618 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 décembre 1789 ] celle des talents, la diversité des emplois, des goûts, des mœurs, des habitudes; vous conclure*, dis-je, qu’une telle nation ne pourrait admettre la conscription militaire, comme loi fondamentale, sans porter une atteinte dangereuse à ses cultivateurs, à ses commerçants, à ses artistes, à ses manufacturiers; sans détruire les convenances, sans troubler le repos, sans violer la liberté de tous les citoyens. Si vous considérez de plus que la faible économie que l’on trouverait dans la suppression des enrôlements, ne dispenserait pas des frais énormes attachés à l’existence d’une armée nécessaire et constamment entretenue ; que loin que cette économie fût réelle, il résulterait de la disposition qu’on propose, une surcharge d’impôt pour les peuples. Enfin, et je ne puis trop le répéter, que même, dans le cas des modifications qui semblent le plus adoucir la rigueur de la conscription militaire, l’inégalité des richesses rejetterait constamment sur la classe souffrante la charge du service personnel. Vous n’hésiterez pas, j’espère, à repousser une opinion que je crois incompatible avec la tranquillité, la liberté, les droits de l’homme et du citoyen, l’utilité publique, notre esprit national, et "toutes nos manières d’être, morales et politiques. (Le discours de M. Bureaux de Pusy fait une très-vive impression sur l’Assemblée.) Plusieurs membres demandent l’impression. — L’impression est ordonnée. M. lladter de Monjau. Je propose d’adjoindre M. Bureaux de Pusy au comité militaire. M. Chassebœuf de Volney. On ne peut qu’applaudir à l’éloquence et à la sagacité dont M. Bureaux de Pusy vient de donner une preuve éclatante; mais je ne crois pas que l’Assemblée, par une distinction, quelque méritée quelle soit, puisse s'éloigner de ses propres principes. L’opinion d’un comité a une influence nécessaire; il faut que les membres qui doivent le composer soient librement et légalement choisis. M. Bureaux de Pusy. Déjà attaché à un comité, je ne pourrais profiter de la bienveillance de l’Assemblée; mais je demande qu’on admette dans le comité militaire un officier du génie, service important dans l’armée. M. Dubois de Crancé appuie cette dernière disposition, et fait la même réquisition pour un officier d’artillerie. M. le marquis de Sillery. J’adopte d’autant plus volontiers les propositions des deux préopinants/que les comités ne sont pas toujours composés de personnes instruites des matières qu’on doit y traiter : moi, Messieurs, je suis du comité de judicature. M. le comte Charles de Lamefh. J’applaudis aux vues de l’Assemblée sur M. Bureaux de Pusy : mais je propose de décider que désormais nulle motion personnelle, contraire aux principes età la liberté des suffrages dans les élections des commissaires, ne soit admise par l’Assemblée. M. Boeder cr. Il serait possible de concilier le respect pour les principes et les preuves d’estime que l’Assemblée veut donner à un de ses membres, en décrétant qu’il y aura quatre nouvelles places dans le comité militaire, et qu’on procédera à l’élection de ces nouveaux commissaires, au sortir delà séance. Ainsi, on ne fera éprouver aucune humiliation aux personnes qui peuvent, ainsi que M. Bureaux de Pusy, avoir bien mérité de nous sur le même objet. M. Charles de Larneth. J’appuie l’exception flatteuse que mérite si bien M. Bureaux de Pusy, mais je demande qu’à l’avenir il ne puisse plus être fait de semblable motion, Je me borne sur ce point à vous rappeler les principes consacrés par votre règlement. M. le Président met d’abord aux voix l’adjonction de M. Bureaux de Pusy au comité militaire. — Cette adjonction est décrétée. M. le Président consulte ensuite l’Assemblée sur la motion de M. de Lameth tendant à ce qu’il ne puisse, à l’avenir, être fait de nomination pour les comités, en séance publique. — La motion est adoptée. On reprend la suite de la discussion sur le mode de recruter l'armée. M. le duc de Biron (1). Messieurs, le service personnel est, à mon opinion, le plus onéreux et le plus désastreux impôt dont on puisse charger un peuple; il n'en est point dont il soit plus difficile d’arrêter les abus et les dangers. J’ose vous * représenter qu’il n’est pas parfaitement exact que tout citoyen soit obligé à uu service personnel; cela serait vrai sans doute, si chaque citoyen n’était point imposé, ou l’était insuffisamment pour qu’il fût possible de subvenir aux frais d’une grande force publique. Mais lorsque chaque citoyen paye rigoureusement tout ce qu’il peut payer, lorsqu’il ne reste pas au plus grand nombre de" quoi fournir à ses plus pressants besoins, chaque citoyen n’a-t-il pas le droit de penser que le premier emploi des impositions dont il est accablé, doit être le maintien et l’entretien de l’armée; car c’est principalement pour la protection et la défense de sa propriété qu’il est primitivement imposé; et dans le cas d’une invasion subite et inattendue, les habitants défendront sans doute leurs foyers sans l’obligation d’une imposition continuelle et onéreuse : il suffira que toutes les municipalités déterminent un lieu de rendez-vous générai dans les moments de danger public. Non-seulement le service personnel n’est ni juste, ni nécessaire, mais il est encore l’imposition la moins susceptible d’être proportionnellement répartie. En supposant qu’il fût imposé en raison des propriétés, et qu’un habitant riche fût obligé de se faire représenter par dix hommes, tandis qu’un autre ne serait tenu qu’à marcher seulement, ou à son remplacement unique. La charge serait encore bien plus forte pour le citoyen d’une fortune très-bornée, qui n’aurait que difficilement le moyen de faire veiller à ses affaires, ou celui de fournir un homme pour le représenter. L’existence de sa famille pourrait être compromise s’il s’en éloignait, et s’il cessait de lui donner ses soins. S’il préférait d’envoyer un homme dont il devrait répondre, il se le procurerait difficilement, serait obligé de le chercher longtemps, et les recherches (1) L’opinion de M. le duc de Biron n’a pas été insérée au Moniteur.