436 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. I J mvôse an II 1 (28 décembre 1793 artillerie de Banyuls-les-Aspres s’avance vers Perpignan. Il n’eût peut-être pas été prudent d’effectuer cette retraite dans les circonstances cruelles où se trouve cette armée, pressée vive¬ ment par l’ennemi, mais votre arrêté est si pressant, les généraux ont eu peur de compro¬ mettre le salut public; et comment, de notre côté, oser prendre sur nous de suspendre l’exécution de ces mesures. Mais, citoyens nos collègues, ne trouvez pas mauvais si ce projet s’exécute lentement ; il faut concilier vos vœux avec l’intérêt de la chose publique grandement menacé. Apprenez donc que Port-Ven dres est pris, Collioure est à la veille de se rendre, le fort Saint-Elme est au pouvoir de l’ennemi : on assure que le commandant de ce fort s’est vendu lâchement aux Espagnols. O trahison ! ô per¬ fidie ! ce n’est qu’à vous que nous devons prin¬ cipalement imputer les malheurs qui déchirent la Eépublique dans ces contrées. L’Espagnol pourrait bien ne pas s’en tenir là. Déjà Kicardos parle de passer son quartier d’hiver à Perpignan. Rien n’égale l’audace des Espagnols, enflée par les succès. Nous vous envoyons un courrier extraordinaire; le temps presse. Tous les jours il s’engage ici de nouveaux combats: on ne peut guère délibérer, il faut agir. « Transmettez-nous par un autre courrier extraordinaire, votre dernière volonté; la po¬ sition périlleuse où se trouvent les départe¬ ments du midi va vous dicter sans doute les plus sages mesures. « Mais, citoyens nos collègues, nous vous le disons avec franchise, cette armée est perdue; le@ départements du midi tomberont au pou¬ voir des Espagnols si vous n’envoyez en poste des troupes d’élite, des munitions de guerre de toute espèce. « Nous avons fait périr le tyran, vous ne nous soupçonnerez pas sans doute de concevoir l’infâme projet de seconder les vues des brigands couronnés qui cherchent à venger sa mort et à en exterminer les auteurs... Vite, vite, des renforts à cette armée qid est presque désor¬ ganisée; le général Doppet malade au lit, a remis le commandement au brave général Daoust. Cet intrépide guerrier, la veille de notre horrible défaite, avait repris la fameuse position de Ville-longue; il ramena à Banyuls-les-Aspres 18 gros¬ ses pièces de canon, deux mortiers, un obusier de 12 pouces; il fit prendre à nos soldats vain¬ queurs 4,000 paires de souliers appartenant aux Espagnols. S’il avait eu avant d’effectuer sa retraite les charrettes et chevaux nécessaires, il aurait emmené un plus riche butin. L’expé¬ dition qu’il fit sur VillelongUe n’était qu’un coup de main; il l’entreprit avec 2,000 hom¬ mes; les troupes qu’il choisit dans cette affaire firent des prodiges de valeur, on tua à l’ennemi 500 hommes, on lui fit 38 prison¬ niers, et la retraite s’effectua dans le meilleur ordre. « Nous vous faisons passer les lettres que ce général nous a écrites, vous y verrez tous les détails que nous n’avons pas le temps de vous transmettre. Il est des actions d’éclat à récom¬ penser. Nous vous ferons passer les noms de ceux qui les ont laites; nous sommes sûrs que la patrie sera reconnaissante. « Un arrêté de la Commission des subsistances de Paris ordonne de partager les approvision¬ nements de l’armée des Pyrénées-Orientales avec celle de Toulon. Si cet arrêté pouvait s’exécuter, notre armée qui manque déjà de vivres mourrait absolument de faim; tous les genres de réquisition sont épuisés, comme nous vous l’avons dit plusieurs fois. Il est urgent de prier le ministre de l’intérieur de subvenir aux besoins des départements de notre division ; le manque de subsistances où ils se trouvent semble présager des troubles prochains. De toutes parts nous recevons des réclamations à ce sujet, toutes les autorités constituées nous demandent du pain pour-les habitants et nous ne savons où en prendre pour leur en donner. Jamais situation ne fut plus alarmante; voyez, chers collègues, d’apporter un remède à tant de maux. Nous vous en conjurons au nom de la République pour laquelle nous verserons jusqu’à la dernière goutte de notre sang. « Salut et amitié, « Gaston. « P.-8. Au moment où nous allions cacheter cette dépêche, le chef de l’état-major nous annonce que Collioure est pris. Nous n’avons point de nouvelles de notre collègue Fabre, il y a toute apparence qu’il a été tuéjsur la brèche ( 1 ), sa valeur, son intrépidité dans toutes les attaques qui ont eu lieu à Port-Yen dres et à Collioure nous fait ajouter foi à cette affreuse idée. Vous le savez, citoyens nos collègues, nous ne nous ménageons pas; nous avons en mille occasions exposé notre vie, et si nous en avions mille, nous les sacrifierions toutes pour la Répu¬ blique. « Gaston. « Je décachète le paquet pour vous annoncer que notre grande armée à Banyuls-les-Aspres est complètement battue et en déroute. L’enne¬ mi n’a qu’un pas à faire pour s’emparer de la place de Perpignàn. Cette ville pourrait bien tomber en son pouvoir, et c’est apparemment la dernière lettre que je vous écris. Je vais faire mes efforts pour rallier les troupes découragées et en déroute. Puissent-ils être assez puissants pour sauver la place. « Gaston. » D. Extrait de la lettre écrite aux représentants du peuple par le citoyen Daoust, général divi¬ sionnaire (2). « Villelongue, 29 frimaire, l’an II de la Ré¬ publique française. « Je t’ai déjà instruit de notre victoire, elle est bien glorieuse pour notre droite qui, forte de 200 hommes, sans canon, a pris une batterie de 18 pièces retranchées, défendues par 2,000 (I) Fabre (de l’Hérault) avait, en effet, été tué à l’affaire de G-ollioure. (2) Archives du ministère de la guerre : Armée des Pyrénées-Orientales, [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES ! J? nivôse an 11 „„ 437 ( 28 décembre 1793 hommes. Nous avons fait près de 100 prison¬ niers, tué 500 hommes, blessé un nombre pro¬ digieux, nous n’avons perdu que 4 hommes. Je ne sais pas au juste le nombre des blessés, dont beaucoup de la mitraille. « Ayant des ordres d’avancer et d’en retirer (sic), j’ai fait évacuer le plus qu’il m’est possi¬ ble; il y a un mortier avec son crapaud (sic) en bronze de 12 pouces et un obusier de 10 pouces, des bombes, poudres, caissons garnis à l’infini. N’ayant presque pas de voitures, je ne pus em¬ porter les tentes, les volontaires s’en font des pantalons; ils se sont chaussés avec plus de 3,000 paires de souliers. Enfin, cette victoire répare notre honneur et ranime nos troupes. Il sera bon de la faire connaître à la Convention nationale pour effacer les mauvaises impressions du passé. Je fais ramasser les drapeaux, il y en a déjà 3. « Adieu, je ferai ma retraite en aussi bon ordre que nous avons eu d’opiniâtreté. Le général Siret, chef de brigade, vieux bonnet (sic), le capitaine des grenadiers du 7e régiment, Mes-nard, qui a eu la jambe emportée, se sont particulièrement distingués. Signé : Daoust. « Si l’on ne nous envoie pas de pain, il faut que ces braves républicains on trouvent à leur retour et de l’eau-de-vie. Occupe-toi de cet objet cher à mon cœur reconnaissant. Pour copie conforme : * « Bkuslart, secrétaire de la Commission. » Compte rendu du Moniteur universel (1). Barère, au nom du comité de Salut public. Citoyens, vous avez appris avec enthousiasme (1) Moniteur universel [n° 99 du 9 nivôse an II (dimanche 29 décembre 1793), p. 399, col. 3], D’autre part, le Bulletin de la Convention du 8 ni¬ vôse (samedi 28 décembre 1793) rend compte du rapport de Barère, dans les termes suivants : « Barère a dit : « Citoyens, vous avez appris avec enthousiasme les succès de Toulon; vous apprendrez avec cou¬ rage les revers de Perpignan. Si la Méditerranée est libre, les Pyrénées-Orientales sont esclaves. C’est au milieu des revers que les armes républi¬ caines ont envahi le rempart à Ville-Longue. Le 17 frimaire, le courage d’une élite de troupes répu¬ blicaines avait repris Villelongue, tous les avantages des redoutes ennemies et reconquis ses canons. « Mais de nouvelles trahisons ont livré des places du département des Pyrénées-Orientales; Perpi¬ gnan est menacé. Le lâche commandant Dufaux a livré le fort Saint-EIme, après avoir tiré sur nos braves troupes. Ainsi donc le plus ignare des sol¬ dats de l’Europe, le plus superstitieux des peuples du monde, a seul des succès sur le sol de la Liberté. « Mais, citoyens, les ordres sont déjà donnés; tout est changé dans ce moment ; représentants, généraux, état-major, troupes, tout va être régé¬ néré. Le fer de la France domptera l’or du Mexique; et les cadavres de Madrid seront bientôt en pré¬ sence des vainqueurs de Toulon. Le général victo¬ rieux ira effrayer Ricardos et vaincre les brigands. Si la Vendée est détruite, comme je viens vous le confirmer encore par l’organe des représentants du peuple et des généraux; si l’intérieur de la Répu¬ blique va être balayé des immondices royales et le succès de Toulon, vous apprendrez avec courage les revers de Perpignan. Si la Médi¬ terranée est libre, les Pyrénées-Orientales sont esclaves. C’est au milieu des revers que les armes républicaines se retrempent. Envahis à Villelongue, le 17 frimaire, le courage d’une élite de troupes républicaines avaient repris Villelongue, tous ses avantages, des redoutes ennemies et reconquis ses canons. Mais de nouvelles trahisons ont livré des places du département des Pyrénées-Orientales. Per¬ pignan est menacé. Le lâche commandant Dufaux a livré le fort Saint-Elme, après avoir tiré sur nos braves troupes. Ainsi donc, le plus ignare des soldats de l’Europe, le plus supers¬ titieux des peuples du monde a seul des succès sur le sol de la liberté. Mais, citoyens, les ordres sont déjà donnés, tout est changé dans ce moment, représentants, généraux, état-major, troupes, tout va être régénéré. Le fer de la France domptera l’or du Mexique, et les esclaves de Madrid seront bientôt en présence des vainqueurs de Toulon. Le général victorieux ira effrayer Ricardos, et vaincre les brigands. Si la Vendée est détruite, comme je viens vous le confirmer encore par l’organe des représen¬ tants du peuple et des généraux, si l’intérieur de la République va être balayé des immondice royales et croisiades, et purgé enfin des hordes contre-révolutionnaires, qu’avons-nous à re¬ douter? Une armée formidable va se former au pied des Pyrénées-Orientales, et le pays trop fanatisé, trop Espagnol, et surtout par les métaux, reviendra énergiquement au sein de la République. Nous attendons des nouvelles heureuses du Rhin. Le Nord aura son tour, et les côtes seront préservées. Voici les nouvelles de Perpignan : nobiliaires, et purger enfin la horde contre-révolu¬ tionnaire, qu’avons-nous à redouter? une armée formidable va se former au pied des Pyrénées-Orien¬ tales, et ce pays trop fanatisé, trop espagnol par les moeurs, et surtout par les métaux, reviendra énergiquement au sein de la République. « Nous attendons des nouvelles heureuses du Rhin; le Nord aura son tour, et les côtes seront préservées. Voici les nouvelles de Perpignan. Je vais commencer par des désastres, je parle à des républicains. Vous recevrez ensuite les derniers restes de la Vendée. Les jeunes républicains qui se présentent à la barre vous parleront du milieu des ruines de la contre-révolution royale. Citoyens, avec de l’union et de l’ensemble, nous sommes invincibles. La politique des Romains était de ne se battre qu’avec un peuple l'un après l’autre. Vous voulez combattre tout à la fois; mais dans ce mo¬ ment l’Espagnol est à l’ordre du jour. < Le comité a pensé que vous deviez mettre hors de la loi le traître Dufaux, commandant le fort Saint-Elme; il a pensé aussi que la voix de la Con¬ vention nationale devait se faire entendre au mi¬ lieu de cette armée désorganisée, et frappée par des trahisons encore plus que par des revers. C’est à la représentation nationale à rallier les républi¬ cains à leur répéter les victoires récentes du Nord et du Midi, et à leur annoncer les secours nombreux qui marchent vers les Pyrénées-Orientales, après avoir triomphé sur les bords de la Méditerranée. » (Suit le texte: 1° du décret; 2° de l'adresse que nous avons insérée ci-dessus d'après le procès-verbal.)