artistes eux-mêmes à lever cette incertitude; mais il ne convenait plus de s’adresser à ceux qui avaient présenté leur travail, non qu’il fût permis de supposer des bornes à leur zèle pour la chose publique, mais parce que chacun d’eux aurait refusé d’être juge de ses concurrents. Le comité invita quelques-uns des professeurs et membres de l’Académie de peinture et de sculpture à lui donner leur avis. MM. Pajou, David, Moette et Goys, dont les noms et les talents vous sont connus, se rendirent à votre comité et examinèrent avec beaucoup de soins les divers projets dont je viens de vous rendre compte. Votre comité a toujours pensé que toutes les monnaies du royaume devaient porter l’effigie du roi avec la légende : Louis XVI, roi des Français. Cet usage qui remonte chez toutes les nations aux temps les plus reculés, tient d’ailleurs aux principes de notre Constitution, et ce n’est pas quand les rois protègent la liberté qu’on pourrait regretter de le voir établi. Il ne fut donc question que de l’empreinte du revers. Tous pensèrent que l’idée d’asseoir la justice sur le trône était une belle conception, mais qu’une ligure assise ralentirait plus l’exécution qu’une figure debout. Il en fut de même des figures qui devaient représenter la nation, la loi et le roi et rappeler fidée si chère de la fédération. C’est aux médailles, et non aux monnaies, à consacrer ce jour qui doit marquer dans les annales du monde. C’est une chose digne de remarque que l’accord qui régna dans l’opinion de ces artistes célèbres; il semble que le beau ait des principes qui échappent aux yeux vulgaires, mais qui dirigent les hommes de génie. Ils pensèrent unanimement que le revers de la tête du roi, sur la monnaie d’or, les écus et demi-écus, devait avoir pour empreinte un des sujets proposés par M. Dupré. Savoir : le génie de la France debout devant un autel fort simple, gravant la Constitution sur des tables, avec le sceptre de la raison, désigné par un œil ouvert à son extrémité. Ils crurent, avec votre comité, que l’on pouvait ajouter à côté de l’autel un coq, symbole de la vigilance, et un faisceau, emblème de l’union et de la force armée. Il fut observé que les arts avaient souvent employé le coq comme emblème delà France; était-ce pour apprendre aux Français que, s’ils brisaient un jour les fers du despotisme, ils devaient veiller sans relâche au maintien de leur liberté? II faut du moins qu’ils le sachent aujourd’hui. Si vous adoptez cette empreinte, votre comité vous demandera d’y mettre la légende : Règne de la loi, proposée par l’Académie des inscriptions, et que les mois : la nation , la loi, le roi, soient marqués sur la tranche. Alors vous aurez, pour ainsi dire, formé un [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 avril 1791.] 679 faisceau d’idées salutaires, qui rappelleront sans cesse aux Français un roi qu’ils chérissent comme un père, la liberté qu’ils idolâtrent, et la soumission aux lois, sans laquelle ce présent du Ciel ne saurait subsister. Deux raisons paraissent s’opposer à ce que les pièces de 30 et de 15 sous porLent absolument la même empreinte. Elle serait trop compliquée peut-être pour les pièces de 15 sous, dont le volume sera peu considérable; et d’ailleurs il faut craindre qu’une trop grande ressemblance avec les louis, n’excitât les faux monnayeurs à ajouter celle de la couleur : la chimie fait des pas si rapides vers la perfection, qu’en prévoyant tous les avantages que cette science eût procuré à la société, on doit se permettre de calculer les abus qu’on en peut faire. Votre comité, toujours aidé des lumières de l’Académie de peinture, a donc pensé que, en conservant le sujet principal, il suffirait d’excepter pour la petite monnaie le coq et le faisceau. L’empreinte sera belle et cependant assez différente de celle des louis pour n’avoir à craindre aucune confusion. La monnaie de cuivre est particulièrement la monnaie du pauvre et, sous ce rapport, elle vous inspirera un grand intérêt; car il faut que les malheureux, si dédaignés par les mauvaises lois, aient, sous le régime des bonnes, le sentiment de leur dignité; votre comité a cherché à remplir celte vue; il a pensé qu’en faisceau, traversé par une pique, surmontée du bonnet de la liberté, et entouré d’une couronne civique, devait former le revers des sous, des demi-sous et des liards : c’est encore iM. Dupré qui vous oifre le sujet de celte empreinte. Nous \ous proposerons pour légende ces mois : La nation, la loi et le roi , elle exprime à la fois et les droits et les devoirs du peuple. En vous présentant le résultat de ses travaux, votre comité aurait désiré de soumettre à votre examen les divers dessins qui lui ont été remis parles artistes; mais ils sont en grand nombre, et il lui a semblé difficile de les mettre sous vos yeux dans le cours de votre séance. Nous nous sommes empressés de les communiquer à ceux d’entre vous qui en ont marqué le désir. Nous ferons à cet égard ce que vous prescrirez. Messieurs, si vous adoptez le projet de décret que j’aurai l’honneur de vous soumettre, dans peu de temps la fabrication pourra commencer ; il ne faudra que le délai indispensable pour graver les matrices et les poinçons, et ce délai ne sera pas fort long. Mais à qui confierez-vous ce travail? De longs services, des talents et des vertus réclament en faveur du graveur général actuel. Sous un autre point de vue, l’importance extrême d’une belle fabrication, le plus sûr moyen peut-être de prévenir le faux monnayage, fait naître le désir d’un concours. On ne peut pas se dissimuler que c’est l’unique moyen d’atteindre à la perfection; et sous ce rapport, il sérail difficile de ne pas l’adopter; c’est peut-être aussi le plus conforme aux principes de la Constitution; car en ce genre, comme en tout autre, elle sera violée si les places ne sont pas le prix des talents. Votre comité, en adoptant cetle idée, a eu la satisfaction de penser que le graveur général a donné assez de preuves de talent pour entrer en lice avec les artistes les plus distingués, et il serait difficile de prévoir qui d’entre eux sortira vaiuqueur de cette lutte honorable. Il n’appartiendra pas à votre comité d’en juger. Les arts ne peuvent avoir de bons juges que les artistes et nous vous proposerons du vous en rapporter, sur ce point, à l’Académie de peinture. Ne craignez point, Messieurs, de retarder l’époque si désirable de la fabrication; car il ne faut pas plus de temps à dix graveurs pour préparer séparément une matrice et un poinçon, qu’il n’en faut à un seul, et le jugement de l’Académie ne se fera attendre q->e 2 ou 3 jours. Pendant ce temps, les corps administratifs adresseront aux hôtels des monnaies l’argenterie des églises et communautés supprimées, conformément au décret que vous avez rendu sur le rapport de vos comités d’aliénation et des monnaies. Cette argenterie servira à une partie considérable de la fabrication; et le ministre des contributions, d’accord avec votre comité des finances, prendra les mesures nécessaires pour compléter l’émission. On s’occupera également de l’achat des flans nécessaires à la fabrication des monnaies de cuivre; plusieurs offres ont été faites à votre comité par les compagnies de Saint-Bel, de Ro-milly et de Maromme. Sur ce point il n’a et ne peut avoir d’autre désir que l’économie pour le Trésor public et l’encouragement pour des manufactures également précieuses à la nation. Les marchés doivent se faire parla voie de l’adjudication au rabais; vous penserez sans doute qu’elle doit être faite par les agents du pouvoir exécutif; votre comité vous proposera donc de la renvoyer au ministre des impositions, suivant vos principes et votre usage. Me permettrez-vous, Messieurs, d’ajouter, en finissant, que Futilité de cette nouvelle monnaie ne se bornera pas à la France? En circulant sur le globe, elle répandra partout l’idée de la liberté; elle sera pour les nations étrangères une grande leçon; elle leur apprendra ce que vous avez fait et ce qu’elles doivent faire; puisse ce présage bientôt s’accomplir pour le bonheur de l’humanité! Voici le projet de décret que nous proposons : « Art. 1er. L’effigie du roi sera empreinte sur toutes les monnaies du royaume, avec la légende : Louis XVI, roi des Français. (. Art. 2. Le revers de la monnaie d’or, des écus et demi-écus aura pour empreinte h1 génie de la France debout devant un autel, et gravant sur des tables la Constitution, avec le sceptre de la raison, désigné par un œil ouvert à son extrémité, il y aura à côté de l’autel un coq, symbole de la vigilance, et un faisceau, emblème de l’union et de la force armée. « Art. 3. Le revers portera pour légende ces mots : Règne de la loi. < Art. 4. Il sera gravé sur la tranche : La nation, la loi et le roi. « Art. 5. Les pièces de 30 et de 15 sols porteront les mêmes empreintes et la même légende, à l'exception du coq et du faisceau. « Art. b. La monnaie de cuivre portera la même effigie du roi et de la même légende ; le revers seul sera différent. « Art. 7. L’empreinte du revers sera un faisceau traversé par une pique, surmontée du bonnet de la liberté: autour une couronne de chêne avec la lég‘ nde : La nation, la loi et le roi. « Art. 8. Sur toutes les monnaies, le millésime sera eu chiffres arabes. « Art. 9. Il sera sans délai procédé à la formation des nouveaux coins et matrices.