SÉANCE DU 7 BRUMAIRE AN III (28 OCTOBRE 1794) - N° 22 147 22 Plusieurs rapporteurs de divers comités se succèdent à la tribune et les décrets suivans ont été rendus : a La Convention nationale, après avoir entendu [SALLENGROS, au nom de] son comité des Secours publics sur la pétition du citoyen Antoine Sallaire, lieutenant au vingt-neuvième régiment d'infanterie, hors d'état de continuer ses services militaires, par les infirmités qu'il a contractées par un service effectif de plus de trente années, comme il est justifié par plusieurs certificats en bonne forme, décrète que sur le vu du présent décret, la Trésorerie nationale paiera au citoyen Antoine Sallaire, lieutenant au vingt-neuvième régiment d'infanterie, la somme de 500 L de secours provisoire, renvoie sa pétition et les pièces jointes, pour déterminer la pension à laquelle il a droit d'après les longs services qu'il a rendus à la patrie (50). b Rapport et projet de décret sur la pétition du citoyen Pierre-François Dufour, dAbbeville, par S. Pépin, député à la Convention nationale par le département de l’Indre, imprimé par ordre de la Convention nationale (51). En vain les ennemis de notre liberté ont tout tenté pour arrêter le cours de notre révolution ; déjà les Français ressentent les premiers effets du régime fraternel qu'elle leur prépare ; l'abolition de la servitude personnelle et réelle a rendu libres et leurs personnes et leurs possessions. L’établissement du jury en matière criminelle est en même temps la terreur du méchant et la sauve-garde de l'innocence calomniée. Vous ne vous êtes pas contentés de ces mesures qui tendent au bonheur des citoyens en général, votre sollicitude a cherché à le leur procurer individuellement encore dans le sein de chaque famille ; les successions, les partages divisoient fréquemment ceux que les liens du sang sembloient devoir unir plus intimement; la plupart ne pouvoient se concilier et leurs discussions faisoient naître des procès immenses et interminables qui, à la longue, ne laissoient pour héritier au défunt que les agens avides de (50) P.-V., XL VIII, 86. C 322, pl. 1365, p. 1, la minute du décret est de la main de Sallengros, rapporteur selon C* II 21, p. 18. (51) C 322, pl. 1365, p. 2. Rapport imprimé, signature de la main de Pépin, rapporteur. la chicane et perpétuoient dans les familles la désunion et la haine. Votre loi du 17 nivôse a détruit cet abus, vous avez voulu que les contestations sur ces objets fussent décidées par des arbitres, qu'elle le fussent promptement, sans procédure et sans appel; c'est un bienfait dont la nation vous a plus particulièrement témoigné sa reconnois-sance, et cette reconnoissance sera complète lorsque les circonstances permettront d'étendre une mesure aussi salutaire à tous les membres de la grande famille des Français. Mais si cette institution est avantageuse, c'est sur-tout parce qu'elle est dégagée des formes et du pouvoir despotique des anciens tribunaux : les arbitres, n'ayant qu'une mission momentanée, ne peuvent pas avoir la morgue et les vaines prétentions de ces hommes qui se croyoient supérieurs aux autres, parce qu'ils avoient acquis, pour eux et pour leur postérité, le droit de les juger. Cette mission des arbitres ne leur étant déléguée que parce qu'ils ont obtenu la confiance des parties, il seroit bien singulier qu'ils pussent la retenir, lorsque cette confiance n'existe plus, lorsque sur-tout les parties ou quelques unes d'entre elles les auroient récusés formellement, et pour des faits positifs, il seroit bien dangereux qu'ils prétendissent alors devoir décider eux-mêmes de la validité ou de l'invalidité de la récusation, ou, en d'autres termes, se rendre juge de leur propre cause. Cette idée répugne trop au sens commun pour qu'il soit besoin de développement pour démontrer combien alors l'institution de l'ar-britage pourroit devenir funeste, comme les anciens juges, les arbitres prendroient la récusation pour une injure et en la déclarant dénuée de fondement, peut-on raisonnablement supposer qu'elle ne leur donneroit pas une prévention contre la partie qui les auroit récusés et sur les intérêts de laquelle ils prononcent en dernier ressort. La Convention nationale a senti ces incon-véniens; elle a formellement déclaré, par son décret du 9 fructidor, que les récusations d'arbitre seroient jugées par le juge de paix accompagné de deux assesseurs. Si cette loi eût existé plutôt, je n'aurois probablement pas à solliciter de votre justice la cassation d'un jugement rendu le 3 floréal dernier, par des arbitres, entre Pierre-François Dufour et ses frère et soeur, qui ont attaqué la donation faite à son profit. Ces arbitres avoient commencé leurs opérations les 1er et 2 floréal, le 3 au matin, Pierre-François Dufour apprit qu’ils avoient des liaisons intimes avec ses parties adverses ; qu'ils avoient dans le cours de l’instruction, fait des repas avec elles, soit chez eux, soit chez les dites parties adverses; cette conduite qui, sous l'ancien régime, avoit toujours été regardée comme un motif de récusation, tant contre les juges que contre les témoins, fit craindre à Pierre-François Dufour que ses intérêts ne souffrissent de ces liaisons; il prit en conséquence le parti de faire signifier à ces arbitres qu’il les récusoit pour les faits qu'il venoit d'apprendre.