588 [Assemblée nationale.] L’avis mis en discussion, plusieurs amendements ont été proposés. D’autres membres craignant que le décret de l’Assemblée, étant encore imparfait, ne fût modifié par le pouvoir exécutif, ont voulu qu’il fût sursis à délibérer jusqu’à ce que le comité eût fait le règlement dont l’Assemblée l’a chargé pour le développement de son décret. Un membre du comité a dit alors que le travail était fait. Il a demandé et obtenu d’en faire la lecture. Cette lecture finie, et le règlement discuté, on en a renvoyé le plus ample' examen à une autre séance. Puis revenant au premier objet, l’Assemblée a décrété de renvoyer la demande delà ville de Paris au pouvoir exécutif. M. le Président a levé la séance qu'il a remise au lundi matin à l’heure ordinaire. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE LA LUZERNE, ÉVÊQUE, DUC DE LANGRES. Séance du lundi 7 septembre au matin (1). Lun de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance du 5 septembre. M. le Président annonce que plusieurs citoyennes de la ville de Pans, femmes ou filles d’artistes, animées par le patriotisme et par le désir de propager leur exemple, ont réuni les ornements et bijoux dont elles s’étaient jusqu’à présent parées ; qu’elles désirent en faire hommage à la nation pour contribuer au payement de la dette publique, et que si l’Assemblée consent à recevoir leur députation, elles se présenteront pendant le cours de la séance. Il est unanimement arrêté que la députation sera admise. M.Ie Président annonce que la discussion va être reprise sur la permanence et l' organisation du Corps législatif et sur la sanction royale. M. lianjuinais (2). Messieurs, quanta la division des Chambres, elles sont égales en puissance si elles sont composées avec égalité, sans distinction et au scrutin. Dans cet ordre de choses, proposé déjà par M. l’abbé Sieyès, j’entrevois l’avantage d’une grande maturité. Mais si l’on admettait une Chambre haute, le petit nombre commanderait au plus grand ; les intérêts particuliers seraient mis à la place des intérêts généraux. L’Assemblée nationale serait paralysée ; et sur les ruines de cette noblesse, qui maintenant n’est que ce qu’elle peut et ce qu’elle doit être, vous élèveriez le plus mons-treux monument d’aristocratie qui puisse exister ; aristocratie aussi funeste au Roi qu’au peuple. Ceux qui veulent que ces deux Chambres exis-(1) Celte séance est incomplète au Moniteur. (2) Le Moniteur attribue le discours à M. Dangevil-lers : il n’y avait pas de député de Ge nom. — Le Point-du-Jour l’attribue à M. Lanjuinais. Du reste, l’erreur est rectifiée dans ce sens à la table du Moniteur, qui restitue ce discours à M. Lanjuinais. (7 septembre 1789.] tent s’égarent avec les auteurs dont ils invoquent le suffrage. Loin d’ici le sentiment de l’inconséquent Delolme, de ce Montesquieu qui n’a pu se soustraire aux préjugés de sa robe. Loin d’ici le suffrage de l’Anglo-Américain, M. Adams, de ce Don Quichotte de noblesse, le précepteur corrompu d’un grand seigneur ; ils ne nous imposent plus. On sait que l’Anglelerre, livrée à l’inertie du veto, manque de bonnes lois, et que ses bonnes lois sont mal exécutées ; qu’en Angleterre tout est si mal, que les ministres gouvernent plus par l’or, l’argent et la faveur, qu’avec les talents. L’on nous parle du sénat américain -, là il peut y être nécessaire, puisqu’il n’y a pas d’influence royale. Ge ne sont au surplus que des sénateurs à rubans et à médailles. Point de distinction de rang, point de nomination royale. 11 suffit que les députés, divisés eu deux Chambres, puissent mettre une grande et sage maturité dans leurs délibérations. Je croirais même cette division inutile dans le cas où le Roi exercerait le veto suspensif d’une session à l’autre. Car, pour le veto absolu, je n’en parle pas : l’histoire le réprouve, la politique le fait voir comme un moyen dangereux. Mais quel est cet acte que l’on décore du nom de sanction ? Le Roi est le suprême dépositaire du pouvoir exécutif ; et étant chargé de faire exécuter les lois, l’acte par lequel il ordonne son exécution s’appelle sanction royale. Libre ou forcée, la sanction est l’acte qui ordonne, soit implicitement, soit explicitement, l’exécution de vos décrets. Vous en avez eu vous-mêmes deux exemples dernièrement. Le Roi a publié deux déclarations qui ne contenaient autre chose que vos décrets, et qui n’ordonnaient rien autre que leur exécution. Telle est la véritable sanction du Roi ; et ce serait l’anéantir que d’accorder au roi un liberum veto , un droit négatif. S’il y a deux pouvoirs séparés qui se détruisent mutuellement, il n’y a plus de liberté, puisque le pouvoir législatif sera sans cesse usurpé ou paralysé par le pouvoir exécutif. C’est une grande erreur que de croire que le Roi ait en France le droit absolu. Sous les deux premières races, croit-on que la loi ripuaire et la loi salique ont paru sous le nom du prince ? Comment se faisait cette sanction? Quelle était-elle ? Un ancien historien nous l’apprend : Scele-bat rex in scella regia, circumstante omni exerci-tu , quidquid decrctum erat à Francis . On dira peut-être que l’armée n’était pas la nation : mais je ne réfuterai pas cette objection ; on sait ce qu’était alors la nation, puisque les citoyens n’étaient que des soldats. Dans la seconde race, qu’est-ce que ces capitulaires qui ont paru ? C’était le résultat des assemblées nationales ; c’était ce que le peuple ordonnait, quidquid à Francis decretum erat. Ces remarques expliquent parfaitement l’édit de Pistes, et maintenant l’on comprend facilement ce que veulent dire ces mots : lex sit con-sensû populi et constitutione regià. Le temps de la confusion des ordres est enfin arrivé, et alors tous les principes se sont également confondus. Nous venons aujourd’hui pour y remédier, et l’on ne dira pas que nos cahiers soient des obstacles à cette réforme salutaire. Dans les cahiers de la noblesse et du clergé, l’on voit que ces deux ordres admettent le principe du veto, qu’ils ne veulent pas de loi sans sanction. Mais c’est par une raison bien simple : ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 septembre 1789.J 589 Assemblée nationale.) c’est que c’était le seul moyen de conserver leurs privilèges. Aujourd’hui ces sentiments ne sont plus dans les cœurs de ceux qui se sont réunis à nous ; aujourd’hui ils n’ont plus de veto d’ordre; il ne doit pas y avoir de sanction royale, point de ce/o, point d’aristocratie. Ii est une foule de cahiers, et c’est le plus grand nombre, qui n’ont pas prévu la question. Il y en a même qui excluent le veto royal ; il y en a d’autres qui réclament, pour le Roi , le veto suspensif. Au surplus, tous ces cahiers sont indéterminés, et n’ôtent pas aux députés le droit de faire mieux que leurs commettants n’ont pu prévoir. Ceux qui s’appuieront sur leurs cahiers, pour le veto absolu, ne doivent pas les regarder comme impératifs. Quand il a fallu voter l’emprunt national, on a interprété les cahiers ; on a cru que le mandataire devait faire ce que le mandant ferait, s’il agissait par lui-même. La raison veut que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ne se confondent pas : c’est cette séparation qui fait le principe de la liberté; et de là ces obstacles continuels qu’il faut placer entre les deux agents de la vie politique pour les empêeher de se réunir dans un centre commun. On vous l’a déjà dit : le veto absolu, c’est le droit de faire la loi, et vos décrets ne seront plus que des pétitions. C’est la volonté générale qu’on réclame pour y substituer une volonté individuelle. L’on vous a dit bien des fois que le veto est le domaine du peuple; ce veto-là ne tendrait, au contraire, qu’à avoir le droit d’envahir ses propriétés et sa liberté. Que l’on ne me dise pas que les vertus du Roi garantissent l’usage du veto. Quand tous ses successeurs séraient aussi bons, aussi justes que lui, je le craindrais encore. Les droits de la féodalité ont été anéantis ; et qui me répondra que le premier usage de ce veto ne sera pas pour confirmer cette féodalité?... Prétendre que le veto indéfini ne sera que suspensif, parce que l’on peut refuser l’impôt, si le prince refusait la loi , et que le prince fût révolté contre la Constitution, sont des principes erronés auxquels on a déjà répondu. Le prince ne peut être coupable d’avoir exercé un droit que vous-même lui auriez accordé ; et faire cesser le payement de l'impôt, c’est se couper la gorge pour guérir une plaie à la jambe. Je le répète : le veto ferait chavirer l’autorité royale, et de là l’anarchie et le despotisme. Telles sont les conséquences qui résulteraient du système de la sanction absolue. Mais on demande un correctif. Dans un beau désespoir, on vous propose de graver sur les murs du palais des Rois, que tout prince qui viole les lois doit être destitué. Quelle maxime abominable ! (Ici un murmure général a désapprouvé l’orateur.) Elle conduirait bientôt au fanatisme et au régicide. Nous devons tenir un autre langage; la personne du Roi même qui viole la loi est inviolable ; ce sont ses ministres qui vous répondront de ses actions; ce sont eux qui en seront les garants. Il convient de fixer un terme à l’examen du monarque ; ce terme doit être suffisant pour que l’opinion puisse se manifester, et alors le peuple décidera. Deux mandataires ne s’accordent pas; c’est le mandant qui les juge. Que l’on ne regrette pas ici la balance des pouvoirs. Le Roi lui-même a reconnu que ce que l’on appelle la balance des pouvoirs n’est qu’un équilibre chimérique, Je dirai encore un mot de la Convention nationale pour réviser la Constitution ; il me semble que l’on devrait régler qu’elle le serait d’abord tous lés vingt-cinq ans, ensuite tous les cinquante. M. de Virieu. Je vais répondre à M. Lanjui-nais. La liberté est un don essentiel à l’homme; elle est en morale la somme de toutes vertus, et en politique la somme du bonheur. Les nations qui l’ont perdue se sont bientôt anéanties ; et la France elle-même, dans son histoire, ne présente que le tableau d’un peuple qui passe alternativement de l’esclavage à la liberté. La permanence, pour conserver cet avantage incomparable, ce bien si précieux, me paraît nécessaire. Ici M. le comte de Virieu s’écarte du sujet, ou plutôt il étend ses vues trop loin ; il craint que le gouvernement français ne devienne un gouvernement fédératif, et il propose, pour prévenir ce danger, de conserver sur les provinces une grande puissance, à l’instar de l’Amérique. II est donc, ajoute-t-il, du plus grand intérêt de prévenir ce malheur. Bientôt la France n’existerait plus; elle deviendrait la proie de ses ennemis. Quelques provinces marquent encore des sentiments contraires. L’on parle de rappeler les députés, si vos décrets ne sont pas favorables aux opinions nouvelles. Hâtons-nous donc; il ne suffit pas, par nos délibérations, de faire le bien, ii faut encore prévenir le mal. J’ai vu différentes lettres qui m’annoncent ces différentes dispositions de la province. Ici l’orateur est encore interrompu. Plusieurs membres l’interpellent de nommer les provinces : il garde le silence. Il s’étend ensuite sur les inconvénients qui résulteraient pour toutes les provinces d’une confédération. Les unes seraient opprimées, dit-il, par les puissances voisines, les autres par les provinces frontières ; de ces malheurs devrait dériver la permanence de l’Assemblée nationale; mais cette permanence, a-t-il repris, donnera un grand degré de force au Corps législatif. 11 sera toujours actif, toujours délibérant, toujours faisant des lois. C’est contre cette puissance si fortement constituée qu’il faut opposer la sanction royale et la division en deux Chambres. J’avoue que tous les pouvoirs émanent du peuple; mais, dans l’application que l’on en vient ue faire, pour faire présumer l’appel au peuple, comme indispensable, il y a de l’erreur. Les représentants font une loi ; le Roi refuse de la sanctionner : de là l’appel au peuple. Mais comment manifestera-t-il son intention? Si le délai est trop court, comment prévenir l’esprit de parti ? Une faction ambitieuse élèvera des défiances, entretiendra des alarmes ; le peuple, qui ne médite pas, qui ignore tout, sera séduit. Il est donc important, pour décourager le chef de la cabale, que le veto soit indéfini ; et si vous pensez qu’il faut qu’il y ait un terme, il faut au moins qu’il soit de deux législatures. La vérité, pour paraître, a besoin du temps, et l’intrigue aime la précipitation. Mais je pense qu’il ne faut pas mettre de termes à ce mot, et qu’il faut supprimer le mot absolu, parce qu’il est vide de sens. Ici se présente l’organisation des deux Chambres. Tout le monde sent qu’elles ne doivent avoir ni les mêmes passions, ni le même esprit, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 septembre 1789. J gQP [Assemblée nationale.] Au reste, il me semble que nous sommes encore trop voisins du despotisme pour agiter d’aussi grandes questions. Nous avons renversé déjà des édiiices que le temps avait respectés ; l’on en sentira les secousses dans l’avenir ; n’allons pas, par des questions trop prématurées, les rendre dangereuses. M, le comte de Yirieu continue de s’étendre sur différents objets, 11 parle des erreurs populaires, de l’ignorance de la multitude, et il en cite un exemple que nous croyons ne devoir pas passer sous silence. M. Necker,‘en allant à Paris, était accompagné de gardes. Un d’eux dit à des personnes mal vêtues, à de pauvres ouvriers, d’ôter leurs chapeaux. Un des ministres de la compagnie de M. le contrôleur général observe aux gardes qu’il ne convient pas de forcer les gens à ôter leurs chapeaux : ■ Bon l répondit le garde, ce sont des aristocrates. » Un autre exemple de cette ignorance, dit encore M. le comte de Virieu, c’est que le peuple de Paris prend le veto pour un impôt. Je pourrais ajoutera cela un troisième exemple plus singulier. Deux habitants de la campagne parlaient du veto. « Sais-tu ce que c’est que veto ? dit l’un. Non. — Eh bien ! tu as ton écuelle remplie de soupe ; le Roi te dit : répands ta soupe ; il faut que tu la répandes. » C’est ainsi que le peuple de Paris et que le peuple de toutes les provinces ont été égarés sur le veto. U s’agit de séparer le pouvoir législatif en deux Chambres, qui n’aient ni les mêmes passions, ni les mêmes erreurs. Ces deux Chambres sont le patrimoine du peuple, surtout si les membres qui les composeront sont élus pour un temps et par lui ; et si le pouvoir législatif est réuni dans une seule Chambre, j’y vois le plus grand danger pour la liberté. Un orateur éloquent, un moment d’effervescence, l’ambition ou l’erreur, séduiront les députés, et de là le malheur de toute une nation, quand rien ne s’oppose aux décrets qu’ils pourront porter. Le parlement d’Angleterre, dit-on, a détruit la liberté publique en se déclarant inamovible ; mais au contraire, c’est alors que la nation s’est jetée dans les bras de son Roi. On dit encore que le peuple est mécontent de sa Constitution; mais ce peuple a fait assez de foi3 preuve de son courage pour changer ses lois; et s’il en était mécontent, il saurait bien les réformer. Je ne sais pas comment notre jeune philosophie, notre jeune sagesse, notre jeune expérience, peuvent sans cesse blâmer un peuple qui, par une longue expérience, a su se rendre libre et conserver sa liberté. Tel a été à peu près le discours de M. le comte de Virieu ; le résultat est qu’il veut donner au Roi un veto indéfini , et diviser en deux Chambres le pouvoir législatif. M. Malouet. Messieurs, j’avais résolu de ne participer que par mon suffrage à la discussion actuelle; mais les menaces qu’on a osé me faire, relativement à mon avis, la terreur qu’on veut m’inspirer, et à plusieurs membres de cette Assemblée, m’engagent à porter la parole sur cet objet; car, dans les dernières opinions qui vous ont été présentées sur l’organisation du Corps législatif, j’adopte celle qui a le plus de défaveur, la composition de l’Assemblée nationale en deux Chambres ; j’userai donc de mon droit de représentant de la nation pour la défendre librement; et si, dans cette affluence de spectateurs qui nous’ entourent, il s’en trouvait qui attendent ici l’effet de leurs menaces, ils apprendront par ma voix à quoi se réduit la puissance des méchants sur les gens de bien; témoins de' votre indignation contre leur criminelle audace, ils apprendront que le citoyen qui méprise et qui brave la fureur des factieux et leur liste de proscription, qui les punirait s’il en avait la charge, supérieur à la crainte, ne lest pas moins à la séduction et aux faveurs des cours. J’ai toujours regardé comme nécessaire la permanence du Corps législatif; le préopinant m’a prévenu dans le développement d’un des motifs qui suffirait seul pour la déterminer. J’ajouterai cependant que ce n’est pas seulement la composition actuelle de quelques Etats provinciaux, mais l’érection projetée de toutes les provinces en pays d’Etats, qui aurait les plus grands inconvénients pendant une longue absence du Corps législatif. Le plus sensible de ces inconvénients serait l’invasion progressive du pouvoir exécutif, et l’invasion possible du pouvoir législatif; car toutes les Assemblées, tous les corps ont une tendance naturelle à l’extension de leur autorité. Les hommes réunis vont toujours en avant, quoi qu’il en puisse arriver; car aucun n’est responsable pour tous. Ainsi, pour maintenir la réunion de toutes les parties de l’empire et leur dépendance d’une autorité centrale, deux conditions sont nécessaires: la première, de limiter à des détails d’exécution, sous l’inspection du gouvernement, l’administration confiée aux Assemblées provinciales; la seconde, de ne les convoquer que pendant la séance du Corps législatif; car il faut bien que le pouvoir exécutif ait un intervalle et un espace libre pour agir ; s’il est toujours en présence des pouvoirs indépendants, il perdra la vigueur, le ressort, l’unité nécessaires à l'administration générale; il sera insensiblement effacé, et la confusion de tous les pouvoirs arrivera. Quant à l’organisation de l’Assemblée nationale, on vous a dit, Messieurs : la puissance législative est une; donc il ne doit y avoir qu’une seule Chambre! C’est ainsi qu’avec des principes généraux on conclut ce que l’on veut, et que des abstractions métaphysiques sont une source d’erreurs en législation. Mais, Messieurs, la souveraineté est une, et ses fonctions, ses pouvoirs se subdivisent en plusieurs branches : le pouvoir exécutif lui-même comporte trois subdivisions principales ; ainsi, pourquoi ne distinguerait-on pas trois temps dans un acte législatif ; la discussion et la délibération provisoire, la révision et l’arrêté, la sanction et la promulgation? Pour moi, je soutiens cette distinction si naturelle, si nécessaire, que je n’ai pas d’autre manière de concevoir, dans une grande monarchie, l’action et le complément de la puissance législative. Je suis donc d’avis de composer l’Assemblée nationale de deux Chambres, dont l’une appelée Chambre des représentants , et l’autre Chambre du conseil ou Sénat, toutes deux électives, sans veto l’une sur l’autre, mais avec droit de révision par le Sénat des décrets proposés par la Chambre des représentants. Avant d’en venir aux objections contre cette composition, voici mes motifs pour l’adopter : Je ne connais rien de plus dangereux qu’une seule Assemblée législative, qu’un hasard malheureux pourrait composer une fois d’une pluralité de représentants dépourvus d’expériences et de (Assamblée nationale.) A R C,H1 VES PA R 1 ,E '.î ENTA IR ES. )7 septembre 1789], 591 lumières sur la législation, sur les ressorts politiques d’un grand empire. Que dans une telle Assemblée, de grands talents fassent prévaloir des intérêts, des passions particulières, que la terreur s’empare des uns, et l'esprit de faction des autres, que deviendrait alors la Constitution? Nous aurions sans doute pour ressource le veto du monarque; mais si les mauvaises lois propo-posées étaient à l’avantage du pouvoir exécutif, si les chefs de l’Assemblée, corrompus, égaraient ou faisaient intimider leurs collègues, quel moyen d’empêcher une nouvelle révolution? La nation pourrait être asservie avant d’être avertie qu’elle en court le danger. Qu’au contraire, des sénateurs plus figés, plus versés dans la connaissance des affaires par les magistratures qu’ils auront exercées, soient chargés de réviser, de discuter de nouveau les décrets proposés par la Chambre des représentants, les motifs de l’improbation du Sénat avertiront déjà la nation, le monarque, et tous ceux des représentants qui auraient été trompés de bonne foi. Alors il est probable que la réunion des deux Chambres pour une délibération définitive produira la réforme du décret rejeté, surtout si l’on statue qu’un decret rejeté par le Sénat ne peut être adopté par les deux Chambres qu’aux deux tiers ou aux trois cinquièmes des voix. On a dit contre cette proposition, qu’en supposant une délibération de six cents représentants improuvée parle Sénat, l’amour-propre des premiers, irrité, maintiendrait en leur faveur la pluralité des voix. Mais l’auteur de cette objection n’a pas fait attention que, dans ce cas, il n’y a d’amour-propre compromis que celui qui propose, qui rédige la loi, qui entraîne les suffrages ; et que la grande pluralité de ceux qui concourent à une décision ne demande souvent que des lumières et un point d’appui pour y résister : or le Sénat, dans de telles circonstances, serait, pour les hommes trompés, le point d’appui et la lumière. D’ailleurs, comme les mauvaises lois peuvent porter sur toute autre chose que la prérogative royale, pour la réduire ou l’étendre, le monarque, averti par l’improbation du Sénat, userait avec plus de confiance de son droit de veto; et c’est alors que personne n’en contesterait plus futilité. Ainsi, Messieurs, la plus grande facilité des discussions, l’utilité de la révision, la confusion possible dans une nombreuse Assemblée, les mouvements que peuvent y exciter l’éloquence, la prévention, l’impatience, et beaucoup d’autres motifs qui nous ont été développés, me font adopter la proposition de deux Chambres également électives, avec la différence que le Sénat ne pourrait être renouvelé que tous les sept ans, et que les sénateurs seraient choisis sans distinction de naissance, parmi les hommes qui se distingueraient dans les magistratures civiles et militaires, et dans le ministère ecclésiastique. Tel est mon avis. M**\ Je crois que la permanence de l’Assemblée nationale est nécessaire pour conserver notre liberté ; il faut aussi mettre en activité les Assemblées provinciales, mais ne les laisser exister que pendant le temps des Assemblées nationales : 1° Parce que ces Assemblées les surveilleront; 2° Parce que dans l’intervalle il faut un laps de temps pour que le pouvoir exécutif puisse agir. Sur l’organisation du pouvoir législatif, l’on dit que, comme il est un, il ne faut également qu’une Chambre : c’est là l’abus d’un principe. Le pouvoir souverain est un ; mais il se sous-divise-en bien des branches : au surplus, il faut distinguer trois choses : la délibération, le décret et la sanction. Or, c’est pour apporter la maturité nécessaire que je crois devoir opiner pour les deux Chambres ; elles seules pourront veiller mutuellement à la Constitution. Les factions, l’ignorance, l’ambition, toutes les passions échoueront devant elles. Je pense qu’il faut un Sénat, avec cette différence qu’il sera changé tous les sept ans. M. de Cugfine vote pour la permanence, l’unité et le veto. 11 est démontré, dit-il, que la permanence est devenue nécessaire. Je respecte cette opinion et je pense qu’une seule Assemblée nationale, souvent renouvelée, aura une forme plus imposante que la seconde Chambre d’Angleterre, où ce qu 'on appelle la Chambre haute est nulle dans les affaires publiques. Le veto suspensif ne peut exister : quel est le Roi qui refuserait de sanctionner une loi juste? Les ministres ne sont-ils pas responsables? Enfin, mon opinion est que la loi doit être repoussée si le Roi la refuse et admise si elle lui convient. La discussion est interrompue par l’introduction de la députation annoncée; elle est placée sur des chaises en avant de la barre. M. Bouche, organe des citoyennes qui composent la députation, lit, en leur nom, le discours suivant : Messeigneurs, la régénération de l’Etat sera l’ouvrage des représentants de la nation. La libération de l’Etat doit être celui de tous les bons citoyens. Lorsque les Romaines firent hommage de leurs bijoux au Sénat, c’était pour lui procurer l’or sans lequel il ne pouvait accomplir Je vœu fait à Apollon, par Camille, avant la prise de Veïes. Les engagements contractés envers les créanciers de l’Etat sont aussi sacrés qu’un vœu. La dette publique doit être scrupuleusement acquittée, mais par des moyens qui ne soient point onéreux au peuple. C’est dans cette vue que quelques citoyennes, femmes ou filles d’artistes, viennent offrir à l’auguste Assemblée nationale des bijoux qu’elles rougiraient de porter, quand le patriotisme leur en commande le sacrifice. Eh! quelle est la femme qui ne préférera l’inexprimable satisfaction d’en faire un si noble usage au stérile plaisir de contenter sa vanité ! Notre offrande est de peu de valeur, sans doute; mais dans les arts on cherche plus la gloire que la fortune : notre hommage est proportionné à nos moyens, et non au sentiment qui nous l’inspire. Puisse notre exemple être suivi par le grand nombre de citoyens et de citoyennes dont les facultés surpassent de beaucoup les nôtres 1 Il le sera, Messeigneurs, si vous daignez l’accueillir avec bonté; si vous donnez à tous les vrais amis de la patrie la facilité d’offrir des contributions volontaires, en établissant dès à présent une caisse uniquement destinée à recevoir tous les dons, en bijoux ou espèces, pour former un fonds qui serait invariablement employé à l’acquittement de la dette publique. M. le Président. L’Assemblée nationale voit avec une vraie satisfaction les offres généreuses auxquelles vous a déterminées votre patriotisme : puisse le noble exemple que vous donnez en cé