360 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 août 1789.] « Art . 2. Le droit exclusif de citasse et des garennes est pareillement aboli, et tout propriétaire a le droit de détruire et de faire détruire, seulement sur ses possessions, toute espèce de gibier, sauf à se conformer aux lois de police qui pourront être faites relativement à la sûreté publique. « Toutes capitaineries, même royales, et toute réserve de chasse, sous quelque dénomination que ce soit, sont pareillement abolies ; et il sera pourvu, par des moyens compatibles avec le respect dû aux propriétés et à la liberté, à la conservation des plaisirs personnels du Roi. » M. le Président propose de statuer sur les peines prononcées et les emprisonnements pour fait de chasse. L’Assemblée prend la résolution suivante: « M. le président est chargé de demander au Roi le rappel des galériens et des bannis pour simple fait de chasse, l’élargissement des prisonniers actuellement détenus, et l’abolition des procédures existant à cet égard. » On allait entamer la discussion de l’article suivant, lorsque M. le Président annonce l’arrivée des ministres envoyés par le Roi. On donne ordre de les introduire. Un moment après sont entrés, MM. Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux, garde des sceaux ; M. le maréchal de Beauvau; M. le comte de Montmorin; M. de La Luzerne, évêque de Langres; M. Necker, contrôleur général des finances ; M. le comte de Saint-Priest ; M. Le Franc de Pompignan, archevêque de Vienne et M. le comte de La Touc-du-Pin-Paulet, ministre de la guerre. Les ministres accueillis par des applaudissements prennent place dans le parquet. Un grand silence s’établit. * M. Champion de Cicé, archevêque de Bordeaux, prenant la parole, dit : Messieurs, nous sommes envoyés vers vous par le Roi, pour déposer dans votre sein les inquiétudes dont le cœur paternel de Sa Majesté est agité. Les circonstances sont tellement impérieuses et pressantes, qu’elles ne nous ont pas permis de concerter avec vous les formes avec lesquelles doivent être reçus les envoyés du Roi ; formes auxquelles nous n’attachons personnellement aucune importance, mais que vous jugerez sans doute nécessaire de régler pour l’avenir, par un juste égard pour la dignité et la majesté du Trône. Pendant que les représentants de la nation, heureux de leur confiance dans le monarque, et de son abandon paternel à leur amour, préparent le bonheur de la patrie et en posent les inébranlables fondements, une secrète et douloureuse inquiétude l’agite, la soulève, et répand partout la consternation. Soit que le ressentiment des abus divers dont le Roi veut la réforme, et que vous désirez de proscrire pour toujours, ait égaré les peuples; soit que l’annonce d’une régénération universelle ait fait chanceler les pouvoirs divers sur lesquels repose l’ordre social: soit que des passions ennemies de notre bonheur aient répandu leur maligne influence sur cet empire : quelle qu’en soit la cause, Messieurs, la vérité est que l’ordre et la tranquillité publics sont troublés dans presque toutes les parties du royaume. Vous ne l’ignorez pas, Messieurs, les propriétés sont violées dans les provinces ; des mains incendiaires ont ravagé les habitations des citoyens ; les formes de la justice sont méconnues , et remplacées par des voies de fait et par des proscriptions. On a vu en quelques lieux menacer les moissons et poursuivre les peuples jusque dans leurs espérances. On envoie la terreur et les alarmes partout où l’on ne peut envoyer des déprédateurs ; la licence est sans frein, les lois sans force, les tribunaux sans activité ; la désolation couvre une partie de la France, et l’effroi l’a saisie toute entière ; le commerce et l’industrie sont suspendus, et les asiles de la piété même ne sont plus à l’abri de ces emportements meurtriers. Et cependant, Messieurs, ce n’est pas l’indigence seule qui a produit tous ces Roubles. On sait que la saison ménage des travaux à tous, que la bienfaisance du Roi s’est exercée de toutes les manières, que les riches ont plus que jamais partagé leur fortune avec les malheureux. Se pourrait-il donc qu’à cette époque, où la représentation nationale est plus nombreuse, plus éclairée, plus imposante qu’elle n’a jamais été; où la réunion de tous les membres de l’Assemblée dans un seul et même corps, et son union intime de principes et de confiance avec le Roi, ne laissent aucune resssource aux ennemis de la prospérité publique ; se pourrait-il que tant et de si grands moyens fussent impuissants pour remédier aux maux qui nous pressent de toutes parts ! Vous l’avez justement pensé, Messieurs: une belle et sage constitution est et doit être le principe le plus sûr et le plus fécond du bonheur de cet empire. Sa Majesté attend avec la plus vive impatience le résultat de vos travaux, et elle nous a expressément chargés de vous presser de les accélérer ; mais les circonstances exigent des précautions et des soins dont l’effet soit plus instant et plus actif. Elles exigent que vous preniez les plus promptes mesures pour réprimer l’amour effréné du pillage et la confiance dans l’impunité; que vous rendiez à la force publique l’influence qu’elle a perdue. Ce n’est point celle que vous autoriserez, qui sera jamais dangereuse; c’est le désordre armé qui le deviendra chaque jour davantage. Considérez, Messieurs, que le mépris des lois existantes menacerait bientôt celles qui vont leur succéder: c’est aux lois que la licence aime à se soustraire, non point parce u’elles sont mauvaises, mais parce qu’elles sont es lois. Vous réformerez les abus qu’elles présentent; vous perfectionnerez l’ordre judiciaire dans toutes ses parties. Le pouvoir militaire deviendra, comme il doit l’être, de plus en plus redoutable à l’ennemi, utile au maintien de l'ordre, sans qu’il puisse être jamais dangereux pour le citoyen. Mais jusqu’à ce qne votre sagesse ait produit ces grands biens, la nécessité réclame le concours de vos efforts et de ceux de Sa Majesté, pour le rétablissement de l’ordre et l’exécution des lois. Sa Majesté compte assez sur la sagesse des résolutions que vous prendrez à ce sujet, pour vous annoncer d’avance qu’elle s’empressera de les sanctionner et de les faire exécuter dans tout sou royaume. Il était juste, Messieurs, de vous entretenir d’abord de la subversion générale de la police publique. Il était juste de vous demander l’emploi de tous vos moyens pour son rétablissement. Le ministre vertueux que le Roi vous a rendu, qu’il a rendu à vos regrets et à votre estime, va vous montrer, sous une nouvelle face, les funestes effets de ces mêmes désordres ; il va mettre sous vos yeux l’état actuel des finances. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (7 août 1789.] [Assemblée nationale.] 361 Vous reconnaîtrez ce que les lenteurs, et en beaucoup d'endroits, la nullité des perceptions, forment de vide dans le Trésor royal, ou plutôt dans celui de l’Etat ; car le Roi ne distingue pas son trésor de celui de la nation; et quand ses besoins vous sont connus, vous ne pouvez vous dispenser d’y subvenir, sans ébranler, dans une proportion quelconque, toutes les fortunes et l’organisation même du corps politique. Vos commettants, il est vrai, se sont flattés que la constitution pourrait avoir reçu sa sanctiou, avant qu’il fut nécessaire de vous occuper d’aucun impôt, ni même d’aucun emprunt; mais ils ont également voulu que vous consolidiez la dette publique, et que vous rejetiez, avec une juste indignation, toute mesure qui serait capable d’altérer la confiance. Le temps est venu, Messieurs, où une impérieuse nécessité semble vous commander, et vous avez déjà fait connaître l’esprit qui vous anime, en prorogeant les impôts établis, et on plaçant les créanciers de l’Etat sous la sauve-garde de l’honneur et de la loyauté française. Le Roi, Messieurs, vous demande de prendre en considération cet important objet, dans lequel il ne veut jamais avoir d’intérêt séparé des vôtres. 11 a voulu que sa franchise égalant le sentiment de sa confiance, on ne vous dissimulât rien, ü désire enfin que, vous associant à scs sollicitudes, vous réunissiez vos efforts aux siens, pour rendre à la force publique son énergie; au pouvoir judiciaire, son activité; aux deniers publics, leur cours nécessaire et légitime. Et nous, Messieurs, que vous avez si sensiblement honorés de votre bienveillance, nous, ministres d’un Roi qui ne veut faire qu'un avec sa nation , et qui sommes responsables envers elle, comme envers lui. de nos conseils et de notre administration ; nous qui sommes intimement unis par notre amour pour le meilleur des rois, par notre confiance réciproque et mutuelle, par notre zèle pour le bonheur de la France, et par notre fidèle attachement à vos maximes, nous venons réclamer vos lumières et votre appui, pour préserver la nation des maux qui l’affligent, ou qui la menacent. Après le discours de M. le garde des sceaux, M. Necker a pris la parole. M. Nfecker. Je viens, Messieurs, vous instruire de l’état présent des finances, et de la nécessité devenue indispensable de trouver sur le champ des ressources. À mon retour dans le ministère, au mois d’août dernier, il n’y avait que quatre. cent mille francs en écus ou billets de la caisse d’escompte au Trésor royal; le déficit entre les revenus et les dépenses ordinaires était énorme, elles opérations antérieures à cette époque avaient détruit le crédit entièrement. Il a fallu, avec ces difficultés, conduire les affaires sans trouble et sans convulsion, et arriver à l’époque où l’Assemblée nationale, après avoir pris connaissance des affaires, pourrait remettre le calme et fonder un ordre durable. Cette époque s’est éloignée au delà du terme qu’il était naturel de supposer; et en même temps des dépenses extraordinaires et des diminutions inattendues dans le produit des revenus, ont augmenté l’embarras des finances. Les secours immenses en blés, que le Roi a élé obligé de procurer à son royaume, ont donné lieu, non-seulement à des avances considérables, mais ont encore occasionné une perte d’une grande importance, parce que le Roi n’aurait pu revendre ces blés au prix coûtant, sans excéder les facultés du peuple, et sans occasionner le plus grand trouble dans son royaume. Il y a eu de plus, et il y a journellement des pillages que la force publique ne peut arrêter. Enfin, la misère générale et le défaut de travail ont obligé Sa Majesté à répandre des secours considérables. On a établi des travaux extraordinaires autour de Paris, uniquement dans la vue de donner une occupation à beaucoup de gens qui ne trouvaient point d’ouvrage; et le nombre s’en est tellement augmenté, qu’il se monte maintenant à plus de douze mille hommes. Le Roi leur paye vingt sous par jour; dépense indépendante de l’achat des outils, et des salaires des surveillants. Je ne ferai pas le recensement de plusieurs autres dépenses extraordinaires amenées par la nécessité; mais je n’omettrai point de vous rendre compte d’une circonstance de la plus grande gravité : c’est de la diminution sensible des revenus, et du progrès journalier de ce malheur. Le prix du sel a été réduit à moitié, par contrainte, dans les généralités de Caen et d’Alençon, et ce désordre commence à s’introduire dans le Maine. La vente du faux sel et du tabac se fait par convois et à force ouverte dans une partie de la Lorraine, des Trois-Evêchés et de la Picardie ; le Soissonnois et la généralité de Paris commencent à s’en ressentir. Toutes les barrières delà capitale ne sont pas encore rétablies ; et il suffit d’une seule qui soit ouverte, pour occasionner une grande perte dans les revenus du Roi. Le recouvrement des droits d’aides est soumis aux mêmes contrariétés. Les bureaux ont été pillés, les registres dispersés, les perceptions arrêtées ou suspendues dans une infinité de lieux dont rénumération prendrait trop de place, et chaque jour on apprend quelque autre nouvelle affligeante. L’on éprouve aussi des retards dans le payement de la taille, des vingtièmes et de la capitation ; eu sorte que les receveurs généraux et les receveurs des tailles sont aux abois, et plusieurs d’entre eux ne peuvent tenir leurs traités. La force de l’exemple doit empirer journellement ce malheureux état des affaires; et les conséquences peuvent en être telles, qu’il devienne au-dessus de votre zèle et de vos moyens de prévenir le plus grand désordre et dans les finances et dans toutes les fortunes, et d’empêcher, au moins pendant longtemps, la dégradation des forces de ce beau royaume. Je crois donc, Messieurs, que vous sentirez la nécessité d’examiner, sans un seul moment de retard, l’état que je vous présente des secours indispensables pour empêcher une suspension de payements, et le Roi ne doute point que vous ne sanctionniez ensuite l’emprunt qu’exigent la sûreté des engagements, et des dépenses inévitables pendant deux mois ; terme qui vous suffira sans doute pour achever ou pour avancer les grands travaux dont vous êtes occupés, et pour établir un ordre permanent, et tel que la France a droit de l’attendre de votre zèle éclairé, et des dispositions justes et bienfaisantes de Sa Majesté. Il est vraisemblable qu’avec 30 millions, il sera possible de pourvoir aux besoins indispensables pendant l’intervalle que je viens d’indiquer ; mais il n’y a pas un instant à perdre pour rassembler celle somme. Je crois qu’il ne faut point chercher à décider la confiance par de hauts intérêts ; ce n’est point de la spéculation qu’il faut attendre des secours dans les circonstances