ARCHIVES PARLEMENTAIRES* [24 septembre 1790.J 214 [Assemblée nationale*! Total et résultat des économies, chaque année, 212 millions. Il y a toujours 82 millions par année de différence jusqu’au remboursement des assignats et des billets nationaux, qui est fait au fureta mesure des payements qu’en font les acquéreurs de biens nationaux, en assignats et non en argent; ce moyen vaut assurément mieux que celui de rembourser tout en assignats, qui, en outre des inconvénients que j’ai démontrés, acquitterait les 2 milliards 600 millions de dettes exigibles seulement, sans nul autre avantage, parce que la vente des biens nationaux deviendrait obligatoire et presque forcée, et l’on changerait un décret qu’il est de la plus grande importance de maintenir. Vous ne prenez pas des voies de rigueur pour presser l’acquéreur des biens nationaux au payement. S’il oppose des raisons légitimes, pourvu toutefois que celui des intérêts ne puisse être jamais retardé, les assignats conservent le gage de leurs hypothèques, les billets nationaux celui de la confiance publique. Les 82 millions, que produit cette opération chaque année, sont d’un grand secours pour établir l’équilibre entre la recette et la dépense, qu’il est bien essentiel d’établir sur des bases solides et les plus conformes à l’encouragement de l’agriculture et du commerce. Une autre réflexion se présente à mon esprit ; quoiqu’elle n’ait pas d’analogie directe aux assignats, elle ne leur est pas-cependant étrangère, puisqu’elle conduit à établir qu’on ne doit pas craindre que l’on en détourne l’emploi à des objets différents qu’à ceux auxquels on les destine. Des besoins locaux nécessiteront des établissements dans plusieurs départements. Je vais indiquer des ressources aisées et faciles, qui ne gêneront personne. Que tout propriétaire, foncier ou territorial, soit engagé à se cotiser et à donner 1 0/0 du montant de sa propriété foncière; celui qui a 100,000 livres fournit 1,000 livres en donnant son billet, payable dans un an ; à l’échéance il ne peut ou ne veut pas l’acquitter, on le lui renouvelle pour une année, moyennant qu’il paye les intérêts à 2 et demi ou 3 0/0, et toujours d’année en année jusqu’au remboursement, qui n’est de rigueur qu’à la première mutation : ainsi, par cette légère contribution de 30 livres au plus chaque année, ou de 1,000 livres pour toujours, que donne un particulier ayant 100,000 livres, et en proportion les autres "particuliers plus ou moins riches, l’on se procurera sur l’heure 5 ou 600 millions, s’il est vrai qu’il y ait en France 50 à 60 milliards de propriétés foncières ou territoriales; ceux qui n’ont leur actif qu’en mobilier seront animés, sans doute, du même patriotisme; on ne ferait que de les y inviter, tout autre moyen serait im politique; cette ressource ne serait nullement à charge et mettrait à portée de secourir l’humanité. Je fis, au mois de septembre de l’année dernière, un projet de finance; je l’adressai à M. de Mirabeau l’aîné, à M. Gouy d’Arsy, à M. d’Ai-guillon, tous députés de l’Assemblée nationale; je leur proposai les assignats-monnaie sous une autre dénomination, comme un secours indispensable; j’en donnais l’hypothèque sur les propriétés foncières, territoriales et particulières; je ne pouvais la donner alors sur les biens nationaux, dont la nation a repris la possession libre et assurée; ce premier essai m’a porté à présenter celui-ci, et je le soumets avec d’autant plus de confiance qu’il ü’a pour but que celui qui anime tous les amis du bien public. LETTRE SUR LES ASSIGNATS à Messieurs du comité des finances de l'Assemblée nationale , par Charles Micoud, ci-devant D’ÜMONS, chargé du bureau de V administration des invalides de la marine (1). Messieurs, les observations qui ont été faites* en faveur ou contre les assignats, ne paraissent point assez concluantes pour déterminer l’opinion publique. Je n’ai ni les talents, ni le courage, ni le temps nécessaire pour analyser tout ce qui a été dit sur cette matière ; mais il me semble que, jusqu’à présent, on n’a fait que répéter les idées ordinaires qui sont reçues dans la sqpiété, comme autant de vérités mathématiques, sans se donner la peine de les examiner, et sans modification. Or, comme les législateurs d’un grand Empire ne doivent prendre aucune détermination sans en avoir prévu les conséquences, il me paraît utile de calculer l’effet que doit produire rémission des assignats, et je crois qu’il n’est personne qui ne puisse en juger facilement, si les principes que j’ai consignés dans mon Essai sur le crédit public , sont reconnus et avoués. Perraettez-moi, Messieurs, de transcrire ici, mot à mot, ce que j’ai publié en 1788(2). « Un Etat reçoit une plus grande quantité de numéraire par l’établissement d’un papier-monnaie. Dès ce moment, tes possesseurs des terres* les manufacturiers feront payer plus cher, les uns leurs denrées, les autres leur industrie; le même nombre des signes ne pourra pas représenter les objets qu’on se serait procurés avant cet établissement, et la valeur de toutes les consommations, de tous les besoins, se mettant de niveau avec les signes circulants, non seulement l'Etat et les citoyens ne seront pas plus riches* mais ils s’appauvriront par la cessation du commerce d’exportation; car le prix des objets d’échange ayant reçu une nouvelle valeur, les nations étrangères ne feront aucune demande, et l’équilibre ne se rétablira que lorsque ces nations auront acquis une grande partie des espèces de cet Etat qui restera longtemps encore avec son papier et son indigence. « Si ce même Etat est susceptible d’une plus grande culture, d'un commerce plus étendu , que son immense population ait besoin de nouveaux moyens d'industrie , et que ce soit l'intérêt trop haut de l'argent, relativement aux autres nations commerçantes , qui arrête ses progrès , l’augmentai ion de signes produira un bon effet, pourvu toutefois (cette remarque est essentielle) que lu gouvernement n’augmente pas les subsides, et qu’il trouve en même temps le moyen d’élever la valeur des richesses forestières, en raison de l’augmentation des signes ; car il ne faut pas perdre de vue que les richesses des nations sont relatives, et que le papier circulant, quelle que soit sa quantité, n’ajoute absolument rien à Ja richesse de l’Etat, si les propriétés n'acquièrent pas une plus grande valeur réelle ; et cette augmentation de valeur effective ne peut avoir lieu que lorsque le produit du sol est plus considérable. (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. ("2) Essai sur le crédit public; de l’imprimerie Didot, chez Bailly, rue Saint-Honoré, barrière des Sergents, 1 vol. in-8° de 200 pages. [Assamblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES� [2i septembre 1790.] 21$ « Supposons que, par une cause subite, et étrangère au gouvernement, une grande partie du numéraire soit enlevée aux cultivateurs et aux commerçants; il n’y aura plus de proportion entre la masse des richesses effectives et les signes représentatifs ; ceux-ci deviendront plus pécieux ; le prix des productions et de la main-d’œuvre tombera; l’Etat sera en langueur et les peuples n’auront point d’émulation. Mais l’équilibre se rétablira presque aussitôt par le commerce avec les étrangers, si l’administration détruit toutes barrières qui gênent l’industrie, et si elle remet aux peuples une partie des subsides. « Supposons actuellement que la diminution du . numéraire, nécessaire à l’industrie, soit l’effet des contributions. Quoique plus lente, cette diminution produira un mal permanent et plus dangereux, parce que, loin de diminuer, la valeur de toutes les productions augmentera; que le peuple, ayant chaque jour moins d’argent, se refusera au travail , et que le commerce national ne pourra plus lutter de préférence avec l'étranger ; d'où il résultera une moindre quantité de reproductions de toutes espèces, et une émission continuelle des sujets de l'Etat. « L’on voit par ces exemples : « 1° Que la même cause (la diminution du numéraire) peut laire baisser ou élever le prix des denrées, et de tous les objets du commerce, selon le principe de cette diminution ; « 2° Que l’augmentation du numéraire n’est un mal politique que lorsqu’il n’y a plus de proportion entre les richesses réelles et les signes de ces richesses; c’est-à-dire lorsqu’on ne peut pas espérer d’augmenter la masse des productions et du commerce dans la même proportion ; « 3° Que cette augmentation est salutaire lorsqu’il est possible de donner , en même temps , plus de valeur aux richesses réelles; lorsqu’on peut élever le produit de la terre, de l'industrie et du commerce, et faire disparaître toute disproportion entre le signe et l’objet représenté. « Enfin, ce n’est que lorsque l’intérêt de l’argent est bas, que le cultivateur peut se livrer à des défrichements, et que le commerçant, pouvant se contenter d’un moindre bénéfice lutte de préférence avec l'industrie étrangère. La baisse de l’intérêt de l’argent, qui est l’effet d’uu crédit public, est donc le grand moyen d’encouragement pour toutes les reproductions; mais il faut que l’abondance de numéraire ne change point la proportion convenable entre les subsistances et les prix de la main-d’œuvre, entre les signes représentant les richesses, et le produit des richesses elles-mêmes; car, si vous augmentez la masse du numéraire, outre mesure, sans procurer un plus grand revenu aux possesseurs de terres, il résultera certainement de votre opération un effet contraire à celui que vous désirez : les richesses diminueront, ou du moins elles resteront ce qu’elles étaient, et l’Etat s’appauvrira de plus en plus. Maintenir l’équilibre entre le produit possible de la terre, du commerce et les rentes; entre les richesses et les signes qui les représentent, est le grand art de l’administration . « Ainsi, dans l’état actuel, il n’existe en France aucune proportion entre les richesses réelles et les signes qui les représentent. Les premières sont à vil prix, et les autres, fort rares et fort chers. Ainsi, la terre qui se vend en Angleterre le denier 34 de son produit, est offerte en France au denier 20. Ainsi l’opinion générale des hommes, qui croient que l’abondance des espèces fait toujours hausser le prix de toutes les productions, parce qu’elle fournit les moyens de donner davantage, n’est juste qu 'autant qu’on suppose une certaine quantité déterminée de productions et d’argent qui doivent se représenter Vunpar l'autre ; mais si Iaculture et le commerce sont susceptibles d’une plus grande extension, l’abondance du numéraire sera un véhicule pour l’industrie; la quantité des productions et des échanges s’augmentera en proportion, et la masse des richesses nationales se trouvera en équilibre avec les signes représentatifs : d’où il faut conclure que si, dans un Etat favorisé par la nation, tel que la France, l’intérêt de l’argent baisse, et les signes circulants aug-ment, il y aura une rivalité qui donnera de l’accroissement à l’industrie, qu’elle-même fera baisser la valeur de chaque objet d’échange; parce que la réduction du prix est une conséquence nécessaire de la rivalité que l'encouragement aura produit. « C'est faute, peut-être, de prendre garde à ces distinctions et à l’effet de l’accroissement des impôts en Europe, que plusieurs nations sont tombées dans l’erreur et qu'elles ont calculé les plus grands profits de l’industrie sur la cherté des objets, pendant qu’ils ne peuvent provenir que de son étendue. « D'après ce3 principes, je crois qu’un papier circulant serait très utile. Remarquez cependant, qu’on ne doit pas songer à rembourser tous les créanciers de l’Etat en peu d’années ; que cotte opération, fût-elle même praticable, serait nuisible, parce qu’il est une mesure à observer dans tous les actes du gouvernement ; qu’une trop grande quantité de signes, mise en circulation, ferait hausser le prix des denrées et de la main-d'œuvre d’une manière effrayante ; que les dépenses de l’Etat se trouveraient considérablement augmentées ; et que l’intérêt de l’argent étant trop bas, il ne resterait plus de rapport entre les signes et les moyens de les faire valoir. » D’après les principes que je viens de rappeler, je crois qu’une augmentation de deux milliards dans le numéraire excéderait les bornes qu’il est essentiel d’observer entre les richesses réelles et les signes qui les représentent. Il s’agirait detrou-ver un médium , qui en laissant aux créanciers de l’Etat même la faculté de prononcer sur leur sort, prévînt l’émission d’une trop grande quantité d’assignats, et remplît, néanmoins, les vues de l’Assemblée nationale, relativement aux 100 millions d’intérêts dont elle désire soulager le peuple. Or, ce moyen conciliatoire, Messieurs, est si simple, qu’il n’a besoin d’aucun commentaire, et qu’il suffit d’exposer les principaux articles que je proposerais de décréter. Art. 1er. Les titres de créances exigibles sur l’Etat seront vérifiés d’après les principes précédemment décrétés par f Assemblée nationale dans le délai de ..... et les porteurs de ces lettres recevront, à leur choix, des assignats sur lesbiens nationaux, ayant cours de monnaie forcée, mais ne produisant aucun intérêt, ou des quittances de finance portant deux et demi pour cent d’intérêt chaque année. Art. 2. Les quittances de fiaance seront au porteur, et elles seront reçues concurremment avec les assignats, en payement des biens nationaux; mais elles n’auront point cours de monnaie forcée entre particuliers. Art. 3. Les créanciers de l’Etat qui, dans le principe, auraient préféré des quittances de finance, conserveront la faculté de les échanger 216 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1790.] contre des assignats. De même ceux qui auraient reçu des assignats pourront prendre des quittances de finance toutes les fois et aussi souvent qu’il conviendra à leur intérêt ; mais ces échanges n’auront lieu qu'en faveur des créanciers directs de l’Etat, et pour la somme seulement à laquelle leurs titres primitifs s’élevaient; en sorte que les quittances de finance, ou les assignats, qui seraient passés dans les mains de particuliers qui, dans le principe n’auraient pas été porteurs d’un titre de créance sur l’Etat, ne seront pas susceptibles d’être échangés. Art. 4. Les 400 millions d’assignats, décrétés par l’Assemblée nationale le ......... seront retirés de la circulation, et échangés contre de nouveaux assignats, et les intérêts seront payés aux porteurs à raison de 3 0/0 jusqu’au 1er avril 1791, passé lequel terme, h sdits assignats, qui resteraient encore en circulation, ne porteront plus d’intérêts. Art. 5. 11 ne sera fabriqué aucun assignat au-dessous de 60 livres tournois, etc., etc. Je n’ai pas le temps, et je crois inutile, Messieurs, de m’étendre davantage sur les détails réglementaires que le décret de l’Assemblée nationale pourrait contenir, afin de prévenir la fraude et d’obliger les directoires de départements à mettre en vente les biens nationaux dans le plus bref délai; mais vous apercevrez, sans doute, Messieurs, que l’option proposée en faveur des créanciers de l’Etat, ne détruit aucune des vues de l'Assemblée nationale. Quelles sont ces vues ? 1° De vendre promptement les biens nationaux ; 2° De payer la dette exigible ; 3° De faire baisser l’intérêt de l’argent sans trop augmenter la main d’œuvre; 4° De procurer des secours abondants à l’agriculture et au commerce ; 5° Enfin, de soulager le peuple de 100 millions d’intérêt, qu’il payerait pour la dette exigible. Voyons si ces conditions sont remplies. Supposez, Messieurs, que les 2 milliards exL gibles soient remboursés, moitié en assignats, moitié en quittances de finance, la nation ne payera que 25 millions d’intérêt pour ces derniers effets, jusqu’à ce que les porteurs des quittances de finance se déterminent à les échanger contre de la terre. Ainsi, le peuple se trouvera réellement déchargé de l’intérêt de la dette exigible. Celui de l’argent baissant en raison de l’augmentation de numéraire, l’agriculture, les arts et le commerce recevront des secôurs plus abondants, et les fruits de la terre et de l’industrie s’accroissant chaque année, la concurrence ne permettra pas à la main-d’œuvre de s’élever au delà de la proportion convenable. Tels seraient, Messieurs, les résultats nécessaires de l’exécution de l’idée que j’ai l’honneur de soumettre à vos lumières. J’ajouterai, Messieurs, que l’Assemblée nationale ne serait exposée à aucun reproche, puisqu’elle ne déterminerait pas seulement la quantité d’assignats qui serait mise en circulation, et que les créanciers de l’Etat régleraient eux-mêmes leur sort. D’ailleurs, la vente des biens nationaux pouvant s’effectuer aussi promptement que l’émission des assignats , il est plus que vraisemblable que, dans aucun temps, la masse de ce papier qui serait en circulation, n’excèderait jamais 7 et 800 millions. Enfin, Messieurs, contre l’opinion de quelques personnes, je crois que le numéraire existant en France n’est point en raison de nos besoins ; et il me semble que la seule mesure pour juger cette question est le taux habituel de l’argent comparé avec celui que l’on paye chez les nations commerçantes qui nous entourent. D’où je conclus que les commerçants se tromperaient sur leurs véritables intérêts du commerce s’ils s’opposaient à l’émission d’une quantité raisonnable de papiers circulants et d’un papier tel qu’il n’en a jamais existé de plus solide. Je crois aussi, Messieurs, que le délai accordé pour l’entier payement des biens nationaux est trop long; car il ne suffit pas de sauver le corps politique, il faut encore prévenir la perte des membres du corps social qui seraient sé iuits par le désir de posséder et procurer au citoyen prudent le moyen de faire un emploi utile des petits capitaux que sa sagesse ne lui permettrait pas de convertir en terre. Il faut enfin que la loi nous protège contre nos passions, qu’elle prévienne l’erreur comme le crime. Il me semble donc que le payement en annuités, pendant six ans, présente le double avantage de laisser aux acquéreurs le temps de faire des emprunts à 4 et même à 3 1/2 0/0, et aux petits capitalistes, celui de placer leurs fonds avec privilège sur des terres. Je ne dissimule pas, Messieurs, que ces réflexions auraient besoin d’être développées : je pourrais démontrer, ce me semble, que les assignats n’ont réellement aucune analogie avec le papier-monnaie qui a circulé en Ecosse et en Amérique; que ce n’est pas même un papier-monnaie, suivant l’idée qu’on attache à ce mot. Enfin, j’oserais peut-être avancer une opinion bien paradoxale dans ce moment, et qui ne me paraît pas moins une vérité importante ; savoir : que l’or et l’argent peuvent être remplacés par un papier, avec de grands avantages pour la nation; mais le temps et les circonstances ne me permettent pas de m’en occuper. ENCORE UN MOT SUR LES ASSIGNATS, par Charles Micoud ci-devant d'Umons. En publiant ma réponse aux réflexions de MM. Dupont, Lavoisier et de Condorcet, contre les assignats, je ne m’attendais pas aux nouvelles objections de M. l’évêque d’Autun, de cet orateur non moins célèbre que les deux académiciens auxquels j’ai pris la liberté de répondre. Voyons si la réputation méritée de ce prélat n’a pas servi de passeport à ses raisonnements. « Rappelez-vous, Messieurs, a dit M. d’Autun, que, dans la dernière refonte des monnaies, on crut s’être trompé d’un vingt-neuvième de leur valeur, et qu’on pensa que cette erreur pouvait influer extraordinairement sur le change étranger. Combien plus devez-vous craindre que les aesignats ne nous le rendent défavorable, puisque la perte qu’ils éprouveront sera plus considérable que le déchet d’un vingt-neuvième. » Tels sont les raisonnements de M. d’Autun, que le rédacteur du journal de Paris s’est empressé de citer comme des modèles de précision et de la véritable éloquence des choses et non des mots. S’il ne se fût laissé entraîner à l’impulsion d’un premier mouvement, il eût reconnu que le raisonnement de M. d’Autun n’est applicable qu'aux métaux, et non au papier-monnaie; que si les premiers, qui servent seuls de signes communs pour toutes les nations, ne peuvent être altérés par l’une d’elles, sans changer tous ses rapports [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 217 avec les autres ; le second (le -papier -monnaie ) quelle qu’en soit la quantité, nesaurait faire varier d'un seul schelling , le change avec l’étranger. Il aurait comparé les métaux à une langue qui serait entendue généralement par tous les peuples, et le papier-monnaie, à la langue nationale; d’où il aurait conclu que le peuple qui se permettrait de changer les mots de la langue commune à tous, ne serait plus entendu de ses voisins; mais que ce même peuple peut changer ou modifier son langage particulier, sans nuire à ses rapports avec les autres nations. < Pour parer à cet inconvénient, continue M. l’évêque d’Autun, on vous propose, et vous pouvez déclarer que les assignats ne perdront point de leur valeur ; mais, ce qui passe votre puissance, c’est d’ordonner que l’argent ne gagnera point. Or, qu’importe que les assignats ne perdent pas si l'argent gagne , etc. » J’avoue, à ma confusion, que cette dialectique ne me séduit point. Il me semble, au contraire, qu’aucune puissance ne peut empêcher que les assignats ne perdent, si l’Assemblée ne s’occupe, sans relâche, du rétablissement de la force publique, et de la perception de l’impôt; et qu’à l’égard des métaux, tous les décrets possibles ne sauraient influer sur la valeur qu’on y a attaché. L’assignat pourra donc perdre sans que l’argent gagne dans nos rapports commerciaux avec l’étranger. Mais, suivons M. d’Autun : _ « Voici, Messieurs, ce qui arrivera de l’émission des assignats par rapport au change étranger. Je prends un exemple familier : Londres doit à Paris 100 marcs; au lieu d’acquitter cette dette en métal , elle acquiert des assignats qui perdent contre l’argent, et s’acquitte, par ce moyen, d’une dette de 100 marcs avec 80 ou 70, suivant la perle qu’éprouvent les assignats. Au contraire, Paris doit à Londres 100 marcs; mais comme les assignats ne sont pas reçus à Londres, Paris est obligé d’acheter de l’argent, pour se libérer d’une dette de 100 marcs, il paye 110 ou 120, suivant la perte des assignats. » Pour démontrer, à mon tour, combien ce raisonnement est erroné, je me servirai aussi d’un exemple qui, je crois, ne sera pas familier à la plupart de nos législateurs. Paris achète 100,000 livres tournois de marchandises à Londres ; Paris paye Londres avec de l’argent. Mais comme les assignats perdent 20 0/0, Paris demande en argent 100,000 livres argent, ou 120,000 livres assignats. Ainsi le prix de l’objet vendu à Paris ne varie que fictivement, suivant là nature du numéraire donné en payement ; c’est-à-dire que Paris n’ayant pas confiance dans les assignats, évalue à 20 0/0 les risques auxquels il s’expose, en les recevant en payement de ses marchandises. Je prie le lecteur de rapprocher les deux exemples et de prononcer sur le bénéfice de Londres sur Paris. La manière de compter entre Paris et Londres, dans l’hypothèse des assignats qui perdraient 20 0/0, seraient donc exactement la même que nous employons avec les colonies de l’Amérique, où un écu de 6 livres s’appelle 9 livres (1). Si M. d’Autun n’eût voulu parler que du moment présent il aurait supposé que Londres doit à Paris et il eût dit : Faites attention, Messieurs, que Londres doit à Paris 100 millions dont il va (1) Les applaudissements donnés à la justesse des raisonnements de M. d’Autun, à leur précision, à cette véritable éloquence, etc., etc., rappellent l’anecdote sur le sonnet d’Oronte dans le Misanthrope. [24 septembre 1790.J s’acquitter avec 80, parce que vos assignats perdront 20 0/0, et cette réflexion serait juste ; mais comme il fait le même raisonnement dans l’hypothèse inverse, il est clair que l’orateur a cru que la France ne pourrait plus avoir de relations commerciales avec l’étranger, sans perdre en raison du discrédit des assignats. Remarquez, au surplus, que vous auriez d’autres résultats, s’il s’agissait d’une augmentation de métaux. Deux milliards de plus en écus, jetés dans la circulation, feraient augmenter les ouvrages de nos fabriques et influeraient d’une manière très sensible sur le prix des denrées, jusqu’à ce que ce métal se fût écoulé et qu’il eût pris son niveau, comme l’eau. Que si vous supposez dix milliards de métaux de plus, vous doublez le prix de toutes les denrées en Europe , au lieu que le numéraire fictif qu’une nation adopte, quelle que soit même sa quantité, ne change rien, absolument rien , aux relations commerciales de cette nation avec des voisins. Elle substitue seulement, dans sa sagesse, un signe économique à un métal fort cher dont elle se défait en faveur des étrangers, chez qui la main-d’œuvre augmente dans la proportion des métaux qu’ils reçoivent. Ges idées paraîtront paradoxales, absurdes même au premier aperçu : mais il est impossible de convaincre qui ne veut pas prendre la peine de réfléchir dans le silence ae son cabinet. Au surplus, ma folie est d’une espèce si rare, qu’avant de me condamner, j’ai lieu d’espérer que l’on voudra bien oublier uu moment ces grands mots de balance du commerce, de valeur réelle ou fictive, de monnaie, de change étranger, d’agio, et tout ce fatras scolastique, qui rappelle à l’esprit d’anciennes idées, la plupart mensongères. Je prie donc mes lecteurs de remonter aux principes de tous les échanges et de ne prononcer u’après avoir distingué les matières premières u commerce, des objets du commerce ; les besoins de convention, des besoins réels; et les signes des richesses, d'avec les richesses elles-mêmes. Mais je ne puis me résoudre à abandonner l’assertion de M. l’évêque d’Autun, et je me demande encore comment un papier-monnaie pourrait faire passer nos métaux chez l’étranger, à moins que, comme l’Espagne et le Portugal, nous n’achetions beaucoup plus de nos voisins que nous ne leur vendrons. Me dira-t-on que le manufacturier demandera 120 livres d’une pièce de drap qu’il ne vend aujourd’hui que 100 livres et que ce haussement de prix ne lui permettra pas d’exporter son drap ? Je répondrai encore que c’est une erreur de mots; que ce fabricant continuera à fréquenter les marchés étrangers, parce que 100 livres en guinées ou en florins lui donneront 120 livres en assignats, et que la perte de 20 0/0, supposée gratuitement, ne serait supportée qu'une fois seulement par des Français, en faveur d’autres Français ; car, toutes les opérations que les membres d'une société font entre eux, se réduisent à un déplacement , et rien n'est perdu que ce que les éléments détruisent. Je répondrai que les étrangers ne gagneront pas une obole de plus avec nous, quand les assignats perdraient 50 0/0, à moins que plus confiants et plus courageux, ils ne les achètent de nous, et dans ce cas, ou la France acquerra de nouveaux citoyens, ou ces mêmes étrangers, si nos malheurs se prolongent, seront forcés d’alimenter nos fabriques, ainsi que je l’ai démontré dans ma réponse du 16 de ce mois. Je répondrai, enfin, que les assignats en quantité limitée ne perdront pas, lorsque tous les 21g [Assemblée nationale.] intérêts», toutes les volontés s’uniront pour le rétablissement de l’ordre. Si j’attachais quelque importance à ces observations qui ne m’ont coûté que la peine de les écrire, je pourrais aussi les rendre plus concises; mais je me hâte de présenter quelques considérations sur le projet de décret proposé par M. Anson. J’ai dit, dans ma lettre adressée au comité des finances le 10 de ce mois, qu’en accordant l’option entre des quittances ou obligations nationales, auxquelles on attribuerait 2 0/0 à titre d’intérêt ou de prime, et des assignats ne produisant aucun intérêt, avec faculté d’échanger les assignats contre desobligations etcelles-ci contredes assignats, l’Assemblée national étoufiferaittoutes les plaintes, préviendrait la surabondance de numéraire, et remplirait entièrement tous les objets qu’elle se propose. Quel peut donc être le motif de refuser aux seuls porteurs de quittances de tinance ou obligations nationales la faculté de les échanger contre des assignats ? Le comité ou M. Anson penseront-il qu’un intérêt de 3 1/2 0/0 est suffisant pour déterminer les créanciers de l’Etat à préférer cet effet aux assignats? non, sans doute. Je répéterai à cet égard ce que j’ai déjà dit au sujet d’un emprunt de 500 millions, à 3 0/0, qu’il n’est personne qui ne soit disposé au sacrifice d’un 0/0 sur les intérêts, pour avoir la faculté d’échaoger à volonté sa quittance de finance contredes assignats, et j’ajouterai que si cette faculté est refusée, l’on doit s’attendre à une émission de papier-monnaie beaucoup plus considérable; parce que les créanciers de l’Etat craindront d’engager leurs capitaux et de se mettre dans la nécessité absolue d’acheter un bien national. Ainsi je persiste à penser que l’échange réciproque proposé dans tous mes écrits est indispensable, si l’on veut prévenir !a surabondance de numéraire-, gu’il est utile en ce qu’il épargne 1 0/0 sur les intérêts affectés aux obligations nationales; qu’il est juste enfin et agréable aux créanciers de l’Etat, parce qu’il leur conserve la liberté de disposer de leurs fonds; s’ils ne s’empressent point à acquérir des biens nationaux et qu’ils se contentent de 2 1/2 0/0 d’intérêt, il faudra s’en féliciter. Je ne conçois pas davantage pourquoi M. An-son propose de décréter que les assignats seront reçus dans un emprunt à 4 0/0 s’il en reste en circulation après la vente des biens. Sa sollicitude à cet égard, loin de rassurer les esprits sur la valeur des biens nationaux, ne sert qu’à éveiller la défiance, et ce n’est pas certainement l’ef fet que M-Anson s’est proposé. Il me semble donc que pour concilier tous les intérêts, il suffit des changements ci-après aux articles de décret que j’ai pris la liberté de proposer au comité des finances, sauf les détails réglementaires. Art. 1er. Les titres de créance exigibles sur l'Etat seront vérifiés et remboursés, et les porteurs de ces titres recevront à leur choix des assignats sur les biens nationaux, ayant cours de monnaie forcée, mais ne produisant aucun intérêt, ou des quittances de finance aux porteurs auxquelles seront attribués 21/2 0/0 chaque année, à titre d’intérêt ou de prime, ou des obligations nationales produisants 1/2 0/0 tous les ans. Art. 2. Tous ces effets seront reçus concurremment avec l’argent en payement des biens nationaux. Art. 3. Les porteurs d’assignats, soit qu’ils les aient reçus en payement de leurs créances sur l’Etat, soit qu’ils les aient eu autrement, auront toujours la faculté de les échanger contre des [24 septembre 1790.] quittances de finance ou contre des obligations nationales. Art. 4. Ceux qui, dans le principe, auraient reçu en remboursement de leurs créances sur l’Etat des quittances de finance pourront également les échanger contre des assignats, et il leur sera tenu compte des intérêts échus; mais cette facilité d’échange ne sera aceordée qu’aux seuls créanciers directs de L’Etat (1). Art. 5. Les obligations nationales portant 3 1/2 0/0 d’intérêt chaque année, et dont il sera tenu compte aux propriétaires lorsqu’ils les donneront en payement des biens nationaux qui leur auront été adjugés, ne seront pas susceptibles d’être converties ni en assignats, ni en quittances de finance. Art. 6. Les intérêts attribués aux 400 millions etc., cesseront à compter du 1er avril 1791, et le coupon de l’intérêt échu sera payé à bureau ouvert; mais comme cette opération exige beaucoup de temps, ledit coupon aura cours de monnaie forcée pour sa valeur réelle jusqu’à ce qu’il soit remboursé. Art. 7. Les assignats seront de 60, 100, 125, 200, 300 livres, jusqu’à 1,000 livres, etc. Art. 8. L’Assemblée nationale désirant accélérer la rentrée des assignats et procurer en même temps aux particuliers qui ne peuveutdisposer que de sommes modiques, les moyens de les prêter, avec privilège, aux acquéreurs des biens nationaux, a jugé convenable de réduire à six ans le délai qui avait été accordé d’abord. Nota. — On assure que M. l’évêque d’Autun a reconnu combien, ses raisonnements sont erronés. Législateurs, vous qui avez applaudi ces mêmes raisonnements, songez que les palliatifs impuissants sont la ressource des femmes, et que le sort de l’Empire dépend de votre décision . Paris, le 24 septembre 1790 (2). Mémoire pour la ville de Lille contre le projet de liquidation de la dette nationale exigible par assignats forcés (3). L’Assemblée nationale désire acquitter, sans délai, la dette exigible. La justice lui impose une obligation, et elle peut la remplir. On lui propose à cet effet de payer les créanciers de l’Etat, ou avec des assignats forcés, ou avec des quittances de finance. Partagée entre ces deux opérations, dont l’événement doit perdre ou sauver la France, l’Assem-lée nationale parait attendre le vœu de la nation pour prononcer. (I) Celte opération pour l’cchange, et pour prévenir toute surprise, peut être fort simple. (2) M. de Talleyrand lit imprimer et distribuer la note suivante, en réponse aux allégations de M. Mi-coud : « Je viens de lire dans une brochure qui a pour titre : « Encore un mot sur les assignats , et signé Charles « Micoud, ci-devant d’Umons, que j’avais reconnu corn « bien mes raisonnements étaient erronés. Je déclare « aujourd’hui, 24 septembre, que, même après la lec-« ture de l’ouvrage de M. d'Vmons , mon opinion sur « les assignats forcés est restée la même, et qu’aucune « des raisons que j’ai employées pour la soutenir ne « me paraissent, jusqu’à présent, avoir été détruites. « Je persiste dans le projet de décret que j’ai soumis « à l’Assemblée. a Signé : l’Évêque d’Autün. » (3) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. ARCHIVES PARLEMENTAIRES.