[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1791.] 357 « Décret du même jour, qui charge le pouvoir exécutif de donner les ordres les plus précis et les plus prompts pour la protection de toutes espèces de commerce, échange et circulation, et notamment de la vente ou échange des assignats contre le numéraire d’or ou d’argent. « Le ministre de la justice transmet à M. le président les doubles minutes des i-décrets ci-dessus, sur chacune desquelles est la sanction du roi.» Signé : M.-L.-F. Duport. Paris, le 21 mai 1791. M. le Président fait donner lecture, par un de MM. les secrétaires, des diverses pièces suivantes qui lui ont été adressées de Bordeaux et qui sont relatives au décret rendu le 14 mai 1791 par l’Assemblée, au sujet des colonies : 1° Extrait du registre des délibérations de la chambre du commerce de la ville de Bordeaux. « Du registre des délibérations de la chambre de commerce du département de la Gironde, séante à Bordeaux, a été extrait ce qui suit : Du 20 mai 1791. « Sont entrés MM. Ch. Brunaud, Bonnin, Lys, « Maccarthy, Courrejolies; et se sont réunis à « eux, MM. üelorthe, Texier, Mossion, Corbun, « Ducos fils, Davillier et Vernes, commissaires « du commerce, dans la grande galerie de l’hôtel « de la Bourse, où se sont rendus MM. les négo-« ciants et marchands, chefs de maison, sur « l’invitation qui leur en a été faite pour ce jour, « à 4 heures de relevée . « L’Assemblée étant formée, et chacun ayant « pris séance, etc ........... « il a été délibéré, par l’assemblée générale « du commerce, de députer vers le directoire du « département : 1° pour le remercier d’avoir re-« quis le commissaire ordonnateur d’empêcher, « momentanément, le départ des bâtiments allant « aux colonies; 2° pour prier MM. les adminis-« trateurs d’être auprès de l’Assemblée natio-« nale, les interprètes de ses sentiments civi-« ques et de son dévouement pour l’exécution « des décrets constitutionnels, et nommément « de celui qu’elle vient de rendre concernant les « colonies; la suppliant de compter sur tous les <« moyens qui sont au pouvoir des négociants de « Bordeaux, pour assurer la paisible exécution « de ses décrets dans les colonies; la suppliant « aussi de prendre, dans sa sagesse, les mesures « les plus promptes et les plus efficaces pour « que la première nouvelle de ses décrets, qui « parviendra dans les colonies, n’y occasionne « aucun trouble, et pour que les propriétés et « les personnes de tous nos frères, habitant les « colonies, ne courent aucun danger. « Délivré par moi secrétaire de ladite chambre. « Signé : MAIGNÉ. » * Nous, secrétaire général du département de la Gironde, certifions que la signature ci-dessus est celle du secrétaire de la chambre du commerce. A Bordeaux, le 21 mai 1791. « Signé : Buhan, secrétaire général. » 2° Adresse du directoire du département de la Gironde à l'Assemblée nationale. Bordeaux, le 21 mai 1791. Messieurs, « Le décret que vous venez de rendre sur l’état des gens de couleur dans les colonies, intéresse tous les citoyens, puisqu’il consacre de nouveau les droits de tout homme libre, et que si ces droits avaient été méconnus dans quelqu’une des parties de l’Empire, la liberté elle-même aurait été ébranlée. Il intéresse particulièrement ce département, puisque notre commerce, une grande partie de nos propriétés, des créances considérables sont établis sur la culture des colonies, et sont liés à leur prospérité. « Nous attendions tout de votre sagesse; mais les efforts des ennemis de la patrie nous inquiétaient, et c’est avec la plus grande impatience que nous désirions de savoir le résultat d’une discussion qu’on n’avait échauffée que pour corn-» battre de nouveau la Constitution elle-même. « La nouvelle du décret que vous avez rendu nous a été portée par un des colons député à Paris auprès de l’Assemblée nationale. Les propos qu’il tenait nous ont fait craindre qu’il ne cherchât à exciter du trouble, soit dans les colonies, soit dans cette cité elle-même. Bientôt des détails envoyés par des citoyens, amis de la patrie, nous ont appris que les députés des colonies à l’Assemblée nationale s’étaient retirés, et que leurs murmures et leurs menaces étaient portés aux derniers excès. « Nous avons cru, Messieurs, dans une circonstance aussi pressante, devoir, provisoirement, suspendre le départ des navires de commerce qui se trouvaient au bas de la rivière, afin qu’ils n’y portassent pas des lettres incendiaires, des interprétations fausses de vos décrets, sans y porter, en même temps, des instructions qui en développeraient la sagesse et qui y maintiendraient l’ordre et la paix. « Nous avons pensé que, dans une circonstance aussi importante, nous ne pourrions nous investir de trop de lumières et de trop de patriotisme; nous avons réuni auprès de nous des commissaires du district et de la municipalité. Le résultat de notre délibération, que nous avons l’honneur de vous adresser, est de vous supplier, Messieurs, de prendre les mesures les plus promptes et les plus efficaces pour l’exécution de votre décret, et de vous offrir le secours des gardes nationales de ce département. « Dans le même temps, le commerce et toutes les sociétés patriotiques de la cité s’étaient réunis, et le vœu qu’ils nous ont manifesté, est celui que nous venons d’exprimer. « Nous vous adressons, Messieurs, la .délibération du commerce de Bordeaux; elle est une nouvelle preuve des vertus publiques dont les négociants sont animés, et de leur dévouement, lorsqu’il s’agit de la patrie et de la liberté. Vous pouvez compter sur ce dévouement, Messieurs; et le commerce concourra, avec toute l’énergie de ses moyens, aux mesures que votre sagesse jugera nécessaires. « Les gardes nationales qui se trouvaient dans les sociétés patriotiques se sont empressées à nous demander d’ouvrir des registres d’inscription pour ceux qui voudraient s’offrir pour aller aux colonies, les défendre et y maintenir l’ordre 358 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1791. et la paix; et un autre registre pour ceux qui, par leur âge ou leur état, ne pouvant s’absenter, voudraient concourir à cette expédition patriotique, par une contribution volontaire. « Celte inscription était commencée depuis plusieurs jours, et aussitôt que nous avons été instruits des troubles de la Martinique. « Le général qui commandait les gardes nationales de Bordeaux, dans l’expédition de Mon-tauban, M. de Courpon, s’est offert lui-même pour commander encore celles qui iraient au delà des mers, assurer l’exécution de vos décrets, défendre la patrie, et surtout éclairer leurs frères et leurs amis sur les avantages de la liberté et la sagesse de vos lois. Ses vertus et ses talents militaires détermineront, sans doute, le roi à lui accorder une place distinguée dans cette expédition, et nous sollicitons pour lui cet honneur, malgré les regrets que nous aurons de le voir s’éloigner de nous. « Les sociétés patriotiques nous ont demandé de faire connaître leur vœu à tout le département, et c’est l’objet d’une adresse que nous publierons aujourd’hui. « Tel est, Messieurs, l’effet de la liberté; tel est l’empire de la raison et de la justice. Il n’y a eu qu’une seule opinion dans cette vaste cité ; elle s’est manifestée de la manière la plus unanime ; tous les citoyens ont applaudi à la sagesse des décrets que vous avez rendus. Les gardes nationales s’empressent et elles briguent comme un honneur de s’inscrire les premières. Ce spectacle intéressant, dont nous jouissons avec enthousiasme, ne peut appartenir qu’à un peuple libre ; et voilà, Messieurs, le prix le plus digne de vos travaux et de la sagesse avec laquelle vous achevez notre Constitution. « Recevez l’hommage de notre profond respect. « Les administrateurs composant le directoire du département de la Gironde. « Signé : L. JOURNU, président; MONBALON, Desbarat, Pujoulx, Larroque, A. D. Laffon. » 3* Extrait des registres des délibérations du directoire du département de la Gironde. Du 20 mai 1791. « Le directoire du département de la Gironde, considérant que le maintien de la tranquillité et de l’ordre public dans toutes les parties de l’Empire, intéresse particulièrement les administrateurs chargés de la confiance des peuples, a cru devoir réunir auprès de lui des commissaires du district et de la municipalité de Bordeaux, pour délibérer sur la situation des colonies et sur les troubles que pourraient y exciter de fausses interprétations du décret rendu par lAssemblée nationale, qui assure l’état des gens de couleur nés de père et mère libres. Les commissaires assemblés, étant pénétrés des mêmes principes, le directoire, d’après leur vœu unanime et celui de tous les membres, arrête, ouï le procureur générai syndic : « 1° De supplier l’Assemblée nationale et le roi de prendre les mesures les plus promptes et les plus efficaces, pour que le décret relatif aux gens de couleur dans les colonies soit exécuté sans trouble et maintenu avec toute l’autorité due aux principes de justice qui l’ont dicté. « Que les corps administratifs témoins des preuves réitérées que les citoyens de Bordeaux ont données de leur attachement à la Constitution, et de leur zèle pour l’exécution des lois, du patriotisme ardent avec lequel les gardes nationales ont déjà exprimé leur vœu d’aller défendre les colonies contie les ennemis de l’Etat, et d’en assurer la tranquillité par leur présence, offrent dès ce moment à l’Assemblée nationale et au roi les services de ses braves défenseurs de la patrie et de ia liberté. Pour copie, conforme au registre. Signé : BüHAN, secrétaire général. 4° Adresse de la société des amis de la Constitution de Bordeaux à V Assemblée nationale. Bordeaux, 21 mai 1791. « Messieurs, « Lorsque vous avez jugé dans votre sagesse qu’il était utile, pour le maintien et l’affermissement de la Révolution, de ne pas laisser le droit de pétition à ces sociétés nombreuses qui pour la soutenir se sont formées presque en même temps dans toutes les parties de la France, la société des amis delà Constitution, de Bordeaux, a été pénétrée des vues de prudence et de justice qui vous ont dicté le décret qui ne permet désormais l’exercice de ce droit qu’aux citoyens individuellement. Mais en nous empressant, Messieurs, de prendre pour règle de notre conduite à venir, avant même qu’il nous soit connu d’une manière officielle, ce décret qui, loin de nous paraître porter atteinte à la liberté, en rend à nos yeux l’exercice plus honorable en soumettant ses moindres mouvements à la loi qui les protège; nous avons pensé qu’il ne nous ôtait pas le droit bien cher de présenter aux législateurs de la France, les expressions de notre reconnaissance, toutes les fuis qu’ils ajouteraient de nouveaux bienfaits à ceux que nous leur devons déjà; c’est-à-dire toutes les fois qu'ils auraient l’occasion de tirer de nouvelles conséquences des principes sur lesquels ils ont fondé la Constitution. Nous avons pensé, Messieurs, que lorsque les cris des passions révoltées vous auraient fait entendre d’impuissantes menaces et auraient affligé votre âme sans parvenir à l’effrayer, pour vous détourner, au moins une fois, de ces principes sacrés, ce serait toujours un devoir pour les citoyens, qui, dans la méditation constante de vos lois, apprennent chaque jour à vous chérir, à vous respecter davantage, de se presser autour de vous, et de vous présenter dans les sentiments de leur cœur de justes dédommagements de la déplorable résistance, que des préjugés absurdes et barbares tenteraient vainement d’opposer au cours de votre justice. « Ges réflexions, Messieurs, se sont présentées à nos esprits agités par la joie qu’ils ont ressentie à la nouvelle du décret solennel qui va faire sortir une partie de nos frères, de l’autre hémisphère, de l’indigne avilissement sous lequel ils gémissaient accablés depuis trop longtemps; et nous pourrions vous offrir peut-être une récompense digne de ce grand acte d’équité, en vous portant l’hommage des sentiments qu’il nous a inspirés. Oui, Messieurs, nous venons vous rendre grâce au nom de l’humanité, sans le respect de laquelle il n’est point de vertus sociales, d’avoir rendu à la vie politique des hommes que le plus odieux des préjugés en privait, au mépris des [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1791.] lois même de l’Empire, rendues dans un temps où il était asservi à un despote. Nous venons vous féliciter d'avoir fermé les oreilles aux déclamations artificieuses de ces hommes gui une seule fois ont pu prendre le langage de la liberté, afin de vous faire oublier que c’étaient eux qui parlaient ; afin de vous égarer en vous persuadan t que pour les législateurs d’un peuple libre il peut y avoir d’autres intérêts, d’autre politique que d’être justes. Nous venons vous féliciter, Messieurs, d’avoir méprisé les vains sophismes de ceux qui abusant des ressources qu’ils avaient peut-être préparées en secret à leur facile dialectique, en laissant subsister le prétexte d’un doute sur l’article de l’un de vos décrets qui appelait les hommes de couleur libres à l’activité, n’ont pas craint de souiller leur carrière civique, en prétendant vous démontrer que cet article vous imposait l’obligation de renoncer à tous vos principes. Nous venons enfin vous féliciter d’avoir rejeté toutes ces prétendues considérations locales, qu’on opposait avec un orgueil si ridicule aux lumières du xviip siècle, aux droits imprescriptibles de la nature. « Sans doute, Messieurs, vousavez-senti qu’environnés même des dangers dont on vous présentait l’appareil menaçant, vous n’auriez pu changer l’honorable mission dont vous êtes chargés, et faire servir, à consacrer le crime des préjugés, le pouvoir d’assurer par vos lois, les droits des hommes à la liberté. « Peut-être ces dangers si fort exagérés n’existent-ils déjà que dans l’espérance de ceux qui voudraient les voir se réaliser : mais nous ne doutons pas que, pour n’avoir pas même à en redouter la possibilité, vous prendrez tous les moyens capables de les prévenir. Le patriotisme a inspiré aux vainqueurs de la Bastille, un dessein qui avait déjà été conçu par plusieurs de nos jeunes concitoyens, et il y a à peu près un mois, rassemblés dans un corps de garde où ils montaient la patrouille, en s’entretenant des malheurs que l'insubordination des troupes de ligne avait produits dans nos colonies, ils signèrent la résolution dépasser les mers pour détendre vos décrets si vous jugiez ce secours nécessaire. C’est en effet, Messieurs, aux gardes nationales que vous devez confier l’exécution de vos lois dans nos colonies. Nous avons prié le directoire du département d’ouvrir une double souscription où viendraient s’inscrire, et ceux qui auront la volonté d’imiter l’acte sublime de dévouement dont la garde nationale de Paris et nos jeunes concitoyens ont conçu l’idée, etceuxqui ne pouvant les suivre, voudront y concourir par les moyens que leurs facultés leur permettront d’employer. Nous vous donnons l’assurance que cette double souscription sera bientôt remplie. « Nous avons aussi prié le directoire du département de vous offrir cette mesure comme le seul moyen d’assurer l’exécution de vos décrets à une si grande distance du lieu où vous les rendez, et de vous présenter, pour être le digne compagnon du chef que l’opinion publique désigne pour cette mémorable entreprise, celui qui nous retrace ses vertus dans notre cité ; c’est le même qui a dirigé l’expédition des Bordelais vers Montauban. Il en coûtera sans doute à la ville de Bordeaux de se priver momentanément des services de M. Gourpon ; mais ce sacrifice lui deviendra cher par l’usage qu’il en fera pour sa patrie : la plus digne récompense que vous puissiez offrir à ce brave militaire, après qua-339 rante ans de services, c’est de le placer là où il peut y avoir de la gloire à acquérir. f Le directoire du département vous rendra compte, Messieurs, des sages précautions qu’il a prises pour que la nouvelle du décret n’arrivât pas dans nos colonies, défigurée par aucune fausse interprétation. Il pourra vous dire aussi qu’au moment où elles étaient encore secrètes, une députation de notre société venait lui demander de les employer ; la même chose nous est arrivée, lorsque nous nous sommes présentés au commerce assemblé, les vœux que nous venions lui exprimer étaient déjà remplis. « Nous ne savons pas, Messieurs, s’il est quelqu’un de nos concitoyens à qui la justice que vous avez rendue aux hommes de couleur libres a coûté quelques regrets ; mais nous n’en avons aperçu aucun qui ne partageât nos sentiments; la société des amis de la Constitution était ce jour là à Bordeaux dans tous les lieux où il se trouvait des hommes rassemblés. «v Nous sommes avec un profond respect. « Signé .-Reinrard, ex-Président; Mailla-Garat, Secrétaire ; DüCOURNAU, Secrétaire. « Les membres de la société des amis de la Constitution. « Signé : DàRBELET. » Adresse du club du café national de la ville de Bordeaux à l'Assemblée nationale. Bordeaux, 21 mai, l’an II de la Liberté. « Messieurs, « Le décret important que vous venez de rendre dans votre sollicitude, sur la liberté plénière et l’activité des gens de couleur de nos colonies, suite naturelle des grands principes que vous avez posés pour base de notre sublime Constitution, va vous attirer, de tous les coins de l’Empire, un nouvel hommage de la part des bons citoyens et des zélés partisans de la Révolution française. C’est vous dire, en peu de mots, que la patrie entière vous doit encore des actions de grâce pour ce nouveau chef-d’œuvre. Veuillez agréer particulièrement, à cet égard, les témoignages de notre enthousiame et de notre reconnaissance. « Mais si les justes admirateurs de vos nobles travaux savent apprécier avec justesse toute l’étendue d’un tel bienfait, les perfides ennemis de la prospérité publique et du bonheur universel vont saisir, avec empressement, cette circonstance délicate et critique pour renverser l’ordre et la paix que vos soins paternels voudraient tant conserver. On veut allumer de nouveau la discorde civile dans nos colonies, et s’y montrer rebelles aux lois de la nation. Ces tristes nouvelles ont rempli nos cœurs de douleur et d’effroi. Dans le premier élan de notre patriotisme, nous nous sommes promptement transportés auprès des administrateurs de notre département, pour épancher dans leur sein nos vives alarmes ; et nous avons appris avec transport qu’il venait de prévenir nos désirs, en mettant un embargo sur tous les navires de notre port, prêts à partir pour l’Amériqué. Cette précaution prudente pour éviter que la nouvelle de votre décret n’y fût envoyée par nos ennemis avec de fausses instructions et des avis empoisonnés, et pour nous donner le temps de préparer un antidote salutaire, leur a valu les éloges et les re- 360 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 mai 1791.] mercîments de tous nos concitoyens bons patriotes. Nous nous sommes aussi transportés auprès de la chambre de commerce de cette ville, assemblée pour le même objet ; nous avons également reconnu, avec une extrême satisfaction, que l’unité de sentiments, l’unité d’action nous avaient tous ralliés autour de l’étendard de notre liberté. Vous recevrez en même temps, sans doute, l’expression de leurs vœux et des nôtres, et vous les trouverez uniformes. Pénétrés d’un saint respect pour la sagesse de vos lois, nous les maintiendrons de toutes nos forces. Vous pouvez donc compter, de notre part, sur une confiance et un courage inébranlables. « L’exécution de votre nouveau décret sur les gens de couleur nous a paru demander des mesures qui ne vous sont sans doute pas échappées. Il s’agit de renverser un préjugé barbare et révoltant, mais profondément enraciné; de faire revivre dans ces climats lointains les lois de la justice et de l’égalité; mais de changer les mœurs et l’opinion régnante : et vous aurez bien senti que pour opérer une telle révolution sans trouble et sans désordre, il faudrait envoyer sur les lieux une force suffisante pour en imposer aux malfaisants. Mais quels défenseurs choisirez-vous pour une si belle expédition? sera-ce des troupes de ligne? sera-ce des gardes nationales? C’est pour vous manifester notre vœu sur le choix de ces moyens, que nous avons pris la liberté de vous faire entendre nos voix. Ap nom de votre amour pour le bien public, au nom de toute la patrie, au nom surtout du bonheur particulier de nos colonies, nous vous conjurons d’adopter le dernier de ces deux partis. Nous sommes loin de douter de l’ardeur et du zèle de nos frères d’armes des troupes de ligne; mais nous n’avons pas, en général, la même confiance à donner à leurs chefs. Une trop funeste expérience nous a déjà plus d’une fois éclairés sur leur compte; mille exemples récents ont dû vous prouver combien la gangrène aristocratique qui tourmente les officiers, peut facilement se communiquer aux soldats. Nous ne vous citerons qu’un fait qui, s’étant passé sous nos yeux, nous a frappés davantage. Lorsque les derniers troubles survenus à Cahors obligèrent la municipalité de cette ville à solliciter près de nous des secours pour rétablir dans son sein le calme et la paix, il fut décidé d’y envoyer le second bataillon du régiment de Champagne. Personne alors n’aurait pu prévoir les suites fatales de ce départ; nous seuls avons eu Je pressentiment du malheur qui pourrait en résulter. Nous avons exposé, dans une adresse à notre départe - tement, combien des gardes nationaux rempliraient plus avantageusement une mission si délicate; mais nos réflexions étaient venues trop tard; le départ était fixé pour le lendemain matin, et Champagne se rendit à Cahors. A cette époque, aucun de nos concitoyens n’avait conçu le moindre soupçon sur les principes de ces braves camarades ; leur civisme nous était parfaitement connu; nous avions toujours tendrement fraternisé avec eux dans nos murs; la plus étroite intimité nous rendait inséparables ; et tout semblait nous garantir de leur part le succès de cette entreprise. Quelle subite métamorphose ! Vous avez su, Messieurs, les désordres qu'ils ont occasionnés par les insinuations perfides de leurs officiers : tant il est vrai de dire que la maligne influence d’un chef mal intentionné peut être bien dangereuse. Ce serait peut-être ici le cas de revenir encore sur l’utilité du licenciement de l’état-major de notre armée ; cependant, dans une adresse particulière, nous suivrons notre sujet. « Daignez, Messieurs, daignez céder aux instances que ne manqueront pas de vous faire tous les vrais amis de la Constitution, et que nous vous adressons ici, tant en notre nom particulier, qu’au nom de tous les braves Bordelais dont nous sommes les organes et les interprètes. Faites passer dans nos colonies un nombre suffisant de gardes nationales, pour y tenir en respect tous ceux qui voudraient se montrer rebelles à la loi. Déjà la capitale vous a fait voir son empressement à partir; et Bordeaux, qui s’est toujours montré sa digne émule, va marcher encore sur ses traces. Quand il s’agira de maintenir vos décrets, tout bon Français volera, s’il le faut, au bout de l’univers. Lorsque le bruit se répandit qu’il fallait se rendre sur nos frontières, noms fûmes les premiers à faire une conscription civique et militaire, et une foule de citoyens s’empressèrent à suivre notre exemple. Nous allons la reuouveler; nous allons offrir encore à la patrie, sur un autre hémisphère, notre fortune et notre vie. Nous avons prié les administrateurs de notre département d’ouvrir des registres pour cet effet; nous y serons les premiers inscrits, et nous sommes bien convaincus que la même cause produira le même effet. Ne doutez point de l’ardeur de tous nos frères ; il se pré.-enteraplus de volontaires que le besoin n’en pourra demander; et vous ne serez embarrassés que sur les moyens d’éviter les jalousies du choix et de la préférence. « Hâtez-vous Messieurs, d’employer les sages mesures que prescrivent les circonstances, pour nous faire jouir en paix du fruit de vos bienfaits ; il n’y a pas un instant à perdre. Déjà nous sommes instruits que les députés des colonies ont abandonné leur poste honorable dans votre auguste Assemblée; nous apprenons que des intérêts particuliers, prévalant dans les âmes égoïstes de beaucoup de colons, sur les vues d’intérêt général, d’injustes murmures se sont élevés contre la sagesse de votre décision ; nous savons que des complots se trament, que des trahisons se préparent pour enlever à la nation des propriétés respectables. Nous sommes bien convaincus que vous ne balancerez pas d’après toutes ces puissantes considérations ; et dans cette confiance, nous sommes, avec un très profond respect, Messieurs, vos très humbles serviteurs. » « Les patriotes du club du café national de Bordeaux. « Signé. DELORMEL, président ; LACOMBE, j. DEFRENNE, secrétaire; DURAND, secrétaire ; degrange; LALU, secrétaire. » (La lecture de ces différentes adresses et délibération est accueillie par les plus vifs applaudissements.) M. Prieur. Je demande l’impression de toutes les pièces qui viennent de vous être lues; je demande qu’elles soient insérées dans votre procès-verbal et déposées aux archives comme un monument précieux des vertus civiques que la Constitution a développées, et que M. le président écrive au directoire du département de la Gironde et à la chambre de commerce de Bordeaux pour leur exprimer toute la satisfaction de l’Assemblée. (Vifs Applaudissements.) En ce qui concerne l’adresse de Ja société des amis de la Constitution, je crois qu’il y a assez longtemps, Messieurs, que l’on calomnie ces sociétés, pour que vousnenégligiez pas une occasion