508 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 août 1789.] L’Assemblée prononce qu’il n’y a pas lieu à délibérer. Enfin l’on vient à l’examen du projet d’arrêté proposé par le comité des subsistances, pour ordonner la libre circulation des grains de province à province, de ville à ville, de bourg à bourg, dans l’intérieur du royaume, et pour en défendre l’exportation à l’étranger, jusqu’à ce qu’autrement il en ait été ordonné. Ce projet d’arrêté, présenté depuis plusieurs jours et renvoyé dans les bureaux, y avait été examiné. M. le comte de Custine a lu un très-long mémoire, dans lequel il a développé tous les principes des économistes, pour rendre absolument libre le commerce des grains. On a demandé l’impression de son mémoire, qui n’a pas été parfaitement entendu, parce que le silence n’a pas été exactement observé. M. Cochard, député de la Franche-Comté , partant de principes différents, a soutenu qu’il était indispensable non-seulement de défendre l’exportation de grains à l’étranger, mais même qu’il ôtait essentiel de prendre des précautions pour qu’il ne put se faire sur les frontières aucun magasin qui facilitât le versement chez l’étranger. M. Cigongne propose un arrêté absolument différent de celui du comité des subsistances, pour assurer que les grains ne manquerontjamais dans le royaume. U veut des recensements dans toutes les villes, dans toutes les paroisses, qui, envoyés à l’administration, lui fassent connaître la quantité de grains existante, afin que, calculant la consommation, elle ait une règle sûre pour permettre ou défendre l’exportation chez l’étranger. M. le marquis de Sillery, en approuvant les deux parties de l’arrêté, veut qu’on s’occupe de la demande faite par les colonies françaises, d’abroger les lois prohibitives qui éloigne'at de leurs ports d’autres approvisionnements en farine que ceux qui leur sont portés par des négociants français. M. le duc du Châtelet, approuvant également l’arrêté dans ses deux parties, a parlé sur la nécessité urgente de le décréter. Enfin MM. les députés de Saint-Domingue, après avoir avancé que la défense d’expbrter à l’étranger, faisant partie de l’arrêté, allait nécessairement priver les colonies de leur approvisionnement, ont demandé qu’il leur fût permis de recevoir des farines de la Nouvelle-Angleterre et de toutes les autres nations qui en porteraient dans leurs ports. Quelques membres de l’Assemblée observent que cette défense d’exportation à l’étranger ne peut pas regarder Rs colonies françaises, qu’elles ont toujours été exceptées facilement, lorsque le gouvernement s’était décidé à rendre une loi pareille, et que, s’ils le désirent, on les exceptera nominativement de la loi. Des membres du comité de subsistances observent aux députés de Saint-Domingue que la demande qu’ils font à l’Assemblée est l’objet d’un mémoire qu’ils ont présenté aujourd’hui au comité des subsistances, mémoire qui, de leur consentement, doit être communiqué au commerce pour qu’il y réponde. Ils ajoutent qu’il n’est pas possible de décider cette grande question sans avoir entendu les négociants de l’Assemblée, qui ont demandé à l’éclairer par leur discussion. Ces raisons ont fait renvoyer les décisions de l’Assemblée sur le projet d’arrêté du projet du comité des subsistances à demain samedi, dans une séance fixée à sept heures du soir. L’Assemblée s’est séparée à onze heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE STANISLAS DE CLERMONT-TONNERRE . Séance du samedi 29 août 1789. L’ordre du jour était la discussion de ce qui avait fait le sujet de la séance de la veille : mais M. le comte de Grillon ayant observé qu’il avait à faire part à l’Assemblée de choses fort importan-tantes, la parole lui est donnée. M. le comte de, Crillon. Personne ne respecte plus que moi le temps de l’Assemblée, et je me garderai bien d’en abuser; je me propose seulement d’avoir l’honneur de lui observer qu’elle n’a rien de plus instant que de rendre un décret confirmatif pour le payement des impôts, et pour la fixation du prix du sel à six sous la livre; elle pourrait renvoyer au comité de rédaction ces deux objets, ou'nommer un comité d’imposition, dont les fonctions seraient distinctes de celui des finances. Ce comité s'occuperait de la suppression des impôts les plus onéreux, et pourvoirait à leur remplacement, en se concertant, à cet égard, avec le ministre des finances. Le grand ouvrage de la Constitution marcherait en même temps, pendant que ce comité préparerait un travail sur les Etats provinciaux et les municipalités. L’Assemblée décide qu’elle s’occupera de ces différents objets, à une des séances du soir, atin de ne pas interrompre le travail déjà commencé de la Constitution. La discussion est reprise immédiatement sur l’article de la Constitution discuté hier. M. Bouche. La contrariété des opinions sur le premier article ne vient que parce que l’on a craint d’anticiper sur la sanction royale. Il faut donc prévenir toutes altercations, ne présenter que des articles qui ne préjugent rien. 11 y a quatre sortes de monarchies. L’une, qui est despotique, et est gouvernée par un seul. L’autre, qui est absolue, parce que le Roi y fait les lois. La troisième, qui est élective, parce que les peuples nomment les rois. La dernière enfin, qui est tempérée, c’est-à-dire où le peuple fait les lois, et où le Roi les exécute. La France, par son gouvernement, participe à ces quatre espèces de monarchie. Je propose l’article suivant : « La France est un Etat monarchique, c’est-à-dire un gouvernement dirigé par des lois fixes et établies. » M. le vicomte de Hoailles . Je propose un (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]29 août 1789.] 509 autre ordre de délibération. Les uns veulent la sanction royale, les autres n’en veulent pas. C’est de. ce choc d’opinions que naît l’embarras de notre décision. Je propose donc à l’Assemblée de juger les questions suivantes, préalablement à toute autre question. 1° Décider ce que l’on entend par sanction royale. 2° Si elle est nécessaire pour les actes législatifs. 3° Dans quel cas et de quelle manière elle doit être employée. Je propose encore de joindre à ces questions celle de la permanence des Etats, de l’organisation de l’Assemblée en une ou deux chambres. M. Alexandre de Lantetb. Plus le travail est difficile, plus il faut de méthode. Le pouvoir législatif doit passer avant l’exécutif. M. Mounier. Nous ne devons pas oublier la déclaration des droits ; c’est le premier chapitre delà Constitution. Passons au Corps législatif; voyons quelle doit être son organisation, et quelle est la nature de notre gouvernement. Il est bon de traiter la sanction royale en point de question, et d’examiner quelle doit être l’intluence du Roi dans le Corps législatif. M. le comte de Airleu. 11 faut consacrer d’abord quelle sera l’autorité royale; le Roi étant une portion constituante du Corps législatif, on doit s’occuper de lui avant toutes choses; tel est l’ordre naturel de la délibération. M. Guillotin. Je crois qu’il serait dangereux de diviser la motion de M. de Noailles. Toutes les questions qu’elle présente, il faut les juger dans leur ensemble; car, par exemple, si l’Assemblée était divisée en deux Chambres, alors le veto du Roi ne serait pas nécessaire, puisqu’il en existerait déjà un; si, au contraire, il n’y avait qu’une seule Chambre, le veto du Roi serait la barrière que l’on pourrait opposer à l’abus du pouvoir législatif; en conséquence, il importe de connaître avant tout le travail du comité sur l’organisation de l’Assemblée, sur l’influence de la sanction royale; et il faut remettre à lundi prochain cette délibération, pour donner au comité le temps de rédiger son travail. Je termine par demander : 1° que Te comité représente lundi son travail sur l’organisation des pouvoirs; 2° que ce plan soit imprimé, discuté dans les bureaux. M. Regnauld de Saint-Jean d’Angély ap-uie avec force la motion de M. le vicomte ae oailles, et demande que l’on y ajoute l’ameode-ment de M. Guillotin. De toutes parts des cris d’opposition se font entendre; l’un demande la question préalable; l’autre, que l’on délibère; celui-là, la division; M. le président ne peut statuer à la fois sur toutes ces demandes opposées. Au milieu du tumulte l’esprit de parti fermente ; l'humeur donne des soupçons; l’aigreur répand des injures; et du côté de lu tribune une voix dirigée vers les bancs de la noblesse prononce les mots de mauvais citoyens. M. le chevalier de Foucauld répond avec vivacité. M. le Président est prié de rappeler à l’ordre; sa voix est étouffée au milieu des clameurs. Enfin le calme se rétablit peu à peu. M. Duport prend la parole. Il donne quelques principes sur la sanction royale, et développe la motion de M. le vicomte de Noailles. M. d’André. La question de la sanction royale est importante à décider ; quant à moi, je la crois nécessaire, parce qu’elle est dans mon cahier et qu’elle est dans ma conscience. Enfin l’on va aux voix pour savoir si on admettra ou non la motion de M. de Aoailles : elle est admise. Plusieurs membres demandent la division de la motion. M. Régnault de Saint-Jean-d’Angely s’y oppose, et répète ce qu’il a déjà dit. M. le comte de Mirabeau. On vous parle de l’ouvrage du comité ; mais le seul point sur lequel il ait été d’accord, c’est la permanence. N’attendons donc pas le travail du comité pour nous décider. 11 est important cependant d’éclairer les questions proposées par M. le vicomte de Noailles. Il ne faut pas séparer la principale des questions avoisinantes; car elles ont toutes des rapports. Je demande donc qu’on les traite toutes ensemble. M. Rhédon. Quelques idées simples auraient dû suffire pour nous rappeler à ce que nous devons exécuter. Avant tout l’on devait considérer quel était le gouvernement et ce que nous étions nous-mêmes. L’est d’après cet examen rapide que nous aurions travaillé à la législation et à la formation du corps politique. Si je me demande à moi-même qui nous sommes ; si nous avons une puissance quelconque par nous-mêmes, je me réponds que cela ne peut pas être; il n’y a personne qui puisse le prétendre. La souveraine puissance réside essentiellement dans la nation, et nous ne sommes que les représentants de cette nation, ou plutôt nous ne sommes que ses délégués: mais physiquement nous ne sommes pas la nation. Cette vérité essentielle était nécessaire à préconiser. Cela posé, ce sont des droits que nous avons à exercer, et conséquemment des devoirs qu’il nous reste à remplir. Quels droits avons-nous? aucun. Quels devoirs sommes-nous dans l’obligation de remplir? Ce sont les droits de nos commettants que nous avons à exercer, et voilà nos devoirs. Nous avons, dit-on, des droits à réclamer : voilà tout; nous n’en avons pas à créer, et personne parmi nous n’a le droit d’en établir. Personne ne peut donc dire qu’il constitue la France en Etat monarchique ; mais nous devons tous dire que la France t st un Etat monarchique. Et pourquoi? Parce que c’est la volonté de nos commettants. Ce n’est pas un établissement nouveau qu’il nous faut faire, ce n’est qu’une simple déclaration. H en est de même de la sanction royale. Ce n’est pas un droit que nous allons créer, c’est un droit que nous allons reconnaître. C’est ici qu’il faut descendre dans sa conscience et consulter la volonté des cahiers; or, que disent nos cahiers? Ils portent tous que les lois ne seront exécutées que quand elles seront faites par la nation et sanctionnées par le Roi. C’est donc le vœu.’généràl ; et si tous nos cahiers, ou du moins si la plus grande partie annonce cette sanction, il n’est pas besoin de consulternotre prudence; nos mandats parlent, et nous devons nous taire; si la majorité, au contraire, rejetait la