232 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Il4 juin 1791.] M. Gombert. Il vaut bien le vôtre (Rires)... 'fous vos efforts viendront écbouer... ( Murmures à droite.) Dix mille comme moi en sauraient mettre à la raison cent mille comme vous. Un membre : Monsieur le Président, levez la séance ! M. Malonet. Je n’ai rien entendu de l’éloquente apostrophe. L’Assemblée ne se trouve embarrassée que parce qu’elle a interverti la marche qu’elle s’était prescrite à l’égard des colonies et que maintenant elle ne sait plus quel parti prendre, parce qu’elle a abandonné sa promesse ae ne statuer que d’après leurs propres représentations (Murmures)... Il n’y a pas là d’attaque contre personne. M. Merlin. Seulement contre les décrets. M. Malonet. On vient de vous rappeler que la ville de Bordeaux vous avait fait les offres les plus patriotiques et qu’il fallait se hâter de les accepter. Rien de plus dangereux que ce nouveau conseil de recourir aux offres très indiscrètes, très répréhensibles, d’une portion de la ville de Bordeaux... A gauche : Très patriotique ! C’est le contrepoison de ce que vous faites. M. Malonet. ...désavouées parce qu’il y a de plus éclairé, de plus important dans le commerce de Bordeaux; offres qui font le désespoir des armateurs de Bordeaux ; offres qui, à ce que j’espère, ne seront jamais réalisées par les citoyens français. M. Péiion de 'Villeneuve. Sans doute, M. Ma-louet n’a pas connaissance d’une nouvelle adresse de Bordeaux, qui, non seulement contient les mêmes principes, mais encore qui s’exprime dans les termes les plus énergiques et les plus patriotiques et dans laquelle on insiste de nouveau sur toutes les mesures précédemment proposées. M. Malonet. J’ai connaissance de tout. M. de Lachèze. J’ai à demander à M. Pétion s’il croit que toute la ville de Bordeaux consiste dans le club des Jacobins. M. Malonet. Je ne conseille pas à la ville de Bordeaux de réaliser ses offres. Il est bien certain que ce que quelques membres de l’Assemblée ont appelé la mauvaise volonté du comité colonial est une calomnie irréfléchie, parce qu’on ne peut pas nier que ceux qui » nt concouru à ce travail avaient intérêt à c > qu’il réussît. Tous ceux qui, dans le comité colonial, ont un avis éclairé, ont pensé que le travail que vous a lu M. Defermon pouvait être uii'e aux colonies; mais ils ont été divisés sur le danger qu’il y avait d’eu faire la lecture dans l’Assemblée nationale. Il fallait plutôt autoriser tacitement vos comités à faire parvenir ce travail aux assemblées coloniales; car, si vous y avez fait attention, tous les articles sont tournés en décrets impératifs, et paraîtront, en conséquence de la lecture faite ici, un commencement de votre volonté. Je vois, dans la mesure qui a été prise, do très grands inconvénients, à moins que vous ne mettiez dans le décret une modification qui exprime en même temps que vous n’avez point délibéré, que vous n’avez entendu qu’accorder confiance au travail réfléchi et longtemps discuté dans vos colonies ; mais que vous n’avez point entendu délibérer sur un pareil travail. Si vous n’y mettez pas cette latitude, vous paraîtrez effectivement donner aux colonies un ordre de le recevoir. Voici l’arrêté que je vous propose : « L’Assemblée nationale ayant entendu, sans en délibérer (Murmures!) la lecture d’un plan de Constitution pour la colonie de Saint-Domingue, qui lui a été proposé par ses comités réunis, a approuvé que ledit plan soit remis comme i s-truction aux commissaires du roi, pour être par eux soumis à la délibération de l’assemblée coloniale, et être exécuté provisoirement tel quM sera arrêté par ladite assemblée et approuvé par le gouverneur. » M. de Folleville. Je demande la priorité pour le projet de décret de M. Malouet, attendu que sa rédaction remplit les intentions de l’Assemblée, parce qu’en donnant des mesures provisoires , vous exposez continuellement à des irritations qui toujours ébranlent le gouvernement. M. Delà vigne. On vous propose aujourd’hui de statuer précisément le contraire de ce que vous avez décrété, et c’est l’Assemblée nationa'e qui, si vous adoptiez le décret, exercerait l’initiative. (Aux voix! aux voix!)... Les termes d’un décret de cette importance doivent être pesés sérieusement et j’en demande le renvoi à demain. M. de Tracy. Je demande que le projet de décret du comité soit adopté sauf rédaction. (Marques d! assentiment.) (L’Assemblée, consultée, ferme la discussion et adopte, sauf rédaction, le projet de décret des comités.) M. le Président lève la séance à trois heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU MARDI 14 JUIN 1791. LETTRE aux citoyens de couleur et nègres libres de Saint-Domingue et des autres îles françaises de l'Amérique, par M. Grégoire, député à l'Assemblée nationale , évêque du département de Loir-et-Cher (1). Amis, Vous étiez hommes, vous êtes citoyens, et, réintégrés dans la plénitude de vos droits, vous participerez désormais à la souveraineté du peuple. Le décret que l’Assemblée nationale vient de rendre à votre égard sur cet objet n’est point une grâce, car une grâce est un privilège, un privilège est une injustice-, (t ces mots ne doivent plus souiller le Gode des Français. En vous assurant l’exercice des droits politiques, nous ayons acquitté une dette; y manquer eût été un crime (1) Yoy. ci-dessus, même séance, page 231. 233 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 juin 1791.] de votre part et une tache à la Constitution. Les législateurs d’une nation libre pouvaient-ils faire moins pour vous que nos anciens despotes? 11 y a plus d’un siècle que Louis XIV avait solennellement reconnu et proclamé vos droits; mais ce patrimoine sacré avait été envahi par l’orgueil et la cupidité qui, graduellement, aggravaient votre joug et empoisonnaient votre existence. La résurrection de l’Empire français ouvrit vos cœurs à l’espérance, et ce rayon consolateur adoucit l’amertume de vos maux. À peine les soupçonnait-on en Europe; les colons blancs qui siégeaient parmi nous se plaignaient très vivement de la tyrannie ministérielle, mais ils n’avaient garde de parler de la leur. Jamais ils n’articulaient les plaintes des malheureux sang - mêlés, qui toutefois sont leurs enfants; et c’est nous qui, à 2,000 lieues de distance, avons été contraints de défendre les enfants contre Je mépris, l’acharnement, contre la cruauté de leurs pères. Mais vainement on a tenté d’étouffer vos réclamations, vos soupirs ; malgré l’étendue des mers qui nous séparent, vos maux ont retenti dans le cœur des Français d’Europe, car ceux-ci ont un cœur. Dieu, dans sa tendresse, embrasse tous les hommes ; son amour n’admet de différence que celle qui résulte de l’étendue de leurs vertus ;!a loi, qui doit être une émanation de l’éternelle justice, pourrait-elle consacrer une prédilection coupable, et la patrie qui surveille tous les membres, de la grande famille, pourrait-elle être la mère des uns, la marâtre des autres? Non, Messieurs, vous ne pouviez échapper à la sollicitude de l’Assemblée nationale. En déroulant aux yeux de l’univers la grande Charte de la nature, elle y a retrouvé vos titres : on avait tenté de les faire disparaître; heureusement les caractères en étaient ineffaçables, comme l’empreinte sacrée de la divinité gravée sur vos fronts. Déjà le 28 mars 1790, dans son inslruction pour les colonies, l’Assemblée nationale avait compris, sous une dénomination commune et les blancs et les sangs mêlés. Vos ennemis ont voulu faire mentir le papier, en imprimant le contraire. Mais il est incontestable que, quaud alors je demandai que nominativement vous y fussiez compris, une foule de députés, dont plusieurs planteurs, s’empressèrent de crier que l’article vous enveloppait dans sa généralité; et M. Barnave, lui-même, qui. me l’avait dit, cédant à mes interpellations multipliées, vient d’en faire l’aveu à la face de l’Assemblée. N’avais-je pas raison de craindre qu’une interprélation perverse ne travestit lov. décrets? Des vexations nouvelles à votre égard et vos maux portés à leur comble n’ont que trop justifié mes appréhensions. Les lettres que j’ai reçues de vous à ce sujet ont fait couler mes larmes. La postérité s’étonnera, s'indignera peut-être que pendant 5 jours consécutifs on ait débattu votre cause, dont la justice est portée à l’évidence. Hélas I quand l’humanité est réduite à lutter contre la vanilé et le préjugé, son triomphe est une pénible conquête! Depuis longtemps, la société des amis des noirs s’occupait des moyens d’adoucir votre sort et celui des esclaves; il est difficile, impossible peut-être, de faire impunément le bien, et son zèle respectable lui a mérité bien des outrages. Des hommes vils se cachaient sous l’anonyme, pour lancer sur elle leur venin, et dans d’impudents libelles, ils ne cessaient de répéter des objections et des calomnies cent fois pulvérisées. Que de fois, les pervers, ils nous ont accusé d’être vendus aux Anglais, soudoyés contre la France, par les Anglais, de vous avoir adressé des lettres incendiaires, et envoyé des armes! Vous le savez, mes amis, combien elles sont lâches et atroces, ces impostures, nous qui vous avons prêché sans cesse l’attachement à la mère patrie, la résigoaiion, la patience, en attendant le réveil de la justice. Rien n’a pu attiédir notre zèle ni celui de vos frères sangs mêlés qui sont à Paris. M. Raimond, surtout, s’est voué d’une manière héroïque à votre défense. Avec quel transport vous auriez vu ce citoyen distingué à la barre de l’Assemblé nationale, dont il rnérite d’étre membre, présenter le tableau déchirant de vos malheurs, et réclamer énergiquement vos droits! Si l’Assemblée les eût sacrifiés, elle eût flétri sa gloire. Le devoir lui commandait de décréter avec justice, de s’expliquer avec clarté, de faire exécuter avec fermeté, elle l’a fait; et si (ce qu’à Dieu ne plaise) quelque événement, caché dans le sein de l’avenir, nous arrachait nos colonies, ne vaudrait-il pas mieux avoir une perte à déplorer, qu’une injustice à nous reprocher ! Citoyens, relevez vos fronts humiliés; à la dignité d’hommes associez le courage, la fierté d’un peuple libre : le 15 mai, jour où vous avez reconquis vos droits, doit être à jamais mémorable pour vous et vos enfants. Cette époque réveillera périodiquement en vous les sentiments de la gratitude envers l’Etre suprême, et puissent alors vos accents frapper la voûte des cieux vers lesquels s’élèveront vos mains reconnaissantes. Enfin vous avez une patrie, désormais vous ne verrez au-dessus de vous que la loi ; L’avantage de concourir à sa création vous assurera le droit imprescriptible de tous les peuples, celui de n’obéir qu’à vous-mêmes. Vous avez une patrie, et sans doute elle ne sera plus une terre d’exil dans laquelle vous ne rencontriez que des maîtres et des compagnons de malheur; ceux-là distribuant, ceux-ci recueillant le mépris et les outrages. Les sanglots de votre douleur étaient punis comme des cris de rébellion ; placées entreles poignards et la mort, ces contrées malheureuses furent souvent imbibées de vos larmes, quelquefois teintes de votre sang. Vous avez une patrie et sans doute le bonheur ’uira sur les lieux qui vous ont vus naître; alors vous goûterez en paix les fruits des champs que vous aurez cultivés sans trouble; alors sera comblé l’intervalle qui, plaçant à grande distance les uns des autres les enfants d’un même père, étouffait la voix de la nature et brisait les liens de la fraternité; alors les chastes douceurs de l’union conjugale remplaceront les sales explosions de la débauche, qui insultait à la majesté des mœurs. Et par quel étrange renversement de raison était-il honteux à un blanc d’épouser une femme de couleur, tandis qu’il n’était pas déshonorant de vivre avec elle dans un libertinage grossier? Plus l’homme est dénué de vertus, plus il cherche à s’entourer de distinctions frivoles, et quelle absurdité de vouloir fonder un mérite sur les nuances de la peau, sur les teintes plus ou moins rembrunies du visage! L’homme qui pense rougit quelquefois d’être homme, quand il voit ses semblables aveuglés par un tel délire; mais comme malheureusement l’orgueil est la passion la plus tenace, le règne du préjugé se prolonge; car l’homme ne semble devoir atteindre la vérité qu’après avoir épuisé toutes les chances de l’erreur. 234 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 juin 1791.] Il n’existe point dans nos colonies orientales, ce préjugé contre lequel elles ont réclamé par l’organe de MM. Monneron. Rien déplus touchant que" l’éloge des gens de couleur, tel que l’ont consigné les habitants de cette partie du monde dans leurs instructions pour leurs députés à l’Assemblée nationale. L’académie des sciences de Parts s’honore de compter au nombre de ses correspondants un mulâtre de l’Ile-de-France; parmi nous, un nègre estimé est administrateur du district de Saint-Hippolyte, dans le département du Gard. Nous ne croyons pas que la différence de la peau puisse établir des droits différents entre les membres de la société politique ; aussi vous ne trouverez pas ces orgueilleuses petitesses dans nos braves gardes nationales, qui veulent aller en Amérique, assurer l’exécution de nos décrets. Pénétrés des sentiments louables qu’a manifestés la ville de Bordeaux, ils vous diront avec elle que le décret relatif aux gens de couleur, rédigé sous les auspices delà, prudence et de la sagesse (i), est un hommage à la raison et à ia justice (2) ; que les députés des colonies ont calomnié vos intentions et celles du commerce (3). Elle est bien étrange, la conduite de ces mandataire-, sollicitant ardemment à Versailles leur admission dans l’Assemblée, jurant avec nous au jeu de paume, de ne nous quitter que quand la Constitution serait achevée, et nous déclarant ensuite, après Je décret du 15 mai dernier, qu’ils ne peuvent plus siéger parmi nous. Cette désertion est un abandon des principes et une brèche à la religion du serment. Déjà les colons blancs, qui sont dignes d’être Français, s’empressent d’abjurer des préventions ridicules, pour ne voir en vous que des frères et des amis. Avec quelle douce émotion nous citons ces paroles des citoyens actifs de Jacmel : « Nous vouant à suivre sans restriction les décrets « de l’Assemblée nationale sur notre Constitution « présente et à venir, et nous conformer à ceux « qui pourraient en changer la substance (4). » Les citoyens de Port-au-Prince disent à l’Assemblée nationale les mêmes choses en d’autres termes : « Daignez, Messieurs, recevoir le serment que « ia municipalité prête entre vos mains, au nom « de la commune de Port-au-Prince, de res-« pecter et exécuter poncîuellement tous vos « décrets, et de ne jamais s’en écarter, sous « quelque prétexte que ce puisse être (5). » Ainsi ia philosophie agrandit son horizon dans le nouveau monde, et bientôt d’absurdes préjugés n’auront plus pour sectateurs que quelques tyrans subalternes qui voudraient perpétuer en Amérique le règne du despotisme écrasé en France. Et qu’eussent-ils dit, si les gens de couleur avaient tenté d’arracher aux blancs la jouissance des avantages politiques? Avec quelle force iis eussent réclamé contre cette vexation ! Ils écument de rage de voir qn’on vous ait révélé et rendu vos droits. Par l’espoir de consoler leur orgueil irrité, peut-être ils s’épuiseront en (1) Voy. lettre du directoire du département de la Gironde aux assemblées coloniales. (2) Yoy. adresse du directoire du département de la Gironde aux citoyens et gardes nationales du département. (3) Voy. lettre du directoire, etc. (4) Extrait ries registres des délibérations de la municipalité de Jacmel, 10 mars 1791. (3) Adresse de la municipalité 4u Port-au-Prince à l’Assemblée nationale, page 9. i efforts pour faire échouer le succès de nos i décrets; ils tenteront une secousse qui, arrachant les colonies à la mère patrie, leur facilite les moyens d’échapper à leurs créanciers. Ils n’ont cessé de semer la terreur, de dire qu’un acte de justice à votre égard ébranlerait Saint-Domingue. Dans cette asserlion, nous n’avons vu que mensonge; nous aimons à croire qu’au contraire le décret va serrer les nœuds qui vous unissent à la métropole. Le patriotisme éc'airant votre intérêt et vos affections, c’est encore vers la métropole que vous dirigerez vos opérations commerciales, et les tributs mutuels de l’industrie établiront entre la France et ses colonies un échange conslant de fortune et de sentiments fraternels. Si voas étiez infidèles à la France, vous seriez les plus vils et les plus méchants des hommes. Non, généreux citoyens, vous ne seriez point traîtres à ia patrie; cette idée seule vous pénètre d’horreur; ralliés avec tous les bons Français sous les drapeaux de la liberté, vous défendrez notre sublime Constitution. Un jour, des députés de couleur franchiront l'Océan pour venir siéger dans la diète nationale, et jurer avec nous de vivre et de mourir sous nos lois. Un jour, le soleil n’éclairera parmi vous que des hommes libres; les rayons de l’astre qui répand la lumière ne tomberont plus sur des fers et des esclaves. L’ Assemblée nationale n’a point encore associé ces derniers à votre sort, parce que les droits des citoyens, concédés brusquement à ceux qui n’en “connaissent pas les devoirs, seraient peut-être pour eux un présent funeste; mais n’oubliez pas que, comme vous, ils naissent et demeurent libres et égaux. Il est dans la marche irrésistible des événements, dans la progression des lumières, que tous les peuples dépossédés du domaine de la liberté récupèrent enfin cette propriété inamissible. On vous reproche, plus qu’aux blancs, de ia dureté envers les nègres, mais, hélas ! on a répandu tant d’impostures contre vous, que prudemment nous devons élever des doutes sur cette accusation : si cependant elle était fondée, agissez de manière qu’au plus tôt une médisance devienne une calomnie. Vos oppresseurs ont souvent repoussé loin des esclaves les lumières du christianisme, parce que la religion de la douceur, de Légalité, de ia liberté, ne convenait point à la férocité de ces hommes de sang. Que votre conduite contraste entièrement avec la leur. Charité est le cri de l’évangile, vos pasteurs le feront retentir au milieu de vous ; ouvrez vos cœurs à cette morale divine dont ils sont les organes. Nous avons allégé vos peines, allégez celles de ces malheureuses victimes de l’avarice qui arrosent vos champs de leurs sueurs et souvent de leurs larmes ; que l’existence ne soit plus pour les esclaves un supplice; par vos bienfaits à leur égard, expiez les crimes de l’Europe. En les amenant progressivement à ia liberté, vous accomplirez un devoir, vous vous préparerez des souvenirs consolateurs, vous honorerez l’humanité, vous assurerez la prospérité des colonies. Telle sera votre conduite envers vos frères les nègres; mais que devez-vous faire à l’égard de vos pères les blancs? Sans doute, il vous sera permis de verser des pleurs sur les cendres de Ferrand de Baudière, de cet infortuné Ogé, légalement assassiné, et mourant sur la roue, pour avoir voulu être libre; mais périsse celui d’entre vous qui oserait concevoir, contre vos persécuteurs, des projets de vengeance. D’aillœrs, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 juin 1791.] 235 ne sont-ils pas livrés à leurs remords et couverts d’un éternel opprobre? L’exécration contemporaine ne devancera-t-elle pas à leur égard l’exécration de la postérité? Ensevelissez dams un oubli profond tous les ressentiments de la haine, goûtez le plaisir délicieux de faire du bien à vos oppresseurs, et même, réprimez les élans trop marqués d’une joie qui, en rappelant leurs torts, aiguiserait contre eux la pointe du repentir. Religieusement soumis aux lois, inspirez-en l’amour à vos enfants; qu’une éducation soignée, développant leurs facultés morales, prépare à la génération qui vous succédera des citoyens vertueux, des hommes publics, des défenseurs de la patrie. Gomme leurs coeurs seront émus quand, les conduisant sur vos rivages, vous dirigerez leurs regards vers la France, en leur disant : Par delà ces parages est la mère patrie ; c’est de là que sont arrivés chez nous la liberté, la justice et le bonheur; là sont nos concitoyens, nos frères et nos amis; nous leur avons juré une amitié éternelle. Héritiers de nos sentiments, de-nos affections, que vos cœurs et vos bouclies répètent nos serments; vivez pour les aimer, et, s’il le faut, mourez pour les défendre. Signé : GRÉGOIRE. Paris, le 8 juin 1791. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DAÜCHY. Séance du mercredi 15 juin 1791, au matin (1). ! I La séance est ouverte à 9 heures du matin. Un de les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance de lundi, qui est adopté. M. «le Tracy. Messieurs, vous avez décrété daDs l’organisation du Corps législatif l’incompatibilité des fonctions municipales, administratives, judiciaires et de commandant de la garde nationale avec celles de député au Corps législatif. Un doute s’est élevé sur la question de savoir si cette incompatibilité porte sur les membres de l’Assemblée nationale actuelle. Mais, comme je suis certain que l’Assemblée n’a pas voulu donner à son décret un effet rétroactif en privant de leurs fonctions plusieurs de ses membres, je demande qu’il soit consigné dans le procès-verbal que l’incompatibilité décrétée n’aura son exécution que pour les prochaines législatures. M. Gauliier-ttlauzat. Les membres du directoire du département de Paris, qui se trouvent membres de l’Assemblée nationale, ont crn devoir donner leur démission au directoire. Leur conduite a été applaudie, et il paraît de plus en plus sensible que de pareilles fonctions sont incompatibles avec celles de la législature et que la loi doit avoir pour des fonctions aussi intéressantes un effet rétroactif. M. Audrleit. Les députés à l’Assemblée ac-! tuelle, membres du directoire du département de Paris, ont fait en se retirant une action louable, j mais la disposition de l’article dont il s’agit ne porte que sur les prochaines législatures. M. Darnaudat. Je représente à l’Assemblée que, si elle se déterminait à accueillir l’opinion de M. Gaultier-Biauzat, elle exposerait infiniment la sûreté publique; et pour le prouver, je demande quel membre voudrait que M. La Fayette fût obligé, dans les circonstances, de quitter le commandement de la garde nationale; voilà pourtant quel serait le résultat de votre délibération, si on parvenait à vous faire déclarer que votre décret doit s’appliquer à la législature actuelle. L’Assemblée a voulu incontestablement prononcer le contraire; les lois, d'ailleurs, ne peuvent pas avoir un effet rétroactif, à moins qu’elles ne le déclarent expressément. Cependant, puisqu’il s’est élevé des doutes, je demande que l’Assemblée prononce que les dispositions des décrets rendus n’auront lieu que pour les législatures à venir. MM. Bourdon et de Traey demandent que ces explications soient consignées dans le pracès-verbal. (L’Assemblée, consultée, décide que les incompatibilités prononcées par elle dans l’organisation du Corps législatif ne s’appliqueront qu’aux prochaines législatures, et elle décrète que ces observations seront consignées dans le procès-verbal.) M. Camus, au nom du comité central de liquidation, rend compte du retard que son travail est sur le point d’éprouver, dans la liquidation de l’arriéré du département des bâtiments du roi, par L’absence de M. d’Angivilier, dont il a été instruit hier par une lettre et un mémoire de M. Cuvillier, premier commis du département, adressés au directeur général de la liquidation; et après avoir exposé la nécessité qu’il existe une personne responsable de l’exécution des lois faites pour l’administration des bâtiments du roi, ainsi que les inconvénients qui doivent résulter de l’absence de M. d’Angiviller au moment de la liquidation de l’arriéré du département dont il a toujours été chargé, il propose le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité central de liquidation, qui lui a rendu compte de l’absence de M. d’Angiviller, directeur et administrateur général des Bâtiments du roi, décrète : Art. 1er. « Le roi sera supplié de commettre incessamment une personne pour remplir les fonctions dont le directeur général et administrateur de ses bâtiments est chargé par l’édit du mois de septembre 1776, à l’égard de tous les objets de créance concernant ses bâtiments, antérieurs au 1er juillet 1790. Art. 2. « Les biens et immeubles que M. d’Angiviller possède dans le royaume seront saisis à la requête de l’agent du Trésor public, et il sera établi à leur gouvernement et administration, des commissaires comptables, pour sûreté de la responsabilité dont ledit d’Angiviller est tenu relativement à l’exercice de ses fonctions, et à l’exécution de l’édit du mois de septembre 1776. » (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.