462 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 jnin 1790.] les empêcher de s’apercevoir qu'ils portent des fers. Pour nous, nous sommes déterminés à vivre et mourir libres sous l’empire de la loi. Si jamais on ose attaquer cette liberté, nous en déploierons l’étendard sacré. Nous montrerons ce que peut le courage français animé par l’amour de la patrie. Vivre et mourir libres, tel est notre cri de ralliement. Quel lieu plus digne que cette enceinte de retentir des actions de grâces que nous adressons au monarque qui s’est uni à vous pour notre bonheur ! Nous allons lui porter l’hommage de notre reconnaissance. Nous allons lui dire qu’il vivra à jamais dans nos cœurs, que nous apprenons à nos enfants à le bénir, et qu’un concert unanime d’amour et de vénération portera son nom à la dernière postérité. (L’Assemblée ordonne l’impression du discours de M. de Vaublanc et son adjonction au procès-verbal.) Le comité militaire demande à présenter un projet de décret au sujet des actes d’insubordination de quelques corps de l’armée. M. le marquis de Crillon, rapporteur. Le comité militaire m’a chargé de vous présenter un décret pour le rétablissement de l’ordre dans l’armée. Depuisquelquetemps des nouvelles affligeantes nous sont parvenues ; le ministre de la guerre vous les a communiquées: il est indispensable que les soldats reconnaissent enfin leur devoir et vos principes. Voici le décret que vous proposele comité: « L’Assemblée nationale, instruite des désordres survenus dans plusieurs régiments de l’armée, et que notamment plusieurs régiments ont cru pouvoir forcer leurs officiers à quitter leurs corps ; considérant que les ennemis de l’Etat font tous leurs eflorts pour séduire et égarer les braves militaires, et les porter à violer le serment qu’ils ont fait à la nation, à la loi et au roi, en leur persuadant que le vœu de l’Assemblée nationale est de détruire la subordination des soldats envers leurs officiers, comme si cette subordination n’était pas la loi elle-même, comme si elle ne faisait pas la force de l’armée et l’appui de la Constitution ; que les désordres arrivés dans l’armée ne peuvent que troubler le travail dont l’Assemblée s’occupe sans relâche pour améliorer le sort des soldats et fixer leur état d’après les principes de la régénération générale du royaume; voulant découvrir à des guerriers citoyens les préjugés dans lesquels on cherche à les entraîner, déclare qu’elle voit avec la plus vive douleur et le plus grand mécontentement les actes d’insubordination qui ont eu lieu dans quelques régiments; qu’elle attend du patriotisme français qu’ils s’empresseront de reconnaître leur erreur et de rentrer dans leur devoir : arrête que son président se retirera pardevers le roi, cbef suprême de l’armée, pour le supplier de prendre les mesures les plus promptes et les plus efficaces pour y rétablir l’ordre et la subordination, et de punir avec sévérité toute désobéissance aux lois militaires : déclare, en outre, qu’elle regardera comme indignes de servir la patrie tous corps ou soldats qui se permettraient désormais de violer la soumission due aux lois et aux officiers chargés d’en maintenir l’exécution. » (Plusieurs membresdemandent l’ordre du jour.) L’Assemblée décide que la discussion s’ouvrira sur le rapport de M. le marquis de Crillon. M. lé chevalier de Marinais. Il y a, à la barre, un officier qui apporte en don patriotique l’argent donné à ces soldats pour les séduire. Je demande qu’il soit entendu. (L’Assemblée ordonne que l’officier sera entendu. C’est M. de Puységur, colonel du régiment d’artillerie en garnison à Strasbourg.) M. de Puységnr prononce le discours suivant : Messieurs, s’il est une récompense digne de vous être offerte pour prix de vos nobles travaux, c’est sans doute le récit des vertus qu’ils doivent faire naître un jour : c’est dans cette vue, Messieurs, que je prends la liberté de vous faire le récit ci-joint : Le 1er de ce mois, le nommé Mangin, caporal de la compagnie de Buchet, régiment de Strasbourg, artillerie, était au marché où il venait d’acheter des légumes : un particulier se baisse auprès de lui, lui dit quelques mots en allemand, dépose à ses pieds une bourse neuve de chamois, dans laquelle était une somme de 245 livres, et disparaît. Ce caporal, étonné du présent, regarde, et aperçoit celui qui le lui avait fait, se perdant dans la foule. Aussitôt il se décide à porter cette bourse et à faire sa déclaration au maire de Strasbourg, des procédés duquel le régiment n’a eu qu’à se louer dans toutes les occasions. Le maire enchanté de la délicatesse et du désintéressement de ce caporal, a dressé procès-verbal du fait, et lui a dit de garder cet argent jusqu’à ce qu’assuré que ce n’est point un vol, il lui fasse dire d’en disposer. Mangin est revenu ensuite à son quartier, a fait la même déclaration au commandant de son régiment, et a déposé la somme chez le quartier-maître-trésorier, qui lui en a donné un reçu. Quel peut être le but qu’on se propose en faisant de pareilles générosités au régiment de Strasbourg? Serait-ce pour échauffer son civisme?... Non, sans doute, car l’on n’ignore pas qu’il l’a manifesté dans plusieurs occasions, et que son respect pour l’Assemblée nationale égale sa soumission pour tous ses décrets. Ce ne peut être non plus pour augmenter son amour pour le roi, car il n’est aucun individu, depuis le chef jusqu’au plus jeune soldat de ce régiment, qui ne versât son sang, pour lui : est-ce donc pour engager les canonniers au bon ordre et au respect pour la discipline? Pas davantage, car tout le monde sait à Strasbourg qu’aucun d’eux ne veut s’y soustraire, et que collectivement ils ont pris l’engagement solennel de s’y soumettre et de la maintenir. L’on ne peut donc deviner le motif d’un pareil don, mais qui n’ayant point été expliqué, ne peut que paraître suspect. Quoi qu’il en soit, Messieurs, permettéz-moi de déposer cette somme, au nom du régiment de Strasbourg, sur l’autel de la patrie ; je réponds que le brave Mangin ne me désavouera pas ; peut-être n’en trouverez-vous pas la source assez pure pour la joindre aux nobles dons patriotiques; mais enfin il est des aumônes ou d’autres usages que votre sollicitude pour le bien public peut vous dicter, et ce n’est pas la première fois que l’on aura fait concourir à de sages desseins les intentions les plus douteuses. Puisse, Messieurs, ce premier exemple, bientôt suivi sans doute par tous les braves soldats français, déconcerter les ennemis de l’ordre et de la tranquillité publique, et vous procurer un moyen de plus d’être utiles et bienfaisants !