ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] [24 juillet 1789.] 374 primable satisfaction de se trouver au sein de l’Assemblée nationale, si le vœu flatteur qui l’y appelle n’était intercepté par la décision erronée qui provoque et a fait naîlre la contestation actuelle. C’est à vous. Messieurs, à faire triompher le vœu de la liberté ; c’est à vous à protéger de votre justice le citoyen que l’arbitraire, par un dernier mais condamnable effort, cherche peut-être à retenir dans les liens pour serrer un instant encore le bout de la chaîne que vous êtes bien décidés sans doute à briser en entier : c’est à vous à procurer aux deux élections de M. le cardinal de Rohan leur plein et entier effet, aujourd’hui que ses forces lui permettent de se réunir à vous, et de partager les soins et la gloire attachés à nos pénibles fonctions : c’est enfin à vous à prononcer un arrêt que son zèle, sa position et sa reconnaissance lui feront également une loi de mettre promptement à exécution. On demande à aller aux voix. M. le Président les recueille : 657 voix contre 37 prononcent l’admission de M. le cardinal de Rohan. M. l’abbé Boug ne pourrait être admis que sur le refus de M. le cardinal. M-Ilébrard fait le rapport de la députation de la Bretagne. Voici succinctement Jes faits : Les communes et le clergé du second ordre de cette province, en vertu des règlements particuliers faits pour la convocation des Etats généraux, s’étaient assemblés par bailliages pour nommer leurs députés respectifs. Le diocèse de Saint-Pol-de-Léon fut le seul qui ne s’assembla pas. Pendant que les communes et le clergé du second ordre procédaient à leurs élections, la noblesse et le haut clergé , assemblés à Saint-Brieuc, protestaient contre la nomination des députés qui serait faite autrement qu’en corps d'état. La noblesse n’a point nommé ses députés; le clergé n’a point complété sa députation. Le comité a pensé que les élections faites par les communes et par une partie du clergé étaient valides, et que les députés élus devaient être admis dans l’Assemblée. M. de Beauinelz s’élève contre la prétention des provinces qui disent que les députations doivent être faites en corps d'état. La Bretagne, dit-il, n’est pas la seule où l’aristocratie a soulevé de telles prétentions ..... Tous les citoyens aujourd’hui ont les mêmes droits ; ce n’est pas un corps particulier qui doit jouir de l’avantage de la représentation au préjudice de l’universalité des citoyens ; c’est la Bretagne entière qui demande à être représentée et qui doit obtenir ce droit. Il conclut pour l’admission de la députation. M. de Gleizcn, député de Bretagne. Messieurs, la décision que vous allez prononcer sur la protestation d’une partie du clergé et de la noblesse de Bretagne, contre la députation du clergé et du peuple de cette province, eût été, ces jours derniers, bien plus intéressante pour nous. Agités tour à tour par l’espoir et la crainte, nous l’eussions attendue avec plus d’ardeur encore et de sollicitude. Vous n’avez plus, Messieurs, de dangers à courir. Votre patriotisme et votre courage les ont dissipés. Vous avez triomphé, par une constance inébranlable, de tous les obstacles qui s’opposaient au bien public. La constitution est censée faite ; oui, Messieurs, elle est censée faite, puisque le Roi s’en est remis à la sagesse de l’Assemblée nationale pour rétablir l’ordre et le calme dans son royaume , et créer, pour ainsi dire, la félicité générale, d’où dépend son propre bonheur. Le serment que nous avons eu l’hon-neui de prêter avec vous se trouve donc rempli. Si vous pouviez juger invalides les titres qui nous appellent à partager les fonctions et les travaux dont vous allez vous occuper pendant le reste de la session, nous aurions toujours eu la gloire d’être associés aux périls qui vous menaçaient, et nous jouirions, en retournant dans notre province, de la douce satisfaction de présenter à nos concitoyens le tableau fidèle de votre héroïque fermedé et de vos vertus. Pénétrés de l’admiration qu’elles nous ont inspirée, nous leur dirions avec transport, avec enthousiasme : Nous avons vu l’Assemblée la plus auguste qui ait jamais existé dans l’univers, l’élite des hommes les plus éclairés d’un vaste empire, disputant de zèle et d’activité pour établir sur des bases éternelles la félicité de vingt-cinq millions d’hommes. Nous leur dirions : Braves Bretons, vous venez de proclamer les arrêtés de l’Assemblée nationale, et celui même qui concerne la perception et la durée de l’impôt. Cet hommage rendu solennellement à ses décrets prouve que vous uuissez pour toujours vos destins à ceux de la France. Loin de songer, en effet, à détruire vos droits, vos franchises, l’Assemblée nationale veut , au contraire, les étendre et les consacrer par une constitution générale pour tout le royaume ; sous cette puissante égide, ils ne seront que plus inviolables. Nous leur dirions : Oubliez, s’il est possible, jusqu’au nom même qui vous enorgueillit; il désigne sans doute un peuple invincible, il exprime le besoin impérieux de la liberté, il caractérise le plus ardent amour de la patrie. Mais eus sentiments sont aussi vifs, aussi exaltés dans toutes les parties du royaume qu’en Bretagne. Considérez, ou plutôt essayez de croire ce qu’ont fait les intrépides conquérants de la Bastille I Ah ! Je plus beau nom, celui qui rallie aujourd’hui toutes les provinces, et que vous êtes dignes de porter, c’est le nom de Français ! Cependant, Messieurs, nous osons nous flatter d’être honorés cie vos suffrages et de voir confirmer notre élection. Ceux qui ont proscrit d'avance les antiques usages contraires aux droits de l’homme et du citoyen, ne peuvent pas faire cause commune avec les privilégiés de Bretagne. L’Assemblée la plus juste, la plus patriotique, ne rejettera pas la députation d’une grande province parce qu’un petit nombre d’individus a refusé d’y concourir, et que pour la première fois depuis des siècles le peuple a choisi ses représentants. (On applaudit.) Les députés de Bretagne sortent de la salle. L’Assemblée délibère sur la protestation de la noblesse et d’une partie du clergé. Elle est unanimement déclarée mal fondée. MM. les députés de Bretagne sont invités à rentrer dans la salle. Ils reparaissent au milieu des applaudissements universels. M. CoroIIer demande que l’Assemblée invite le clergé de Bretagne à compléter ses députations, et la noblesse à nommer ses députés. M. Chapelier appuie cette demande. Il dit que le haut clergé laisse sans influence et sans députation le clergé qui est le plus occupé et plus utile, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 juillet 1789-1 272 M. Thibault, curé de Soupes. 11 n’v a pas de haut clergé, il n’existe qu’un ordre du'clergé. M. Chapelier. Je me suis servi d’une expression vieillie depuis peu. Je dis donc qu’une partie du clergé ne peut pas priver l’autre de son droit de représentation. L’Assemblée décide que les quatre-vingt-quatre députés des communes et les vingt du clergé déjà nommés jouiront de leur droit, et que le diocèse de Léon et la noblesse pourront procéder à l’élection de leurs députés, en se conformant aux règlements. Une députation de la ville de Rouen se présente. M. de BonneQls, orateur de la députation. Nosseigneurs, les députés des officiers municipaux et les électeurs de la commune de Rouen apportent à vos pieds l’hommage du respect et de l’admiration d’une des plus importantes cités du royaume : daignez le recevoir avec bonté. Daignez aussi, Nosseigneurs, agréer l’adhésion formelle et entière que leurs commettants donnent avec reconnaissance aux sentiments, aux principes et aux arrêtés de cette auguste Assemblée. En mettant les créanciers de l’Etat sous la sauvegarde de l’honneur et de la loyauté du peuple français, vous avez rétabli la conliance, soutenu le crédit, et c’est un grand avantage sur les ennemis de la nation. Votre courageuse persévérance, votre inébranlable fermeté, votre ardent patriotisme ont éloigné ces perfides conseillers qui soulevaient les citoyens contre les citoyens, ces fauteurs du despotisme, qui usurpaient l’autorité du souverain sous prétexte de la défendre ; et vous avez contribué par votre puissante influence au rappel d’un ministre que ses talents et ses vertus rendent si cher à la France. De grands obstacles, Nosseigneurs, vous écartaient du but qu’il faut atteindre -, mais ce que vous avez fait garantit le succès de ce qui vous reste à faire. Comment reconnaître tant de bienfaits? Nos âmes sont brûlantes de zèle et de dévouement; mais l’impatience de notre amour était réduite à attendre du temps l’occasion de manifester notre reconnaissance. Une seule s’est présentée, nosseigneurs : nous l’avons saisieavec transport. Notre ville était livrée aux horreurs d’une émeute ; des navires , des chariots chargés de grains et de farines destinés pour la capitale étaient attaqués, forcés et pillés; alors, nous osons l’attester, nous craignions plus pour l’approvisionnement de Paris et de Versailles que pour le nôtre; la famine aurait augmenté les troubles ; ils se seraient étendus dans les provinces ; l’Etat entier pouvait être bouleversé. Ces dangers affreux ont armé nos concitoyens. Deux corvettes vont au-devant des navires, et les convoient jusque dans notre port. De là leurs cargaisons sont expédiées par terre ou par eau, sous une escorte respectable: le patriotisme la dirige et l’anime. Une compagnie de volontaires vient de se former, et toujours prête à protéger, jusqu’à leur destination, les objets relatifs à votre subsistance. Ce service, Nosseigneurs, n’est qu’un devoir: nous ne le rappelons que parce qu’il peut tranquilliser votre sollicitude. (On applaudit .) M. le Président. L’Assemblée nationale a appris avec peine les troubles qui ont agité la ville de Rouen, et elle a vu avec satisfaction que vous avez ramené le calme dans cette importante cité, par l’ordre qui doit en faire espérer la durée. Continuez, Messieurs, à y donner vos soins ; c’est votre premier devoir. Des succès heureux de cette nature récompenseront toujours complètement des Français de toutes leurs peines. Les précautions sages et vigilantes que vous avez prises pour la sûreté de l’approvisionnement de Paris, vous ont mérité l’approbation de l’Assemblée nationale. Elle me charge de vous l’exprimer. On demande l’insertion au procès-verbal du discours de la députation de Rouen. Cette demande est adoptée. On fait une seconde lecture de la proclamation tendant à inviter les citoyens à la paix. 11 n’est fait aucune observation. M. I&ubois de Craneé et plusieurs membres de V Assemblée ayant observé que tous les pouvoirs n’étaient pas encore présentés à la vérification, et qu’il était important de statuer sur l’exclusion des membres qui n’auraient pas exhibé leurs titres, L’Assemblée nationale a arrêté : 1° que ceux de MM. les députés présents qui n’auraient !pas encore envoyé leurs pouvoirs au comité de vérification, s’il en est dans ce cas, les remettront au bureau sous vingt-quatre heures; 2° Que le comité de vérification sera autorisé à produire, sous le délai de vingt-quatre jours, à l’Assemblée nationale, une liste exacte, par ordre alphabétique de bailliages, des noms de tous les membres de ladite Assemblée, dont les pouvoirs auront été véritiés ; que cette liste serait imprimée et servirait seule à l’appel, lorsqu’il serait nécessaire de recueillir les voix, et que ceux qui ne seraient pas compris, n’auront pas de séance. 11 a été décidé qu’on reprendrait le soir la proposition d’envoyer vers chaque district de Paris, un député qui offrît des moyens de correspondance continuelle entre tous les districts, pour établir incessamment, et dès demain, un comité chargé non-seulement des travaux qu’exige F administration journalière de la ville de Paris, mais encore de préparer pour la capitale, la constitution d’une municipalité. M. le Président annonce, en conséquence, que les bureaux s’assembleront aujourd’hui à cinq heures et demie du soir, pour s’occuper de cet objet, et que l’Assemblée générale se réunira à huit heures. Séance du soir à sept heures et demie. La motion qui avait été renvoyée ce matin à l’examen des bureaux, y ayant été discutée, M. le président a demandé si l’aiitcur voulait l’appuyer par de nouvelles observations, et lui a offert la parole. Personne ne s’étant présenté, il a été arrêté unanimement qu’il n’y avait lieu à délibérer sur cette motion. Sur la demande faite au nom du vingt et unième bureau, à laquelle ont adhéré la très-grande partie des membres de l’Assemblée, il à ôté arrêté que lundi prochain le comité de constitution rendrait compte de ses opérations, et que ceux qui le composent seraient pressés de mettre quelques parties de leur travail en état d’être présentées le même jour à l’examen et à là discussion des bureaux.