178 [Assemblée nationale.) pénétrer que c’est à une association de 24 millions d’hommes, à qui ils sont chargés de rendre justice sur un des points sur lequel il leur importe le plus de l’obtenir. J’ajouterai encore une considération très propre à faire désirer d’adopter un mode qui, du moins, sans avoir de grands inconvénients, rende justice prompte à chaque contribuable. On sait que le vexin français, l’ile de France et quelques autres provinces sont trop taxées par l’imposition faite sur les anciens privilégiés en 1790, pour en voir prolonger la méthode injuste pendant l’année 1791 ; ce qui ne manquerait pas d’arriver, si l’on tarde à prendre un parti sur cet important objet. Il y a des propriétaires dans ces provinces, qui payent la moitié ou le tiers de leur revenu. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY. Séance du vendredi 24 septembre 1790 (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Gillet-Lajacquemiiiière, secrétaire , donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au matin. Il est adopté. Un de MM. les secrétaires annonce une adresse des marchands armuriers de la ville de Paris, qui demandent une indemnité pour les dommages qui furent causés chez eux les 13 et 14 juillet 1789, lorsqu’on s’empara de leurs magasins. Cette adresse, avec les pièces qui y sont jointes, est renvoyée à la municipalité de la ville de Paris. Adresse des négociants de Cette, par laquelle ils demandent à l’Assemblée nationale la faculté d'établir une chambre de commerce et une bourse, pour se réunir journellement, comme dans les autres villes maritimes, et d’imposer, en conséquence, et lever sur les négociants telle somme qu’ils aviseront nécessaire pour l’achat ou louage d’une maison ou lieu qui sera appelé Bourse, et autres frais indispensables; ils démontrent, très au long, l’avantage qui résulterait d’une telle réunion, pour l’accroissement du commerce dans les ports de mer : ils protestent de leur entier dévouement pour les décrets de l’Assemblée nationale, et la préviennent qu’ils ont formé provisoirement, du consentement de la municipalité, un directoire composé de sept membres, pour la décision des seuls objets qui ne pourraient souffrir aucun délai, lesquels sont en grand nombre dans les circonstances présentes. M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur la liquidation de la dette publique. M. d’Elbecq. Je ne connais pas assez les grandes opérations de finances pour vous présenter mon opinion particulière sur la grande et importante question qui est soumise aujourd’hui (1) Cette séance est incomplète au Moniteur . (24 septembre 1190.) à votre délibération ; mais il est de mon devoir de vous faire connaître le vœu de la ville de Lille, une des plus grandes et dés plus florissantes du nord de la France, par son commerce et ses manufactures. Elle m’a chargé de vous faire part de ses inquiétudes sur l’émission de 2 milliards d’assignats-monnaie, et voici comment elle se résume dans un mémoire que vous ont envoyé à chacun en particulier ses députés extraordinaires (1) : « En payant en assignats forcés la dette nationale exigible, tout l’argent disparaît, tous les ateliers se ferment, les ouvriers de toutes les classes se trouvent sans travail et sans pain, les denrées et les marchandises augmentent, de manière que toute balance est rompue au dehors comme au dedans; enfin le commerce national est anéanti. Si la nation se libère, au contraire, par des quittances de finances, tous nos maux sont finis, la confiance renaît, le capitaliste ouvre ses coffres, le fabricant rappelle tous ses ouvriers, et tous les Français heureux bénissent la Constitution. » M. de Foucault. Je demande qu'on indique une assemblée extraordinaire ce soir, pour lire les adresses de province que nous recevons tous les jours, pour, sur et contre les assignats, afin que l’Assemblée soit à portée de connaître le vœu de la nation entière, avant de se déterminer sur un objet aussi important. (L’Assemblée, consultée, remet cette lecture à l’ordre de deux heures.) M. de La Galissonnière (2). Messieurs, votre comité des finances vous a présenté un aperçu approximatif de la dette exigible, montant à 1,900 millions; il vous propose deux moyens pour la payer : Le premier, une émission de 1,900 millions d’assignats en papier-monnaie forcé, ne portant pas intérêt; Le second, une émission de quittances de finance de pareille somme, portant intérêt à 5 0/0. Les opinions sont partagées sur ces deux moyens, et dans cette Assemblée même les idées ne sont pas fixées. Celles du public sont flottantes; il n’est personne qui ne soit effrayé sur un résultat dont les effets, en changeant la face du royaume, vont prononcer sur les destinées de la France. L’opinion de Paris semble pencher vers les assignats : l’opinion de la grande majorité des provinces y est formellement contraire. Nous ne pouvons nous dissimuler que les provinces constituent le royaume ; sa capitale, quelque intéressante qu’elle soit, ne peut être qu’un objet de considération, mais non un motif déterminant, le vœu des provinces doit donc être consulté ; car, en dernière analyse, leur volonté fera toujours la loi : et, à cette occasion, Messieurs, je ne dois pas cacher mon étonnement d’avoir entendu un membre de cette Assemblée, avancer, dans la séance du 10, des idées totalement destructives de la soumission et du respect que des représentants doivent aux représentés. Dire que nous voulons des lumières , mais non de corps , parce que nous n'en connaissons plus ; des lumières pétitionnelles , car nous n'avons jamais voulu, nous ne voulons pas, et nous ne voudrons jamais de lois ; (1) Voyez aux Annexes le mémoire de la ville de Lille. (2) Le discours de M. de La Galissonnière n’est que mentionné au Moniteur . ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1790.] 179 c’est dire que le corps qui fait des lois ne peut être soumis à en recevoir. Si de pareils principes pouvaient faire loi, il ea résulterait que 26 millions d’hummes seraient les esclaves de quelques centaines de mandataires, qui cependant ont reçu, sous la foi du serment, une mission à remplir, des pouvoirs limités à exercer, des cahiers à suivre, de ces mêmes hommes leurs commettants, qu'ils voudraient aujourd’hui asservir à leurs volontés. De pareilles assertions sont tellement inconstitutionnelles, tellement contraires aux droits imprescriptibles du peuple, que je réitère la motion de M. Landine, « que l’Assemblée invite les départements à émettre leur vœu. » Cependant la discussion étant ouverte* il faut examiner cet important problème sous tous ses rapports ; et pour mettre de l’ordre dans la série de ses idées, il faut d’abord se demander : 1° A-t-on besoin d’un papier quelconque? 2° La dette exigible monte-t-elle à 1,900 millions? 3° Faut-il la payer avec des assignats papier-monnaie forcé sans intérêt, ou avec des quittances de linance avec un intérêt? 4° N’existe-t-il pas d’autres moyens de liquidation que des assignats, ou des quittances de finance? La première question, celle qui Représente naturellement à l’esprit est celle-ci : Avons-nous besoin d’un papier quelconque? Je voudrais être dans la négative, parce que je suis vivement affecté des inconvénients qui én doivent résulter; mais, cédant à l’irrésistible nécessité des circonstances, je me vois réduit à en admettre de la manière et dans la quantité que je vais déterminer. Vous avez déjà décrété, Messieurs, une émission de 400 millions d’assignats papier-monnaie forcé, avec un intérêt de 3 0/0, qu’il faut aujourd’hui regarder comme étant entièrement dans la circulation. Suivant les derniers rapports de M. Necker, les besoins de l’Etal, devenus plus pressants et plus inquiétants par la difficulté des recouvrements, exigent encore un secours de 200 millions pour l’année 1790, et entamer 1791. Mais comme le nouveau mode d’imposition ne doit commencer qu’au 1er janvier 1791, et que l’impôt direct ne se paye que longtemps après son échéance, car il ne faut pas se flatter que la contribution foncière se paye régulièrement par mois, comme nous le fait espérer notre comité d’imposition ; que les impôts indirects, qui ne sont pas encore supprimés, sont mal acquittés, et dans plusieurs provinces, presque nuis; je crois devoir proposer une création de 7 à 800 millions, non pas d’assignats, mais de billets de caisse nationale, qui auront cours forcé dans le royaume, et qui ne porteront pas d’intérêt. Je propose 7 à 800 millions, afin: l°de retirer les400 millions d’assignats déjà en circulation; 2° afin de se donner une grande latitude, et ne pas voir le Trésor public à la veille de suspendre ses payements, comme nous en fûmes menacés il y a peu de temps. J’ai toujours vu avec peine qu’on eût attaché un intérêt de 3 0/0 à l’émission des 400 millions d’assignats. Get intérêt, qui occasionne un double agiotage, équivaut à un impôt mis sur les citoyens qui ne sont pas dans les affaires, et certes c’est la classe la plus nombreuse. Les caissiers et les payeurs publics retiennent exactement cet intérêt : le rentier, le créancier reçoit sa rente, son remboursement sans cette retenue, et cependant elle est perdue pour lui quand il veut changer l’assignat reçu ; je ne parle pas du monopole de conversion en espèces, qui est de 5 et 6 0/0, en sorte que la perte réelle est pour le créancier de 8 et 9 0/0. Qui fait ce bénéfice énorme ? Le capitaliste, le faiseur d’affaires, l’agioteur. L’Assemblée doit donc faire cesser cet intérêt soit au 15 avril 1791, soit en faisant retirer de la circulation ces assignats pour y substituer des billets de caisse nationale. La France aurait doue entre 7 à 800 millions de billets de caisse nationale, auxquels il ne serait attaché aucun intérêt, Je ne crois pas ce numéraire fictif trop considérable pour soutenir son crédit. En effet, le numéraire réel du royaume était, il y a quelques années, de 2 milliards 4 à 500 millions. Qu’on ne me dise pas qu’il en est sorti pour un milliard, même plus, comme je l’entends dire, comme on ne cesse de l’écrire : il en est sorti sans doute, mais avec 200 millions combien d’individus peuvent vivre ! Le numéraire est dans le royaume, il est concentré dans les grandes villes, et je ne crains pas d’avancer qu’il y a dans Paris peut-être plus de 800 millions en louis et en écus, qui n’attendent, pour sortir des caisses des banquiers et des gens d’affaires ou de finance, que le résultat de vos opérations. L’inquiétude, une méfiance exagérée d’une part, de l’autre une avidité ardente, le calcul de la détresse publique, pour tripler sa fortune, sont les causes de la rareté du numéraire; il n’est que caché ; il faut arriver aux moyens de le faire sortir de ses retraites. Un royaume peut comporter pour un tiers, ou environ, de numéraire fictif, sans grands inconvénients pour le prix des denrées et de la main-d’œuvre. Son crédit doit se soutenir, quand on assure sa conversion facile en espèces, et son anéantissement successif de la circulation. Une' émission au delà serait trop dangereuse; elle occasionnerait des convulsions désastreuses dans tous lesrapports de l’agriculture, du commerce, du prix des comestibles, du salaire des ouvriers et du payement des fonctionnaires publics. Il n’y aurait plus aucune proportion; et quand les choses auraient été élevées à ce point, une nuit affreuse plongerait les citoyens dans les ténèbres; la société serait dans le chaos. Il faut donc renoncer à l’émission de 1 ,900 nouveaux millions d’assignats, qui, jointe aux 400 déjà en circulation, donnerait un résultat de 2,300 millions; c’est-à-dire que vous auriez autant de papier-monnaie forcé que d’argent monnayé. Quelle serait la mesure de l’impôt? Le doublement subit, ou du moins l’augmentation considérable dans le prix des productions et des dépenses, nécessiterait celui des impositions. Gomment parviendriez-vous à les faire payer ? Les habitants des campagnes, qui craignent les assignats et qui repoussent avec horreur l’agiotage, consentiraient-ils pour le seul profit des faiseurs d’affaires à se voir surcharger ? L’assiette de l’impôt serait l’écueil de ce déluge d’assignats : là, viendrait se briser avec un déchirement effroyable et s’engloutir cette opération désastreuse. Des assignats, des billets de caisse, du papier-monnaie forcé, en un mot, tout ce qui tient lieu d’argent, me paraissent si dangereux, qu’il faut les circonstances impérieuses qui nous commandent, pour que j’opine à une circulation de 7 à 800 millions de billets de caisse. Mais je vais offrir le moyen pour qu’il n’en résulte aucun inconvénient majeur, et que ces billets disparaissent successivement du commerce ; c’est : 1° pour en |80 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1790.] empêcher la contrefaçon que ces billets soient signés de douze députés des principales places du commerce. Les assignats actuels ne sont signés que d’une seule personne; vous conviendrez, Messieurs, qu’il est aisé d’imiter une signature ; il est presque impossible d’en contrefaire un grand nombre : la confiance s’établira aussi en raison des personnes connues ; et, à cet égard, il est une observalion importante, c’est que 300,000 écus faux n’arrêtent pas la circulation de l’argent, tandis que cent billets faux feraient refuser tous les autres. Des registres doivent constater le nombre, les dates, les sommes, les numéros et les échantillons des billets émis et de ceux qui le seront successivement d’après les besoins de l’Etat et sur vos décrets, pour servir, au besoin, de pièces de comparaison; 2° pour les retirer successivement de la circulation, d’ordonner que chaque mois le Trésor public en retirera au moins pour deux millions, qui seront brûlés en présence des douze députés du commerce, signataires, qui constateront, par procès-verbal, les numéros, les sommes, le nombre, les dates et la sincérité des billets brûlés. Le Trésor public conservera toujours en caisse, tant à Paris que dans les capitales des départements et des districts, un certain fonds en espèces pour la conversion exacte des billets, qui auront pour hypolhèque les biens nationaux, dont il sera fait une distraction pour servir de gage et comme de cautionnement à la valeur de ces billets. Au moyen de cette opération, l’Etat profite de 40 millions d’intérêt dans les premières années; elle n’occasionnera aucun mouvement violent; et, avant trente ans, les billets de caisse auront été retirés de la circulation. Je dis trente ans, c’est le maximum : on sent bien que la rentrée serait beaucoup plus prompte, si, au lieu de 2 millions, l’Assemblée ordonne d’en retirer 4, 5, 6 et même 10 par mois. Je vais passer à la seconde question. La dette exigible monte-t-elle à 1,900 millions? Votre comité des finances vous a présenté cet aperçu, mais il est aisé, Messieurs, de prouver la confusion des créances. La dette que votre comité appelle exigible, pourra l’être en effet quand elle aura été liquidée pour partie, et que de l’autre les remboursements à terme seront échus. Or, il y a des emprunts à terme dont les époques se prolongent jusqu’en 1809 et 1825. Cependant votre comité les a compris dans la dette exigible : certes les créanciers ne sont pas même fondés à demander leur remboursement. Le comité a également compris, dans la dette exigible, les charges de finance, les cautionnements et autres objets. Mais, indépendamment que la liquidation n’en est pas faite, et qu’elie n’est pas près de l’être, puisque les titulaires sont en exercice, qui peut répondre que ces différents agents de la chose publique ne soient pas débiteurs dans leurs recettes? Il y aura des comptes à rendre par chacun d’eux, et peut-être que les débets balanceront la finance de leurs cautionnements. Je ne vois donc d’exigible que l 'arriéré des départements, et d’autre liquidation qui puisse être commencée sans retard, que celle des offices de magistrature et des charges militaires, ou des maisons du roi, de la reine et des princes. M. Necker, dans son dernier rapport, a estimé ces derniers objets à 541 millions. Eh bien, pour éviter tout mécompte, toute erreur, supposons la dette exigible actuelle de 600 millions. Il n’y aurait donc que 600 millions à payer, et dont la liquidation puisse être faite sans retard. L’Assemblée n’a donc pour le moment à s’occuper que du payement de 600 millions : c/est une son. me considérable, mais qui certes n’est pas au-dessus des moyens du royaume; le remboursement en est facile et j’en indiquerai bientôt les moyens. La troisième question, est : Si la dette exigible doit être payée avec des assignats papier-monnaie forcé sans intérêt, ou avec des quittances de finance portant intérêt. Je crois avoir assez démontré les dangers d’une émission d’assignats de 1,900 millions, pour être dispensé de les présenter de nouveau. Il ne faut point d’assignats; il faut des billets de caisse nationale dont j’ai fixé l’espèce et la quantité : ces billets de caisse nationale feront dans tout le royaume le service, et seront du même usage dans les provinces, que les anciens billets de la caisse d’escompte l’étaient à Paris. Mais le crédit d’opinion sera bien différent; les billets de la caisse d’escompte n’avaient d’autre garantie de la nation, et une hypothèque spéciale sur les biens nationaux. La dette exigible, quant à présent, montant au plus à 600 millions, il est démontré qu’une émission de 1,900 millions seraient une folie; on ne saurait où les appliquer. Je vais examiner si ces 600 millions, que je regarde comme l’unique somme à payer dans ce moment, doit l’être par des quittances de finance. Je ne crains pas de me prononcer contre; vous n’avez déjà dans la circulation que trop de papiers; une augmentation nouvelle de 600 millions achèverait de les discréditer ; la perte moyenne de nos effets est de 20 0/0, elle serait peut-être de 40. L’intérêt que vous attacherez, Messieurs, à ces quittances de finance, serait une nouvelle charge pour l’Etat; il ne pourrait être au-dessous de 4 0/0 et voilà sur-le-champ une augmentation d’impôts de vingt-cinq millions par an. Ce serait, en effet, un impôt déguisé; car, en dernière analyse, tout emprunt est un impôt. Eloignons de notre mémoire ces époques où un ministre banquier, fascinant les yeux d’un public crédule, avait comme persuadé qu’il était bien supérieur à ses prédécesseurs, en soutenant une guerre sans impôts. Il a fourni à ses frais par des emprunts énormes, dont les intérêts sont tellement excessifs, qu’il est calculé que le terme moyen de l’extinction des rentes viagères sur les têtes génevoises, ne peut avoir lieu qu’à l’expiration de quarante-trois années, c’est-à-dire que les sommes exportées en payement de ces rentes viagères auront plus que triplé les capitaux importés à l’époque de leur création. Crnst d’après un examen irréfléchi, que je crois qu’il serait aussi politique qu’économique de rembourser ces sortes de rentes viagères. La création en est moderne; nous aurons longtemps à les payer, et chaque année notre numéraire sort. Genève n’est riche que depuis qu’elle nous a donné un ministre. Les quittances de finance présentent encore un autre inconvénient; c’est que ne pouvant être qu’appliquées à l’acquisition des biens nation-naux, vous forcez la volonté des propriétaires. Ce n’est pas la marche que doit tenir un peuple libre. Porteur d’une quittance de fiuance, je dois être le maître de la garder, de la vendre, d’en payer mes créanciers; en un mot, elle doit être 181 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLE.iiEN i'Alll MS. [24 septembre 1790. [ disponible comme le numéraire réel. Si je n'en puis faire d’autre application que dans l’acquisition de biens nationaux, que j’aie des dettes, que je fasse un commerce, que j’aime le séjour des villes, je serai donc dans la dure position, avec des valeurs dans les mains, de ne pouvoir me libérer, de ne pouvoir accroître mon industrie, et d’habiter malgré moi la campagne, au moins une partie de l’année, si je veux mettre en valeur mon nouveau bien-fonds? Les inconvénients et publics et privés, sont assez palpables pour rejeter un moyen qui obstruerait encore la valeur des effets en commerce, et qui serait un attentat à la libre disposition de sa propriété. La quatrième question consiste à savoir s’il n’existe pas d’autres moyens de liquidation de la dette publique, que des assignats ou des quittances de finance? Après avoir rejeté ces deux moyens, je vais, Messieurs, avoir l’honneur de vous proposer mes idées. La dette exigible, à libérer quant à présent, s’élève au plus à 600 millions; votre comité de liquidation doit liquider chaque créance, et joindre au titre de propriétaire ou titulaire de la charge, office ou compte liquidés, un bordereau signé au moins de six membres du comité, qui énoncera la somme liquidée et due, portant une prime décroissante de 4 0/0, à partir de la date de la liquidation. Ce bordereau, joint aux pièces ou titres primitifs de la créance liquidée, sera com-merçable et forcée, de tout débiteur envers tout créancier. Le porteur du bordereau qui acquerra des biens nationaux dans le six premiers mois, à partir du 1er janvier 1791, louchera la prime de 4 0/0; après six mois, 3 0/0; après l’année, 2 0/0; après dix-huit mois, 1 0/0; et ce dernier délai expiré, la prime tenant lieu d’intérêt, demeurera supprimée. Je propose ces détails pour trois motifs: 1° parce qu’il faut un certain temps pour s’informer, voir et examiner les biens-fonds, dont l’acquisition ne peut se faire du jour au lendemain; 2° parce que les biens que vous voulez vendre n’étant pas suffisamment connus, il faut donner le temps à votre comité d’aliénation, ainsi qu’aux municipalités, de prendre les renseignements suffisants pour les vendre à leur juste valeur; 3° enfin, parce qu’il faut donner le temps à votre comité de liquidation d’examiner les titres qui lui seront présentés, de statuer sur des demandes qui ne peuvent être trop examinées, et d’en dresser les bordereaux. Je propose que les bordereaux liquidés par votre comité de liquidation, soient commerçâmes et forcés de tout débiteur envers tout créancier, pour ne gêner la volonté ni le goût de personne. N’en doutez pas, vous trouverez des acquéreurs. Qu’importe que ces acquéreurs aient été, dans le principe, des créanciers de l’Etat, ou qu’ils aient acheté de ces derniers les bordereaux liquidés par votre comité? Votte but est de vendre; et votre objet de payer les parties exigibles de la dette publique et liquidée; de mettre en même temps toutes les parties intéresséss en mesure de se libérer. Je propose des bordereaux liquidés par votre comité, auxquels j'attache une prime décroissante, de manière qu’après l’expiration de dix-huit mois, ces bordereaux ne rapportent plus aucun intérêt. C’est la seule manière d’en forcer l’application, en acquisition de biens nationaux, parce que personne ne voudra garder un fonds mort. Ainsi celui qui ne voudra ou ne pourra acquérir des biens-fonds, trouvera facilement à s’en défaire. Je le répète, il se présentera des acquéreurs, et moins il y aura de biens-fonds, à vendre dans le même moment, et plus les enchères s’élèveront. Votre comité de liquidation doit tenir des registres des bordereaux liquidés et délivrés, lesquels registres seront déchargés, dès que l’emploi des bordereaux aura été fait en biens nationaux. J’aurais désiré, Messieurs, que, pour connaître la valeur de ces biens, votre comité d’aliénation eût prit le parti de les affermer à la chaleur des enchères. Il faut convenir de cette vérité ; c’est que nous n’en connaissons ni la valeur foncière ni la valeur annuelle. On n’en a que des aperçus, et ils diffèrent tantentre eux, qu’il est presque impossible d’avoir une idée arrêtée. Interrogez les ecclésiastiques les plus instruits; ils vous assurent que, depuis la suppression des droits féodaux, et la distraction des forêts et bois conservés, la valeur foncière des biens du clergé n’est que d’un milliard à 1,200 millions. Votre comité ecclésiastique la porte, y compris les biens du domaine, à deux milliards cinq à six cents millions. L’estimation de votre comité n’est soutenue d’aucune preuve; ce n’est donc qu’un aperçu. Je ne parle pas des estimations que l’on trouve imprimées çà et là; il y en a de si exagérées qu’elles ne méritent pas même qu’on en parle. Croyant avantageux à la richesse nationale et à la garantie de la dette publique de connaître la valeur des biens à vendre, je n’hésite pas, Messieurs, à vous proposer de les affermer sur publication au plus offrant et dernier enchérisseur solvable, en présence des officiers municipaux des arrondissements où sont situés ces biens. Ces officiers en seront les administrateurs et les conservateurs. Leur en laisser la régie, c’est renoncer à connaître leur valeur. Les officiers municipaux ne sont que des hommes ; quelque patriotes qu’ils soient, l’intérêt particulier pourra être plus fort que le patriotisme. Il y aura des abus; vous aurez des plaintes; vous sera-t-il aisé de redresser les torts ou les erreurs de quarante-quatre mille municipalités? Les baux n’ont jamais empêché une vente. La loi Emptorem a toute sa force en faveur de l’acquéreur ; mais les baux font connaître la valeur des objets, et comment connaître celle des biens cultivés par l’usufruitier? On sait que la plupart des ecclésiastiques se faisaient donner de forts pots-de-viu. Le fermier cependant calculait la mort possible de Vabbé ; il savait que son bail était, dans ce cas, résilié de plein droit, et c’est d’après cette chance et ses avances, qu’il se soumettait à donner tant par an 4e ferme de telle abbaye, de tel prieuré, etc. Si la vente des bénéfices se fait d’après de pareils baux : quelle perte pour la chose publique : quel profit, au contraire pour la rue Vivienne! La vente de ces biens ne pouvant être que successive, le Trésor public aura des revenus connus, certains, lorsqu’ils seront affermés; s’ils ne le sont pas, il lui sera envoyé des quittances de réparations, de frais de régie, d’administration , c’est-à-dire beaucoup de papier et peu d’argent. : Cependant vous avez 600 millions à rembourser incessamment. Opérez ces remboursements par la vente des biens morts , tels que les maisons des villes et autres établissements qui, avec une [Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 182 grande valeur, ne rapportent cependant pas de revenus, et affermez sans délai tous les biens ruraux. En me résumant, je le répète, Messieurs, ce n’est qu’en cédant à l’irrésistible nécessité des circonstances, que je propose une émission de 800 millions de billets de caisse nationale, dont 400 seront employés à retirer les 400 millions d’assignats que vous avez précédemment décrétés. Ces billets de caisse sans intérêt, mais qui auront un cours forcé, ne sont que du papier-monnaie, et le papier-monnaie a toujours répugné âmes principes. Ces opérations, dangereuses pour l’agriculture, le commerce,, le change avec les puissances étrangères et l’assiette de l’impôt, occasionnent des convulsions, des secousses violentes dans un Etat. L’émission en doit être lente et successive. Si elle était augmentée de 1,900 millions, il y aurait une subversion totale dans les fortunes des particuliers, et un renversement absolu de tout système de finance; le numéraire sortirait de toutes parts, et l’anéantissement politique de la France en serait le résultat. J’ai préféré aux quittances de finance avec intérêt, un bordereau de liquidation de chaque créance, auquel est attaché une prime décroissante de 1 0/0 de six mois en six mois, afin d’obliger les porteurs de ces bordereaux à faire l’acquisition des biens nationaux, pour ne pas garder un fonds mort. J’ai proposé de vendre de préférence les biens nationaux des villes, parce que la plupart ne rapportent pas de revenu, quoique ayant une valeur considérable, mais morte; et d’affermer les biens ruraux, afin de les vendre en plus grande connaissance de leur valeur ; et en attendant leur vente, le Trésor public recevra un produit annuel. Ce produit diminuera d’autant la somme des contributions; car il ne faut pas se déguiser le résultat de la vente des biens au clergé; c’est le remplacement de leurs revenus, par un impôt perpétuel pour payer le culte et ses ministres. Je crois aussi, Messieurs, qu’il serait instant que l’Assemblée décrétât incessamment la fabrication de 50 à 60 millions de monnaie-billon,afin de faciliter ses échanges et ses acomptes ; il n’est pas moins instant de rétablir la force publique : en vain ferez-vous d’excellentes lois si elles restent sans exécution. D’après ces différents développements, Messieurs, j’ai l’honneur de vous proposer le projet de décret suivant : L’Assemblée nationale, persuadée qu’il est de la dignité comme de la justice de la France d’acquitter la dette contractée au nom de l’Etat ; que l’emprunt est la principale cause du désordre des finances ; que la plupart des opérations n’ont été que des emprunts déguisés, et fia cause de l’augmentation effrayante de la dette publique; convaincue que, sans l’entière liquidation de cette dette dont les payements successifs doivent être assurés ; que sans le rétablissement de la force publique qui peut seule effectuer le recouvrement des contributions des peuples, il ne peut exister dans un grand empire aucun moyen de rétablir l’ordre dans les finances, et de garantir les personnes comme les propriétés, a décrété et décrète : Art. lerr 11 sera créé pour 800 millions de billets de caisse nationale, qui auront cours dans tout le royaume sans que cette somme puisse être 6xcéclé6 Art. 2." Ces billets de 100, 200, 300 et 1,000 livres, [24 septembre 4790.] reçus de tous débiteurs envers tous les créanciers et dans toutes les caisses tant publiques que particulières, ne porteront point intérêt. En conséquence, les 400 millions d’assignats décrétés les 19 et 21 décembre 1789, 16 et 17 avril 1790, avec un intérêt de 3 0/0, seront retirés successivement et remplacés par des billets de caisse nationale. Art. 3. Les billets de caisse nationale sercmt signés par douze députés du commerce des principales places du royaume. Ces députés tiendront des registres cotés et paraphés, contenant le nombre, la somme, la date et le numéro des billets mis en circulation. Art. 4. Le Trésor public retirera par chaque mois, à commencer du 1er janvier 1791, pour deux millions au moins de ces billets, lesquels seront brûlés en présence des douze commissaires-députés du commerce, dont il sera dressé procès-verbal qui constatera le nombre, la somme, la date, le numéro et la sincérité de ces billets ; les registres seront émargés et déchargés des billets brûlés. Art. 5. La dette exigible sera payée de la manière suivante : Chaque partie d’icelle sera liquidée et arrêtée au comité de liquidation ou de judicature, qui, sur le rapport fait et décrété par l’Assemblée nationale, remettra au propriétaire, titulaire ou porteur de la charge, office ou compte liquidé, un bordereau qui sera annexé aux titres constitutifs de la créance. Art. 6. Chaque bordereau sera signé de six membres du comité de liquidation ou de judicature, en vertu d’un décret de l’Assemblée nationale. Art. 7. 11 sera attaché à chacun de ces bordereaux une prime décroissante de 4 0/0, à partir de la date de liquidation. Art. 8. Les bordereaux, auxquels seront annexés les titres constitutifs et pièces y relatives de la créance liquidée, seront commerçables et forcés de tous débiteurs envers tous créanciers. Art. 9. Tout porteur de ces bordereaux pourra acquérir des biens nationaux ; et ea jouissant de cette faculté dans les six premiers mois, à compter du 1er janvier 1791, si la date du bordereau liquidé est antérieure à cette époque, il touchera la prime de 4 0/0 ; au 1er juillet 1791, il ne touchera plus que 3 0/0; au lar janvier 1792, que 2 0/0 ; au 1er juillet 1792, que 1 0/0. Ce dernier délai expiré, la prime tenant lieu d’intérêt sera supprimée. En conséquence de ces facilités accordées, la prime décroîtra de six mois en six mois, à dater du jour de la liquidation de chaque bordereau ; en sorte qu’à l’expiration des délais énoncés, il cessera d’en jouir, sans néanmoins perdre de la valeur de son capital, qui pourra, dans tous les temps, être employé en acquisition de biens nationaux. Plusieurs membres demandent l’impression du discours de M. de La Galissonnière. L’impression est ordonnée. M. Antoine Morin, député de Carcassonne (1). Messieurs, lorsque les bons esprits, également animés du désir de découvrir la vérité, se divisent d’opinions sur un sujet, il y a lieu de penser que la matière est délicate et embarrassée. Telle pou-(1) Cette opinion est incomplète au Moniteur. 183 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1190.] vait être, telle a été la question sur les assignats, au premier moment où on l’a soumise à la discussion; mais il me paraît inconcevable que tous les avis ne se soient pas réunis depuis la grande lumière qu’a répandu tout ce qui a été dit ou écrit sur cette importante matière. Je ne vous répéterai pas ce que d’autres vous ont développé ; je ne vous peindrai pas les assignats, portant la désolation dans toutes les classes de citoyens, mettant aux prises celui qui a prêté son argent avec celui qui ne lui offrirait que du papier ; l’homme confiant et simple, avec le spéculateur adroit; offrant à l’industrie un salaire mensonger ; ne présentant que des terres inutiles à ceux qui ont besoin de pain ; faisant déserter les manufactures et soulevant partout les habitants des campagnes. Ma présence à cette tribune est le signe certain de mes alarmes et du danger qui menace la chose publique. Je conviendrai, si l’on veut, avec les partisans du papier-monnaie, que rien ne serait plus beau dans la théorie, que rien ne servirait mieux dans la circonstance, si tous les Français, tous les étrangers, s’engageaient sur leur tête à lui prêter une créance constante et inaltérable, mais on ne me contestera pas qu’il n’est rien de plus funeste dans la pratique que ce papier, lorsque chacun le repousse dans la capitale et dans les provinces; on le reçoit pour une moindre somme que celle qu’il représente. Ainsi, l’unique ou tout au moins la principale base (la confiance publique) sur laquelle les promoteurs des assignats les font reposer, croule déjà sous nos yeux ; ce qui suffirait pour les proscrire sans autre examen. Encore une fois, mon objet n’est pas de traiter à fond une matière qui a été épuisée par ceux qui m’ont précédé. Sa haute importance seule m’a engagé à vous présenter quelques réflexions détachées, à énoncer mon avis, et à vous montrer l’abîme où. l’on peut vous entraîner, Dans ce pressant danger, je m’adresserai principalement à cette portion de l’Assemblée nationale qui, par son courage et son grand sens, a sagement secondé la Révolution dans le peuple, opérant dans toutes les parties de l’Empire ; elle ne voudra pas compromettre tant de travaux par une fausse opération de finance. On vous a souvent répété que vous faisiez une injustice aux créanciers de l’Etat, si vous les payez avec un papier libre, qui ne pourrait pas servir à acquitter leurs dettes. Ne voit-on pas qu’en leur cédant les plus belles propriétés du royaume, vous les traitez comme les aînés de la grande famille, au moment même où l’Etat, sans vous, était forcé de leur faire banqueroute? C’est pour eux que vous avez fait rentrer dans vos mains les domaines nationaux. Ces biens qu’il eût été si doux et si politique d’abandonner à la classe indigente de la nation, sont devenus le gage, l’hypothèque et la marchandise que vous avez promis à vos créanciers ; ils ne comptent pas sur autre chose. S’il en était autrement, s’ils pouvaient se défaire, envers qui il leur plairait, du papier territorial qui doit les rembourser, vous mettriez la nation entière entre les créanciers et les biens nationaux, vous lui feriez payer de sa fortune une liberté qu’elle a conquise sans vous, et que vous ne lui pouvez ravir qu’en la lui rendant odieuse. L’honnête homme, qui n’a point contracté avec l’Etat, qui ne l’a connu que pour lui payer de forts subsides, qui n’a pris aucune alarme sur sa fortune, se trouverait tout à coup sacrifié. Le citoyen, qui a assez de ses propriétés, serait tenu d’en acheter de nouvelles, si ses créances ou ses denrées lui rentraient en papier ; il manquerait, faute de numéraire, l’établissement de ses filles, à moins que vous ne supposiez que nos jeunes gens se chargeaient tout à la fois et d’une femme et d’une dot en assignats. L’artisan qui n’a que le fonds nécessaire pour ses ateliers, remboursé de ses avances, en papier, serait réduit à abandonner sa profession, pour devenir agriculteur forcé et malhabile. Pour comble d’infortune, et comme si tous les maux devaient découler de l’opération qu’on vous propose, le papier-monnaie, qui excéderait la valeur des biens nationaux, serait perdu pour les derniers porteurs ; vous comprenez aisément que ce ne seraient pas les créanciers, puisqu’ils auraient été les premiers à les verser dans la société. On a prétendu que l’immense dette de l’Etat était celle de tous les particuliers, ce qui suppose qu’au besoin et en cas d’insuffisance des biens nationaux, il faudrait les chasser de leurs demeures, pour y loger les créanciers. Quand on professe une pareille doctrine, on doit se mettre peu en peine, si les assignats, dans leur course meurtrière, porteront l’effroi et la désolation dans les campagnes. Je vous le demande : Pouvez-vous frapper sur la fortuné de tous les pères de famille, au profit d’une classe de citoyens où l’on compte sans doute des gens honnêtes, mais dont une partie a été le fléau de l’Etat, et deviendrait votre bour-• reau, depuis qu’elle ne peut plus être votre tyran? Moi ! je contribuerais, pour ma part, à anéanlAr le patriotisme de deux cent cinquante mille individus pauvres et laborieux, qui comptaient sur ma probité et mon courage pour les défendre I je le compromettrais, pour faire face à une créance dont une partie est frauduleuse ! Rappelons-nous, mes chers collègues, mes frères de courage, de patriotisme et de persévérance, rappelons-nous les témoignages de confiance et de satisfaction que nous avons reçus dans nos bailliages respectifs de ces bons laboureurs dont le suffrage nous a revêtus des fonctions augustes que nous remplissons depuis dix-sept mois, en promettant sans cesse d’améliorer leur sort. Retournerons-nous auprès d’eux pour leur apprendre que nous ne nous sommes occupés que du sort des créanciers qui n’étaient pas les leurs avant le 17 juillet de l’année dernière? Leur dirons-nous froidement : nous avons converti vos denrées, vos salaires, le douaire, de vos femmes, de vos filles en un papier que vous ne savez pas lire, que vous ne saurez pas discerner quand il sera contrefait, qui sera perdu pour vous quand il sera faux : nous avons fait disparaître, concentré dans les coffres des capitalistes, ou chassé chez l’étranger, le seul signe qui ne pouvait pas périr dans vos mains, auquel vous êtes accou tumés, qui avait et méritait seul votre confiance? Une vérité que la réflexion toute seule découvre, et que l’expérience démontrera, c’est que si vous voulez vendre les biens nationaux, il vous faut des quittances de finance, ou des délégations nationales. Si vous voulez aliéner le peu d’argent qui se montre encore, créez des assignats. Que reste-t-il qui puisse combattre, dans votre esprit, en faveur du papier-monnaie? Est-ce le concert qui règne entre des orateurs qui ont paru diriger vos délibérations, parce qu ils ont 184 (Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (24 septembre 1790.] eu le bon esprit de professer habituellement des principes que vous auriez consacrés sans eux ? Mais vous vous êtes soustraits à leur influence toutes les fois qu’ils se sont trompés. Ce n’est pas d’eux que vous avez reçu le décret qui vous constitua en Assemblée nationale, ce qui rend le veto suspensif, et tant d’autres décrets qui n’ont été puisés que dans votre sagesse. Il est satisfaisant peut-être pour vous, que des membres très distingués par leurs talents se soient déclarés partisans du papier-monnaie. En rejetant ce papier qu’ils Vous offrent, vous apprendrez à l’Empire, à l’Europe que la raison seule fixe votre suffrage ; vous répondrez ainsi à la plainte ridicule que j’ai entendu faire, que quelques hommes maîtrisaient l’Assemblée nationale de France. Je vous prie d’observer que l’orateur qui n’a déployé que de l’éloquence en faveur des assignats, qui nous a menacés de prendre encore la parole, à l’appui de ce système destructeur, est évidemment égaré aujourd’hui par son imagination, ou qu’il l’était l’année dernière. Il écrivait en 1789 : « Le papier-monnaie est un foyer de tyrannie, d’infidélité et de chimère; une véritable orgie née de l’autorité en délire. » C’est cette proscription, prononcée par M. de Mirabeau, que je vous supplie de confirmer, en rejetant la masse d’assignats qu’il vous propose. Inutilement dirait-il : Le papier que j’ai décrié ne valait pas celui que je vous offre ; l’un portait sur uue confiance folle, sur un prestige que rien ne pouvait justifier; l’autre repose sur des fonds qui sont dans nos mains. Que m’importent des fonds, répondront ceux qui ont un commerce à alimenter, des enfants à établir? Ce n’est qu’avec perte que nous convertirons vos assignats en argent ; vos fonds sont une monnaie dont vous devez payer vos créanciers, sans nous mettre dans la nécessité de les acheter. En effet, supposons pour un instant que les biens nationaux fussent divisés en coupons correspondants à chacune des créances que vous avez à éteindre : qui me niera, dans cette hypothèse, qu’il faudrait renvoyer chaque créancier en possession de son lot? Si vous ne pouvez pas remplir une mesure aussi juste, aussi conforme aux engagements que vous avez pris, vous en approcherez en donnant à vos créanciers des délégations nationales; ils iront alors, selon leur choix et leur convenance, se placer sur vos domaines, où ils vendront ces délégations de gré à gré aux autres citoyens qui voudront acquérir ; vous éviterez par là de porter le trouble dans la nation qui ne vous demande rien, et qu’un papier-monnaie à grande masse ruinerait infailliblement. On a répandu dans le public, on a dit dans cette tribune, que la portion de cette Assemblée, qui paraissait contraire à la vente des biens nationaux, ne voulait pas des assignats afin d’éluder un moyen favorable à cette vente. Je doute que le clergé conserve sur ses anciennes possessions une prétention proscrite par la nation entière; mais ce qu’on ne peut pas se cacher, c’est que le clergé étant salarié il doit craindre, si les assignats prennent la place des écus, qu’on le paye en papier, ce qui forcerait ses membres respectifs d’acheter des biens nationaux, et de mourir de faim en attendant, ou de vendre, pour vivre, les assignats à perte. Ainsi la résistance du clergé peut avoir pour objet de sauver une partie de la subsistance de divers salariés dont il partage le sort, et dont il court les chances. On a tu ces raisons pour jeter adroitement du doute sur le civisme de ceux qui s’opposeraient à l’émission des assignats. Déjà des cris menaçants (je ne dis pas payés) se sont fait entendre contre eux dans les groupes qui viennent périodiquement entourer votre salle, et qui grossissent à mesure que votre délibération s’avance. Ces considérations seules m’eussent imposé le devoir de me montrer dans ce moment pour me rallier à vous, pour déclarer avec vous qu’il n’y a rien que nous ne bravions pour sauver la fortune et la tranquillité de nos commettants, qu’on pourrait compromettre. Un dernier argument : on n’a cessé de vous dire qu’il faut des assignats pour éviter la banqueroute. Je réponds que les assignats produiront la banqueroute. Tous les jours vous pouvez voir comme moi, à la rue Vivienne, qu’ils la produisent partiellement, au préjudice de ceux qui les y échangent avec perte ; aucun de nous ne doute que les marchands d’argent ont déjà gagné plusieurs millions. Si ce jeu redoutable s’introduit en province, on assure que la cupidité l’y a déjà établi, voici ce qui en résultera : On ne peut évaluer à moins de 15 ou 18 milliards les diverses créances qui existent dans le royaume en contrats à jour, constitués, viagers, lettres de change, billets, prix de ventes, douaires, légitimes, remboursements de droits féodaux, etc., etc. Si les débiteurs de ces créances projettent leur libération en papier-monnaie, s’ils attendent le moment où sa masse sera accrue et sa confiance diminuée, nous les verrons occupés à acheter des assignats avec profit pour les donner à des créanciers qui, s’ils ne doivent rien, (comme cela arrivera souvent) chercheront bien vite à s’en défaire à moindre perte. C’est alors que nous offrirons l’hideux et effrayant spectacle d’une nation d’agioteurs. Toutes les fortunes seront ébranlées, et les assignats auront fait une plaie plus fatale à la société que celle qu’elle aurait reçu d’une banqueroute déclarée. Si on m’objecte, comme on l’a fait, que les assignats qu’on vous propose, ne portant intérêt, auront un cours plus favorable, tandis qu’au-jourd’hui on ne peut s’en défaire qu’en sacrifiant l’intérêt et cinq et un quart en sus, si l’on me soutient qu’ils cesseront de perdre quand leur nombre sera infi aiment accru, quand tout le royaume en sera inondé et que la falsification sera mêlée aux autres sujets d’alarme qu’ils entraîneront avec eux, à tous ces absurdes paradoxes je n’ai rien à répondre. PROJET J)E DÉCRET. Je propose le décret suivant : L’Assemblée nationale décrète que le payement de la dette exigible sera fait en papier de cours libre, sous le nom de délégations nationales, sans autre délai que celui qui résulte de la nature des choses. Comme les titulaires des charges ou offices supprimés sont des créanciers forcés et favorables, je consentirais à l’amendement, s’il était fait, d’autoriser les titulaires de rembourser en ce même papier qu’ils auraient reçu, ce qu’ils peuvent devoir du prix de leur charge ou office, hypothéqué par le vendeur. Ordre de travail. Je désirerais, de plus, que l’Assemblée adoptât,