ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 mai 1790.] 384 (Assemblée nationale.] serait-il pas convenable de lui renvoyer la question qui nous occupe, puisque cette question n’est qu’une question de détail? Je crois qu’adopter un court délai, ce serait faire un très grand mal au royaume; car toutes les familles, tous les individus attachés à la magistrature abandonneraient cet état. Ne prononcez du moins aujourd'hui que de cette manière : le plus long terme sera de dix ans, et le plus court de quatre ans. Je manquerais à la vérité si, après avoir été juge d’appel pendant vingt ans sur un ressort d’une étendue considérable, je ne disais que, dans la plupart des affaires, j’ai reconnu beaucoup d’aptitude et de désintéressement dans les juges de première instance; il ne m’est arrivé que trois fois défaire réduire des épices ; c’est donc une véritable perte si vous les éloignez d’un état qu’ils croyaient, sur la foi des lois, posséder toute leur vie ; vous renverserez de fond en comble toute la justice dans le royaume. M. Rewbell. Dès que vous avez décrété constitutionnellement que les juges n’existeraient que pendant un temps déterminé, la détermination de ce temps est également constitutionnelle ; ainsi il n’y a pas lieu à renvoyer au comité. La priorité demandée pour le terme de quatre ans est rejetée. Deux épreuves sont douteuses sur la question de savoir si la priorité sera accordée au terme de six années. Les moyens de sortir de ce doute, sans recourir à l’appel nominal, occupent pendant quelque temps l’Assemblée. M. Dubois de Crancé. Dans toute affaire importante, l’appel nominal est une interpellation a la conscience et à la réflexion ; nous ne demandons pas l’appel nominal sur la priorité, mais sur le fond. Le temps sera-t-il limité à six ou à huit ans ? M. Martineau. Cette manière de poser la question serait bonne s’il y avait seulement deux avis ; mais comment répondront ceux qui demandent dix ans? Il faut poser ainsi la question : le terme sera-t-il de six ans, oui ou non? M. Milscent. Le doute s’est élevé sur la priorité demandée pour six ans. En mettant ainsi la question aux voix, vous accorderiez cette priorité. M. Fréteau. Il y a une forme de délibération qui tient à la nature de vos décrets : hier, vous avez décidé que les juges ne seront point à vie ; la première question à examiner ensuite est celle qui se rapproche le plus de la durée à vie. M. Mil-cent l’a présentée; il fallait donc, poursuivre une marche régulière, mettre d’abord en délibération cette question : la durée des fonctions des juges élus sera-t-elle de dix ans? M. le Président. La priorité avait été demandée pour quatre ans; elle a été rejetée; de quatre ans on a passé à six ; deux épreuves ont été douteuses; c’est là le point où nous en sommes. L’appel nommai a été demandé, il doit se faire. M. Démeunier. Hier, le principe a été décrété; il ne s’agit aujourd’hui que d’appliquer ce principe; il y aurait à statuer sur deux objets: 1° la durée du terme pour les premières élections; 2° si ce terme sera le même pour les élections subséquentes. On ne peut se dissimuler que la première fois il y aura un peu d’intrigue; vous ne préjugerez rien en décidant, dès ce moment, que, pour la première élection, les fonctions des juges seront de six ans, et que l’Assemblée, après l’organisation du pouvoir judiciaire, examinera s’il est convenable d’étendre ce terme. (L’Assemblée décide que l’appel nominal ne sera pas fait sur la priorité demandée. — Elle se détermine ensuite à aller aux voix sur le fond de la question.) M. de Sillery demande la question préalable sur le terme de dix ans. Cette proposition est adoptée, et l’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. Prieur. La délibération est réduite à un point simple : il faut aller aux voix sur la question de savoir si le terme sera de six ou huit ans. (On délibère par assis et levé.) M. le Président annonce qu’il y a du doute. Quelques membres du côté droit réclament. M. le Président observe que le doute vient de ce que beaucoup de membres de cette partie se sont levés pour et contre. On fait l’appel nominal. Le résultat donne 517 voix pour six ans, et 274 pour huit ans. M. le Président prononce que l’Assemblée a décrété « que les juges exerceront leurs fonctions pendant six ans ». La séance est levée à trois heures moins un quart. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE MARQUIS DE BONNAY, EX-PRÉSIDENT.. Séance du mardi 4 mai 1790, au soir (1). M. le marquis de Bonnay, ex-président , ouvre la séance à six heures du soir. M. Defermon, député de Rennes, donne lecture d’une adresse de la municipalité de Bennes, qui, d’après te vœu du conseil général de la commune, demande à acquérir pour 3 millions de biens ecclésiastiques. Cette adresse est renvoyée au comité de la vente des biens ecclésiastiques. M. Fucas, député de Gannat, lit une adresse de la municipalité de cette ville, qui, voulant donner une nouvelle preuve ,de son dévouement aux décrets de l’Assemblée nationale, demande à acquérir pour 500,000 livres de biens ecclésiastiques. Cette adresse est également renvoyée au comité de la vente des biens ecclésiastiques. M.lemarquis d’Argenteuil, député d’Auxois, (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARI lit une lettre par laquelle on l’informe du meurtre commis sur M. de Fitz-Jean-de-Sainte-Co-lombe, à l’assemblée primaire tenue à Viteaux le 28 avril. On a fait souffrir tous les tourments de la mort la plus longue et la plus barbare à ce malheureux gentilhomme; on l’a percé de six coups de couteau, on lui a introduit un bâton dans les oreilles et on l’a traîné dans la fange; on a été trois heures à lui arracher la vie. (L’Assemblée renvoie cette affaire au comité des rapports, qui en rendra compte jeudi prochain.) Une députation du département des Ardennes est introduite à la barre. M. Bailly, électeur, député de Charleville, organe des députés extraordinaires des électeurs des Ardennes, des villes de Mézières et de Charleville, prononce le discours suivant : Messieurs, électeurs et députés particuliers des villes de Mézières et Charleville nous venons rendre hommage à la sagesse des lois que vous avez portées. Nous étions esclaves, vous nous avez créés citoyens libres; vous avez renversé le colosse ministériel qui écrasait le peuple. Les déprédations énormes des finances avaient mis le royaume à deux doigts de sa perte, vous le sauvez en sondant la plaie dans toute sa profondeur, et en établissant un ordre inaltérable dans l’administration des revenus publics. Les provinces étaient opprimées par des commissaires, vous leur avez substitué des corps administratifs, composés de citoyens dont vous éclairerez et surveillerez les opérations. La féodalité, ce monstre né de l’ignorance des peuples et de la faiblesse des gouvernements, opposait à la régénération de la France une résistance que l’on croyaitinvincible: votre courage l’a détruit. Ce vaste et superbe empire, ébranlé jadis par des divisions intestines, dont la religion était le prétexte, ne craindra plus de voir son sein déchiré par les excès du fanatisme ; vous avez décrété la liberté des opinions, et, par respect pour la religion catholique, vous venez de lui rendre un hommage digne de sa grandeur en éloignant jusqu’au soupçon qu’il soit besoin d’un décret pour la conserver. Votre nouvelle division du royaume est un chef-d’œuvre qui fait une seule famille de tous les habitants des diverses provinces, qui, divisées d’intérêts, comme par leurs coutumes et leurs privilèges, semblaient être autant de peuplades isolées. Les parlements s’étaient investis d’une sorte de souveraineté rivale de celle qui ne doit résider que dans la nation : vous avez anéanti ces corps devenus dangereux ; vous les remplacez par des hommes qui n’arriveront à l’administration de la justice que par leurs talents et leurs vertus, et en décrétant l’amovibilité des juges, vous avez appris à ces mêmes hommes qu’il faudra être incorruptible pour obtenir l’honneur d'une réélection. Que pourraient maintenant des libelles, des cabales, des insinuations perfides contre tant de bienfaits? Groyez-en, Messieurs, l’amour de la liberté et du bonheur, gravé profondément dans le cœur des Français; tous les efforts des ennemis de la Révolution viendront se briser contre la masse des bons citoyens et des troupes nationales, armées pour le soutien de la Constitution, et la France, sous vos auspices, par vos lois, et animée par l’exemple du meilleur des rois, marche à grands pas vers les plus hautes destinées. Telle est, Messieurs, la profession de foi civique des électeurs du département des Ardennes. i1* Sérié. T. XV. 1MENT AIRES. [4 mai 1190.] 385 Avant la clôture de leur assemblée, ils ODt arrêté par acclamation une adhésion générale à vos décrets, et ils ont ordonné à l’assemblée de département de commencer ses séances par une adresse de remercîment et de soumission à l’Assemblée nationale. Nous sommes chargés de vous l’annoncer. Daignez, Messieurs, en confirmant la délibération des électeurs, leur faire connaître que cette auguste assemblée approuve leur conduite et leur vœu pour le bonheur des administrés. Nous finissons, Messieurs, en vous conjurant, au nom de nos comettants, au nom sacré de la patrie que vous avez créée, de ne point désemparer sans avoir achevé la Constitution. Nous jurons en vos mains de la faire respecter, et de la maintenir de toutes nos forces, et contre les étrangers s’ils pénétraient dans nos frontières, et contre les ennemis de la Révolution s’ils osaient attenter à notre liberté, ou insulter à la dignité du citoyen français. Signé : Hanotin, député de Mézières et membre de l’administration du département; Duvignault, électeur du département des Ardennes et député de Mézières; Bailly, électeur et député de Charleville. M. le Président répond : Messieurs, l’établissement rapidedesdiversdépartements du royaume est un des vœux que l’Assemblée nationale a formé avec le plus d’ardeur. Elle aime à voir que le département des Ardennes ait été un des premiers à se signaler, et par sa promptitude à se signaler, et par sa promptitude à se former et par son empressement à manifester son adhésion à ses décrets; votre éloignement du centre de l’empire n’a pas refroidi les sentiments d’amour que tout Français doit à sa patrie; l’Assemblée nationale a entendu avec une vive satisfaction les expressions de votre zèle pur et clair, et elle vous permet d’assister à sa séance. (L’Assemblée ordonne que l’adresse du département des Ardennes sera imprimée et insérée dans son procès-verbal.) M. Cretté de Palluel, de la société royale d’agriculture, fait hommage à l’Assemblée d’un ouvrage de sa composition sur le dessèchement des marais. L’Assemblée agrée cet hommage. M. Helman, graveur de l’académie des arts de Lille, fait hommage à l’Assemblée d’une estampe réprésentant l’ouverture des Etats-Généraux à Versailles, le 5 mai 1789. L’Assemblé agrée cet hommage. M. le Président donne la parole à un membre du comité des rapports pour faire, au nom de ce comité, un rapport sur l'affaire relative aux désordres arrivés dans la ville de Toulouse , les 18, 19 et 20 avril dernier. M. Huotde Concourt, rapporteur. Messieurs, j’ai l’honneur de vous proposer, au nom de votre comité des rapports, de consacrer par un décret les témoignages de satisfaction et d’approbation que mérite la conduite sage, prudente et ferme tenue par la municipalité de Toulouse dans des circonstances difficiles et orageuses. Le fanatisme et la superstition, déguisés sous le voile de la religion, ont tenté depuis quelque temps d’alarmer, d’irriter les citoyens de celte ville sur plusieursde vos décrets; et c’est au nom de Dieu, c’est en invoquant la Vierge, tous les saints, les saintes du Paradis et toutes les béatitudes célestes; c’est par des insinuations plus mystiques encore, par des exercices et pratiques 25