(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790.] 703 tion? Alors on paraîtrait s’autoriser même de l’Assemblée nationale; et au lieu de porter la lumière à nos frères, nous porterions le glaive dans leur sein, au nom et de la part de Dieu. Craignons de voir la religion invoquée par le fanatisme, et trahie par ceux qui la professent; je vous supplie de ne pas rendre un décret qui peut la compromettre, au lieu de propager ses succès dans tout l’univers, comme vos décrets propagent ceux de la liberté. En ajournant, vous déjouerez les ennemis qui attendent le décret, pour s’en servir contre le peuple et contre la religion même. Pour vous convaincre du danger d’adopter cette motion dans les circonstances actuelles, je ne dirai plps qu'un mot; c’est dans un moment pareil qu’elle a déjà été faite; c’est quand l’opinion se formait sur une matière qui intéressait les ecclésiastiques que le clergé en corps a appelé le fanatisme à la défense des abus. M. le comte de Mirabeau demande la parole. La partie droite demande qu’on aille aux voix, et se lève. M. le Président observe que vingt personnes sont inscrites sur la liste de la parole avant M. de Mirabeau. Quelques membres demandent que la discussion soit remise à demain, toutes choses en état. Cette proposition est mise aux voix. — La première épreuve est douteuse. — A la seconde, le président prononce la remise de la discussion, et lève la séance. — Tout le monde quitte les bancs. — La droite réclame l’appel nominal, et proteste contre la levée de la séance. M. le Président met aux voix si la séance doit être levée. — La majorité est pour l’affirmative. La partie droite se remet en place. — Le président et les secrétaires quittent le bureau. MM. de Foucault et Duval d'Ëprémesnil parlent avec action — On ne peut les entendre. Après une assez longue insistance, la partie droite quitte les bancs et se retire peu à peu. — 11 est cinq heures et demie. Annexe à la séance de l'Assemblée nationale du 12 avril 17y(). Opinion de M. le marquis de Thiboutot (1), député du bailliage de Caux, sur les changements projetés pour l’artillerie , dont il croit devoir donner connaissance à l’Assemblée nationale (2) Messieurs, je me trouve dans ce moment-ci, le seul membre de l’Assemblée qui, par état, doive (î) L’opinion de M. de Thiboutot n’a pas été insérée au Moniteur. (i) Cette opinion devait, au commencement près, être prononcée, telle qu’elle est, à la tribune de l’Assemblee, lorsque le ministre de la guerre lui aurait soumis le plan d’orgauLation de Cannée, et conséquemment les changements projetés pour l’artillerie. Le marquis de Thiboutot croît devoir la lui présenter par écrit, sans défendre auprès de vous les intérêts de l’artillerie. Ces intérêts sont si méconnus dans les différents projets qu’on ne craint pas de présenter, et qu’on s’efforce même de faire adopter cbaquè jour pour elle au ministre de la guerre, que je crois ne pouvoir trop m’empresser de les soumettre à votre sagesse et à votre justice. Permettez-moi, Messieurs, de réclamer votre attention pour la cause d’une arme dont toutes les puissances de l’Europe semblent vouloir, dans ce moment-ci, faire dépendre la destinée de leurs États. 11 est indispensable, pour la bien juger, que vous vous formiez la plus juste idée de son service. Je vous prie donc de permettre que je vous le fasse connaître comme il doit être connu de vous. Le détail aussi exact qu’abrégé que je vais vous en faire, vous paraîtra peut-être digne de quelque intérêt. Peut-être môme ajoutera-t-il à celui que vous pouvez rendre au corps qui en est chargé, et qui sera toujours bien plus touché du désir de mériter l’estime de la nation, que du bonheur de jouir de celle des nations étrangères. Le nom que porte l’artillerie vous annonce, Messieurs, qu’elle est chargée de presque toutes les parties du serviee, qui exigent la connaissance des arts et des sciences qui y ont rapport. C’est elle en effet qui prépare les foudres de la guerre, qui fait exécuter tous les attirails et tous les effets militaires destinés à la défense de l’Etat. C’est elle qui, en fournissant à nos troupes toute espèce d’armes fabriquées sous ses yeux et sous sa direction, les rend essentiellement capables de former nos armées. C’est elle qui, en fournissant à nos armées toute espèce de munitions de guerre, qu’elle a choisies, éprouvées ou façonnées pour elles, les met essentiellement en état d’entreprendre sur l’ennemi. C’est elle qui est chargée de la construction de tous les ponts à établir sur Jes ruisseaux, sur les rivières et sur les fleuves, qui pourraient s’opposer à ses entreprises. C'est à ses soins et à sa vigilance que sont confiés en tout temps les objets qui intéressent le plus la sûreté de l’empire; c’est entre ses mains qu’est remis le dépôt des poudres, dépôt d’autant plus précieux a conserver pendant la guerre, qu’il n’en est pas de ce trésor militaire des armées comme du trésor pécuniaire qu’elles mènent à leur suite ; qu’il est toujours aussi aisé à détruire et aussi difficile à remplacer, que leur trésor pécuniaire est facile à garder, à reprendre et à renouveler; et que s’il arrivait au plus grand capitaine, à celui même qu’une suite uoo interrompue de victoires aurait rendu maître de la moitié du monde, de perdre à la fois ses poudres dans son camp et dans ses places d’entrepôt, il u’au-rait d’autre parti à prendre que d’abandonner, sur-le-champ, toutes ses conquêtes, trop heureux de pouvoir ramener son armée saine et sauve au point d’où elle serait partie. Mais les services qu’elle rend à l’Etat ne se attendre le moment où on serait parvenu à les faire adopter au ministre, d’après les vives alarmes qu’ils inspirent, pour l’intérêt de l’Etat, aux officiers de ce corps, depuis la dissolution du comité général de ses inspecieurs, appelés pour être entendus sur les bases de ces changements dont les auteurs et les fauteurs n’ont pas permis qu’ils pussent connaître l’ensemble, et mêmes les principaux détails. 704 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790.] bornent pas, Messieurs, à préparer le succès des entreprises de nos armées, en leur fournissant ou en conservant pour elles, avec le plus grand soin, les premiers moyens de les exécuter. Elle contribue encore à l’assurer dans les combats, dans les batailles, et surtout dans les sièges. Pour vous convaincre de l’influence qu’elle peut avoir dans les combats et dans les batailles, je vous rappellerai la malheureuse journée d’Ettin-gen, où le combat eût fini, faute de combattants ae la part des ennemis de la France, s’il eût été permis à son artillerie d’agir sur eux. Je vous observerai que le dernier rui de Prusse, le plus grand capitaine de son siècle, celui de tous les siècles peut-être qui a le mieux connu l’art de fixer le sort des batailles, a toujours cru devoir y faire plus d’usage de l'artillerie qu’un autre; qu’il ne s’est jamais permis de compter sur le succès des manœuvres les plus savantes, exécutées par les troupes les plus disciplinées et les plus exercées de l’Europe, qu’autant qu’elles seraient puissamment protégées par elle, et qu’il a même voulu, ce que qui que ce soit n’avait voulu avant lui, ce que la France elle-même n’a pas encore osé vouloir, qu’à quelque prix que ce fût. elle pût y suivre avec des pièces de douze, c’est-à-dire, avec les pièces les plus fortes et les plus pesantes qu’elle emploie en campagne, les mouvements les plus légers et les plus rapides de sa cavalerie. Pour vous convaincre de l’influence qu’elle doit avoir sur le succès des sièges, je vous prierai de considérer qu’on se propose, en assiégeant les places, une fin absolument contraire à celle qu’on s’était proposée en les fortifiant, et que, comme l’artillerie peut seule, avec le secours du canon et des mines, en ruiner les fortifications, elle peut seule au:, si les forcer à se rendre, puisqu’elles n’avaient été fortifiées que pour mettre un petit nombre d’hommes destinés à les défendre, en état de résister à un plus grand nombre d’hommes destinés à les attaquer, et que toute résistance devient absolument impossible au plus faible, dès qu’il peut être joint et attaqué corps à corps par le plus fort. De si grands objets d’utilité ont-ils été jusqu’ici, Messieurs, remplis en France, comme ils devaient l’être, par le corps chargé du service de l’artillerie? Ce n’est point à lui sans doute, c’est à l’armée, c’est à la nation à le juger. Je ne vous dirai donc point qu’il consacre sa vie, pendant la paix, à s’instruire sur tous les détails qui y ont rapport, et qu’il croit en tout temps n’avoir rien fait, s’il lui reste quelque chose à faire, pour rendre à l’Etat tout ce qu’il lui doit. Je ne vous dirai point qu’on ne peut y prétendre au premier emploi d’officier, qu’après avoir fait preuve de connaissance étendues dans les mathématiques, que cet emploi se donne au concours, et qu’on ne l’obtient, que pour passer dans une école où l’on doit à la fois perfectionner cette première instruction acquise, acquérir celle qu’exigent les différentes parties du service de Fartillerie, et apprendre au soldat de ce corps tout ce qu’il doit savoir exécuter à la guerre. Je ne vous dirai point qu’en se dévouant à son service, on se dévoue au service le plus périlleux de l’armée; qu’on ne peut tirer le canon dans les batailles, sans se mettre en avant des troupes, conséquemment sans se mettre à portée de recevoir les coups de l’ennemi de la première main; que, comme l’artillerie peut seule les forcer à se rendre, tout le feu des places doit nécessairement se diriger sur elle dans les sièges ; que sur cent et quelques officiers qu’elle avait employés à celui de Fribourg, elle en a perdu quatre-vingts; que sur soixante-dix qu’elle avait envoyés à celui de Berg-op-Zoom, elle en a eu soixante-huit tués ou blessés, et qu’elle s’est vue souvent obligée, dans les. dernières guerres de Flandre, de renouveler en entier, jusqu’à deux fois dans une campagne, celles de ses compagnies qui fournissent à la sape, et qui pour lors étaient de cent hommes, parce que ses sapeurs ont à recevoir à bout portant tous les coups de l’ennemi, sans être séparés de lui que par un gabion farci, sans avoir d’autre abri que ce gabion, un pot en tête et une cuirasse, lorsque les plusbraves grenadiers, destinés à protéger leur travail, doivent se tenir le plus à couvert, et le plus éloigné de ces coups, que l’intérêt de l’objet auquel ils sont destinés peut le permettre. Je ne dois point, Messieurs, vous occuper plus des dangers qui accompagnent son service, qu’elle ne s’en occupe elle-même. Je dois fixer votre attention sur les projets qu’on voudrait faire agréer pour elle au ministre de la guerre; et, en m’occupant d’abord de celui qui a pour objet de lui retirer ses mineurs, je me bornerai, Messieurs, à soumettre à votre sagesse les considérations suivantes : Il est peut-être de l’intérêt le plus essentiel du service, de ne retirer aux différents corps militaires aucune des parties de celui qui leur est confié, lorsqu’elles sont aussi bien remplies qu’elles puissent l’être. 11 n’est peut-être aucun corps militaire en Europe, qui remplisse mieux celui des mines, qui ait même autant perfectionné la science de cette partie de l’art militaire, que le corps auquel il est question dans ce moment-ci de la retirer. Ce corps est chargé du dépôt des poudres, et il semble qu’une charge aussi importante ne puisse être partagée à la guerre , sans compromettre le sort des opérations de l’armée. Quelle est la tin pour laquelle on a cru devoir instituer, et pour laquelle on doit conséquemment employer les mineurs?* C’est sans doute pour faire sauter, ou seulement pour renverser, avec le secours de la poudre, un solide quelconque, soit de terre, soit de rocher, soit de maçonnerie. C)n ne peut, en les employant, obtenir l’une ou l’autre fin, sans avoir une connaissance approlondie des effets de la poudre, et jamais aucune arme, quelque éclairée qu’elle soit, ne pourra connaître aussi bien ces effets, que l’artillerie, qui passe sa vie à les suivre et à les observer. C’est l’artillerie qui a inventé l’art des mines. C’est à elle qu’est confié leur service chez tous les peuples guerriers, dont une partie même ne les connaît que sous le nom d’artillerie souterraine ; et vouloir lui retirer un des moyens qu’elle emploie dans les sièges pour faire brèche, un de ceux qui peuvent la rendre le plus utile à l’ar-mee dans d’autres occasions, ce serait vouloir lui retirer une partie de son existence; ce serait, pour ainsi dire, vouloir mutiler ce corps, et lui retrancher un de ses membres les plus essentiels. Je ne crains pas de vous assurer, Messieurs, que ce serait le priver de sa tête, que de le priver, comme on le propose au ministre, de son premier inspecteur général. Je vous observerai à ce sujet : 1° Que ce premier officier général a été chargé, par J’ordonnance, du soin d’assurer son service, et conséquemment celui de l’armée; qu’en l’en lAssembléfl nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790.] 705 chargeant, elle lui a fourni les moyens d’en défendre les intérêts, et qu’il devra toujours être d’autant plus empressé de les faire valoir, que la supériorité de sa place ne lui laisse de désirs à former que pour le bien de la chose publique ; qu’il est même porté par amour-propre a le faire, puisqu’il en est comptable à tout son corps; 2° Que le sort de l’artillerie serait livré à l’instabilité du ministère et à celle des principes de chaque ministre, si elle ne devait avoir d’autre secours pour sa défense, que les secours ordinaires ou extraordinaires qu’il emploierait lui-même pour remplir sa place, puisque, avec le mérite même des lumières et des meilleures intentions, ils ne sauraient être comptables du bien qu’il ne leur serait pas toujours permis de faire prévaloir, et qu’ils se verraient souvent obligés d’y sacrifier celui qu’ils auraient à attendre pour eux-mêmes, delà bonne volonté du ministre; 3° Qu’il n’est point de corps où l’ordre et l’ensemble soient aussi essentiels à maintenir, puisqu’elle embrasse les détails plus nombreux et les plus importants; qu’il n’en est même point où il soit aussi nécessaire de mettre les finances de l’Etat et le service de toutes les troupes à l’abri des surprises que les entrepreneurs sont toujours si empressés de faire à la religion des causes secondaires, puisqu’elle est chargée de tous les marchés à passer , et de toutes les fournitures à recevoir, non seulement pour ses arsenaux, pour ses fonderies et pour ses forges, mais même pour toutes armes, pour tous les outils, pour toutes les munitions de guerre, destinés au service de l’armée; 4» Enfin que, si la rareté des talents en fait le prix, le grand nombre de ceux qui prétendent aux récompenses militaires, n’a aussi que trop souvent l’avantage sur le petit nombre de ceux qui cherchent à les mériter, et qu’un cor ps[à talents, comme l’artillerie, a plus besoin qu’un autre de secours pour obtenir la justice due à la qualité des services qu’il rend à l’Etat. Pour vous convaincre, Messieurs, de la difficulté qu’elle doit en général éprouver à obtenir cette justice, de la part même des ministres les plus dignes de votre confiance et de la sienne, il suffit de vous dire que M. le comte de la Tour-du-Pin lui-même a pu partager quelques erreurs échappées à votre comité militaire, dans les propositions qu’il vous' a faites, le 20 janvier dernier, pour la paye des soldats de dernière classe, pour la masse générale des régiments, et le traitement des officiers généraux employés au service de cette arme. Vous savez que toute la bonne volonté dont l’homme est capable ne saurait étendre ses forces physiques au-delà du terme que la nature leur a assigné, que toute fatigue est pour lui proportionnée à la perte qu’il en a faite ; et que, s’il ne ne peut réparer en entier cette perte, son existence doit d’abord s’altérer, et bientôt se détruire. Vous savez que le soldat d’artillerie ne se refuse jamais aux occasions qui peuvent le mettre à portée de se rendre utile; qu’indépendamment même du service qui lui est propre, il est toujours prêt à faire, quand les circonstances l’exigent, celui de l’infanterie, et qu’il ne le fait jamais à la guerre, que comme grenadier. Que pensez-vous donc, je vous prie, de la proposition qui vous a été faite de n’accorder aux basses paies de ce corps qu’une solde inférieure à celle du grenadier d’infanterie ? Pourriez-vous douter de la différence qui lre SÉRIE, T. XII. existe seulement entre la fatigue attachée au service qui lui est propre, et celle attachée au service de grenadier d’infanterie? Daignez comparer, Messieurs, ces deux services entre eux, pendant la guerre et pendant la paix; daignez suivre l’un et l’autre soldat dans les combats ou dans les batailles, dans les marches d’armée et dans leurs garnisojis respectives. Si vous suivez l’un et l’autre soldat dans les combats et dans les batailles, vous verrez celui de l’artillerie occupé à manier une arme bien différente d’un fusil, et à y mettre une charge bien autrement pesante qu’une cartouche d’infanterie. Vous le verrez attelé à sa pièce comme un cheval, portant comme lui une espèce de harnais décoré du nom de bricolle , pour la faire avancer, la faire reculer, et lui faire faire le moindre changement de position. On prépare les chemins que doivent suivre les chevaux destinés à la traîner dans les marches. Il n’est point de chemin préparé pour lui, quand il la traîne devant l’ennemi. C’est le plus souvent dans les terres labourées, lorsque la chaleur est le moins supportable, où lorsque la terre est le plus défoucée par les pluies, qu’il doit faire suivre à son fardeau les mouvements imprévus ou rapides, soit de nos troupes, soit de celles de l’ennemi, et le poids de ce fardeau, Messieurs, composé de celui de la pièce et de celui de son affût, doit être de treize cent quatre-vingt dix-neuf livres, lorsqu’il traîne du canon de quatre ; de deux mille trois cent soixante quatre livres, lorsqu’il traîne du canon de huit ;et de trois mille cent quatre-vingt-quatre livres, lorsqu'il tra ne du Canon de douze. Si vous suivez l’un et l’autre soldat dans les marches d’armée, vous verrez celui de l’artillerie constamment attaché à l’escorte des attirails qu’on y emploie à porter, non seulement les munitions destinées à son service, mais encore celles destinées au service de toutes les troupes. La colonne de ces attirails occupe en général, vu la force de nos armées actuelles, un espace de près de quatre lieues, et, comme il n’est point d’accident dont on puisse se préserver dans les mauvais chemins, comme il n’est point de beau chemin, qui ne devienne bientôt impraticable par la pression continue du poids considérable des pontons et des pièces, elle ne fait guère communément plus d’une lieue en trois heures. Le soldat d’artillerie ne peut donc presque jamais arriver à son camp que pour réveiller les autres soldats. Ils n’avaient pas essuyé comme lui tout le poids de la chaleur ou tout le poids de la pluie. Il y arrive sans avoir soupé, et souvent même mouillé jusqu'aux os, dans le temps des plus fortes gelées, parce qu’il n’est aucun temps où il ne doive se mettre à Veau, si la maladresse d’un charretier a fait tomber quelque pièce dans une rivière. Il s’estime cependant encore trop heureux d’y arriver à quelque heure de la nuit que ce soit, parce que le plus léger accident, survenu à une voiture dans un chemin creux, devait le faire coucher dans la boue. Il n’aurait eu d’autre consolation, en y couchant, que celle de se trouver à côté, soit de ses officiers, soit du colonel de son corps chargé du commandement de l’arrière-garde, qui, à l’exemple des officiers et du capitaine d’un vaisseau de guerre, ne doivent jamais abandonner le dépôt qui leur est confié, ni exposer leurs canons à être pris par l’ennemi auquel ils serviraient de trophée. Si vous suivez enfin, Messieurs, l’un et l’autre 45 706 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [42 avril 1790.] soldat dans leurs garnisons respectives, vous serez encore bien plus frappés de l'excès de peines et de fatigues que celui de l’artillerie a à supporter de plus que le grenadier d’infanterie. Il n’a peut-être pas autant de gardes à monter que lui dans la place où se trouve établie son école. Mais il a à suivre à la fois tous les détails du service qui lui est propre et tous ceux du service qui est propre à l’infanterie. Mais il doit s’atteler souvent à ses pièces de bataille pour apprendre à se passer du secours des chevaux, et à en faire les fonctions, lorsqu’il aura à les traîner, sinon aussi aisément, au moins aussi légèrement qu’eux devant l’ennemi. Mais il est occupé tour à tour, soit du service de ces pièces et de celui des différentes bouches à feu de siège d’un poids encore plus considérable qu’elles, soit de toutes les parties de l’ar-tilice dont on fait usage à la guerre, soit de toutes les manœuvres de force qu’on peut exécuter avec la chèvre ou sans chèvre. Mais il est le seul de tous les soldais de France qui travaille à la teire pendant la paix sans en être payé , et il doit y travailler constamment, parce qu’il doit s’exercer constamment à construire différentes batteries et à exécuter différents ouvrages de sape et de mine. Mais lorsqu’il s'exerce à exécuter ces ouvrages de sape, il est le seul de tous les citoyens qui travaille à genoux à la terre, qui y travaille la tête affaissée et les reins brisés, sous le poids considérable du pot en tête et de la double cuirasse, dont il est obligé de se couvrir à la guerre, et qu'il doit apprendre à porter à ce travail pendant la paix. Mais il n’est aucune de ses écoles, si on en excepte celles de Besançon et de Valence, où il ne trouve des arsenaux de construction : et combien le service de ces arsenaux n’ajoute-t-il pas encore à ses peines et à ses fatigues. Il doit y débarquer tous les arbres entiers, tous les fers bruts et ébauchés que les ouvriers de l’artillerie ont à débiter ou à employer; il doit y travailler comme un cheval, à traîner des fardeaux énormes, et à les transporter dans les lieux destinés à les recevoir ; il doit exécuter tous les mouvements, tous les embarquements qui s’v renouvellent sans cesse; il doit entin y faire, Messieurs, tqut ce que les galériens sont condamnés à faire dans les arsenaux de construction de la marine. Voudriez-vous qu’il pût être regardé comme tel par les autres troupes? ..... Songez, Messieurs, que le dépôt des poudres lui est confié...; songez que la seule peine qui ne mérite point de salaire est celle de l’homme dégradé et que ce serait le dégrader à ses propres yeux que de ne lui tenir compte de celle qu’il a à supporter déplus que le grenadier d’infanterie, pour l’intérêt de l’Etat et de la nation. Lorsqu’on a créé en 1671 un corps de soldats d’artillerie, on ne s’est pas contenté, Messieurs, de composer ce corps d’hommes choisis d’après leurs qualités physiques et morales, dans un nombre de bataillons d’infanterie qu’il était alors questions de réformer. On a encore voulu qu'il fût pour la suite comme il l’a été en effet depuis, pendant longtemps , par les grenadiers de l'armée. Mais pour ne pas rendre le sort des soldats qui y étaient ou qui y seraient attachés plus malheureux qu’ils ne l’auraient été jusque-là, on a cru devoir y accorder aux plus basses paies une solde plus forte que celle du grenadier d’infanterie. Nos troupes ne connaissaient point alors les manœuvres légères qu’elles ont eu à exécuter depuis, et nos pièces de bataille étaient beaucoup plus pesantes qu’elles ne le sont aujourd’hui. On n’a donc point alors exigé de ces soldats qu’ils se passassent du secours des chevaux, et qu’ils en fissent les fonctions, pour traîner leurs canons de bataille, lorsqu’il serait question de les manœuvrer devant l’ennemi. Serait-ce, Messieurs, lorsqu’on leur impose la nouvelle charge de s’atteler à ce canon, et de s’épuiser à suivre les mouvements rapides que nos troupes ou celles de l’ennemi peuvent exécuter à la guerre, qu’on voudrait réduire la proportion qu’on avait cru devoir établir entre le prix de leur service et celui du service de l’infanterie? J’en appelle à votre justice. J’en appelle à votre humanité. J’en appelle même à votre intérêt, car je ne dois pas vous cacher que, quoique l’artillerie n’ait jamais connu l’usage des coups de plat de sabre, quoique les officiers de ce corps ne se soient jamais estimés que les premiers soldats et qu’ils se soient en conséquence toujours crus intéressés à respecter les droits, non seulement de l’homme et du citoyen, mais encore de l’honneur français, dans la personne de ceux qu’ils avaient à punir, elle n’a jamais pu se compléter, s'approcher même, à un dixième près, du complet depuis la guerre. Je dois même vous prévenir qu’elle n’y parviendra jamais qu’autant qu’elle pourra avoir à offrir à ses basses paies une solde plus forte que l’infanterie a à offrir à ses grenadiers. Vous sentez que tout homme qui convient au service de l’artillerie, convient à celui de grenadier d’infanterie, et, s’il n’en est point qui se croit né uniquement pour la peine, il n’en est point qui consente à préférer au bénéfice presque certain d’un service doux et agréable, les charges nécessaires de celui qui doit être regardé comme le vrai service de peine de l’armée , si l’État n’y attache au moins une solde proportionnée aux fatigues qu’il entraîne. Mais pour que l’artillerie puisse se procurer des soldats, et se les procurer tels qu’elle le désire, il ne suffit pas, Messieurs, que ces soldats soient nourris comme ils devraient l’être, il faut encore qu’ils soient aussi bien couverts pendant l’hiver et conséquemment aussi bien vêtus que les autres soldats. Gomment donc a-t-on pu vous proposer de réduire à quarante-quatre livres par homme la masse générale des régiments de ce corps, que vous savez être destinée à fournir, non seulement aux frais qu’il a à faire pour rengagement et l’habillement de ses soldats, mais encore à beaucoup d’autres dépenses. L’artillerie n’a jamais pu avec une masse encore plus forte, parvenir à se compléter, dans le temps où elle était peut-être moins scrupuleuse qu’elle n’aurait dû l’être, à choisir ses recrues, soit dans l’espèce des grands hommes et des hommes forts et corsés, soit dans la classe de ceux accoutumés au travail et dignes, au moins par leurs mœurs, d’être employés à la garde du dépôt des poudres. Vous savez, Messieurs, que les habits du soldat partagent avec lui la fatigue attachée à son service, et vous sentez que ceux du soldat d’artillerie doivent être en conséquence plus souvent réparés et plus souvent renouvelés que les autres. Je ne crains donc pas de vous représenter que la masse générale de l’artillerie ne saurait être moindre de 50 francs par homme, si vous voulez que les troupes destinées à son service soient à [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790.] 707 la fois aussi complètes, aussi bien composées et aussi bien habillées qu’elles doivent l’être. Je ne crois pas d'ailleurs, Messieurs, avoir de la peine à vous prouver la justice de la proposition qui vous a été faite, d’accorder aux officiers généraux employés de cette arme, un traitement moins avantageux qu’aux officiers généraux employés de l’infanterie ou de la cavalerie. Vous vous proposez de supprimer les grâces militaires, dont on a pu jusqu’ici abuser et de faire payer désormais en appointements tous les services des officiers, pour vous assurer qu’ils seront aussi exactement récompensés qu’ils méritent de l’être. Votre intention n’est certainement pas de décourager les talents dans l'artillerie, en appréciant moins les services qu’elle rend à l’Etat que ceux que lui rendent les autres armes. Vous savez qu’elle n’y peut attacher d’autre prix que celui que l’Etat croira devoir y mettre. Vous n’ignorez pas que le meilleur moyen d’avilir les services de toute espèce de corps, aux yeux mêmes de ceux dont on peut les atteindre, est d’avilir les services de ses chefs. Gomment donc l’artillerie, qui a tant de confiance dans votre sagesse et dans votre justice, pourrait-elle craindre que ses officiers généraux employés fussent distingués, à leur désavantage, des officiers généraux employés de l’infanterie et de la cavalerie, lorsqu’ils ont sur le plus grand nombre d’entre eux l’avantage d’avoir rendu plus de services à l’Etat, et de les avoir rendus sans interruption -, lorsqu’ils ont dû nécessairement consacrer toute leur vie à acquérir des talents militaires ; lorsqu’ils ont à suivre à la fois les détails de l’infanterie et tous ceux qui ont rapport aux fonctions que l’artillerie doit remplir à la guerre ; lorsqu’ils sont chargés surtout de la confiance de l’Etat, pour ce qui intéresse essentiellement le service de toutes les troupes ? C’est bien assez, Messieurs, qu’elle ait à craindre de perdre une partie, soit des emplois de ses officiers généraux, soit des emplois d’officiers supérieurs, dont elle a eu jusqu’ici à disposer en faveur des officiers qui avaient sacrifié la plus grande partie de leur vie à bien mériter de la patrie. On propose au ministre de la guerre d’en réduire le nombre, et vous serez sans doute bien étonnés, quand vous saurez que, dans toute autre circonstance que celle où se trouvent nos finances, il n’aurait pu se dispenser de l’augmenter, pour l’intérêt direct autant que pour l’intérêt indirect du service. Je dis, Messieurs, que pour l'intérêt direct du service, il n’aurait pu, dans toute autre circonstance, se dispenser de l’augmenter, parce que les connaissances qu’on exige pour être admis dans l’artillerie ne permettent pas de l’être avant dix-huit ans, et que, d’après le relevé exact qui a été fait depuis 1765, du temps moyen que chaque officier a eu à séjourner dans les six grades ou emplois qui précèdent celui d’inspecteur général, il est prouvé qu’il est impossible d’y parvenir sans avoir soixante-et-un ans de service, conséquemment avant l’âge de soixante-dix-neuf ans. On voit, en effet, par les détails de ce relevé, qu’il faut attendre au moins pendant neuf ans, Ja commission de capitaine dans l’emploi de lieutenant ; qu’il faut rester au moins huit ans dans le même emploi avec la commission de capitaine, avant de devenir capitaine titulaire ; qu’on ne saurait être moins de douze ans capitaine titulaire, avant d’avoir le brevet ou l’emploi de major, et que, quand à vingt-neuf ans de service, on est parvenu à l’obtenir, on doit encore séjourner trente-deux ans dans les quatre grades qui restent à franchir pour arriver à l’inspection générale ; savoir, huit ans dans chacun des grades de major et de lieutenant-colonel, et seize ans dans ceux de colonel et de commandant d’école. Je ne doute pas, Messieurs, qu’une vérité si lâcheuse pour l’artillerie ne vous paraisse difficile à croire et je n’ose presque vous dire que l’avancement que ce corps a éprouvé depuis 1765, a été encore bien moins retardé qu’il n’aurait dù l’être, si l’Etat ne lui eût accordé plusieurs retraites chaque année. Je vous prie cependant de considérer qu’il ne vaque annuellement pendant la paix que dix-huit emplois dans ce corps, et qu’en su pposant qu’ils n’y vaquassent que par mort, et que la morC n’y frappât que sur les officiers les plus âgés, il faudrait toujours plus de quarante-deux ans de service au plus jeune pour y parvenir au grade d’inspecteur général. Je vous prie de considérer encore que la mort n’y épargne comme ailleurs aucun âge, conséquemment, que lorsque le dernier officier y a dix-huit rangs à gagner, celui qui est parvenu au tiers de ce corps n’en a plus guère à gagner que douze, celui qui est parvenu aux deux tiers n’en a plus guère à gagner que six, et qu’enfin sans le secours des retraites, celui qui eu aurait franchi sept cent quarante, serait obligé de mettre bien des années à percer les trente derniers qui se trouvent entre lui et l’inspection générale. On opposerait en vain a cet argument et aux observations exactes qu’il confirme, l’exemple de mon âge, peut-être même de l’âge du dernier des inspecteurs généraux actuels de l’artillerie. IL est possible que le plus jeune d’entre eux, après moi, n’ait encore que soixante-dix ans, mais peut-on ignorer que l’artillerie a éprouvé trois grandes révolutions depuis 1755 jusqu’à 1765 ; que chacune d’elles iui a fait perdre un très grand nombre d’officiers, et qu’elles ont dû y occasionner un avancement très extraordinaire. Quant à moi, Messieurs, quoique je sois le premier de tous les inspecteurs généraux d’artillerie, je puis fournir la preuve la plus forte de la nécessité qu’éprouvent tous les officiers d’attendre ce grade, au moins pendant seize ans, lorsqu’ils ont obtenu celui de colonel, puisque j’ai été fait colonel au mois de janvier 1759 et que je n’ai été nommé inspecteur qu’à la fin de l’année 1776, c’est-à-dire presque dix-huit ans après. Si j’ai séjourné moins de quatre ans dans le grade de lieutenant-colonel, si je n’ai même encore que quarante-deux ans de service, c’est que je suis entré, Messieurs, dans l’artillerie, pour y occuper la place de vice-grand-maître de ce corps après mon père ; c’est que mon père ne l’avait acheté que pour moi, lorsqu’il était officier général, lorsqu’il était même hors d’état de l’exercer, soit à cause de son âge, soit à cause des blessures cruelles qu’il avait reçues au service, dont une lui a fait porter un menton d’argent pendant vingt ans de sa vie ; c’est qu'on m’a condamné à la perdre à sa mort, qu’il m’a fallu la racheter quatre ans après l’époque à laquelle il l’avait achetée lui-même, pour la perdre encore de mon vivant, cinq ans après, lorsqu’il a plu au roi de supprimer à la fois celle de grand maître et celle de vice-grand maître de ce corps ; c’est 708 [Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (12 avril 1790.J enfin, Messieurs, parce que le roi qui neme l’a point encore remboursée, qui me doit en conséquence, plus de 100,000 écus pour cette charge, et qui a voulu jusqu’ici qu’elle ne pût me produire qu’un intérêt de 3,400 livres, un logement à l’arsenal et le grade de lieutenant-colonel d’artillerie, a cru devoir au moins ne pas me nommer un des derniers officiers de ce grade. Vous avez vu, Messieurs, d’après la constitution actuelle de l’artillerie, les officiers de ce corps ne pouvaient, sans le secours des révolutions les plus fâcheuses et les plus malheureuses pour lui, espérer d’y être inspecteurs généraux, pendant la paix, avant l’âge de de soixante-dix-neuf ans. Vous désirez savoir sans doute à quel âge ils pourraient obtenir ce grade, si celle qu’on présente au ministre était adoptée. Ce ne serait, Messieurs, qu’à quatre-vingt-neuf ans, qu’elle leur permettrait d’y prétendre, et vous devez d’autant moins en douter, que les auteurs et les fauteurs de cette nouvelle constitution ont cru devoir y faire entrer et protéger, avec le plus grand soin, l’établissement de vrais sous-inspecteurs généraux , désignés sous le nom decommandantsd’artillerie, et destinés à suppléer ceux des inspecteurs qui seraient hors d’état de faire leur service, conséquemment à les suppléer tous. Ils ont cherché à faire agréer cet établissement à M. le comte de la Tour-du-Pin, en lui proposant, non seulement de réformer une partie des inspecteurs généraux actuels, mais même de laisser le ministre maître de nommer à son gré ces nouveaux commandants d’artillerie, ou du moins de choisir entre eux ceux qu’il lui plairait de charger du soin de suppléer les inspecteurs. Il lui ont donc proposé, Messieurs, de créer une classe parasite d’officiers dans l’artillerie, pour remplir des fonctions qu’ils enlevaient à une partie des premiers officiers du corps, auxquels elles appartenaient, et qui étaient encore en état de les très bien remplir. Ils lui ont proposé d’enlever ces fonctions à une partie des premiers ofticiers du corps, pour l’engager à leur préférer leurs cadets, et le décider à arrêter leur réforme, en arrêtant qu’ils seraient attachés à la ligne, puisqu’il a paru jusqu’ici si essentiel de conserver les ofticiers généraux de l’artillerie à leur service, qu’on n’a pas cru devoir les en détacher, même pendant la guerre, pour les employer au service général de J’armée, et qu’on essaierait en vain de persuader qu’on voulût les y employer pendant la paix. Ils ont proposé au ministre de charger ces commandants d’artillerie du soin d’inspecter leur propre administration. Ils lui ont proposé d’établir de doubles et même de triples emplois dans un corps où il n’en existe aucun, lorsque vous travaillez à détruire les uns et les autres partout où il en existe. Ils lui ont enfin proposé de soumettre les officiers de la tête d’un corps à talents, au pouvoir arbitraire des ministres, lorsque vous vous occupez à en affranchir tous les corps, toutes les classes, même de l’état militaire. Dispensez-moi, Messieurs, de vous rien dire sur un semblable projet. Je dois l’abandonner à vos réflexions, et ne m’en permettrai même aucune sur l'effet qu’il pourrait produire dans l’artillerie. Je plains infiniment le ministre honnête et éclairé auquel on voudrait le faire adopter, de l’abus étrange que font de la confiance ceux qui cherchent à se faire valoir auprès de lui aux dépens d’un corps aussi intéressant, dont il ne connaît point les détails, ou qui se sont flattés de pouvoir s’élever sur les ruines de la constitution actuelle de ce corps. Si j’ai prouvé, Messieurs, que cette constitution actuelle ne permettrait pas d’espérer que les places les plus intéressantes de l'artillerie pussent être remplies comme elles devraient l’étre, je crois avoir prouvé qu’il est de l’intérêt direct du service, pour accélérer l’avancement de ce corps, d’y augmenter le nombre d’officiers généraux et d’offlciers supérieurs. Je dois prouver encore que cette augmentation n’y est pas moins nécessaire pour l’intérêt même indirect du service. Permettez-moi, Messieurs, de vous rappeler d'abord ce que j’ai déjà eu l’honneur de vous observer, que les corps militaires ne sauraient mettre d’autre prix à celui qui leur est confié, que le prix que l’Etat croit devoir y mettre lui-même. Permettez-moi d’en appeler ensuite à votre justice, pour savoir si l’égalité de mérite et d’utilité des trois corps à talents qui existent en France, ne pourrait pas leur donner le droit de prétendre à être traités également. Vous ignorez peut-être que l’artillerie n’a qu’un tiers d’officiers de moins que la marine, et qu’elle a à peine la septième partie des emplois et des grades, tant d’officiers généraux que d’officiers supérieurs, qu’on a cru avec raison devoir accorder à la marine. Vous ignorez peut-être que le nombre des officiers d’artillerie est plus que double du nombre des officiers du génie, sans compter ceux que lui fournit le corps de ses sergents, et qu’elle n’a même pas, à beaucoup près, le double des emplois supérieurs qu’on n’a pu refuser au génie ; qu’elle n’a même que dix officiers généraux employés, lorsqu’il en a douze. Peut-être encore vous plairez-vous à croire que la justice qu’elle éprouve à l’égard des récompenses générales de l’armée, le dédommage de l’injuste et excessif retard de l’avancement particulier de ses officiers. Il est aisé de vous en assurer. Messieurs, si vous savez qu’elle a fourni jusqu’ici la douzième partie de tous ceux de l’armée, et qu’elle a pu conséquemment prétendre à la douzième partie de toutes les grâces destinées pour eux. Daignez jeter seulement les yeux sur le tableau de ces grâces, et vous verrez qu’il ne lui a été accordé que quatre commanderies de l’ordre de Saint-Louis, par l’ordonnance même qui en a créé cinquante-neuf pour toutes les troupes de terre, et douze pour celles de mer. Vous verrez qu’il ne lui a été attribué qu’une grand’croix de cet ordre, comme au génie, par la même ordonnance qui en a créé trente-deux pour l’armée, et six pour la marine. Vous ne trouverez que trente-cinq de ses officiers sur la liste des. maréchaux de camp, qui en comprend sept cent vingt-trois. Vous ne trouverez que deux de ceux qui existaient anciennement dans ce corps, et aucun de ceux qui y existent aujourd’hui, sur l’état des lieutenants généraux, qui en comprend cent quatre-vingt-onze. Elle a toujours dû très bien connaître, elle a même toujours fait pendant la paix le service de l’infanterie, et cette dernière arme n’entreprend en présence de l’ennemi aucune manœuvre qu’elle ne soit obligée de suivre exactement, pour la seconder et la protéger. Cependant, sous prétexte qu’elle peut seule remplir le service qui lui est 709 [Assemblée nationale.} ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 avril 1790.] propre, sous prétexte, qu’elle ne doit, par cette raison, être chargée que très rarement d’un autre service, on n’a pas craint jusqu’ici de l’exclure, non seulement des quarante gouvernements généraux, des quarante commandements, et de toutes les lieutenances générales de provinces, qui se sont partagées entre l’infanterie et ta cavalerie, mais même des cent douze gouvernements particuliers, des cent quatre-vingt-six lieutenances de roi ou commandements de places, de toutes les� majorités et aides majorités de ces places, qu’elle devait être nécessairement aussi en état de défendre que les autres armes. Voilà, Messieurs, voilà le corps aux dépens duquel on se propose d’enrichir l’état militaire et d'autres corps. On le destine donc à n’avoir pour partage que les peines, le travail de l’esprit, les dangers, et 1 honneur ....... Il s’en contentera, Messieurs, si 1 intérêt de la nation l’exige. Il s’en contentera ..... Je ne crains pas de vous en assurer, en jugeant des officiers qui le composent par moi-même. Mais c’est à vous de décider de son sort. Il met en vous toute sa confiance, non pour l’améliorer à l’égard de l’avancement, car il se reprocherait d’occasionner une nouvelle dépense à l’Etat, dans la situation où se trouvent les finances, mais pour juger s’il peut être changé à son désavantage. Je ne dois pas vous laisser ignorer que le projet de le dépouiller d’une partie de ses officiers et de ses soldats, de le priver de son premier inspecteur général, et de réformer plusieurs autres inspecteurs généraux, doit sa naissance au conseil de la guerre. C’est tout vous dire, sans doute, si vous savez que ce conseil se proposait de donner à l’Europe étonnée, l’exemple d’un corps d’officiers d’infanterie et de cavalerie, aussi instruit de toutes les parties de l’artillerie, sans en avoir appris aucune, que le premier chef de celle même de France. Gomme vous ne voulez donner, Messieurs, aux autres nations que l’exemple de la sagesse, comme vous vous proposez d’abattre toutes les têtes du despotisme, vous ne permettrez sans doute l’exécution d’aucun des projets qu’il avait formés contre elle. Vous ne souffrirez pas surtout qu’à son exemple, on détruise la seule barrière qu’elle puisse jamais avoir à opposer au despotisme ministériel. Ses troupes ne sont dans ce moment-ci que les trois cinquièmes des troupes attachées en tout temps à celle des grandes puissances de l’Europe. Elle doit toujours être bien moins nombreuse que l’infanterie et que la cavalerie, conséquemment bien moins en état de résister qu’elles au pouvoir arbitraire des ministres. Elle doit être encore plus exposée à leurs erreurs, puisqu’ils devront ou pourront toujours mieux connaître les détails attachés au service des autres armes, que ceux attachés à son service. Elle a donc d’autant plus de droits à votre intérêt, si vous ne la regardez pas comme une des moins utiles de l’état militaire. Les nations les plus jalouses de la France regardent elles-mêmes, Messieurs, son artillerie comme la plus instruite, et La première artillerie de l’Europe. Pourriez-vous vous refuser à lui assurer les moyens de contribuer autant à la gloire des Français, qu’à la défense de leur empire ? Peut-être la nation croira-t-elle lui devoir à proportion de ce qu’elle a toujours cru lui devoir elle-même. Et comment la nation douterait-elle du patriotisme qui l’anima dans tous les temps, si elle se rappelle seulement la sublime leçon qu’en donnait à son fils le marquis de Saint-Hilaire, qui la commandait lorsque M. de Turenne fut tué? Il avait eu le bras emporté du même coup de canon qui avait ôté la vie à ce grand capitaine; et voyant, au moment même de sa chute, son fils, jeune officier d’artillerie, pleurer sa blessure : Ce n'est pas, lui dit-il, mon fils, la perte de mon bras qu’il faut pleurer, c'est celle de ce grand homme que vous voyez mort à côté de nous. J’espère que vous me pardonnerez; Messieurs, si j’ai pu abuser de votre attention, en vous entretenant aussi longtemps des intérêts de l’artillerie. Vous n’aviez pas, sans doute, besoin de moi pour connaître tout le prix de cette arme. Vous n’aviez pas, sans doute, besoin de moi, pour savoir que son service exige des talents distingués, et les plus grands sacrifices de la part des officiers du corps qui en est chargé. Mais j’étais le seul membre de l’Assemblée qui pût, Messieurs, vous faire sentir toute l’injustice du sort que ces officiers ont eu à éprouver jusqu’ici. J’étais le seul membre de l’Assemblée qui pût vous convaincre que celle surtout qu’ils ont eue à éprouver à l’égard de leur avancement est extrême, qu’elle ne peut donc être aggravée, qu’elle devra même, dans des temps plus heureux, être nécessairement réparée, pour l’intérêt le plus essentiel de l’Etat et de l’armée. Et comment, Messieurs, me serais-je refusé à plaider la cause des soldats de ce corps? C’est celle de mes compagnons d’armes ; c’est celle des citoyens à l’honneur desquels tient essentiellement mon honneur à la guerre. Ils m’ont plus d’une fois défendu dans les combats; ils m’ont si souvent gardé dans les camps, et, s’ils ont fait tout ce qui était en eux pour assurer ma vie, ne devais-je pas à mon tour faire tout ce qui était en moi pour assurer la leur? Je serais obligé de leur représenter les intérêts de la nation, s’ils pouvaient un instant les oublier. N’était-il pas digne de votre justice, Messieurs, de me permettre de représenter les leurs à la nation, de les lui représenter même avec quelque détail, lorsqu’ils avaient à craindre qu’elle ne pût les méconnaître? Vous m’estimeriez, sans doute, plus à plaindre encore qu’eux si l’Etat ne m’avait établi un de leurs chefs, que pour exiger d’eux l’exécution de leurs charges. On a dit que le plus grand plaisir des dieux était de faire des heureux, et j’ai senti toute ma vie que la plus grande peine d’un homme digne de l’être, était celle de ne pouvoir soulager le sort des malheureux. Je conclus, Messieurs : 1° A ce que les basses paies de l’artillerie aient par jour un sol de prêt pendant la paix, et une demi-livre de pain pendant la guerre, de plus que les grenadiers d’infanterie ; 2° A ce que la masse du régiment de ce corps ne puisse être moindre de cinquante francs par homme ; 3° A ce que les officiers généraux employés de l’artillerie aient un traitement égal, à raison de leur grade, aux traitements des officiers généraux employés de l’infanterie et de la cavalerie ; 4° A ce que les fonctions de la place de premier inspecteur général du même corps, suspendues par le conseil de la guerre, cessent de l’être, pour l’intérêt de ce corps, de l’Etat et de l’armée, et à ce qu’il ne puisse être fait, quant à présent, à la dernière ordonnance, rendue pour l’artillerie, en 1776, que les changements énoncés 710 [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. dans les articles ci-dessus, ou ceux que la situation actuelle des finances de la nation a permis» ou permettrait de faire à l’Assemblée, pour améliorer à d’autres égards le sort des soldats et des officiers attachés a son service. L’Assemblée nationale jugera de la confiance que le corps de l’artillerie a en sa sagesse et du prix qu’il attache pour l’intérêt de l’Etat à l’ordonnance de 1776, d’après une des lettres que j’ai reçues des officiers d’artillerie qui se trouvent en garnison à la Fère, dont je joins ici copie. « De La Fère, le 3 avril 1790. « Monsieur le marquis, « Justement alarmés des changements que l’on veut faire dans le corps royal de l’artillerie, c’est dans les mains du premier de nos chefs que nous devons déposer nos craintes et nos vœux. Vos lumières et votre patriotisme nous sont des garants sûrs que vous ferez tous vos efforts, Monsieur, pour maintenir l’ouvrage du général célèbre, à qui le corps doit une constitution, dont les avantages ont été consacrés par le temps, l'expérience et les succès. « C’est cependant cette constitution qu’on veut détruire. Si les officiers d’artillerie n’avaient à redouter que des pertes personnelles, il n’est pas de sacrifices auxquels notre patriotisme ne souscrivît avec courage. Contents devoir le bien public s’opérer dans tous les genres, nous applaudirions aux réformes qui porteraient sur nous; mais, persuadés que la constitution que notre corps a reçue d’une main célèbre et savante, est la meilleure qu’il puisse avoir, convaincus que le maintien de cette constitution est de la plus haute importance pour la patrie, nous osons réclamer contre tout changement dans la force ou l’organisation de l’armée. « Nous ignorons encore quels sont les changements que l’on projette, et sur quelle partie du corps ils doivent frapper; mais, quel que soit le parti que prendra l’Assemblée nationale sur le nombre de troupes que doit avoir la France, l’artillerie n’est pas trop nombreuse. C’est une vérité qui doit être sentie par tous les militaires éclairés, s’ils observent surtout que, vu le temps nécessaire pour former un artilleur, il faut en avoir, dans tous les temps, le nombre nécessaire dans tous les cas. Trouverait-on le corps d’officiers trop nombreux? Qu’on réfléchisse alors que la nature et l’étendue du service de l'artillerie sont tels, que ce corps ne sert à la guerre que par de très petites subdivisions, à chacune desquelles il faut cependant des officiers; qu’outre cela, il faut, dans tous les temps, surveiller une infinité d’établissements, de dépôts et de fabrications. Serait-ce la quantité de nos officiers supérieurs que l’on envierait? C’est encore la nature et l’étendue de notre service qui en ont déterminé le nombre. « Si toutefois on décidait une diminution dans l’artillerie, nous croyons qu’il est encore de notre devoir de demander la conservation des bases de notre constitution actuelle, qui, par leur bonté et leur solidité, doivent être inattaquables. « Nous demandons enfin le maintien de l’ouvrage du célèbre général, dont nous sentirions aujourd’hui plus vivement que jamais la perte, si nous n’étions sûrs de trouver en vous, Monsieur, un défenseur ardent et éclairé de l’édifice superbe qu’il avait élevé pour le bien de l’Etat. « Si vous croyez que nos réclamations dussent tdier jusqu'à l'Assemblée nationale, noqs osons [13 avril 1790. J espérer que vous daignerez, Monsieur, être notre interprète auprès d’elle. Pénétrés de l’équité de cette auguste Assemblée qui, de concert avec un roi citoyen, l’amour des Français, donne à la patrie des lois qui seront à jamais son bonheur et sa gloire, nous nous flattons qu’elle pèserait dans sa sagesse ces réclamations qui ne nous sont dictées que par le plus pur amour du bien public. » Nous sommés avec un respectueux attachement, Monsieur le Marquis, Vos très humbles et très obéissants serviteurs. Signé : DàBOVILLE, maréchal de camp , directeur de l'Arsenal. Bellegarde, maréchal de eampy colonel du régiment de Toul , artillerie. Chevalier de Lance, maréchal de camp , colonel du régiment de la Fève. Monestier; Garbonel; Vereli; Chevalier De Malavillers ; Cheva-§ lier Dandiran; Le-- | o 1ER ; le Chevalier J> De Carbonël ; le Che-s valier De Mendre; 1 Chevalier De Dixier; le Chevalier Foucher ; Marsilly ; Martin ; Le Vicomte ; le Chevalier De Belleville; Bom-pières; Fonton; DE Presle. ASSEMBLÉE NATIONALE. présidence de m. le marquis de bonnay. Séance du 13 avril 1790 (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Poule, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance précédente dans lequel il est fait mention des diverses opinions qui ont été prononcées. M. Bouche observe qu’il y a un décret portant qu’il ne sera fait, dans les procès-verbaux, aucune mention des différentes opinions. L’Assemblée décide que le décret sera exécuté. M. le Président donne ensuite connaissance d’une note à lui dressée par M. le garde des sceaux, conleoant le détail des différentes expéditions en parchemin, envoyées pour être remises dans les archives de l’Assemblée nationale. Suit la teneur de cette note : Expéditions en parchemin pour être déposées dans les archives de l’Assemblée nationale : 1° De lettres patentes sur le décret du 15 du mois dernier concernant les droits féodaux ; (1) C«qe séance est incomplète an Mçmtewr.