390 [AMftfflblée national*.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {9 novembre 1790.] Manduel, Bouillargues, Redessan, Caissargues, Rodilhan, Garons. DEUXIÈME DÉCRET. « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité de Constitution sur la pétition du directoire du défiartement du Doubs et du conseil du district de Besançon; « Décrète que l’arrêté du département du Doubs, du 19 octobre dernier, sur la rectification de la nouvelle composition des cantons du district de Besançon, sera exécuté tant pour la fixation de leurs chefs-lieux, que de leurs limites respectives. » M. le Président met aux voix ces deux décrets. Ils sont adoptés sans discussion. M. Camus, au nom du comité des pensions , rend compte des difficultés qui se sont élevées par rapport â l’expédition des provisions deM. Fleu-rieu, nouveau ministre de la marine, à cause d’un brevet de retenue de 400,000 livres, accordé à M. de La Luzerne, son prédécesseur. Après avoir exposé les diverses questions que cette affaire présente, leur difficulté et leur connexité avec les questions générales sur les droits des porteurs de brevets de retenue, il conclut à ce que toutes ces questions soient ajournées à vendredi 19 de ce mois, et que cependant le rapport qui a été arrêté sur ce sujet au comité des pensions, réuni avec des commissaires du comilé militaire et de judicature, soit imprimé et envoyé à domicile. (Ges propositions sont adoptées.) M. Gonfler de Biran, député du département de la Dordogne , absent par congé de l’Assemblée nationale, annonce son retour. M. le Président. L’ordre du jour est la discussion sur la formation du tribunal de cassation (1), M. Prugnon (2). Messieurs, une cour suprême de cassation, celle qui est, non le tribunal des parties, mais celui de la loi réduite à trente juges : ces trente juges divisés en trois sections; cha cune d’elles jugeant au nombre de cinq, non pa seulement de la violation des formes, mais d l’honneur même de la justice, puisqu’elles con naîtront de toutes les prises à parties : un bureau sortant du sein de ces sections et formé de six commissaires qui concentreront en eux toute l’autorité de la cour de cassation : le ministre de la justice, président né du tribunal entier, placé en même temps à la tête de chacune de ces petites fractions, et revêtu du droit de mulcter arbitrairement tous les juges de l’Empire, sans même les avoir entendus, et de leur ravir la confiance des citoyens : voilà le tableau réduit des dispositions que présente le troisième et dernier projet du comité. C’est de la comparaison et du choc des pensées que peut sortir un résultat digne de vous. J’oppose les miennes à celles du comité et j’attaque (1) Voy. plus haut, p. 22, le projet de décret du comité de Constitution, présenté par M. Le Chapelier, dans la séance du 25 octobre 1790. (2) Le discours de M. Prugnon est incomplet au Moniteur. le titre II dans son ensemble. Je vais montrer l’imperfection ou le danger de presque tous les articles dont il est formé et je lui en substituerai un nouveau. On a prétendu qu’elles étaient trop petites, les proportions du temple; donnons-lui au moins une coupole majestueuse qui, sans pouvoir jamais menacer la liberté, imprime au peuple et à ses juges, ce sentiment religieux qui est dû à la suprême justice. L’article 1er a été décrété (1). Art. 2. « Ce tribunal sera composé de 30 juges, qui « par la voie du sort se diviseront en trois sec-« tions de dix chacune. Ainsi donc chaque département, après avoir nommé un juge pour la cour de cassation, ne l’y conservera pas, et les 83 élus demeureront exposés à unedouble récusation, et ilyen aura53 que la confiance de leurs concitoyens ne conduira qu’à un désagrément public. Est il un cas dans lequel le Corps législatif. puisse nommer les juges, et pourquoi le placer entre les départements et le roi, comme corps électoral ou réducteur? Nous avons refusé au monarque le choix entre trois juges que l’on nous proposait de lui faire présenter par le peuple, et ce choix-là, le comité le donne au Corps législatif qui dans le fait choisirait entre deux présentés. Le motif est que ce corps doit surveiller le tribunal de cassation ; mais la nécessité de la surveillance emporte-t-elle la nécessité du choix et ne peut-on surveiller que ceux que l’on a choisis? Aura-t-il assez la science des distinctions, pour arrêter son choix sur les meilleurs sujets? Pourra-t-il les discerner à une si grande distance ? Et sans qu’il s’en aperçoive, l’intrigue et la cabale ne se glisseront-elles pas dans la salle, et souvent n'élira-t-il pas sur leur parole ? Par cette combinaison, les 53 départements qui seront privés de la faveur d’avoir un juge dans le tribunal, supporteront-ils bien patiemment une telle privation ? Ils prétendront (et non sans motif) qu’ils ne sont pas jugés par des juges qu’ils ont élus ; et que ceux qu’ils avaient choisis 1 étaient supérieurs en lumières et en capacité à ceux qui sont conservés ; et comment leur prouver le contraire? Je sais qu’en principe austère la cassation n’est pas une portion de la justice, et qu’elle est pour la loi ce que l’appel est pour le plaideur ; mais les magistrats de la cour de cassation sont des juges, et dès que tout juge doit être immédiatement élu par le peuple, pourquoi froisser le principe pour les juges de cassation ? Rien ne peut justifier la violation ouverte d’un principe constitutionnel, ni en compenser la perte. Tous les juges doivent chacun individuel-, lement être du choix immédiat du peuple: ce serait donc établir une incohérence dans la Constitution ; ce serait la fausser que de blesser un tel principe, surtout quand il est à la fois possible et utile de le respecter. Ces 30 juges, n’appartenant plus à aucun département, cesseront d’être sous la censure immédiate de leurs commettants : fis n’auront plus le même intérêt à marcher sur la ligne de leur (1) Voici le texte de l’article 1er, décrété le 5 octobre 1790. « Art. l*r. Il y aura un tribunal de cassation établi auprès du Corps législatif. » [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 novembre 1790.) devoir, parce qu’ils ne seront pas sûrs, en y marchant de conserver leur état, comme le seront les autres juges. La seconde partie de l’article n’est dans le fait qu’une nouvelle édition des sections. Est-il concevable que l’on propose de soumettre à une section de magistrats, laquelle pourra juger au nombre de cinq, et par une juste conséquence à une majorité de trois, le sort d’un jugement, qui, s’il est confirmatif d’une sentence, peut être le résultat du suffrage unanime de 10 à 12 juges. Où donc est la nécessité de briser ainsi le tribunal, et d’en rompre l’unité? Est-ce parce que le nombre des procès diminuera dans les tribunaux ? Est-ce parce que la cour de cassation sera strictement renfermée dans l’enceinte de sa compétence ? Une seule chambre suffira évidemment, et il faut bien se rallier à ce principe ; car le moindre inconvénient du partage, serait d’abandonner à un trop petit nombre d’hommes le sort des affaires les plus intéressantes. Il s’en présente deux autres bien plus graves, l’un est la diversité de jurisprudence et la fréquente contrariété d’arrêts ; inconvénient qui est précisément celui qu’a voulu éviter l’Assemblée nationale, en décrétant l’unité de la cour de cassation. Dans une même affaire, il peut y avoir plusieurs demandes en cassation : cela se rencontre dans une direction, dans une instance d’ordre. Un demandeur saisirait une section ; le second s’adresserait à une autre, et le même arrêt pourrait être à la fois contirmé et cassé dans le même tribunal. Voilà où conduit la haine de l’unité. Le comité s’est-il livré au calcul des dangers de ces fractions, dans une cour dont le ministre présiderait toutes les sections ? l'influence ministérielle sera nulle dans un tribunal nombreux où il sera réduit à sa seule voix ; mais quelle ne Bera pas sa puissance dans un comité de cinq individus, parmi lesquels il lui suffira d’en acheter ou d’en entraîner trois? Ce n’est que dans une grande assemblée que les diverses consciences et les diverses logiques s’observent etse combattent. Le sénat d’un grand peuple doit en porter l’empreinte, et la majesté est un de ses premiers besoins. En ce genre, les etites proportions blessent l’œil et offensent la ignité nationale ; en ce genre, ce qui n’est pas grand, est ignoble ; et chaque fois qu’il s’agit de venger la loi violée, il faut un appareil vraiment digne d’elle. Ce développement me dispense de m’arrêter à l’article 3, qui veut que tous les deux ans les sections soient composées de nouveau par la voie du sort. Art. 4. « Les fonctions du tribunal de cassation seront « de prononcer sur toutes les demandes en cas-« satmn contre les jugements rendus en dernier « ressort, de juger les contestations de compé-« tence entre les tribunaux , les demandes de « l’envoi d’un tribunal à un autre pour cause de « suspicion légitime, les demandes de prise à « partie, formées contre un tribunal entier, ou » conire un commissaire du roi, de juger la con-« duite et les fautes d’un tribunal, de quelques-« uns des juges qui le composent, ou du com-« missaire du roi. » Ici se présente le règlement de la compétence, celui du comité me paraît incomplet : 1° Ce n’est pas seulement pour cause de suspicion, mais encore pour cause de ‘parenté ou 33i d'alliance , qu’une partie peut demander son renvoi d’un tribunal à un autre; et comme nos tribunaux seront composés de cinq juges, il faut dire que toutes les fois qu’une partie se trouvera avoir dans un siège trois parents ou alliés aux degrés prohibés par les ordonnances, son adversaire pourra demander le renvoi de l’affaire devant un autre tribunal, 2° Dans ses projets précédents, le comité avait regardé les requêtes civiles comme appartenant à la cour de cassation, et l’on ne conçoit pas les motifs de son silence sur cet article. L’expérience a tant et si bien dit, que soumettre aux mêmes juges une demande en réformation de leurs jugements, c’est établir une lutte entre leur amour-propre et leur justice, et montrer, au scandale de la société, comme au préjudice des plaideurs, que trop souvent le magistrat n’est pas assez grand pour avouer qu’il s’est trompé. Cette vérité conduit à attribuer les requêtes civiles à la cour de cassation, ou plutôt a fermer cette voie, et à déclarer que les moyens qui pouvaient l’ouvrir seront désormais des moyens de cassation; 3° Au nombre des matières de la compétence de ce tribunal, il faut compter encore les contrariétés d’arrêts, soit qu’ils émanent de la même cour, soit qu’ils soient rendus en différents tribunaux, pourvu que ce soit entre les mêmes parties, relativement au même objet, et sur les mêmes moyens. Dans le premier cas, ces contrariétés formaient des moyens de requête civile; dans le second, elles se portaient au ci-devant grand conseil; mais dès qu’il ne doit plus y avoir ni requête civile ni grand conseil, c’est nécessairement à la cour de cassation que cette branche d’affaires doit être dévolue ; 4° Le même raisonnement se présente pour les révisions en matière criminelle. Dans l’ancien régime, cette voie n’étâit pas d’une petite utilité pour les condamnés; mais dans le nouveau, elle devient, si je puis le dire, de première nécessité. Les condamnations eu matière criminelle seront vraisemblablement sans appel : dès lors, il faut qu’elles soient susceptibles de révision, et l’Assemblée nationale, qui a tant fait pour l’innocence accusée, ne voudra pas lui ravir une ressource que le despotisme avait daigné lui conserver : elle ne voudra pas, par exemple, que l’on exécute un homme condamné, par erreur de fait ou par confusion de personnes; 5® Enfin, nul autre tribunal que la cour de cassation ne peut connaître et des oppositions au sceau des offices ou commissions et des incidents auxquels donneront lieu les contestations de la compétence et l’exécution de ses arrêts. Ces objets divers doivent donc être restitués à la cour de cassation, Art. 5 et 6. « Toutes les sections auront des fonctions par-« faitement semblables, et jugeront séparément « les demandes en cassation; les affaires, tant « celles qui existent que celles qui surviendront, « seront partagées également entre les sections. « Elles se réuniront et jugeront en commun, « toutes les fois qu’il s’agira de prononcer sur une « demande de prise à partie, ou sur la conduite u d’un tribunal, de quelques-uns des juges, ou « du commissaire du roi. » Nul partage à faire des procès actuellement existants; ils doivent être renvoyés tous à une seule chambre. Je crois même quil sera conve- 332 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {9 novembre 1790.] nable de lui conserver la connaissance des affaires actuellement pendantes dans les différents départements, commissions et bureaux du conseil, tels que le conseil des dépêches, le conseil des finances, la grande direction, le conseil du commerce, le conseil des parties, les requêtes de l’hôtel au souverain et autres tribunaux d’attribution. Que les commissions extraordinaires doivent être supprimées, c’est ce qui n’a pas besoin d’être dit. Mais dans le nombre des affaires dont elles sont saisies, il en est beaucoup dont l’attribution à un seul tribunal est un véritable bienfait. Telles sont les discussions des biens d’un débiteur, les contestations d’entre lui et ses créanciers domiciliés dans différents endroits du royaume, et celles des créanciers entre eux. Le malheur résultant de la division de ces contestations, dans autant de tribunaux qu’il se rencontre de domiciles différents, est énorme et incalculable. L’inconvénient d’éprouver des jugements différents dans des questions souvent' semblables, les conflits et tout ce que peut produire de funeste une pareille dispersion, ont démontré l’utilité pour toutes les parties d’attribuer à un seul et même tribunal, la connaissance de ces intérêts divers et le jugement des contestations qu’ils occasionnent. Ce serait donc replonger les parties, pour qui l’attribution est une véritable faveur , dans le chaos d’où elle les a tirées, que de leur rendre la triste liberté de se séparer, et de porter chacune de ses prétentions devant ses juges particuliers. Il faudra aussi renvoyer au tribunal de cassation les requêtes civiles qui se trouvaient indécises dans les cours à l’instant de leur suppression. , Art. 7, 8 et 9. « Avant que la demande en cassation, ou en « prise à partie, soit mise en jugement, il sera « préalablement examiné et décidé si la requête « doit être admise, et la permission d’assigner, accordée. « A cet effet, il sera, tous les six mois, nommé, « pour chacune des sections, deux de ses mern-« bres pour former un bureau, dont la fonction « sera d’examiner et de juger si les requêtes en « cassation, ou en prise à partie, doivent être ad-« mises ou rejetées. « Ce bureau, composé de six membres, ne « pourra juger qu’au nombre de cinq juges au « moins ; si la maladie ou quelque autre empêche-« ment légitime s’opposaient à ce que quelques-« uns d’eux remplissent leurs fonctions, il en « sera envoyé d’autres par la section à qui ap-« parüendront les juges qui ne pourraient pas « faire leur service ». Ainsi, peu content de diviser en sections un tribunal dont l’Assemblée a décrété l’unité, le comité veut encore introduire, entre les sections et les tribunaux ordinaires, une espèce de commission indéfinissable, et composée de six juges qui seuls auront plus d’autorité que la cour de cassation. Bien est-il vrai, que dons l’état actuel le conseil privé est précédé du bureau de cassation. Mais, premièrement, l’ancien régime n’est pas précisément le module dont jusqu’à présent s’est ses vie l’Assemblée nationale, et ce n’est pas sur les degrés de ce méridien-là qu’elle a calculé ses opérations; 2° La destination légale du bureau de cassation n’a jamais été que de donner aux conseillers d’Etat une connaissance préalable des affaires qui devaient être discutées au conseil assemblé. Nulle part le règlement du conseil n’autorise les commissaires composant ce bureau, à adopter ou à rejeter les demandes en cassation. On doit cependant à la vérité d’avouer que, depuis très longtemps ces commissaires se sont constitués juges, non de l’admission (ils n’avaient !ias encore été jusque-là), mafs de la réjection des requêtes en cassation. Mille plaintes se sont élevées contre ce despotisme, qui, dans le fait, a entraîné plus d’une injustice après lui. Le principe dominant de ce bureau , toujours secrètement uni avec les parlements, était de débouter de presque toutes les demandes, et la cassation cessait d’être un frein pour les cours, et la loi était sans tribunal. Dans le projet cet inconvénient n’est pas prévu, on le rend même plus considérable. Le bureau avait bien usurpé le droit de rejeter les demandes qu’il croyait ou voulait croire mal fondées, mais il ne s’était pas arrogé celui de les admettre ; et il n’usait du veto qu’il s’était attribué qu’autant qu’il était unanime. Une seule voix (même celle du rapporteur) s’élevait-elle en faveur de la demande? elle était portée au conseil, qui décidait si elle serait admise ou rejetée. Dans la nouvelle forme proposée, le bureau pourrait admettre et rejeter; et il faudrait un partage des voix pour que l’affaire de la plus haute importance fût soumise à la décision ultérieure d’une section de cinq juges. Toute l’autorité de la cour de cassation résiderait donc dans son bureau. i Art. 10 et 11. « Si, dans le bureau, les trois quarts des voix # se réunissent pour rejeter une requête eu cas-« sation ou en prise à partie, elle sera défini tive-« ment rejetée. Si les trois quarts des voix se « réunissent pour admettre la requête, elle sera « définitivement admise; l’affaire sera mise en « jugement, et le demandeur en cassation ou en « prise à partie sera autorisé à assigner. « Lorsque les trois quarts des voix ne se réu-« niront pas pour rejeter oa admettre une re-« quête en cassation ou en prise à partie, la ques-« tion sera portée à toutes les sections rassem-« blées, s’il s’agit d’une demande en prise à « partie; et à celle des sections qui, suivant le «rôle de distribution, devra en connaître s’il « s’agit d’une requête en cassation : la simple « majorité des voix suffira pour former la déci-« sion. » On demandait à Newton comment il avait trouvé le système du monde; c’est, répondit-il, en y pensant toujours. Quand toutes les académies de l’Europe (fussent-elles composées de Newton) y penseraient toujours , je ne sais si elles résoudraient le problème du comité, qui est de trouver les trois quarts de six ou de cinq hommes. La fraction d’un suffrage est une chose vraiment curieuse; mais pour raisonner d’après les règles de la géométrie ancienne que le comité n’a pas réformées, il faudra qu’un demandeur pour réussir obtienne les quatre cinquièmes dans le cas de cinq juges, et les cinq sixièmes s’il y en a six. Art. 12. « Celui qui aura rapporté au bureau la requête « en cassation sur laquelle il y aura eu partage, « en jugera l’admission concurremment avec les « autres meipbres de la section. » [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 novembre I790.J 333 Quoiqu’il n’eu fasse pas partie, comparons encore ce qui se faisait avec ce que l’on veut faire. Dans l’ancienne forme tous les commissaires du bureau assistaient au rapport delà requête, lorsqu’elle était portée au conseil : chacun y faisait entendre son avis, qu’il motivait; il disposait les autres à asseoir une opinion pour ou contre, et la discussion y gagnait beaucoup. La forme nouvelle n’admet, au contraire, à la section où devra être portée la requête dans le cas de partage au bureau, que le rapporteur, soit qu’il ait opiné pour admettre ou rejeter la demande; circonstance qui donne le plus grand poids à son avis, et rend sans fruit pour la justice l’examen préalable fait par les commissaires. Si vous laissez subsister un bureau, il ne doit être établi que pour l’examen, et non pour le jugement des demandes. La justice et les formes veulent que toutes celles qui seront portées au tribunal de cassation y soient rapportées publiquement devant le tribunal assemblé, qui seul pourra accueillir la demande ou la réprouver. Les articles 13, 14 et 15 étant purément relatifs aux sections, on en a tout dit en n’en disant rien. Art. 16. « Les demandes de renvoi d’un tribunal à un « autre, pour cause de suspicion légitime; les « contestations de compétence entre les tribunaux « seront portées devant le bureau, composé des « deux commissaires de chaque section, et jugées « définitivement par lui sans frais, sur simples « mémoires, par forme d’administration et à la « pluralité des voix. » Suivant l'article 4, il entre dans les fonctions du tribunal de cassation de juger les contestations de compétence entre les tribunaux , et les demandes en renvoi d'un tribunal à un autre, pour cause de suspicion légitime. Et par cet article le jugement de ces matières est donné en toute souveraineté aux cinq ou six commissaires composant le bureau. Ainsi, l’on ne saurait répéter trop que la majeure partie des fonctions et de l’autorité du tribunal résideraient dans le bureau. Mais cet article, en prescrivant une forme bizarre pour l’instruction des demandes en renvoi, et des questions de compétence, ne dit pas comment, d’après celte forme, on arrêterait les poursuites qui pourraient être faites par l’une ou l’autre des parties dans les tribunaux dont la compétence serait contestée; toute l’instruction devant se faire par voie d’administration, ce serait donc aussi par ce moyen que l’instruction du fond serait suspendue, et les parties appelées pour fournir leurs mémoires. Mais les règlements de juges étant de droit public, et faisant naître souvent les questions les plus importantes, la voie d’administration, en ce cas, serait aussi contraire à l’intérêt des parties qu’à celui de la justice. Art. 17. « Les sections du tribunal de cassation, soit « qu’elles jugent séparément, soit qu’elles se réu-« nissent suivant les cas qui viennent d’être spé-« ciliés, de même que le bureau des requêtes, « tiendront leurs séances publiquement. » Lefond de cetartieleestdigne d’un juste accueil ; il fait cesser le principal P squ’il y avait à reprocher au conseil privé, celui de la clandestinité des jugements; abus qui, joint à la dispense de les motiver, ne favorisait pas peu le despotisme des juges. Il faudrait que le tribunal de cassation pût juger aux pieds de ce chêne antique et vénérable, dont le nom porte encore à l’âme je ne sais quoi d’attendrissant. La lumière doit être l’unique vêtement de la loi, comme le vrai temple de la justice est l’univers. Art. 18. « Les parties pourront par elles-mêmes, ou par « leurs défenseurs, plaider et faire les observations « nécessaires à leur cause. » Cette mesure est impraticable pour les demandes en cassation avant leur admission, à moins que l’on ne change entièrement la forme de procéder en ce genre. On avait si improprement appelé le tribunal de cassation, le conseil des parties, qu’il faut bien établir d’abord qu’il est, par essence, le tribunal de la loi. Le demandeur en cassation n’a d’autre adversaire que l’arrêt qui l’uttaque : il n’y a donc pas des parties, et dès iors les admettre à plaider ce serait ouvrir une discussion contradictoire sur une contestation qui ne l’est pas, et qui peut ne le devenir jamais. Le demandeur en cassation doit donc seul, en ce cas, être entendu après le rapport. Mais quand l’instance est même devenue contradictoire par le soit communiqué, ce serait rendre aux parties un très médiocre service que de les admettre à plaider ou à faire plaider des affaires qui, consistant toujours en droit positif, ne se jugent et ne peuvent se juger que sur le rapport. L’intérêt et le droit des parties se réduisent donc alors à faire des observations sur ce rapport ; et le principal, ou plutôt l’unique avantage du nouveau mode, du mode de plaidoirie, ce serait de procurer aux avocats, qui auraient plaidé dans le tribunal d’appel, de fréquentes occasions de voyager aux dépens de leurs clients, auxquels ils persuaderaient, sans peine, qu’il leur importe infiniment qu’ils aillent les défendre au tribunal de cassation. Art. 19. « Mais la discussion de l’affaire sera toujours « précédée du rapport, sans que le rapporteur « énonce son avis ; les parties ou leurs défen-« seurs ne pourront prendre la parole que quand « ce rapport sera terminé : il sera libre aux juges « de se retirer en particulier pour recueillir leurs « opinions; cette forme sera celle de tous les tri-« banaux du royaume ». Que le comité’ me permette de lui demander ce qu’il entend par un rapport qui se terminera sans que le rapporteur énonce son avis. Cette disposition (je suis forcé de l’avouer) m’a paru de la même clarté que celle de l’article 10, qui demande pour l’admission ou la réjection d’une requête, les trois quarts des voix dans un bureau composé de cinq ou six juges. Art. 20. « L’intitulé du jugement portera toujours, avec « le nom des parties, l'objet de leur demande ; « et le dispositif contiendra le texte de la loi « ou des lois sur lesquelles la décision sera ap-« puyée. »> Cette mesure est sage ; elle a pour objet d’empêcher l’arbitraire des jugements : rendre l’opinion publique juge des juges, c’est les contenir 334 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (9 novembre 1790.] dans leur devoir. Il est trop heureux de pouvoir leur donner, par là, une seconde conscience. Art. 21. « Le ministre du roi chargé du département de « l’administration de la justice sera président « du tribunal de cassation et y aura voix délibé-u rative ; il pourra entrer à chacune des sections « comme aux sections réunies : partout où il « assistera il sera président. « Il n’aura point entrée au bureau des re-« quêtes. » La première partie de cet article peut seule être admise; la seconde, qui est relative aux sections, doit être écartée, ainsi que tout l’article 22. Art. 23. « Lorsque les sections seront réunies, si le mî-* nistre du roi n’est pas présent, le plus ancien « d’âge des vice-présidents des sections ou du bu-« reau présidera ; les autres membres du tribunal « se placeront sans distinction et sans aucune pré-« séance entre eux.» Cet article est bon en appliquant à la chambre unique, ce qu’on y dit des sections réunies. Art. 24. t Si le ministre du roi est instruit qu’un tribunal, « quelques-uns des juges ou un commissaire du « roi mettent de la négligence dans l’exercice de * leurs fonctions, qu'ils tiennent une conduite « contraire à l’honneur et à la dignité des tnbu-« naux, à la bonne administration de la justice « et à l’intérêt des justiciables, il emploiera les « avertissements et les réprimandes pour rétablir « l’exactitude du service. Si ce moyen est inefli-« cace, il rassemblera toutes les sections du tri-« bunal de cassation, et leur donnera conuais-« sauce des faits qui lui auront été dénoncés, et « des preuvés qui lui auront été remises; le tri - « bunal pourra demander au directoire du district « des renseignements nouveaux; et si les faits « sont prouvés et de nature à mériter quelques « reproches, il pourra, suivant la gravité des cas, « prononcer des injonctions, ordonner qu’elles « seront inscrites sur les registres des tribunaux, « ou affichées dans le lieu de leur résidence, « condamner à des amendes, même suspendre de « ses fonctions un juge ou un commissaire du « roi pour un temps qui n’excédera pas trois « mois : cette suspension entraînera la perte des « honoraires, lesquels seront employés à salarier « celui qui remplacera le juge ou le commissaire c du roi contre lequel la suspension aura été « prononcée.» Je désirerais que jamais, sur une simple dénonciation, le ministre du roi ne pût ni avertir, ni réprimander un tribunal, ou un de ses membres, sans l’avoir préalablement entendu. Je voudrais à bien plus forte raison qu’après avoir pris du directoire du district des renseignements sur les faits imputés à des magistrats, ie ministre ne mulctât pas de peines en quelque sorte infamantes, des hommes honorés de la confiance des peuples, sans leur avoir du moins communiqué les griefs que l’on prétend avoir contre eux. Je demanderais enfin qu’une telle condamnation ne pût être prononcée que de l’avis du tribunal. Sans ces précautions, vous mettez tous les magistrats dans la dépendance du ministère, et vous rendez leur condition pire que celle de tous les citoyens, qui sont assurés de «'être condamnés qu’après avoir été entendus, et jugés à la majorité des voix. Cette disposition éloignerait des tribunaux beaucoup de sujets très dignes de les remplir. Art. 25. « Le délai pour se pourvoir en cassation d’un « jugement, ne sera que de trois mois du jour « de la signification du jugement, à personne ou « à domicile.» Cet article est trop général. Le moindre délai pour se pourvoir en cassation est de six mois pour tout le royaume, d’un an pour les colonies françaises de la Martinique et du Port-au-Prince, et de deux ans pour les îles de France et de Bourbon. Les corps et communautés ont aussi un an pour se pourvoir, et ces délais ne sont pas trop longs, .si l’on considère les difficultés que les parties éprouvent souvent après leur jugement pour retirer et rassembler leurs pièces et se consulter. Enfin, ces délais ne commencent à courir à l’égard des mineurs que du jour de leur majorité, et l’on admet, de plus, pour tous les citoyens, le relief de laps de temps, lorsque des circonstances auxquelles ils n’ont pu commander, les ont empêchés de profiter du terme fatal accordé par ta loi. Rien de tout cela n’est prévu dans l’article. Il est évidemment imparfait. Art. 26. « Dans le cas où il aurait été rendu un juge-« ment qui paraît évidemment contraire aux lois, « et contre lequel, cependant, aucune des par-« ties n’aurait réclamé dans le délai fixé, ie mi-« nistre du roi, après ce délai expiré, en donnera « connaissance au tribunal ; s’il est prouvé que « les formes et les lois ont été violées, le juge-« ment sera cassé, sans que les parties puissent « s’en prévaloir pour éluder les dispositions de « ce jugement, lequel vaudra transaction pour * elles. » Cette article deviendra juste dès qu’on aura laissé aux parties un délai suffisant pour se pourvoir. Elles auront à s’imputer de n’avoir pas réclamé contre ud jugement, qu’elles auraient eu droit de faire anéantir. Art. 27. « Tout jugement de tribunal de cassation sera « imprimé et inscrit sur les registres du tribunal « dont la décision sera cassée. » D’un côté, cet article met les juges tout près de l’avilissement, tandis qu’il faut toujours les ménager dans l’esprit des peuples ; de l’autre, il est inj uste: car les moyens de cassation peuvent venir du fait des parties, comme du fait des juges; et, dans ce dernier cas, il y aurait injustice d’ordonner ia transcription sur les registres du tribunal dont la décision serait cassée: il suffit que la cour de cassation puisse le décider ainsi quand elle ie croira convenable au bien de la justice. On évitera, par là, une dépense, et l’on fera redouter aux juges ordinaires de voir prononcer une disposition qui, n’étant pas de forme, sera un avertissement que le tribunal suprême improuve leur conduite : il est des moyens dont il ne faut user qu’avec une juste sobriété. Art. 28, 29, 30, 31, 32 et 33. « Chaque année, une députation de buitmem-« bres de la cour de cassatiou sera admise à la [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (9 novembre 1790.) 335 * barre de l’Assemblée du Corps législatif, et lui « présentera l’état des jugements rendus, à côté « de chacun desquels sera la notice abrégée de « l’affaire, et le texte de la loi qui aura décidé « la cassation. « Un greffier sera établi auprès du tribunal de « cassation ; il sera nommé par les membres de « ce tribunal; il choisira des commis qui feront « le service auprès des sections et du bureau, « et qui prêteront serment ; il ne sera révocable « que pour prévarication jugée. « L’installation du tribunal de cassation sera « faite par deux commissaires du Corps légis-« latif et deux commissaires du roi, qui recevront « le serment individuel de tous les membres du « tribunal, d’êtres fidèles à la nation, à la loi et « au roi, et de remplir avec exactitude les fonc-« tions qui leur sont confiées. Ce serment sera « lu par l'un des commissaires du Corps légis-« latif, et chacun des membres du tribunal de « cassation, debout dans le parquet, prononcera : « Je le jure. « Provisoirement et jusqu’à ce qu’il ait été au-« trement statué, le règlement qui fixait la forme « de procéder au conseil des parties, sera exécuté « au tribunalde cassation, à 1 exception des points « auxquels il pourrait être déroge parle présent « décret. « Le conseil des parties est supprimé, et il « cessera ses fonctions le jour que le tribunal de « cassation aura été installé. » Ces articles sont à conserver. Dans tous, un seul intérêt est oublié; c'est l’intérêt du pauvre : la nécessité de consigner l’amende peut l’écarter du tribunal : cette consignation est la dette de la nation même ; il faut qu’elle se place en quelque sorte à l’entrée du sanctuaire, et qu’elle dise: laissez entrer le pauvre sans payer, je réponds pour lui. Il est besoin d’un autre article qui assure aux parties que leurs demandes seront jugées dans l'ordre où elles les auront formées, en n’accordant de préférence qu’aux seules affaires criminelles sur les affaires civiles. Il est juste enfin de déterminer les qualités qui seront exigées pour occuper la place ne ministre de la justice. Ce n’est pas sous les portiques de la faveur que l’on doit se former à l’exercice d’un ministère qui n’est pas fait pour la connaître : il faut apporter à cette place les trésors d’une lente méditation : ce ministère est le premier pontife de la justice, et il doit avoir cousacré une portion de sa vie au culte des lois. PROJET DE DÉCRET. Art. 1er. Le tribunal de cassation tiendra ses séances auprès du Corps législatif. Art. 2. Ce tribunal sera unique et composé de 83 juges qui siégeront en une même chambre, sauf à augmenter ce nombre après îa Constitution, qui sera décrétée pour les colonies. Art. 3. Les fonctions du tribunal de cassation seront : 1° de pronoucer sur toutes les demandes en cassation contre les jugements rendus eu dernier ressort, et seront désormais ces moyens de requête civile, considérés comme ouvertures à cassation; 2° De juger les contestations de compétence entre les tribunaux; 3° De statuer sur les demandes en renvoi d’un tribunal à un autre, pour cause de suspicion, d’alliance on de parenté, laquelle demande pourra être formée dans ce dernier cas, si l’une des parties a daus le tribunal, trois parents, ou alliés aux degrés prohibés par les lois; 4° De prononcer sur les demandes de prise à partie, formées contre un tribunal entier, ou contre un commissaire du roi ; 5° De juger la conduite et les prévarications d’un tribunal, de quelques-uns des juges qui le composent ; 6° De statuer sur les demandes en contrariétés d’arrêts rendus entre les mêmes parties pour le même objet et sur les mêmes moyens, soit que ces arrêts aient été rendus en même cour ou dans des tribunaux différents ; 7° De prononcer sur les demandes en révision des jugements en matière criminelle. Art. 4. Toutes les affaires actuellement pendantes dans les différents départements, commissions et bureaux du conseil, ainsi que les demandes en entérinement de requête civile, indécises dans les cours supérieures au moment de leur suppression, sont renvoyées à la cour de cassation, et lesdites demandes en entérinement de requêtes civiles, converties en demandes en cassation. Art. 5. Les 83 juges de la cour de cassation en nommeront 20 d’entre eux par la voie du sort, pour former un bureau où seront communiquées les requêtes des parties. Ce bureau sera renouvelé tous les six mois et par la même voie. Art. 6. Aucune demande ne pourra être rapportée au tribunal assemblé, qu’elle n’ait été préalablement communiquée au bureau des requêtes. Art. 7. La communication ordonnée par l’article précédent n’ayant pour objet qu’une discussion préparatoire, le bureau ne pourra, en aucun cas, rendre de jugement pour admettre ou pour rejeter une demande. Elles seront toutes portées à la chambre assemblée, et la simple majorité des voix formera la décision. Art. 8. A l’exception des requêtes en révision qui seront toujours expédiées les premières, et cependant entre elles dans l’ordre de leur présentation, toutes les autres demandes seront communiquées au bureau des requêtes, et passeront au tribunal de cassation à tour de rôle, et sans aucune distinction, ni préférence. Art. 9. Les membres composant le bureau des requêtes se joindront au tribunal pour juger en commun. Art. 10. Les rapports seront faits publiquement en présence des parties ou de leurs défenseurs, ou eux dûment avertis; à l’effet de quoi on affichera successivement dans la salle des séances toutes les affaires, quinze jours au moins avant leur rapport. Art. 11. Le demandeur en cassation ou son défenseur pourront seuls prendre la parole après le rapport. Il en sera de même du défendeur et de son avocat, quand le rapport sera fait sur une instance contradictoire. Mais, dans tous les cas, les parties et leurs défenseurs se borneront à de simples observations sur le rapport. Il sera libre aux juges, après les avoir entendues, de se retirer en particulier pour recueillir leurs opinions. Cette forme sera celle de tous les tribunaux dn royaume. Art. 12. Le tribunal ne pourra rendre jugement qu’au nombre de quarante juges, et seront tenus les juges présents de signer les minutes de leurs décisions. 336 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 novembre 1790.] Art. 13. L’intitulé du jugement portera toujours, avec le nom des parties, l’objet de leur demande, et le dispositif contiendra le texte de la loi ou des lois sur lesquelles la décision sera appuyée. Art. 14. Le ministre du roi, chargé du département de l’administration de la justice, sera président du tribunal de cassation, et y aura voix délibérative et prépondérante, en cas de partage; mais il n’aura point entrée au bureau des requêtes. Art. 15. Si le ministre du roi n’est pas présent, le plus ancien d’âge présidera : les autres membres du tribunal se placeront sans distinction et sans aucune préséance entre eux. Art. 16. Si le ministre du roi est instruit qu’un tribunal, quelques-uns des juges ou un commissaire du roi mettent de la négligence dans l’exercice de leurs fonctions, qu’ils tiennent nue conduite contraire à l’honneur et à la dignité des tribunaux, à la bonne administration delà justice et à l’intérêt des justiciables, il donnera connaissance au tribunal de cassation des faits qui lui auront été dénoncés et des preuves qui lui eu auront été remises. Le tribunal pourra demander au directoire du district, des renseignements sur ces faits ; et, s’ils sont vraisemblables et de nature à mériter quelque reproche, il pourra, après les avoir communiqués aux juges ou au commissaire du roi inculpés, et avoir mis ces officiers en mesure d’y répondre et de se justifier de l’avis du tribunal, et suivant la gravité des cas, prononcer contre eux des injonctions, ordonner qu’elles seront inscrites sur les registres des tribunaux, ou affichées dans le lieu de leur résidence, condamner à des amendes, même suspendre de ses fondions un juge ou un commissaire du roi, pour un temps qui n’excédera pas trois mois. Cette suspension entraînera la perte des honoraires, lesquels seront employés à salarier celui qui remplacera le juge ou le commissaire du roi, contre lequel la suspension aura été prononcée. Art. 17. Il ne sera rien innové aux délais fixés our se pourvoir en cassation, tant pour les ballants du royaume, que pour les coions, les communautés et les mineurs. Toute partie qui, après l’expiration de ces délais, prétendra être dans le cas de se pourvoir en cassation, pourra, en connaissance de cause, être relevée du laps de temps, sur la requête qu’elle présentera à cet effet, laquelle sera jointe à la demande en cassation, et contiendra ses moyens de relief. Art. 18. Dans le cas où il aurait été rendu un jugement qui paraîtrait évidemment contraire aux lois, et contre lequel cependant aucune des parties n’aurait réclamé dans le délai fixé, le ministre du roi, après ce délai expiré, en donnera connaissance au tribunal, s’il est prouvé que les formes et les lois ont été violées. Le jugement sera cassé sans que les parties puissent s’en prévaloir pour éluder les dispositions de ce jugement, lequel vaudra transaction pour elles. Art. 19. Le tribunal de cassation pourra, en connaissance de cause, ordonner que ces jugement soient imprimés et inscrits sur les registres du tribunal dont la décision sera cassée. Art. 20. Chaque année tous les membres du tribunal de cassation seront admis à ta barre de l’Assemblée du Corps législatif, et lui présenteront l’état des jugements rendus, à côté de chacun desquels sera la notice abrégée de l’affaire, et le texte de la loi qui aura décidé la cassation. Art. 21. Un greffier sera établi près du tribunal de cassation ; il sera nommé au scrutin et à la majorité absolue par les membres de ce tribunal ; il choisira des commis qui feront le service ainsi que lui, et qui prêteront serment; il sera tenu de donner un cautionnement de 20,000 livres, et ne pourra être destitué que pour prévarication jugée. Art. 22. L’installation du tribunal de cassation sera faite par deux commissaires du Corps législatif et deux commissaires du roi, qui recevront le serment individuel de tous les membres du tribunal, d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de remplir exactement toutes les fonctions qui leur seront confiées : ce serment sera lu par l’un des commissaires du Corps législatif ; et chacun des membres du tribunal de cassation, debout dans le parquet, prononcera : Je le jure. Art. 23. Provisoirement et jusqu’à ce qu’il ait été autrement ordonné, le règlement qui fixait ta forme de procéder an conseil des parties, sera exécuté au tribunal de cassation, à l’exception des points auxquels il est dérogé par le présent décret. Art. 24. Seront néanmoins dispensés des consignations d’amende, prescrites par ce règlement, ceux dont la pauvreté sera certifiée par le procureur-syndic du district de leur domicile ; et le certificat de pauvreté, délivré par ce procureur-syndic, vaudra quittance de consignation. Art. 25. Le conseil des parties est supprimé, et il cessera ses fonctions le jour où le tribunal de cassation aura été installé. Art. 26. L’oftice de chancelier de France est aussi supprimé, et nui ne pourra être choisi pour ministre de la justice qu’il n’ait été, pendant vingt ans, juge ou homme de loi. (L’Assemblée ordonne l’impression du discours et du projet de décret de M. Prugnon.) M. Robespierre. Quel est l’objet de l’institution d’un tribunal de cassation? Yoilà la première question et peut-être la seule que vous ayez à juger. Les tribunaux sont établis pour décider les contestations entre citoyens et citoyens; là finit le pouvoir judiciaire , là commence l’autorité de la cour de cassation. C’est sur l’intérêt général, c’est sur le maintien de la loi et de l'autorité législative que la cour de cassation doit prononcer. Le pouvoir législatif n’établissant que la loi générale, dont la force dépend de l’exacte observation, si les magistrats pouvaient y susbtituer leur volonté propre, ils seraient législateurs. Il est donc nécessaire d’avoir une surveillance qui ramène les tribunaux aux principes de législation. Ce pouvoir de surveillance fera-t-il partie du pouvoir judiciaire ? Non, puisque c’est le pouvoir judiciaire qu’on surveille. .Sera-ce le pouvoir exécutif? Non, il deviendrait maître de la loi. Sera-ce enfin un pouvoir different des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ? Non ; je n’en connais pas quatre dans la Constitution. Ce droit de surveillance est donc une dépendance du pouvoir iégislatif. En effet, selon les principes authentiquement reconnus, c’est au législateur à interpréter la loi qu’il a faite: dans l’ancien régime même ce principe était consacré. Je passe à l’examen rapide des bases et de l’esprit du plan du comité. Tout projet dont le résultat livre une institution à l’influence ministérielle doit être rejeté. Tout le système qu’on vous propose se réduit à une cascade d’élections qui se termine par le choix du ministre et par le jeu toujours désastreux des intrigues de cour. Gomment peut-on vous proposer de donner au (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (9 novembre 1790.] 837 pouvoir exécutif, sur les membres du tribunal de cassation, cette fatale influence que vous leur avez ôtée sur les juges ? Quel étrange système 1 On veut épurer le choix du peuple par ses représentants, et le choix des représentants par les ministres. Ce n’est qu’ouvrir un plus vaste champ à la cabale, à la corruption et au despotisme. (On ap-laudit.) Que resterait-il à faire pour livrer le tri-unal aux ministres ? Etablir que le garde des sceaux présidera ce tribunal : eh bien ! tel est l’article 21 . Dans l’article 4, le comité veut que, sans plaintes, le tribunal juge la conduite et les fautes d'un autre tribunal, de quelques-uns des juges qui le composent ou du commissaire du roi. Il veut que ce même tribunal prononce sur les prises à partie des tribunaux et des commissaires du roi. Il fait plus : ne donne-t-il pas au garde des sceaux le droit d’humilier des juges ou des commissaires du roi pour des choses qui ne sont pas des délits, mais des négligences dans l’exercice de leurs fonctions, mais une conduite contraire à la dignité des tribunaux ? IJ veut que, sur la dénonciation dugarde des sceaux etl'avis du directeur de district, le tribunal de cassation prononce des injonctions, des amendes, des suspen-sionsdefonclions. Nulsystèrne nefutjamaismieux imaginé pour avoir l’autorité judiciaire , pour la ramenerentre les mains du despotisme. Rien ne m’étonne autant que ce système, si ce n’est qu'on vous l’ait présenté. Je ne puis, en ce moment, proposer aucuns détails ; je demande seulement que l’ Assemblée, en consacrant le principe, déclare qu'au Corps législatif seul appartient le droit de maintenir la législation et sa propre autorité, soit par cassation, soit autrement. Quant au plan proposé, je pense qu’il n’y a pas lieu à délibérer, et que les membres qui composent le comité doivent être rappelés au respect pour les principes constitutionnels. M. Goupil. D’après le plan du comité, les juges du tribunal de cassation seront établis pour douze années. Tous les peuples libres de l’antiquité ont toujours été effrayés des magistratures perpétuelles, et n’auraient jamais consenti que l’honorable fardeau de servir la patrie se transformât en privilège. Si cela arrivait, la liberté serait perdue. Vous avez limité à deux ans l’exercice des fonctions des représentants du peuple, à six celles des juges, à quatre celles des administrateurs, etc. Ainsi, vous avez soumis les dépositaires du pouvoir à l’effet utile de la censure publique, et les élections ne sont pas autre chose que cette censure. La cour de cassation doit dire : « Le juge a été intidèle à son mandat, il a appliqué la loi d’une manière injuste; allez trouver un mandataire qui jugera mieux. » Tout annonce, dans cette démarche, une émanation de l’autorité législative. Cette autorité déléguée doit avoir, j’en conviens, une latitude considérable; mais la délégation doit être faite avec sagesse et remise en des mains incapables d'abuser de cette autorité. Je vous invite à donner une grande attention à cette considération : c'est parmi les membres du tribunal de cassation que seront pris les grands juges, qui counaitrout des crimes de lèse-nation; et c’est à ces juges que vous donnerez des fonctions de douze ans! et ce sont ces juges que vous soumettrez, par leur élection même, aux influences de la cour et du ministre! et, pour assurer mieux et pour faciliter davantage l’influence ministérielle , le 1* bin;’ •• T XX. garde des sceaux sera président du tribunal de cassation ! Je n’entrerai pas, en ce moment, dans de plus grands détails; je présenterai d’autres réflexions quand une série de questions sera établie; mais j’ai cru qu’il était important, qu’il était pressant de vous faire sentir la nécessité de borner à un très petit nombre d’années l’exercice des fonctions des membres du tribunal de cassation. M. Chabroud. Vous avancez dans l’établissement de l’ordre judiciaire ; vous avez rendu au peuple le choix de ses juges; vous avez aboli la vénalité des offices; il manque à l’édifice le couronnement. Il sera déçu l’espoir de ceux qui veulent dépouiller le peuple de ses droits, et qui se réservent, dans leurs protestations, et les robes rouges que l’opinion publique a déchirées, et leurs suffrages qu’on ne demandera pas. (On laudit.) otre premier principe, c’est que la loi doit tout régir. Vous avez voulu que, dans chaque opération, les juges fussent obligés de prendre la loi à témoin : vous avez prévu que, cependant, ils pourraient la violer; il faut prévenir celte violation ou la réprimer. De ces réflexions résulte la nécessité des institutions dont votre comité présente le plan. L’attribution qu’il donne à la cour de cassation, par l’article 4, ne répond nullement à la dénomination de ce tribunal. Voici le nom qui lui conviendrait : Conseil national pour la conservation des lois. J’examine maintenant le mécanisme du tribunal qu’il faut former. Le comité propose un scrutin du peuple, puis un scrutin du corps administratif, et, par excellence, un scrutin ministériel. Il importe peut-être d’épargner le temps du peuple; mais j’ai peine à concevoir ce triage qui se ferait dans le Corps législatif ; je ne conçois pas davantage le triage ministériel : ce n’est peut-être pas ici le moment de le proposer. (On applaudit.) Vous avez craint que la cour de cassation ne fût une corporation, et c’est une corporation que l’on veut former; vous avez toujours rejeté l’inégalité dans les fonctions publiques, et l’on veut établir cette inégalité. Les fonctions de la cour de cassation dépendent-elles du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif? Le Corps législatif ayant fait la loi a tout fait. Le pouvoir exécutif doit veiller à l’exécution pour laquelle vous avez créé des juges que, dans vos principes, le peuple doit nommer. Ces juges doivent être libres, indépendants, et. on vous propose de les faire dépeodre du ministre! Je pense, à cet égard, comme les préopinants, et je demande que le garde des sceaux ne remplisse, près du conseil national, que les fonctions de commissaire du roi. Je viens maintenant à l’exposition de mes idées. Est-il nécessaire de créer une nouvelle machine? Le peuple a déjà nommé des juges avec lesquels vous pourrez tout faire. Par ce moyen, je maintiens une parfaite égalité, et je fais concourir toutes les parties de l’Empire à un établissement auquel elles sont également intéressées. Voici la formation du conseil national pour la conservation des lois, telle que je l’avais conçue : Il connaîtra des demandes en cassation, des poursuites en prévarication contre les juges et les commissaires du roi, de la compétence des tribunaux, des renvois d’un tribunal à un autre, etc., etc. Il sera composé de trente juges, qui �2 888 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [9 novembre 1190.) seront renouvelés de deux ans en deux ans. Ces juges seront choisis de la manière suivante et dans les départements divisés en trois grandes parties : la partie septentrionale, la partie méridionale et la partie du centre. Il sera dressé un tableau sur lequel on inscrira d’abord deux tribunaux des départements méridionaux, deux des départements septentrionaux, deux des départements du centre. On suivra la même marche d’inscription jusqu’à ce que tous les tribunaux du royaume soient inscrits sur ce tableau. Les trente premiers tribunaux inscrits députeront chacun un de leurs membres, élu au scrutin. Tous les tribunaux députeront ainsi, à leur tour, de deux ans en deux ans, de trente en trente. Ces trente juges réunis nommeront au scrutin leur président dans la première séance. J’établis ensuite les règles constitutionnelles de la cassation. Il y aura lieu à cassation quand on n’aura pas observé les formes ou qtmnd on aura jugé contre les lois constitutionnelles. Si les formes n’ont pas été observées, la procédure sera cassée; si l’on a jugé contre les lois, le jugement sera cassé et la procédure subsistera. Dans le cas où la procédure sera cassée, elle recommencera à l’acte qui aura été reconnu nul. Si la cassation est faite sur le fond , les parties choisiront un autre tribunal; et, dans le cas où le jugement serait confirmé, la demande en cassation ne pourrait plus être reçue. Si un jugement avait été cassé sans que la demande en cassation eût été formée, le jugement vaudra transaction entre les parties. Si la cassation est prononcée sur un chef, elle n’influera sur aucun autre chef. Les motifs de la cassation seront exprimés dans l’arrêt, qui ne pourra être rendu qu’à la majorité des trois quarts des voix, etc., etc., etc. Je n’ai que deux mots à dire sur la haute cour nationale, dont je trouve les éléments dans la formation du conseil nationalque je propose. On a dit que d’abord il fallait déterminer les délits et les peines. Ils ne peuvent être définis de la manière étroite dont on a paru le désirer. Cependant, il est clair que, dans les détails de la législature, il faut se rapprocher des définitions exactes le plus qu’il est possible. Le mot crime de lèse-nation est trop vague ; mais quand on dira : crime de trahison , de conspiration contre la Constitution , contre l’Etat, contre la personne du roi qui fait partie de l'Etat, ces définitions seront suffisantes, et le danger qu’on redoute s’évanouira. M. Chabroud fait lecture d’un projet de décret divisé en trois titres : 1° sur l’organisation du conseil national pour la conservation des lois; 2° sur les règles constitutionnelles de la cassation ; 3° sur les délits qui formeront la compétence de la haute cour nationale. (L’Assemblée ordonne l’impression du discours de M. Chabroud et du projet du décret qui le termine.) M. Rœderer. Pour mettre de l’ordre dans cette discussion, il faut la diviser en quatre parties* L’objet et la compétence du tribunal de cassation et de la haute cour nationale, l’organisation de l’un et de l’autre. Sans vouloir pressentir l’opinion de l'Assemblée sur les plans qui lui sont proposés, j’observe que la cassation ne doit servir qu’à faire rentrer les juges dans les formes salutaires qui seront prescrites par la loi; mais le mal jugé évident, la contrariété d’arrêts, s’ils pouvaient donner lieu à la cassation, feraient du tribunal de cassation un tribunal d’appel suprême : et l’on met ce tribunal entre les mains du ministre 1 M. de Cazalès. Je demande qu’on adopte la marche que propose le préopinant, avec ce seul changement : que l’on commencera d’abord par l’objet et la compétence du tribunal de cassation, et par sou organisation. M. Ulougins de Roquefort. Je demande qu’on discute d’abord ces trois questions : Dans quel nombre seront les juges qui composeront le tribunal? Par qui seront-ils nommés? Le ministre du roi sera-t-il président ou commissaire du tribunal? M. Prieur. Avant de passer à l’organisation de ce tribunal, il faut déterminer d’abord quelles en seront au juste les fonctions. Quant aux questions subséquentes, qui tendent à savoir par qui seront nommés ces membres, la Constitution a consacré le principe : nul autre que le peuple n’a le droit de les nommer. Le ministre du roi a-t-il droit de le présider? Cette question ne peut pas non plus être agitée; ce serait mettre tout le tribunal à la discrétion du pouvoir exécutif. Divers membres proposent de mettre aux voix l’ordre de discussion indiqué par M. Rœderer. Cette proposition est adoptée et il est décrété que la discussion sera suivie dans l’ordre de ces quatre questions : « 1° Quelles seront les fonctions du tribunal de cassation ? « 2° Quelle sera la formation de ce tribunal? « 3° Quelles seront les fonctions de la haute cour nationale? « 4° Quelle sera la composition de cette cour? (La suite de la discussion est renvoyée à demain.) (Voir p. 350.) M. le Président. Les comités réunis, diplomatique et des recherches, demandent à être entendus. Une députation des électeurs présumés du département de Paris demande à être admise à la barre et à présenter une pétition pour ne former qu’une assemblée générale de toutes les assemblées partielles. Je viens aussi de recevoir une lettre de M. le maire de Paris, par laquelle il m’annonce que la municipalité vient d’adjuger trois maisons nationales, l’une estimée 29,000 livres et vendue 31,000; l’autre estimée 28,400, et vendue 36,400; l’autre estimée 15,000 livres et vendue 17,000 livres. M. Fréteau, membre du comité diplomatique. Vous avez renvoyé à vos comités réunis, diplomatique et des rapports, plusieurs lettres des départements de la Meurthe et de la Meuse. Il en a été joint d’autres écrites à d’autres députés par le directoire dn département des Ardennes. Leur objet est de recourir à votre comité pour maintenir la paix dans les départements, dans le cas où elle pourrait être troublée. Les départements de la Meurthe et de la Meuse, provoqués par une lettre de M. de Bouille, ont suspendu la sortie hors du royaume des fourrages et avoines. La municipalité rappelle des lois non révoquées, relatives à l’extraction prohibée des pailles sans permission expresse du roi. Plusieurs municipalités des Trois-Evêchés et des Ardennes ont aussi projeté d’arrêter cette exportation. D’autres lettres nous apprennent que, sous prétexte d’exporter de la paille, on transportait des épis pleins ; cela a rendu les municipalités fort attentives au message de M. de Bouillé. Il avait écrit aux départe-